Chapitre 8 :
Ainz le roi-sorcier se livrait à un entraînement intensif afin d’accroître ses capacités politiques. Il lisait avec ferveur des ouvrages en rapport avec la gestion budgétaire d’un pays, des livres sur la vie des grands monarques du continent, et des histoires sur la façon de gouverner avec brio. Il augmenta considérablement son temps de lecture utilitaire pour diverses raisons. D’abord pour ne pas décevoir ses proches, ensuite parce qu’il estimait que c’était le seul moyen de limiter les erreurs dans la pratique. Ainz avait de moins de moins la hantise concernant des ennemis extérieurs. Il pensait que ses subordonnés directs firent un travail magnifique qui devrait garantir pendant des décennies la paix, au point qu’il croyait que ses sujets échapperaient pour plusieurs générations à la guerre, tant qu’il n’y aurait pas de catastrophe imprévue de grande ampleur. Le roi-sorcier se classait selon ses pensées dans les sources possibles de désastre. Il considérait qu’un mot de travers de sa part pourrait suffire à détruire des milliers et des milliers de vie. Il souffrait d’un complexe d’infériorité concernant ses proches. Il avait l’impression que leur affection et leur admiration pour lui les rendaient aveugles à la triste réalité. Il était un individu avec de puissants pouvoirs magiques, mais des capacités de réflexion ordinaires. Et en tant que chef d’état il se voyait comme franchement incompétent. Donc il était nécessaire de travailler avec acharnement pour amoindrir progressivement ses lacunes.
Sa chambre connut des changements au fil de ses réflexions. Ainz remplaça la plupart des livres associés au divertissement pur, par des ouvrages en lien avec la politique. Il aurait voulu avoir un maximum de temps libre, la possibilité de pouvoir se prélasser souvent. Néanmoins le roi-sorcier était une personne dévouée par nature envers ses proches. Sa nature de mort-vivant l’empêchait de s’adonner à un amour physique envers quelqu’un, mais il demeurait un individu capable d’émotions. Et il apprit à ressentir une grande affection envers ses subordonnés directs. Il considérait la plupart d’entre eux comme ses enfants, des enfants beaucoup plus intelligents que lui. Ce qui lui mettait bien la pression. Alors Ainz décida de lutter contre sa volonté de se lamenter. S’il était bien moins compétent que ses proches, ce n’était pas une excuse pour se complaire de la situation. Il fallait travailler encore et encore, jusqu’à parvenir un jour à combler l’écart. Même si le roi-sorcier doutait d’arriver un jour à égaler ou surpasser ses subalternes directs. Déjà parce que ces derniers grandissaient eux même en terme d’aptitudes avec le temps. Et surtout qu’eux aussi s’entraînaient beaucoup pour devenir plus performants. Cependant Ainz refusait catégoriquement d’abandonner, pas seulement à cause de son affection. Mais aussi parce que s’il se résolvait à jeter l’éponge, les nombreuses stratégies de bluff qu’il mit au point devant ses subordonnés pour faire croire qu’il maîtrisait la situation, risquaient de complètement s’effondrer. Et c’était une honte qu’il ne désirait absolument pas devoir porter.
Armé d’une nouvelle couche de résolution, le roi-sorcier se leva du lit splendide sur lequel il était assis, quitta sa chambre et se dirigea au moyen de la téléportation vers la salle du trône du palais royal de sa capitale principale, Utopia. Il créa cette grande ville avec un objectif très ambitieux, faire d’elle le principal creuset de cohabitation entre les races intelligentes du monde. Les humains ne constituaient que 10% de la population totale de la cité. Il se trouvait des centaines d’espèces différentes dans les parages, dont certaines très éloignées d’une forme humaine. Ainz insista lourdement pour que les outrages physiques causés sur ceux qui avaient le statut de citoyens soient sévèrement réprimés. Il y avait de temps à autre des fauteurs de troubles essayant de causer des ravages, mais ils étaient rapidement maîtrisés par les autorités. Les criminels cherchant à semer le chaos ne faisaient pas long feu à Utopia. Déjà les forces de l’ordre avaient beaucoup de moyens matériels, et avaient pleine autorité sur leurs enquêtes, même quand les suspects étaient des nobles. Ensuite la magie de lecture de pensée était permise pour traiter les troubles. Et enfin la sévérité des peines avaient souvent un effet dissuasif sur beaucoup de gens. Ces trois facteurs garantissaient dans de nombreux cas que les affaires judiciaires étaient résolues correctement et rapidement.
