Tour des Mondes – Chapitre 351

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Chapitre 351 : Dans le froid d’un siège

« Continuez le bombardement. »

Des trébuchets autour d’Emy font feu sur un château. Ce n’est bien sûr pas n’importe quel château. C’est un des derniers bastions de la résistance du royaume de Penovia et l’un des plus importants, sa capitale.

Plus de la moitié du royaume de Penovia a déjà cédé après plusieurs mois de campagne à travers le pays. Il ne reste maintenant que l’est du pays et la capitale devant elle. C’était difficile de se battre dans les marais, les montagnes et les grandes plaines froides, mais maintenant la situation la frustre encore plus. Dès qu’elle a atteint le nord du continent avec l’armée de grimpeurs et qu’elle a commencé à longer le « bord du monde », l’abîme sans fin de cette terre plate, elle s’attendait à ce que la guerre soit bientôt finie… alors pourquoi est-ce que ce château ne veut pas tomber ?! Cela fait déjà plus d’un mois qu’elle attend une reddition ou même que la barrière magique qui couvre le château finisse par céder sous le bombardement…
Qui aurait cru qu’elle serait coincée à attendre comme une idiote que les défenseurs qui se cachent là-dedans meurent de faim ou de fatigue ? Bien entendu, les soldats-grimpeurs d’en face ont fini par se terrer dans le château en voyant que la guerre était bientôt perdue, mais ça ne fait que la ralentir et ne résout rien.

Emy agite ses ailes en étant irritée alors que la barrière magique bloque des dizaines de tirs de trébuchet sans difficulté.

Impossible d’approcher. Impossible de se battre… Il faut simplement attendre et se terrer dans des tranchées en attendant que la barrière se brise.

Bien sûr, son armée ne fait qu’attendre dans le froid et la neige boueuse de la plaine que cette barrière finisse par céder. Les troupes passent le plus gros de leurs journées à miner des projectiles dans le sol pour les envoyer sur cette barrière ou à attendre pitoyablement en se réchauffant autour des quelques feux installés ici et là. Elle regarde rapidement le camp autour d’elle et les soldats dehors sont tous frigorifiés quand ils ne sont pas malades. La plupart sont dans les tentes à se réfugier du froid, mais le camp est pitoyable malgré sa taille.

Ils préfèrent de toute façon tous être ici que dans le réseau de tranchées autour de Djupa. Le camp d’Emy est le plus grand et le plus confortable sur les cinq ou six autour de la capitale. Elle peut au moins se vanter de cela et du niveau des grimpeurs du camp.
Le moral est pourtant bas, même si la victoire approche. Les grimpeurs ont du mal à se faire à la rigueur d’une guerre dans un pays aussi froid et les soldats de Lishnul ne sont pas dans un meilleur état. Faire la guerre est une chose. La faire en gelant en est une autre.

Elle n’aurait jamais dû demander à diriger l’attaque sur la capitale du royaume, Djupa. Se battre pour capturer les dernières villes sans défense semble tellement plus amusant que cette situation… Elle n’a pas la patience pour un siège.

— Où en est le tunnel ?
— Il y a toujours plus de pièges magiques à mesure qu’on approche du château et c’est difficile de creuser à cause de la pollution en mana.
— Je n’ai pas demandé ce qui freine les travaux.
— … Moins de la moitié pour l’instant.

Emy regarde vaguement Satin le stratège à côté d’elle alors qu’elle pense aux efforts de Romaro pour creuser le tunnel. À ce rythme, elle risque d’en avoir pour encore un mois de plus. Elle quitte la tour de guet pour retourner dans ce qu’elle appelle sa « caverne », qui n’est rien d’autre qu’une tente personnelle aménagée pour elle. Il y fait suffisamment chaud pour qu’elle retire la peau d’ours de ses épaules.

— Hey, tu n’es pas censée tricher !
— C’est pas de ma faute si tu tournes la tête à la moindre distraction.

Emy regarde rapidement Équinoxe et Solstice dans un coin qui ont eu le temps pendant la campagne de tailler un jeu d’échecs. Elle regarde ensuite son bureau où une pile de documents attend qu’elle les signe ou les passe en revue.

« Je m’ennuie et cette guerre me gonfle. »

Plus jamais elle ne commandera de guerre. C’est bien plus proche d’une corvée que ce à quoi elle s’attendait. Il y a trop de paperasse et c’est à elle de s’en occuper. Elle est censée être la générale en chef de l’invasion en étant là depuis le début avec Thif. Du coup, elle gère les fonds, le ravitaillement et les commandes. C’est tellement amusant qu’elle se demande si elle ne préférerait pas taper la barrière magique pendant des journées entières avec son marteau. C’est toujours plus intéressant que d’être coincée derrière un bureau.

Elle a l’impression d’être un oiseau en cage. Si ce n’était pour les quelques compagnons qui la suivent et qui l’aiment bien, elle aurait déjà décidé de repartir en direction de Lishnul ou au pied de la tour pour changer de quête.

— Ils pourraient au moins sortir du château et se battre de temps en temps.
— Bah. Profite du temps libre pour écrire une autobiographie. Je suis sûre que ce sera un best-seller au pied de la tour. « La Paladin qui a conquis un continent dans son premier monde ».

