Chapitre 5 :
Désormais tout un continent semblait avoir juré allégeance au roi-sorcier. Toutefois celui-ci même s’il était heureux d’avoir triomphé sans avoir à mener une guerre longue et coûteuse, il savait que ses réussites venaient en partie d’un mélange de chance et de bluff. Or l’ennui avec les mensonges s’étaient qu’ils pouvaient vous revenir en pleine figure de manière spectaculaire, même si vous étiez un maître manipulateur. Donc Ainz se creusait à fond la tête afin de parvenir à diminuer au maximum ses soucis personnels et ceux de ses subordonnés directs. Il enviait plus que jamais, ce qu’il appelait le génie en terme de gestion chez Albedo. Elle arrivait à exécuter de véritables miracles dans le domaine de la compatibilité, des doléances des sujets, et de créations de solutions adaptées à l’égard des problèmes soulevés par le peuple et la noblesse. Toutefois ce sentiment de jalousie ne dura pas longtemps. En effet le roi-sorcier avait assez de maturité et de reconnaissance pour dominer son ressentiment passager. Et puis il serait un mauvais souverain s’il ne témoignait pas de la gratitude envers Albedo, qui se dévouait avec une énergie remarquable pour amoindrir son fardeau de dirigeant suprême. Tout ce qu’elle réclamait en retour de ses bons et loyaux services, se résumait à des félicitations, et un peu d’attention personnelle.
Actuellement Ainz consultait assis sur une somptueuse chaise, plusieurs dossiers depuis son bureau du tombeau de Nazarick. Il aurait pu aller ailleurs que le dixième étage souterrain de sa base principale. Cependant il tenait à remettre de l’ordre dans ses idées. De plus la vue d’un lieu très familier l’aider à apaiser son tumulte intérieur. La présence des nombreuses étagères de bois avec des livres, des documents en papier, et ainsi que la décoration constituée de divers spectres de grande taille de magicien, et du reste du mobilier, notamment son cher sofa moelleux pouvant accueillir confortablement trois personnes assises, détendait le crispé. Et le roi-sorcier avait des motifs de stress. Certes il opéra une vaste opération de conquête. Néanmoins il fallait beaucoup gérer afin d’empêcher un vaste édifice politique de s’écrouler sur lui-même. Surtout qu’Ainz promit des avantages certains pour les gens qui acceptaient de reconnaître sa suprématie. Rien de moins qu’une prospérité certaine pour les gens fidèles. Pour faire simple tous ceux qui se soumettaient de bon cœur au roi-sorcier avaient la garantie d’un futur heureux du point de vue économique et politique, tant qu’ils travaillaient avec entrain, sans chercher à trahir. Le bon côté de ce type de serment était qu’il rendait possible à des pays avec des cultures assez différentes de s’entendre harmonieusement. L’aspect négatif signifiait qu’il imposait un lourd fardeau en terme de responsabilités à Ainz. Et il n’était une personne qui cherchait à remplir ses obligations, par respect envers la dévotion de ses subalternes directs. Par moment il était très tenté de tout laisser tomber, et de s’enfuir loin des soucis politiques. Néanmoins il ressentait trop d’affection pour ses subordonnés de confiance, pour supporter de susciter chez eux de la déception.
Il était nécessaire pour le roi-sorcier de concocter plusieurs plans brillants, afin de préserver de la révolte et de la trahison les terres sous sa domination. Problème pour l’instant si Ainz concevait des schémas intellectuels, il avait la nette impression qu’il ne devait surtout pas les formuler à haute voix. Il craignait fortement de passer pour un bouffon grotesque s’il osait parler devant quiconque de ses dernières pensées. Par exemple son idée théorique d’organiser un grand banquet pour approfondir les liens avec tous les politiques importants conquis, pouvait avoir une certaine validité. Toutefois cette démarche s’accompagnait d’un grand effort de mémoire, et du déploiement de trésors de diplomatie. Or le roi-sorcier avait très peur de commettre plusieurs fois des impairs en terme de protocole. Un festin avec des gens du peuple pouvait déjà sembler complexe, mais c’était sans commune mesure avec les tracas causés par la gestion de rois, d’empereurs et de nobles influents. Il suffisait parfois de placer côte à côte deux aristocrates hostiles l’un envers l’autre pour bien plomber l’ambiance. Et Ainz régnait sur un continent où il existait des dizaines, voire des centaines de motifs de haine, entre des personnes issues de la même nation. Par conséquent il comptait organiser un événement avec des milliers de causes potentielles de discorde, vu qu’il avait formulé par la pensée le désir d’inviter des représentants de chaque nation sous son règne.