Beaucoup craignaient qu’Utopia ne devienne rapidement un lieu d’anarchie pathétique. Que le contact entre les nombreuses cultures par moment contradictoires ne suscitent des conflits durables et impressionnants. Cependant pour le moment la cohabitation entre centaines de races ne tournait pas en chaos généralisé. Il y avait bien des points de dissensions, mais les responsables de la majorité des incidents se révélaient les humains, les elfes et les nains. Les trois races qui se vantaient du plus haut degré de civilisation. Les autres races d’Utopia rentraient fréquemment dans le rang. Ils avaient une volonté propre, et n’étaient pas spécialement brimés. Cependant leur mentalité aidaient à les contrôler. Ceux qui n’appartenaient pas aux trois races «hautement civilisées», pensaient à une manière simple de résoudre les dissensions, le recours à la puissance martiale, aussi bien magique que physique, au moyen de défis ritualisés. Ils pensaient fréquemment qu’un souverain capable de montrer un haut niveau de puissance, était un chef méritant.
Bien sûr il fallait aussi montrer de la compétence politique, un certain talent pour la gestion, et un comportement éclairé, pour éviter une coalition généralisée de la part des races «peu civilisées». Toutefois il était aussi vrai qu’à moins d’avoir affaire à un dirigeant super abruti, ou un tyran sanguinaire, les non humains, non elfiques et non nains, toléraient beaucoup de choses si leur chef témoignait suffisamment de puissance martiale. Ce n’était pas de l’imbécilité, juste l’héritage de millénaires de survie intensive, où un chef fort aidait souvent la tribu à prospérer. Or Ainz montra à de nombreuses reprises, une puissance impressionnante du point de vue magique, et il avait aussi de bonnes compétences avec une épée. De plus lui ou ses subordonnés directs se montrèrent suffisamment bons diplomates pour apaiser la majorité des craintes des «peu civilisés».
Une des mesures phares pour canaliser les peurs s’avéra le respect des traditions qui n’entraient pas en conflit avec les objectifs du roi-sorcier. Ce dernier s’engagea par ailleurs à préserver l’héritage culturel des conquis. A Utopia les lois répressives étaient rares. Les peu civilisés pouvaient adopter la tenue de leur choix, du moment que les seins ou le sexe étaient couverts. Il était aussi formellement interdit aux sujets d’Ainz de blesser, tuer, ou manger un autre citoyen. Bien sûr la légitime défense était permise, mais il y avait un cadre à respecter.
Un autre aspect fédérateur de la capitale de plusieurs millions d’âmes venait de son architecture, et des conditions de vie. Le roi-sorcier garantissait le confort et la prospérité de ses sujets, et sur ce point il tenait actuellement parole. Il y avait un système de protection sociale à Utopia. Les faibles et les malades qui prouvaient qu’ils n’avaient pas d’intention de frauder recevaient des moyens de subsistance, sous forme d’argent ou de nourriture. En outre Ainz punissait sévèrement par de la prison, et de grosses amendes les contrevenants sur les lois en rapport avec le salaire minimal, et la législation sur le travail.
Ensuite le roi-sorcier permettait à ceux qui préféraient les habitations en bois, les demeures de pierre, ou les maisons souterraines et d’autres formes de lieux de vie, de choisir librement la façon de définir leur domicile. D’ailleurs il s’engagea à faire figurer dans la constitution consultable par tous à Utopia, le respect des choix de vie en terme de domicile, tant que la personne disposait de la faculté de payer avec son argent, ou ses services personnels sa demeure. Ce qui faisait d’Utopia la ville la plus cosmopolite en terme de diversité architecturale du monde. Il n’y avait pas un style dominant dans la cité, au contraire les aménagements des domiciles étaient l’essence même de la variété. Dans un quartier humain noble, il y avait de belles demeures en pierre hautes de plusieurs étages avec des colonnes et des sculptures pour agrémenter l’apparence. Et à proximité se trouvait des maisons de bois d’apparence simple, qui comptait davantage sur la magie, que les prouesses de leurs concepteurs pour résister au vent, et aux intempéries.
La seule loi véritablement tyrannique sous le règne d’Ainz était celle régissant l’opposition politique illégale. Il était possible de manifester contre lui, ou d’émettre une opinion défavorable contre le roi-sorcier. Par contre les comploteurs, les agitateurs et les démagogues s’exposaient à des sanctions qui faisaient passer la peine de mort pour une mesure miséricordieuse. Ainz aurait voulu adoucir progressivement la loi sur les comploteurs, mais il s’était ramassé une protestation unanime et ferme de ses subordonnés directs, notamment d’Albedo. Donc il dut se résoudre à appliquer des mesures sanglantes contre les traîtres, une torture durant parfois des mois.
