Tour des Mondes – Chapitre 394

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Chapitre 394 : Poser la première pierre

Je me réveille en tremblant. J’ai la nausée en ayant l’impression que mon cerveau vient de passer dix fois dans une machine à laver. Mon corps ne répond pas normalement. Du moins, je n’arrive pas à me relever et ma vision est trouble.

J’arrive à comprendre que je ne suis plus dans la cellule en regardant le plafond et vaguement que je suis dans un lit. J’essaye de me concentrer sur autre chose que mes sensations et je peux sentir Juliette à l’intérieur de moi qui bout de rage. Je lui demande de se calmer en essayant d’oublier le nouveau « lien » d’où proviennent mes problèmes. J’ai du mal à donner un sens à ce qu’elle m’explique, mais j’arrive à comprendre qu’elle est à gauche de moi.

Douloureusement, je tourne la tête avant de me figer tout aussi vite. Accrochée à mon bras et me regardant en souriant, je peux voir la princesse de la corruption. Ses grands yeux sont fixés sur moi et c’est bien la chose la plus terrifiante à laquelle je pouvais m’attendre. Je frissonne alors qu’elle serre mon bras toujours plus fort contre elle en comprenant que je suis réveillé. Tant qu’elle ne cherche pas à me l’arracher où à me briser les os, je pense pouvoir l’accepter temporairement.

Même si j’essaye de l’oublier, tout un tas de sentiments se mélangent à travers le lien que j’ai avec elle. La joie et l’excitation restent les plus importantes, mais c’est la folie qui me rend le plus malade pour le moment.

Je n’arrive pas à suivre ses pensées. Elles sont tout aussi étranges et déstructurées que la façon dont elle a parlé pour appeler les soldats dans la cellule.
J’aimerais qu’elle se calme et qu’elle essaye de me laisser le temps de réfléchir, j’en ai vraiment besoin. Alors que je pense cela, elle décide de me chevaucher complètement en s’installant sur mon ventre. Inutile de dire que j’ai mal et que la blessure qu’elle a faite manque de s’ouvrir sous son poids. À travers le lien, tout un tas de pensées se mélangent avant de finir par ralentir… Cela ne l’empêche pas de me sourire comme une démente, mais ce moment de répit me convient. Le nouveau lien me donne l’impression d’avoir une tronçonneuse dans le cerveau. Je ne tiendrai pas longtemps à ce rythme.

De nombreuses questions me traversent l’esprit alors que je réfléchis à la situation. Je dois comprendre que cette fille est un animal à cause du lien ?
J’essaye de me concentrer sur le lien pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. Pour commencer… ce n’est pas un lien. Du moins pas un lien de Dresseur. La forme… et son effet, tout me semble étrange.

Les liens m’ont toujours donné l’impression d’être faits d’eau ou de quelque chose de liquide. Ce sont des tuyaux liquides permettant de transmettre des informations qui coulent à travers. Le sien… non, le nôtre est artificiel. C’est une série d’anneaux solides qui tournent sans fin en simulant un lien. Chaque émotion ou pensée est propulsée à travers comme une balle que l’on tire sur mon esprit. Cela explique assez facilement mon mal de crâne.

La seule explication réaliste d’après moi reste que c’est de la magie ou un enchantement affectant directement l’esprit. Je ne l’ai certainement pas dressée et l’inverse non plus.
Comme pour répondre à ma réflexion, la folle acquiesce plusieurs fois et un nouveau bombardement d’émotion me fracasse le crâne.

La princesse a l’air de pouvoir me comprendre même si l’inverse n’est pas vrai. Je peux comprendre ses émotions, mais impossible de donner du sens à ses pensées. Persée fait plus de sens avec sa faim continuelle que ce qu’elle bombarde sur mon esprit. J’ai l’impression que des miettes d’idées sont tirées sur moi comme des shrapnells. Même la folie que j’avais partagée avec Persée lors de la fusion est plus rationnelle que ce qu’elle me jette dessus.

« Tiens. Solide. Ça. Économie. Totem »

Enfin, c’est comme ça que je l’interprète. Pas de sens et des mots répétés aléatoirement. C’est approximativement la même chose quand elle parle. Pas de logique cachée ou d’idée claire derrière laquelle je peux comprendre sa façon de penser. Faisons un test. Je commence à en avoir marre de l’appeler « la folle » ou la « princesse de la corruption ». Je le supporte assez mal et j’aimerais bien avoir son prénom. Je n’en pense pas moins, mais évitons de l’insulter maintenant qu’elle peut lire mes pensées.
Je répète mentalement plusieurs fois « Mon nom est Nomad » en la regardant. Avec un peu de chance, elle va réussir à comprendre ce que je dis. Je passe ensuite à répéter vocalement « Nomad ».

