Tu aimes la Tour des Mondes ? N’hésite pas à faire un don sur Tipeee pour accèder à 50 chapitres supplémentaires et rejoindre nos donateurs !
_________________
Chapitre 376 : Emily
Avec un bras arraché et une aile difforme entre les dents, Emy rit de toutes ses forces en toisant son adversaire et ami. Le rire profond se propage dans la bulle en baignant d’incompréhension ceux qui l’entendent en même temps que les grognements d’un monstre.
Emy observe son adversaire en vivant cet instant comme le point culminant de sa vie. C’est déjà le troisième match contre ce Nimis et une bonne partie du camp a déjà été détruite par leur combat. Pourtant, Emy savoure chaque instant en se baignant dans le sang et le combat et en ignorant le reste. Elle oublie tout pour se laisser porter par la douleur. Ses sens sont en ébullition. L’odeur de fumée, de sang et de transpiration emplit son nez alors que ses yeux sont fixés sur son ami et adversaire le plus puissant à ce jour. La personne qui a fini par devenir son rival le temps d’un soir en dépassant tout ce qu’elle aurait pu imaginer quand elle l’a croisé pour la première fois dans cet escalier du manoir de Cyrus.
Ce combat est la preuve qu’il y avait une raison à tout ce qu’elle a vécu et tout ce qu’elle a sacrifié jusque-là. Abandonner sa vie sur terre était probablement la meilleure décision qu’elle ait pu prendre. Paladin, Valkyrie, Berserker… Si un jour elle avait su qu’elle ferait tout cela, qu’elle serait la guerrière la plus forte d’une planète entière et qu’elle mènerait une armée à la guerre avant d’affronter un monstre… Non. Oublions la phrase clichée qu’elle n’aurait jamais pu imaginer tout cela et le prendre au sérieux. La « Emy » d’aujourd’hui prend un plaisir fou à faire tout cela, la « Emy » de la terre n’était qu’une personne ennuyeuse sans rien à dire.
Une « foutue bureaucrate » donnant envie de pioncer à quiconque l’écoutait plus de cinq minutes. Tout ça pour un travail sans importance dans un bureau où elle devait remplir des formulaires sans intérêt pour gagner de l’argent qu’elle n’avait jamais vraiment dépensé… Pas d’amis, pas un mot plus haut que l’autre, pas d’avenir extraordinaire de prévu.
Une vie éternellement grise et sans intérêt à gratter du papier pour des raisons qu’elle-même ne comprenait plus après quelques années à ce poste. Un quotidien banal et sans fin à souffrir d’une mort lente de l’esprit. Une non-vie sans fin.
Emy se déteste pour ce qu’elle était. Une éternelle timide sans rien à raconter. Une femme qui avait acheté un chat qui la détestait parce qu’on lui avait dit que ce serait une « super expérience ».
« Baisse la tête ! », « rentre dans les clous ou tu vas finir seule ! », « Fais toujours ce qu’on te demande ! ». Toutes ces phrases répétées par des parents sans amour avaient forgé ce qu’on appelle son éducation. Même en partant de son foyer, sa vie était dirigée par eux. Vêtements, loisirs, amis, travail… elle n’avait jamais rien choisi. Mais ce n’était pas grave. Elle avait pris conscience de sa médiocrité il y a longtemps. C’était plus facile quand les autres décidaient à sa place. Au moins, elle ne risquait pas de faire une erreur.
Partir de chez elle n’avait pourtant rien changé. À son travail, elle n’était qu’un outil candide que les autres utilisaient ou moquaient silencieusement s’ils n’oubliaient tout simplement pas son existence. Pile de documents après pile de documents, elle avait continué sa vie au jour le jour. Alors pourquoi la tour ? Pourquoi essayer d’y entrer ?