Ainz devait bientôt participer à la cérémonie des requérants humbles en tant que juge de la loi. Il existait aussi deux rituels similaires l’un dévolu aux riches sans pedigree noble, et l’autre aux aristocrates ou à de la famille royale. Le roi-sorcier aurait voulu traiter tout le monde au sein de la même cérémonie. Toutefois s’il écoutait les plaintes et les suppliques des pauvres, des fortunés, et des politiques importants au cours du même rite, cela risquait de fournir un outil de ralliement à ses détracteurs aussi bien nobles, que partisans de la démocratie. Alors Ainz se résolut à contrecoeur à se complexifier la tâche avec trois protocoles différents.
Le roi-sorcier se rendit dans la salle du trône au moyen d’un sort et s’assit sur l’imposant fauteuil en or et doté de sculptures de dragons. Le premier requérant avait une allure misérable, et aussi un aspect vaguement familier. Il avait beau avoir été nettoyé à l’eau avant de se présenter devant Ainz, il avait une tenue miséreuse rempli de coutures destinées à soutenir une toge qui menaçait de se déchirer en cas de mouvements vifs. Celui qui prétendait être un malheureux était en fait Amon, qui avait du mal de retenir sa joie d’être proche de son ennemi mortel.
Amon : Je, je, je réclame justice, un homme-lézard m’a roué de coups sous un, un, un principe falla, falla, fallacieux.
Ainz : Et bien ton discours est haché mine de rien, explique moi les circonstances exactes.
Si Amon parvint à se retenir de grimacer, il était quand même ébranlé intérieurement, le terme haché s’avérait peut-être une subtile remarque à la hache du Néant. C’était vraiment frustrant, mais étant donné la réputation du roi-sorcier et ses performances passées, ce n’était pas étonnant pour Amon. Ce dernier affrontait un adversaire terrible en terme de puissance et de perspicacité. Puisqu’il y avait une chance sérieuse d’être démasqué autant y aller franchement. Donc il fouilla dans sa poche, puis transforma sa cuillère en une arme mortelle prenant la forme d’une hache gigantesque à double lame, et s’élança à toute vitesse vers Ainz.
Le roi-sorcier très étonné par la tournure des événements et la puissance incroyable le menaçant, activa en catastrophe son artefact le trompeur afin de tenter un bluff. Il avait la sensation que si ses mensonges étaient éventés, il connaîtrait une fin immédiate.
Ainz : Ha, ha ta tentative de me tuer est vaine, ta hache ne sert plus qu’à renforcer les morts-vivants.
Amon : Hein ?
Ainz : Je me suis arrangé pour que changer les propriétés de ton arme. Si tu ne crois pas, tu peux toujours lancer un sort de divination, ou de renseignement.
Amon essaya de communiquer par télépathie avec sa hache pour infirmer les propos du roi-sorcier. Cependant ses tentatives furent un cuisant échec. L’envie de se trancher la gorge le traversa immédiatement. Toutefois il fallait encore vérifier la situation. Ainz informa les gardes près de lui de ne pas intervenir pour laisser à Amon le temps de lancer un sort pour cimenter son bluff, et surtout parce que les soldats ne faisaient pas le poids face à la hache. Celui qui vénérait les dieux de Slaine faillit faire une crise d’apoplexie, quand sa magie lui révéla l’information selon laquelle son outil de mort augmentait grandement la puissance des morts-vivants. Il suffit d’un geste, peut-être d’une pensée à Ainz pour réduire en miettes la chance d’alléger les péchés d’Amon, des mois d’enquête et de voyages ne servirent strictement à rien. La hache amusée par le bluff du roi-sorcier choisit de laisser faire.
Le tourment d’Amon devint si insupportable qu’il pleura à chaudes larmes, il souffrait
tant mentalement qu’il ne résista pas à l’impulsion de frapper son crâne à trois reprises sur le sol de pierre. Il était si énervé que la quatrième fois il se pulvérisa la tête.
Il restait une question importante à juguler, que faire de la fameuse hache. Le roi-sorcier ne connaissait pas l’arme qui servit à le menacer, ni ne pouvait évaluer tout son potentiel en termes de pouvoir. Néanmoins il sentait qu’entre d’autres mains que les siennes elle était capable de lui nuire considérablement vu la puissance destructrice qu’elle émettait. La hache en décelant la méfiance d’Ainz recourut tout de suite par télépathie à des mots mielleux afin de l’inciter à baisser sa garde. Quand elle vit le regard d’adoration dans les yeux des subordonnés du roi-sorcier. Elle supposa à tort qu’Ainz était un être aimant beaucoup le pouvoir politique.