Le roi-sorcier était bien tenté d’abandonner son projet de banquet international. Même si cela pouvait représenter une bonne opportunité commerciale et politique pour Nazarick. Y compris aussi si le fait d’organiser des rencontres entre des dirigeants aux idées différentes à opposées, était nécessaire pour qu’un certain niveau de fraternité naisse entre eux. Ainz pouvait interagir individuellement avec qui il voulait sur le continent sous sa domination. Ce n’était pas à lui d’ajuster son planning pour une rencontre avec un empereur, c’était l’exact inverse. Les dirigeants devaient adapter leur protocole en fonction du roi-sorcier. Néanmoins ce dernier savait aussi que des rancunes grandiraient inévitablement, s’il ne prenait pas l’initiative d’organiser des interactions groupées. Tant qu’il régnerait il espérait qu’il n’y aurait pas de guerre à grande échelle entre les nations sous sa suprématie. Par contre des sabotages, ou des échanges de mauvais procédé, c’était tout à fait possible. Même des races proches physiquement comme les elfes ou les humains avaient des milliers d’exemples alimentant la discorde au cours des deux dernières décennies. Que ce soit l’esclavagisme, la mise à mort, le vol éhonté, l’occupation agressive de territoires, il semblait que les exemples réussis de fraternité étaient assez minoritaires. La situation des relations entre peuples avait un côté désespérant, qui donnait clairement envie à Ainz d’apporter du changement positif. Toutefois le roi-sorcier ne s’estimait pas assez compétent pour ne pas commettre de gaffes majeures, s’il était le principal organisateur d’une réunion importante.
Puis Ainz eut une illumination, il n’était pas nécessaire qu’il chapote les aspects essentiels du banquet. Il pouvait déléguer à plus intelligent que lui, par exemple Albedo. Cependant la loyauté de sa subordonnée posait clairement souci. Elle risquait de vouloir poser quelques questions afin de mieux chercher à servir. Et connaissant sa sagacité elle était capable de montrer des réflexions très pointues qui mettraient facilement dans l’embarras le roi-sorcier. Ce dernier pouvait s’en tirer en bluffant comme il le faisait très souvent. Néanmoins il avait la nette impression qu’il tira trop sur la corde à travers ses mensonges. Il n’avait pas l’impression que la dévotion de ses subalternes faiblit. Au contraire il ne comprenait pas pourquoi, mais son esbrouffe pour l’instant n’avait fait que renforcer l’admiration de ses sbires. Toutefois Ainz réalisa que malgré ses efforts pour s’améliorer en tant que souverain, il était toujours à la traîne d’après lui en terme de capacités de réflexion. Et qu’il faudrait des années voire des décennies pour remédier au décalage intellectuel avec Albedo et d’autres personnages importants de Nazarick. Par conséquent il se voyait contraint par les circonstances, et sa peur de décevoir, de continuer à raconter des bobards. Certes le roi-sorcier admettait que la nécessité de mentir pour préserver les intérêts d’une nation pouvait être justifié. Que la notion de mensonge diplomatique n’était pas totalement dénué d’intérêt. Seulement voilà Ainz apprécierait de pouvoir s’appuyer souvent sur la vérité pour justifier d’une réforme, ou d’un processus de réflexion avec Albedo. L’ennui venait que sans le bluff il avait la désagréable impression qu’il serait très vite démasqué pour son incompétence.
Donc en désespoir de cause le roi-sorcier convoqua dans son bureau Albedo par télépathie, oscillant entre le désir de mentir et de raconter la vérité. Dès qu’il aperçut sa subordonnée directe entrer dans les lieux, il sentit un tourment mental. Toutefois sa condition de mort-vivant s’accompagnait d’une répression automatique des émotions violentes. Alors son émoi s’annonça de très courte durée.
Albedo : Que désirez-vous exactement seigneur Ainz ?