« Les gens comme toi feraient mieux d’aller dans la tour. Tout le monde se moque que tu sois là ou non, ma grande. Ton travail ne vaut rien la moitié du temps, tu n’es même pas assez mauvaise pour qu’on te vire pour ça. Je serais toi, je reverrais mes choix de vie. Tu n’as rien ici. Essaye au moins de me donner une raison pour te virer. Et dis quelque chose, bordel !! »
« Elle arrive, parlons d’autre chose. »
« Hey, Emily, tu peux finir ça pour moi ? »
« Et toi ? Tu prends des vacances où ? Comment ça “nulle part” ? »
« Je suis déçue. »
« Foutu robot. »
« Pousse-toi. »
« Il faudra faire mieux que ça si tu veux impressionner quelqu’un. »
« Arrête de me regarder, tu me dégoûtes. »
« Encore là, toi ? Barre-toi avant que je m’énerve. »
« Je n’ai vraiment pas envie de faire équipe avec toi sur ce dossier. Débrouille-toi toute seule. »
« Dis la cruche, tu vas où comme ça ? Tu as encore des dossiers à finir. »
« C’est de ta faute ! Tu le fais exprès c’est ça ? »
« Ha ha ! Tu as vu sa tête ?! »
« … Dans tes rêves. »
Tant de choses ne lui faisaient rien. L’indifférence, les insultes… Rien ne semblait capable de la faire réagir. Même le fou qui s’est jeté sur elle en la forçant à prendre une clé n’a pas eu raison de son impassibilité. Rien ne l’atteignait. Même cette clé dans sa main qu’elle avait regardée sans comprendre ne changeait rien. Jouer avec pendant des heures ne changeait rien. S’endormir avec non plus. Passer des épreuves pour entrer dans la tour en pensant rêver n’a rien changé. Sa première épreuve où elle devait juste hurler lui semblait comique jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle en était incapable. Ce simple geste lui était interdit sans qu’elle ne sache pourquoi. Tout au plus, elle arrivait à peine à élever le ton sans vocaliser de mot. En quelques instants, elle s’arrêtait, rapidement gênée par le simple son de sa voix. Le simple fait de s’entendre était étrange. Cela avait presque quelque chose de nouveau pour elle. Combien de fois est-ce qu’elle avait essayé exactement ? Des dizaines, des centaines de fois peut-être ? Cela n’était qu’un rêve pour elle. Sa voix qui se brise, les larmes sur son visage, sa peur, sa tristesse.
Son refus d’abandonner ne s’explique que par un manque de résignation. Abandonner à ce moment reviendrait à accepter qu’un problème existait et qu’elle ne tournait pas rond. Échouer à une consigne si simple la marquerait à jamais. Même sans souvenir, elle devrait vivre avec un trauma bien trop profond pour l’oublier. Alors elle avait continué encore et encore à essayer de crier dans les ténèbres l’entourant.
C’est au bout du rouleau, quand les larmes ont commencé à couler, que finalement elle a réussi à hurler.
Pourtant ce n’était que la première épreuve d’une dizaine. L’épreuve suivante était tout aussi horrible et simple que la première. Devant une sorte d’humain immobile ne respirant pas, son ordre était de le frapper, puis le cauchemar continuait…
En sortant des épreuves, elle était pourtant toujours la même. Bien sûr, elle était secouée par tout cela. Pourtant, réussir ne lui avait pas fait remarquer le problème. Emily n’avait pas remarqué les contritions de son esprit. En étant incapable de savoir ce qui était normal, elle avait simplement estimé que les épreuves étaient difficiles pour tout le monde et pas juste pour elle. Non, les épreuves étaient probablement plus difficiles pour les autres. Elle était bien trop médiocre pour que ce qu’elle avait vécu dans les épreuves puisse être considéré comme difficile.
Cette situation, être à l’intérieur de la tour, ce n’était probablement qu’un rêve au final. Un mauvais rêve pas très agréable. En se réveillant, elle retournerait à son travail en s’amusant de son aventure étrange.
Perdue dans ses pensées, Cyrus avait pris soin d’elle alors qu’elle était encore déboussolée et en train d’essayer de donner un sens aux épreuves et à ce que le guide lui disait sur ce monde. Finalement, après une bonne nuit de sommeil, il l’avait emmenée devant la porte de l’aile des Berserkers.
Comme un fantôme, Emily était entrée en avançant sans même regarder autour d’elle. Un homme s’était alors avancé vers elle et l’avait emmenée dans une salle en la tenant gentiment par le bras. Il l’avait attachée à une chaise sans qu’elle n’essaye de se débattre et sans même chercher à comprendre.