Hache : Je peux te garantir un règne durant des milliers d’années si tu me brandis.
Ainz : Et que demandes-tu en échange ?
Hache : Rien à part d’être impitoyable et majestueux. Juste de me faire honneur en tant qu’arme des véritables rois.
Pour le roi-sorcier cela sentait l’embrouille à plein nez, il avait affaire à un terrible manipulateur. Seuls des gens vraiment mal intentionnés promettaient beaucoup en échange d’une vague rétribution. Une partie de lui soufflait cependant qu’il ferait mieux de compter sur la hache, son bluff aurait pu être mis en pièces par l’outil de mort sensible s’il l’avait voulu. Puis Ainz se renfrogna davantage, pourquoi la hache n’avait pas communiqué avec Amon quand ce dernier était en pleine détresse ? Cela transforma sa méfiance initiale en véritable répulsion. Il fallait détruire complètement la hache du Néant.
Le roi-sorcier activa sa compétence la plus puissante en terme offensif, «Toute chose doit mourir». Aussitôt un cadran de pendule ouvragée composé de douze chiffre romains apparut. Et les aiguilles se mirent à bouger de un à douze. L’arme décida de réagir promptement à la menace, même si elle trouvait drôle l’action entreprise. Une compétence qui mettait douze secondes avant d’agir, elle aurait tout le temps du monde de la faire annuler. Alors elle activa un sort de contrôle mental sur Ainz afin qu’il devienne sa marionnette docile. Au départ le roi-sorcier résista du mieux qu’il put. Toutefois malgré sa détermination il ne fallut que trois secondes à la hache pour contrôler son esprit. Ensuite l’arme ordonna à Ainz de désactiver sa compétence. Néanmoins il répondit impossible, la hache énervée pensa que son ennemi avait encore de la ressource. Alors elle intensifia la pression mentale. Toutefois la réponse demeurait toujours la même impossible. Elle commençait à sérieusement s’énerver, et ne pensa pas à bouger de l’aire d’effet de l’aptitude. Elle se concentrait donc sur la manière de diriger sa marionnette. Mais la réponse était toujours la même, impossible. La hache ne comprenait pas ce qui se passait. Personne n’avait développé de parade efficace contre ses sorts de domination au cours de plusieurs milliers d’années. Alors comment était-ce possible qu’Ainz la nargue comme cela ?
Soudain elle crut comprendre le nœud du problème. Le roi-sorcier était une enveloppe vide, quelqu’un ou quelque chose d’autre que la hache le contrôlait déjà à distance. Selon l’arme c’était la seule explication possible. Elle pensait que personne sur le continent, ou même le monde, ne pouvait égaler ses capacités en domination magique. Donc pour remédier à l’énigme douteuse d’Ainz qui résistait miraculeusement, il était nécessaire de trouver son maître. Celui qui s’avérait le véritable dirigeant du pays. Alors la hache déploya sa conscience sur une très vaste zone. Elle scruta les esprits de milliers de personnes. Pourtant elle ne trouva aucune trace même en fouillant avec diligence les pensées de plein de monde. Elle ne comprenait pas ce qui arrivait. L’arme se voyait comme le summum en terme de contrôle mental surnaturel. Elle avait de belles compétences en matière de destruction, vu qu’elle pouvait anéantir des milliers de vies humaines en quelques secondes, en recourant à un sort et quelques mots de pouvoir. Cependant sa première spécialité était le contrôle mystique des gens. Elle s’estimait d’ailleurs imbattable dans son domaine de prédilection. Elle se mit alors à réfléchir plus fortement que jamais pour trouver une résolution. Peut-être que le problème venait qu’elle n’élargit pas assez sa zone de recherche.
Plongée dans ses réflexions, l’arme ne remarqua même pas qu’elle se désagrégeait complètement sous l’action de «Toute chose dit mourir». La réponse à l’énigme était simple, si la compétence était évitable, par contre son utilisateur ne pouvait pas l’annuler lui-même, à moins d’être gravement blessé ou de décéder. Le roi-sorcier n’était sous la domination de personne. Il se trouvait juste que la hache fut trop arrogante.
La victoire d’Ainz sur la hache du Néant, un outil de mort redouté depuis plusieurs dizaines de siècles renforça bien sa gloire. Toutefois le roi-sorcier n’était pas content, il faillit perdre de manière spectaculaire. Sans l’orgueil et la détresse de ses deux derniers ennemis, il aurait été balayé. Alors Ainz choisit de redoubler d’effort pour ne pas devenir un bon souverain, mais un excellent monarque proche de la perfection.
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