Ainz : J’ai dans l’idée de te confier un projet. Je veux inviter plusieurs centaines de personnes importantes lors d’un banquet, pour qu’ils fraternisent ensemble.
Albedo : Quel est l’intérêt de ce genre de démarche ? Tant que les sujets sont loyaux envers Nazarick, peu importe qu’ils se déchirent entre eux.
Ainz : Les rivalités peuvent être une source saine d’accomplissement, mais les querelles intestines et débridées nuisent gravement à l’efficacité.
Albedo : Ne serait-ce pas plus simple d’ordonner aux querelleurs d’oublier leurs différends ?
Ainz : Ce genre d’ordres a une efficacité limitée. Nazarick n’est pas encore suffisamment ancrée dans les cœurs pour garantir l’effacement de haines vieilles de plusieurs siècles parfois.
Albedo : Dans ce cas, pourquoi ne pas écraser quelques haineux par la violence, pour les inciter à cesser les hostilités ?
Ainz : Parce que c’est dans la nature des gens d’aimer et de détester. Et je veux des sujets qui adorent Nazarick de tout leur cœur. Obliger des personnes à renoncer à leur colère, cela peut nécessiter de la répression, mais aussi de la subtilité.
Albedo : Pardonnez moi, mais je ne vois pas l’intérêt d’en faire autant pour vos sujets. Maintenant que votre règne est bien établi, suivre des ordres simples devrait suffire.
Ainz : Vois cela comme un test d’aptitudes personnelles. Arriver à sublimer la loyauté des sujets de Nazarick sans recourir à la force brute, prouvera que tu es la personnalité la plus intelligente de Nazarick.
Albedo (panique) : Que dites-vous ? C’est sans conteste vous qui dominez tous les autres par votre intellect !
Ainz : Quoiqu’il en soit, si tu réussis bien ta tâche, tu auras le droit de demander une récompense personnelle.
Albedo (appâtée) : Je pourrai demander un rendez-vous galant ?
Le roi-sorcier fut très décontenancé durant plusieurs secondes. Heureusement il redevint rapidement maître de ses émotions. Et après réflexions il jugeait que consacrer quelques heures à Albedo était une récompense presque indigne, au point qu’Ainz se sentait coupable de la loyauté qu’il suscita. Cependant il avait pour principe clair de suivre les demandes de ses subordonnés, tant qu’il les jugeait raisonnable.
Ainz : Si tel est ton souhait qu’il en soit ainsi.
Albedo toute contente quitta le bureau, tandis que de son côté le roi-sorcier avait l’impression d’être un imposteur très malintentionné. Il aurait normalement été de son devoir de sélectionner lui-même les invitations qu’il avait l’intention de distribuer. Toutefois il choisit de refiler ce travail essentiel à une subalterne, en invoquant des mensonges éhontés. Il se présenta comme un monarque soucieux de la mentalité d’Albedo, alors qu’en réalité il s’avérait clairement dépassé. Il ne voulait pas abandonner son projet autour du banquet. Néanmoins comme il s’estimait trop mauvais pour empêcher des esclandres, voire des scandales diplomatiques d’éclater. Alors il opta pour s’enfoncer à une nouvelle reprise dans le bobard. Il avait le sentiment qu’il était devenu une sorte d’araignée compulsive. S’il arrêtait de tisser une toile continue de mensonges, peut-être que son corps se détruirait.
Ainz remarqua d’ailleurs qu’il aurait au moins pu mieux préparer son plan de fraternisation. Rien ne l’obligeait à convoquer rapidement Albedo une heure après avoir mis au point son projet de banquet. Au contraire il aurait été sage de consulter pendant plusieurs jours des documents relatifs à la politique, au protocole et aux traditions sur le continent, afin de mieux mettre au point un plan futur. Toutefois le roi-sorcier s’enfonça joyeusement dans l’impréparation. Sa hâte de refiler à quelqu’un d’autre la gestion du banquet l’incita à se précipiter dangereusement.