« N-no… nom – mad, Nomad, Nomad ! »

Il y a du progrès depuis qu’elle m’a poignardé. Cependant, et à la façon qu’elle a de le dire, elle ne comprend pas ce que Nomad signifie. Un effort inutile de ma part, mais je vais faire avec et me taire.
Je reste quand même sur mes gardes. Mon mal de crâne m’empêche de réfléchir. C’est étouffant au point que j’ai du mal à comprendre ce que Micha essaye de me dire. Je demande aussi à Juliette de calmer sa colère, qui est probablement justifiée, mais qui ne m’aide absolument pas.
La « folle » se met à parler de façon insensée et finit par attraper ma main en me forçant à croiser les doigts avec les siens et me montre quelque chose. La pièce manque de lumière, mais j’arrive vaguement à voir un anneau dessus. C’est sans doute ce qui cause la présence du lien et non, je ne considère pas que je suis marié avec elle ou quelque chose du genre. Je ne veux pas de ce lien. Il y a plusieurs raisons bien sûr, mais rien que la regarder m’horripile. C’est la première elfe que je croise et elle est plutôt jolie, mais si je m’arrête à la beauté pour faire confiance à quelqu’un, Miss Jonah serait au courant de tous mes secrets.

Non. Je veux partir et me débarrasser d’elle. Je suis trop vulnérable à cause de son lien imposé et je ne la laisserai pas jouer la carte du malentendu pour expliquer ce qu’il se passe ici. Me poignarder en souriant, m’observer dormir, jeter des gardes sur moi, me mettre un anneau au doigt et former un lien… Ce n’est pas du niveau d’une méprise, c’est une obsession.

Commençons déjà par bloquer son lien. Même si j’ai peu de chance d’y arriver complètement, je peux sans doute l’obstruer un peu. Entre le lien de Yuu et mon entraînement sur la fusion, je peux le manipuler plus facilement qu’avant. Mentalement, je commence à former une barricade en posant la « première pierre » dans le lien. La sensation me soulage au point que j’en tremble de plaisir avant de recommencer.
Yuu avait pour méthode d’obstruer le lien en préparant des blocs constants de pensées inutiles. Avec les liens, cela se définit par des choses que je comprends, mais qui ne sont pas utiles et que mon cerveau passe habituellement sous silence. Cela fait partie des pensées obligatoires, mais tellement automatiques qu’elles sont aussitôt oubliées. Par exemple, se concentrer sur sa respiration, comment déglutir, la position de la langue ou d’autres choses du même genre. Le lien transfère mes pensées automatiquement, mais en priorité ce que je lui donne. J’imagine que sur terre, l’exemple le plus proche serait la différence entre du haut et du bas débit pour internet. Je décide quoi lui envoyer en priorité et elle le reçoit. L’information prend de la place dans le lien et empêche d’autres éléments de passer dans les deux sens.

Chacune des pensées inutiles fait une bonne fondation pour boucher le tunnel et diminuer le flux. C’est difficile puisque je dois le faire consciemment pour chaque pensée, mais contrôler une meute demande une certaine « flexibilité » mentale. Je ne m’attendais pas à avoir à m’en servir de cette façon, surtout pour copier une technique de Yuu.
Cela m’évite d’être bombardé par ses pensées ou espionné dans mes réflexions et j’ai vraiment besoin de retrouver ma capacité à réfléchir vu la situation.

La folle installée sur moi comprend que quelque chose se passe alors que je continue à empiler des informations inutiles sur mon corps. Alors que je commence à être soulagé de ma souffrance, la folle lâche ma main et décide de commencer à m’étrangler en hurlant. J’aimerais me dire « tu savais que cela arriverait », mais j’ai des choses plus pressantes sur le feu. Je frappe en plein milieu de son torse au niveau du plexus et la force à reculer. Sa douleur manque de briser mon barrage mental, mais il tient suffisamment bien pour que je puisse rester conscient.
J’arrive ensuite à me redresser en me frottant le crâne. Je finis par comprendre ce que me hurle ma souris préférée.

{Partir ! Vite ! Partir ! Dangers ! Maintenant !}

Elle n’est pas à proximité pour partager ses yeux, mais son inquiétude finit par me réveiller mentalement. Juliette est en colère à cause de ma passivité, mais elle m’en envoie trop et je n’arrive même pas à savoir pourquoi.

Je regarde finalement autour de moi pour me rendre compte de plusieurs choses. Je ne suis pas dans un lit. Je suis sur une pile de cadavres. C’est la sorte de linceul sur moi qui m’a mis dans l’erreur. Il n’y a pas de fenêtre et la seule lumière vient de plusieurs torches dans la grande salle où nous nous trouvons. Ensuite, nous ne sommes pas seuls. Autour du monticule d’une cinquantaine de cadavres sur lequel je me trouve, il y a un cercle de soldats et d’hommes en toge qui me regardent, immobiles. J’ai vaguement l’impression d’être dans une salle de rituel impie ou quelque chose du genre. Il manque quelques bougies et un pentacle, mais l’ambiance est bien la même.
A cause de mon attaque pour la faire lâcher, la folle me regarde avec un mélange de haine et de… Elle est possessive ?
Je peux le comprendre à travers ses émotions, mais cela revient à hurler « tu m’appartiens ! » en boucle. Elle sort un couteau de sa robe et le pointe dans ma direction en hurlant des propos sans queue ni tête alors que je me relève.

« Je n’aime pas ce genre de fête, je pense que je vais partir maintenant. Mademoiselle la folle, c’est un au revoir. »

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Correction : Hastin

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