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Héros – Chapitre 3

Myrica dit adieu de loin à Tonnerre, tout comme Saule à ses côtés. Depuis l’apparition de ses pouvoirs, il y a quelques heures à peine, les Maîtres-masques l’avaient enlevé aux autres apprentis pour les dernières heures de sa formation. Il avait obtenu un nouvel uniforme qu’il pourrait changer à sa guise, mais dont la plupart des héros gardaient le cordon d’or noble qui en faisait le harnais. Puisque c’était ce qu’il était désormais : un héros. Le sang doré qui coulait dans ses veines l’avait fait naître ainsi, mais ses compétences révélées le rendaient maintenant digne de vivre dans la société par lui-même, pour trouver sa prophétie. Car chaque héros venait au monde pour en accomplir une, et bien qu’il fut un temps où les Delphes étaient là pour leur dévoiler, elles avaient depuis été décimées et il appartenait dorénavant à tout héros de découvrir son but par lui-même.

Allongée dans son lit après le départ de son ami, Myrica ressassait cette histoire qu’on lui avait enseignée et qui racontait le destin des siens, sans parvenir pour autant à y puiser les réponses espérées. De ce que les plus anciens héros avaient décrit, quand ils se trouvaient proches de leur prophétie, le chemin devenait une évidence. Ils savaient ce qu’ils devaient faire. Ils ignoraient parfois comment ou pourquoi, mais leurs actions prenaient un sens clair et inévitable. Leurs pouvoirs venaient conforter cela. S’ils se déclenchaient dans le quotidien du héros pour le sauver ou l’aider, c’était sans qu’il le demande et lorsque la véritable quête de leur vie apparaissait, la magie dans leur sang doré muait pour devenir récurrente, plus forte, plus contrôlée, plus belle. Mais jusque-là, Myrica n’avait jamais rien senti de tout cela.

Elle n’avait jamais manifesté le signe de la moindre magie ou de la moindre aptitude extraordinaire. La seule chose qui faisait d’elle un héros était son sang, et c’était tout. Ce soir-là, les yeux rivés dans le reflet distordu de la lune dans la vasque de bain, elle aurait tout donné pour trouver une Delphe sur son chemin. Semblables à des humains dans leur silhouette, les Delphes étaient décrites dans les manuscrits comme ayant eu les cheveux blancs aux lueurs rosés telle l’aube, avec des iris pareillement voilés. Elles étaient éternelles, mais pas indestructibles, et ceci avait été prouvé par leur terrible histoire. Aussi loin que mémoire d’homme existe, elle avait vu dans l’âme de chaque héros la prophétie qui leur était destinée. Mais bientôt, d’autres individus avaient appris que le sang des Delphes répandu sous la pleine lune offrait un miroir révélant l’avenir pour une nuit, et que manger leur chair pouvait aussi bien rendre fou qu’immortel. De là, elles avaient été traquées, tuées, dévorées. Certaines d’entre elles avaient eu le temps d’écrire des recueils de prophétie, mais ils avaient été perdus, ruinés ou volés, et avec eux le sort de Myrica avait été jeté dans les ténèbres. Le ventre noué, la jeune fille se retourna sur sa couche sans parvenir à s’endormir.  

Bientôt, elle renonça au sommeil et se redressa sur son lit. À cette heure, les Maîtres-masques n’étaient pas dans le dortoir, et elle avait encore le temps avant leur prochaine ronde. Silencieusement, elle se faufila à l’extérieur de la chambre par la fenêtre et marcha courbée jusqu’à celle donnant sur les nattes des garçons. Lorsqu’elle leva la tête par le carreau, elle rencontra immédiatement le regard de Saule, plongé dans l’obscurité, mais éveillé. Le jeune homme se glissa lui aussi hors de ses draps, fouilla un instant sous son matelas puis il la rejoignit. Ensemble, ils traversèrent les jardins, les enclos d’entraînement et les potagers jusqu’à l’entrée du marais. Ils n’avaient bien évidemment pas le droit de sortir la nuit, mais c’était de loin l’emplacement le moins surveillé.