Heureusement pour Ainz, Albedo se révéla d’une efficacité redoutable. Elle parvint en moins d’une semaine à créer un plan protocolaire aux petits oignons. Grâce à sa grande intelligence, sa mémoire exceptionnelle et sa connaissance profonde des traditions du continent, elle réussit à concocter des invitations superbement formulées, et à concevoir un dispositif d’accueil très bien pensé lors du banquet. Pour couronner le tout la manière dont elle comptait disposer les places entre les invités lors de la célébration prévue était un vrai chef d’œuvre du point de vue de la diplomatie. Elle réalisa une superbe performance en terme d’organisation. Là où le roi-sorcier avait un mal fou à se rappeler les noms des invités les plus importants, Albedo arrivait à jongler entre des milliers de titres, de formules honorifiques, de traditions complexes.
Elle fit parvenir par télépathie une grande variété de messages aux politiques importants conviés, et à leurs serviteurs de confiance. Même si elle méprisait fréquemment les humains et les êtres non liés de près à Nazarick, elle était conscience qu’elle devait s’appuyer de temps à autre un minimum sur des intervenants extérieurs. Le renforcement du poids politique d’Ainz, ne pouvait pas être garanti sans un peu de coopération avec certains êtres inférieurs. Certes Albedo avait une grande confiance dans le personnel de Nazarick. Toutefois il y avait cette fois trop de facteurs à gérer pour refuser le fait de déléguer.
Le thème choisi pour fédérer les différents invités du banquet fut le commerce et le savoir. Ainsi Albedo espérait impressionner les intervenants du festin avec les dernières innovations de Nazarick, notamment en matière de parchemins magiques et de potions de guérison. Elle observa qu’au cours des derniers mois les chercheurs sous ses ordres firent des percées intéressantes. Donc elle estimait qu’elle possédait suffisamment de moyens dans les arts mystiques pour soulever un grand intérêt financier, de quoi remplir aisément en or et autres matériaux précieux les caisses du roi-sorcier. Bien sûr il y aurait forcément des magouilleurs indifférents à la grandeur de Nazarick qui essayeraient de tirer les prix vers le bas, voire même de souiller le nom glorieux d’Ainz. Cependant Albedo avait tout prévu, si les escrocs, ou les idiots ne renonçaient pas rapidement à leur courte vue, en rentrant sagement dans les rangs, elle se ferait une joie de les rééduquer de manière musclée. Si des abrutis ne comprenaient pas très vite leur place, ils pousseraient dans le futur des cris d’effroi sous la torture. Bien sûr Albedo n’était pas idiote, elle ne s’en prendrait pas à tous les imbéciles, juste aux plus insupportables d’entre eux. Elle fit refluer les pensées désagréables l’animant en pensant à son futur rendez-vous avec Ainz.
Deux mois plus tard le banquet tant attendu débuta. Il avait lieu dans la capitale de l’empire de Baharuth. La cité devint encore plus animée que d’habitude à cause de l’afflux de dizaines de milliers de personnes à l’intérieur. En plus des politiques influents et de leurs serviteurs de confiance, se trouvaient quantité de marchands et d’autres individus désireux de tirer leur épingle du jeu. Les auberges des environs étaient remplies à craquer de monde. Même les gens prêts à dormir dans un coin d’une écurie habituée à contenir des chevaux, avaient du mal à trouver une place. Il fallait dire que le banquet avait une certaine valeur historique. C’était la première fois sous le règne du roi-sorcier que celui-ci conviait à une réunion stratégique l’ensemble de ses vassaux importants. Ainz insista sur le fait que la venue au banquet était facultative, refuser n’entraînerait aucune conséquence directe. Cependant il inspirait trop la crainte et le respect pour que quelqu’un de convié ait l’idée de le snober, ou de refuser de venir. D’ailleurs même les individus qui étaient très tentés de faire un esclandre, d’essayer de montrer de manière frontale leur mépris pour le roi-sorcier, n’osèrent pas boycotter l’invitation. C’était logique car Ainz ne garantit pas une protection totale contre les représailles. Il parla bien de conséquentes directes, mais il oublia de mentionner le terme indirectes. Autrement dit pour beaucoup de gens à l’esprit calculateur, le roi-sorcier était capable d’employer des moyens subtils et détournés pour punir les réfractaires à son autorité. Cependant Ainz ne pensait pas spécialement à se venger contre les rebelles. C’était juste qu’il ne songea pas à inclure dans ses propos, le mot «indirectes». Il s’agissait d’une banale étourderie.
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