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Chapitre 392 : La ville éternelle

J’ouvre les yeux dans ce qui ressemble à une cellule. Tout est en bois, il me semble. J’ai l’impression que sur Borseau, il a plus de valeur que le fer, mais ce genre de réflexion attendra…

Ce n’est pas la première fois que je me fais capturer, donc je ne vois pas de raison de paniquer. La cellule n’est pas très grande, mais j’ai le droit à un lit. Sur un mur, il y a une fenêtre avec des barreaux. En face se trouve un mur fait de barreaux. Plutôt simple, mais c’est bien une cellule.
Mes blessures ont même été soignées dans une certaine mesure. Vu la taille du fil qui a servi à me recoudre, la personne qui s’en est occupée n’avait pas envie de faire dans la finesse. Même avec ma faible expérience en couture, j’aurais fait mieux avec un fil moins épais.

Je me redresse difficilement à cause de la douleur et je me frotte le visage pour retirer la fatigue que je ressens. Je suis nu comme un ver, si ce n’est pour la couverture sur moi. Ce qu’il me restait de vêtements a probablement été retiré pour me soigner.

Micha, où es-tu ?
{Kyuu… Dehors, j’essaye de rentrer ! Bien ?}
Ça va. Reste dehors pour l’instant. Explore, mais discrètement.
{O-oui !}

Je pense à Juliette et elle sort sa tête de mon bras. Je la caresse rapidement et elle commence à me menacer de ne pas recommencer à la toucher. J’ai l’habitude qu’elle le fasse, mais je ne me lasse pas de la taquiner. Surtout que bon… je suis encore en vie ! Une prison n’est pas si mal sachant que j’aurais pu finir mort.
Je souris quelques instants en détaillant ce qu’il y a autour de moi. Une écuelle par terre contient quelques fruits et il y a même une carafe d’eau. Même si je n’avais pas de doute en voyant les barreaux de la fenêtre, cela finit de confirmer ma situation. Ça et le pot de chambre dans un coin. Une cellule qui n’a rien de particulier, si ce n’est que tout est en bois ici.

Je soupire en me rallongeant.

Combien de temps a passé depuis que j’ai perdu connaissance ?
{Trois jours… Sommeil profond !}

Effectivement. Cela explique pourquoi je me sens aussi faible. J’attrape l’écuelle et je commence à grignoter les morceaux de fruits et de légumes inconnus que j’y trouve. Je ne ressens toujours pas d’animaux à proximité. J’ai l’impression que je ne pourrai pas me servir d’une meute pour me sortir d’ici.
À travers les barreaux de la grille qui couvre tout un mur, je ne vois rien de plus que ce qui doit être un couloir. Il y a de quoi laisser passer de la lumière à travers la fenêtre blindée derrière moi, mais elle est trop haute et je ne prendrai pas le risque d’ouvrir mes blessures pour regarder à travers.

Je me rallonge en reposant l’écuelle et je partage ma vision avec Micha pour savoir ce qu’il se passe là dehors. Je n’ai pas vu de ville ou de village quand j’étais dans la clairière, mais c’est probablement parce que j’étais encore trop loin pour en voir. Pour m’aider à mieux comprendre la situation, Micha se place sur une sorte de promontoire pour me permettre de voir ce qui l’entoure.

… Wow

Je ne m’attendais pas à ce genre de vue. À travers les yeux de Micha, je peux voir une ville gigantesque taillée directement dans le tronc central de l’arbre-pays. Quand je dis gigantesque, c’est qu’il est impossible d’en voir le bout même avec les yeux de Micha.

{Trop grand !}

Elle me le confirme, mais je n’ai pas de doute sur la question. Micha a déjà pris de la hauteur, donc je suis capable de voir qu’elle a déjà parcouru plus de 500 mètres vers le haut et qu’elle me montre une ville complètement verticale. Ce n’est pas une suite de niveaux pyramidaux et d’étages de ce que je peux voir autour d’elle. Ce sont des bâtiments de tailles différentes directement taillés dans le bois de l’arbre et placés les uns sur les autres avec harmonie.