Ensuite, il l’avait frappé. Pas du bout des doigts ou avec le plat de la main. Un poing ferme et endurci par des années d’entraînement lui avait fracassé la mâchoire de toutes ses forces. Elle avait senti quelques dents sauter alors que du sang commençait à couler d’une coupure à l’intérieur de sa joue pour remplir sa bouche. Sa passivité faisait maintenant place à la stupéfaction et à cette réalité qui venait de la frapper en plein visage. Même si elle avait encore très peu conscience de l’endroit où elle était, la douleur était une sensation nouvelle pour elle. Après une vie médiocre et sans aucune violence, la douleur physique était totalement nouvelle pour elle.
Étrangement, Emily sentait quelque chose en elle se débattre qui venait de ses tripes. Un début de rage subtil, mais complètement nouveau. Une partie d’elle cherchait à s’exprimer pour la première fois de sa vie et elle n’était pas capable de savoir ce que cela signifiait. Cependant, ce coup de poing avait fini de la réveiller. Tout cela n’était pas un rêve. Les épreuves, le contrat, la tour. La tour des mondes… Elle était bien dans la tour des mondes.
Et au lieu de rejeter la douleur, elle en avait demandé plus.
« Encore. »
« Tu commences à comprendre. »
Non, Emily n’arrivait pas à croire qu’elle ait demandé une telle chose. Son visage était en feu et elle ne souhaitait que fuir cet endroit étrange… C’est vraiment elle qui a parlé ? Non, c’est un mensonge, ce n’est pas possible !
L’inconnu qui attendait une réaction à son agression referma alors le poing plus fermement. À chaque nouveau coup de poing, à chaque nouvelle vague de douleur, Emily se sentait plus libre qu’elle ne l’avait été jusque-là. Une voix à l’intérieur commença aussitôt à disparaître petit à petit. Une voix qui toute sa vie l’avait accompagnée et qu’elle rejetait pour la première fois.
La douleur physique était en train de briser couche par couche l’épaisse insensibilité à tout que sa vie lui avait donnée. L’injustice, l’indifférence, la haine… Tout cela, elle était maintenant capable de la ressentir et de comprendre à quel point elle avait été aveugle toute sa vie.
Emily avait disparu ce jour-là sous les coups d’un professeur à qui elle demandait de frapper toujours plus fort. La personne timide et impassible qu’elle était avait finalement trouvé une raison, après plus de vingt ans, pour que son cœur continue de battre. Non, son cœur avait commencé à battre pour la première fois à cet instant. La cage de verre la séparant de ses émotions se brisait à chaque nouveau coup de poing jusqu’à ce que finalement elle ne fasse plus qu’une avec elles. En pleurant et en hurlant de rage, elle avait mordu le bras de son professeur jusqu’au sang. Pas pour se venger d’un inconnu dont elle se moquait, mais pour pouvoir exprimer ses nouvelles émotions qui se répandaient comme un incendie à travers son esprit.
En riant, il l’avait simplement libéré en lui hurlant de venir lui briser les os si elle en était capable. Ce ne fut pas le cas. Ce fut son combat le plus pitoyable et le plus court.
Son premier combat.
Car pour la première fois de sa vie, elle s’était battue en donnant tout ce qu’elle avait.
Comme une droguée qui avait oublié le goût des sensations, il lui fallait toujours plus. Elle devait vivre quinze fois plus que les autres pour rattraper le temps qu’elle avait perdu. Toutes les émotions s’offraient maintenant à elle et chacune était un pastel supplémentaire de couleur qui avait manqué dans sa vie terrienne. Pour la première fois, elle était au contrôle.
Quand les autres lui imposent de la souffrance, elle peut maintenant s’en servir pour devenir plus forte et rendre l’insulte au centuple. Elle ne bloque et n’ignore plus ce qui l’entoure.
Emy est née. Elle est devenue plus forte, plus rapide, plus endurante. Elle a arrêté de cacher ses pensées et ses émotions. Emy est devenue fière d’elle-même à mesure que son travail et ses efforts prenaient forme.
Cela ne l’a pas empêchée de faire des erreurs.
Elle s’est habituée à sa vie au pied de la tour au point de finir par s’y piéger dans un quotidien qui lui convenait pendant plusieurs mois. Ensuite, elle a abandonné celui qui lui a permis d’oser affronter sa peur de l’inconnu et qui lui a permis de commencer son aventure.