Pour les deux apprentis cependant, le marais était le meilleur endroit de l’île, en ce qu’il était déserté par les autres habitants et surtout par les Maîtres-masques, mais également, car c’était la seule intimité qu’il avait réussi à arracher à une vie d’ordre et de contraintes. Alors que les buissons d’épines et les arbres aux racines molles et visqueuses auraient rebuté n’importe que promeneur, Myrica et Saule enfouirent avec délice leurs bottes dans la boue recouverte d’une eau stagnante aux merveilleux reflets métallisés. Bientôt, ils arrivèrent devant un tronc d’arbre couché en travers de la mousse prasine, déraciné de son socle par un orage oublié. Assis sur le bois humide et souple, les apprentis perdirent leur regard dans les étoiles, puis Saule fouilla dans le tissu entortillé qu’il avait porté à l’épaule depuis son dortoir, pour en sortir une bouteille et une boite. Le tabac et l’alcool étaient interdits sur l’île, mais cela n’empêchait pas les plus âgés d’en ramener à chaque excursion à l’extérieur, pour les missions officielles. Aussi effrayants qu’ils puissent l’être, les Maîtres-masques n’étaient pas omniscients. 

Myrica saisit la bouteille pour boire avidement au goulot. Elle aurait encore plus de mal à se lever le lendemain et ses parades seraient une fois de plus un échec, mais au moins la nuit lui serait douce. Alors que l’alcool se faisait un chemin dans son corps pour y répandre une merveilleuse sensation de chaleur heureuse, la jeune fille se prit à sourire aux branches violacées entrelacées dans une danse saccadée, rythmée par le vent nocturne. Autour d’eux, les ombres glissaient sous la nitescente lumière lunaire, découpant l’univers en nuances franches et vivantes. Saule ne lui posa pas de questions. Il n’en avait pas besoin. Il savait. Il connaissait cette angoisse, qu’il partageait, de ne pas voir leurs pouvoirs se révéler à eux et cette honte d’être les plus âgés. Il expérimentait la terreur de ne jamais partir dans le monde, pour y trouver une prophétie qui n’était pour eux qu’un concept abstrait, qu’ils acceptaient sans en sentir l’attraction sublime que les plus grands héros avaient décrite. Ils avaient tous les deux l’impression d’être des imposteurs, des parias, des traîtres à leurs sangs.

Dans ces moments de désespoir, seuls l’alcool et la présence de l’autre rendaient la vie supportable. Alors Myrica posa la bouteille contre sa cuisse et elle se blottit dans les bras de Saule, cherchant ce contact qui effacerait une réalité décevante. Lentement, leurs lèvres succombèrent à une attraction puissante et adolescente et ils s’embrassèrent avec fougue. Parfois, Myrica rompait leur étreinte pour relever le goulot à leurs bouches, et bientôt l’ivresse réchauffa leurs corps jusqu’à les dévêtir. La peau noire de Saule était parcourue de bleus, de plaies et de cicatrices, tout comme celle de Myrica tout contre lui. De leurs mains expertes et impatientes, ils couvraient l’autre de cette douceur qu’ils étaient les seuls à se porter. La jeune fille pressa sa poitrine ample contre celle de son amant, tandis que ses hanches épousaient la forme de ses mouvances. Saule se logea en elle dans un soupir caché par le vent complice, et d’une poussée de ses reins, il brisa un quatrième interdit de l’île. Bientôt, ils eurent oublié la peine, la honte et la colère, dans cette échappatoire rien qu’à eux qu’ils gardaient comme une arme contre le monde trop large et trop cruel.

Quand la lune atteignit son zénith de cette grâce de reine dont la cape déployée habillait le ciel d’un halo nivéen, Saule s’allongea sur le dos, encore nu, et Myrica bourra la pipe qu’il avait apportée dans une petite boite en bois. L’illusion blonde vint réchauffer la nuit argentée, et toujours dans un silence complice, ils fumèrent leurs insomnies en offrande aux étoiles. Lorsque le froid revint prendre la peau de Myrica pour lui faire poindre un frisson brusque, Saule rit doucement et vint la saisir par les hanches pour la vêtir de son étreinte. Mais soudain, sa joie mourut et la jeune fille aperçut la peur naître dans les iris sombres. Elle se retourna avec effroi, devinant déjà ce qu’il avait vu avant elle. Dans l’ombre d’un arbre, un masque d’argent brisait les ténèbres de sa présence terrible. Myrica sentit son cœur cogner à ses côtes comme s’il eût voulu s’enfuir. Ils avaient manqué de prudence dans leurs nuits de rage adolescente, et maintenant, ils allaient le payer.

Vasilyphalt

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