Toutes les formes sont lisses et naturelles et cela ne ressemble à rien de l’architecture que je connais. Certaines constructions ressemblent même à des branches montant encore et encore en formant une structure en spirale sur plusieurs kilomètres. Il s’agit bien d’une ville vivante et non abandonnée, et il suffit de voir les passants qui se promènent sur les branches qui s’entremêlent sans fin en créant des rues pour le comprendre. Je peux voir des jardins et quelques terrasses où des arbres poussent. Il y a aussi des sortes de rivières creusées dans des canaux qui coulent tranquillement en cascade ici et là. Il y a des échelles, des escaliers et même ce qui ressemble à des tunnels creusés dans des branches ou des veines de l’arbre. J’ai la vague impression d’être face à une élégante termitière, ou à une sorte de paradis pour les Acrobates.

La ville est extrêmement dense. Il y a très peu d’espaces vides et les structures se succèdent les unes aux autres. Il n’y a pas d’avenues et les rues que je vois ne font qu’un ou deux mètres de large au grand maximum.

Les « rues » sont cependant loin d’être pleines. Il n’y a pas foule et je trouve même étrange de voir aussi peu de monde en pleine journée. Il n’y a même pas de bruits. Une ville d’une telle taille devrait ruisseler d’activités. Micha m’explique que pour la plupart, ils sont tous dans des habitations de grandes tailles à jouer de la musique, à écrire ou à regarder le ciel béatement.

… Si je me fie à ce que Micha a vu, tout cela semble parfait. Sous elle, plus de 500 mètres d’habitations. Au-dessus d’elle… plus d’un kilomètre à vue d’œil et, puisque la ville est verticale, c’est possible qu’elle monte encore plus haut. À droite comme à gauche, il est aussi impossible de savoir les limites de la ville et il est probable qu’elle fasse le tour entier du tronc. Pour ainsi dire, c’est une mégalopole gigantesque.

D’après ce que je ressens à travers le lien, Micha est encore loin, à plus de cinq kilomètres de moi… En faisant un essai rapide en déployant mon aura avec plus de concentration qu’avant, je me rends compte qu’il n’y a vraiment pas d’animaux ici. Sans avoir la possibilité de former une meute, je vais avoir bien plus de difficultés à réaliser ma quête.

Je repense rapidement à ce que j’avais vu en découvrant que j’étais sur un arbre géant. Je n’avais pas vu cette ville. Bien sûr, avec le nombre de kilomètres, je l’ai peut-être manqué. Je ne vois que deux possibilités. Ce que j’ai pris pour l’écorce du tronc était déjà en réalité la ville de loin. À cause de la densité des habitations, c’est sans doute difficile de réellement la voir. Elle pourrait couvrir entièrement le tronc pour autant que je sache. C’est aussi possible que le tronc soit tellement grand que de loin il soit impossible de voir la fille comme autre chose qu’un bout d’écorce.
Le premier cas serait le plus aberrant en termes de taille. Il serait difficile de compter le nombre de millions d’habitants.

Je m’arrête un instant dans ma réflexion. Micha observe un des elfes qui passe un peu en dessous d’elle. Blond et oreilles pointues dans son cas, rien de particulier sur son apparence…

Ce qui me dérange, c’est l’expression sur son visage. Elle est complètement vide de toute vie. Ses yeux sont vides. Sa bouche est même entrouverte en lui donnant l’apparence d’un poisson rouge. Il fait un pas puis s’arrête quelques secondes avant de refaire un nouveau pas.
S’il n’était pas en train de respirer, je le prendrais très facilement pour une sorte de zombie. Je demande à Micha de regarder les autres dans les parages et je me rends compte qu’ils sont tous pareils. Il y a bien des elfes qui discutent à certaines terrasses, mais leur conversation ne fait pas de sens. Sans parler des pauses trop longues entre chaque phrase, ils ne donnent même pas l’impression de s’écouter ou de se regarder. En me concentrant un peu plus sur l’ouïe de Micha, j’arrive à entendre ce dont ils discutent. L’un dit qu’il ne doit pas oublier d’arroser un arbre en boucle et l’autre lui demande s’il a pensé à parler à une certaine Violette. Ils font des pauses d’une vingtaine de secondes entre chaque phrase et répètent plusieurs fois les mêmes choses avant de passer à la phrase décousue suivante.