Pendant un instant, Emy réfléchit sérieusement à la remarque de Solstice qui la regarde, amusée. Elle peut voir que Équinoxe en profite pour tricher discrètement à son tour, mais Solstice semble l’avoir remarqué et lui met une pichenette sur le nez sans même se tourner dans sa direction.

« Je te rappelle que je suis une tireuse d’élite. Tu penses que je ne te vois pas ? »

Au moins, ces deux-là réussissent à l’amuser et à lui faire oublier la situation. Elle décide d’attraper une bouteille de sa réserve. Puisqu’elle n’a ni envie de travailler ni de rester dehors dans le froid pour remonter le moral des soldats… ce sera une soirée de plus à se saouler qui l’attend.

« Satin, tu fais la paperasse ou tu me trouves une solution pour briser leurs défenses. Doit bien y avoir un Mage qui traîne qui sait quoi faire pour briser la barrière. »

Le Stratège, qui était rentré dans la tente après elle, soupire en l’écoutant. C’est encore à lui de s’en occuper. Il ne va pas se plaindre, mais il sait aussi qu’Emy finirait le travail trois fois plus vite que lui et ça a tendance à le frustrer, même après tout ce temps.

Il repense aux défenses, mais ils ont peu de chances de les briser cette fois-ci. Même le tunnel n’est pas une solution puisque la barrière s’enfonce aussi dans le sol et forme probablement une sphère parfaite qui recouvre entièrement Djupa. Pour ce qui est de la briser… Ils ont probablement une équipe de Mages et de Runistes sous contrat qui s’occupent de la maintenir en place. Ou alors c’est juste le travail d’une autre anomalie qui est capable de maintenir une barrière magique de haut niveau capable de résister à un bombardement continuel.

La meilleure solution est sans doute d’attendre qu’ils meurent de faim… mais ils ont probablement stocké suffisamment de nourriture là-dedans pour tenir encore plusieurs mois. Il a beau tourner le problème dans tous les sens, c’est impossible de résoudre ce casse-tête. Peut-être, qu’une fois la conquête du continent terminée et avec l’aide des autres brigades de Mages, ils auront une chance de briser les défenses. Mais cela prendra du temps.
En tant que Stratège, il se sent triste de ne pas trouver de solution alors que c’est son devoir.
S’il regarde objectivement la situation… il n’a juste pas les bonnes cartes en main pour en finir avec cette guerre rapidement.

Il regarde rapidement les formulaires de ravitaillement et les livres de comptes sur le bureau… C’est sans doute plus facile de s’en occuper que de trouver une solution à la situation.
Il suffirait d’un grimpeur avec la bonne classe pour venir à bout de cette barrière, mais il a beau regarder chaque jour les rapports sur les nouveaux grimpeurs arrivants, personne ne semble avoir de classe capable de créer une brèche ou d’annuler la magie. Si seulement ils pouvaient entrer dans le château… Il suffirait ensuite qu’Emy fasse le ménage là-dedans en battant les anomalies qui s’y cachent.

Fichues anomalies, avec des classes incompréhensibles… Pendant toute la campagne, ils ont pu les affronter ici et là, mais à aucun moment il n’a été possible d’en tuer une. Au total, ils sont une quinzaine à former ce qu’il appelle « la dernière ligne de défense d’élite » de Penovia. Tous sont membres du même groupe de grimpeurs vétérans qui ont pris le pouvoir dans le pays.

Malheureusement, le plus gros problème n’est pas simplement de prendre le château en tuant les anomalies, mais de gérer les royaumes à l’Est et au Sud du continent qui ont commencé à menacer les frontières de Penovia. En profitant de la guerre, ils ont déployé des flottes de « reconnaissance » dont les cales sont remplies de soldats prêts à attaquer.
Bien entendu, c’est possible que les royaumes soient des alliés des grimpeurs qui se terrent dans Djupa et qu’ils attendent juste le bon moment pour lancer l’assaut depuis les côtes. Cependant, il y a de fortes chances pour qu’il joue la carte de l’invasion de Penovia quand les deux camps seront suffisamment affaiblis.

… Gérer le territoire conquis, finir de conquérir le reste et se défendre des armées étrangères… Tout cela en s’occupant de l’approvisionnement à travers Penovia pour toute l’armée de libération…

Les quelques grimpeurs qu’il a essayé de recruter pour la paperasse ont majoritairement refusé de l’aider. En dehors d’eux, il ne reste que les généraux Lishnuliens qui ont décidé de ne pas les soutenir réellement en faisant le strict minimum pour que leurs soldats soient correctement traités… Depuis la guerre civile dans Lishnul, il semble qu’ils font tout pour bien se faire voir de Thif afin d’obtenir des terres et un titre de noblesse dans le coin. Perdre des hommes serait contre-productif pour eux et les grimpeurs sont donc une aubaine, mais ça ne les empêche pas de ne pas apprécier les grimpeurs qu’ils voient comme des mercenaires.

Autant dire que cette guerre n’épuise et n’irrite pas seulement Emy, mais bien tous les grimpeurs présents. Les conditions sont trop mauvaises.
Il ne lui reste qu’à attendre en vérifiant les classes des nouveaux arrivants pour espérer trouver une solution rapidement…

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Correction : Hastin

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