Bien sûr, le destin a voulu qu’elle retrouve Nomad ici. Il vient de détruire tous ses projets et elle lui en veut pour ça. Pourtant, elle n’a jamais été plus heureuse depuis plusieurs mois. Sans le vouloir, une partie d’Emily a ressurgi quand elle a commencé à s’occuper de la paperasse… ou plutôt quand elle a commencé à stagner au même endroit et à s’enfermer dans un rôle qu’elle n’a jamais voulu comme l’espèce de fantôme qu’elle avait été sur terre.
La seule chose qui puisse faire peur à Emy, la seule chose qui la pousse à avancer sans se retourner, c’est Emily. Rodant dans son esprit, Emy est terrifiée de disparaître pour redevenir la personne qu’elle était. Au milieu d’une guerre bien trop longue… Emily a pris son temps, mais sûrement, elle allait finir par gagner.
Très clairement… Nomad est venu la libérer d’elle-même. Cela dit, elle n’a pas envie de jouer le rôle de la princesse en détresse qui va être secourue par un prince à la noix.
Se battre lui permet de tuer encore une fois Emily, de la chasser de son inconscient en espérant qu’elle ne reviendra jamais. Il n’y avait que Nomad pour lui offrir un combat lui permettant de se réveiller. Après tout, ce n’est pas la première fois qu’il l’aide, cet idiot.
Emy tombe au sol pour la quatrième fois, incapable de se relever. Elle n’a jamais été aussi forte grâce à la douleur qu’elle subit et pourtant elle est incapable de le battre.
Cela la fait sourire d’autant plus fort. Elle ne se résignera pas tout de suite. Nimis est déjà en train de saisir une potion pour la verser sur elle et souhaite lui aussi que le combat continue.
La terre semble tellement loin maintenant. Loin et insipide. Vide de sens.
Emy pourrait mourir dans quelques minutes et être heureuse grâce à la vie de grimpeuse qu’elle a menée. Elle a rencontré Nomad et d’autres types amusants dans cette tour. Emily n’aurait jamais fait un truc aussi stupide que d’affronter un démon pour finir en charpie au sol. Emy, oui. Emy adore sentir son corps lui dire “non” pour lui répondre “si” en hurlant et en riant. Elle aime ce combat et cette personne qu’elle est devenue. Elle meurt d’envie d’enfoncer son poing dans le visage de ce Nimis et de sentir ses os se briser.
Emily et la terre sont loin maintenant.
Emy attrape un bouclier en fer qui traîne par terre qu’elle commence à tailler à main nue pour pouvoir s’en servir de lame. Elle se racle la gorge avant de cracher le sang qui remplissait sa bouche. Elle dévisage rapidement le monstre qui rugit en direction du ciel.
Emy éclate de rire en serrant les poings. Sa vie a pris un tournant étrange, mais elle n’a jamais été aussi heureuse. Elle doit à présent remercier Nimis de lui avoir rappelé qui elle est.
_________________
Pour donner vos impressions n’hésitez pas à mettre des commentaires !
Vos appréciations sont importantes pour montrer votre soutien.
Correction : Hastin
Chapitre Précédent | Sommaire | Chapitre Suivant
Tu veux des chapitres en plus de la Tour des Mondes ?
Visite directement la page tipeee de l’oeuvre !
Pour un don de 10€ , tu auras accès à 50 chapitres supplémentaires sur la série par rapport à la parution KissWood ainsi qu’à des dizaines de bonus !
Rendez vous sur ce lien : Tipeee
Chapitre 295 : L'opération d'annihilation d'Orden (2) Les balles magiques étaient des balles composées d'acier…
Chapitre 315 : Espérer revenir à la maison À cause de fille vampire qui vient de…
Chapitre 13 - A la mémoire de nos pères 1/2 Je n’ai que peu de…
Merci aux donateurs du mois pour la Tour des Mondes ! ! Leslie V.// Gobles…
Chapitre 305.5 : Tabou ( Chapitre avant le début de la conférence des réincarnés, le…
Chapitre 294 : L'opération d'annihilation d'Orden (1) [Afrique – Désert aride] Les vents du nord…
View Comments
Merci pour ce chapitre
Merci pour le chapitre.
PS: Wow, juste... wow...
Merci pour ce chapitre