… J’ai un mauvais pressentiment sur la situation. Dans une ville parfaite et gargantuesque, il ne semble y avoir que des « fantômes » comme habitants.
Je commence à réfléchir à ce qui pourrait être la cause de cette situation, mais je ne trouve rien qui explique l’état de toute une ville de cette taille. La drogue ? Un contrôle mental ? Je sais que les elfes sont influencés par leur environnement, mais celui-ci m’a l’air sain… Sont-ils influencés par l’arbre ? L’altitude ?
… Il ne me reste qu’à attendre des explications venant de la femme qui m’a poignardé. Ou alors de ses gardes ? Eux avaient l’air suffisamment normaux.
Enfin, à sa façon de me regarder et vu la quantité de corruption, j’ai bien peur qu’elle n’ait que pour unique idée de me torturer.

Micha, continue de grimper et essaye de nous rejoindre sans te faire remarquer. S’il n’y a pas d’animaux dans le coin, je ne sais pas comment ils vont réagir en te voyant.
{Oui ! Je grimpe !}

Je lui dis de faire attention à ne pas trop en faire et elle me rassure avant de reprendre son ascension.

Pour l’instant, je suis au calme. En prison, mais au calme. Première chose, j’adresse un message à Kassandra. C’est un peu étrange comme concept, mais je n’ai rien trouvé de mieux pour faire passer un message facilement au pied de la tour, peu importe ma situation.
Je me contente de parler à voix haute. En tant qu’Oracle, Kassandra m’observe depuis le passé. Si je spécifie une date dans mon discours, il lui suffit d’écrire une lettre en m’écoutant et de la transmettre à Madeleine à la même date que celle où je la dicte.
Théoriquement, c’est possible. Je n’ai pas bien compris comment et pourquoi, mais c’est le cas. Ça fait partie d’un des livres que j’ai feuilletés dans la bibliothèque de Milo intitulé « Oracle, communication du futur vers le présent passé ». Je n’ai rien compris si ce n’est que, théoriquement, c’est possible, du moins d’après la préface, et ça m’arrange un peu si c’est bien le cas.

Les Oracles auraient tendance à ignorer les demandes de ce genre puisque cela les fait passer pour des Facteurs, mais avec Kassandra… disons que j’ai une relation particulière avec elle. Le message arrivera à destination. Avec mes circonstances, j’en voudrais vraiment à Kassandra de m’ignorer. Les lettres sont surtout un moyen de calmer le barde pyro-mage irritant. Il pourrait finir par croire que je l’ai oublié si je ne le contacte pas régulièrement. Si Kassandra ne transmet rien, alors elle pourrait avoir la mort de beaucoup d’enfants de la tour sur les mains. Sinon, je n’ai qu’à espérer que Mad’ sera assez convaincante avec le pyro-mage nommé Kasai.

Je referme les yeux en réajustant la couverture sur moi. Il est temps pour moi de dormir et de récupérer tant que je suis blessé. Persée aide le processus à sa façon, mais je dois aussi prendre le temps de me remettre. Bien sûr, les elfes qui m’ont emmené ici m’ont soigné et je ne suis probablement pas en danger de mort. Cependant, cela ne vaut pas une potion de sang de dragon. Les petites fioles me manquent. Les chasseurs ont épuisé une grande quantité de mon équipement, jusqu’à détruire mon armure en quelques attaques. Inutile de pleurer là-dessus. J’ai toujours trouvé des solutions, il me suffit d’en trouver d’autres. Le plus simple reste sans doute d’éviter une blessure grave ou de me faire couper un bras ou une jambe. Si cela arrive, je n’aurai pas d’autre choix que de retourner au pied de la tour et j’échouerai ma quête.

Prenons le temps. Ils viendront assez vite me chercher. J’aviserai ensuite. Ma prophétie parlait de marcher dans tous les royaumes de toute façon. Évitons de penser à la phrase « ils te haïront, elle t’aimera ». J’ai le sentiment que dans les deux cas, ça ne va pas me plaire.

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Correction : Hastin

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