Héros – Chapitre 4

Brusquement, la nuit devint glaciale autour de Myrica, qui se jeta sur sa tunique pour la glisser sur son corps nu et tremblant. Saule avait fait de même, mais il était maintenant immobile, les yeux rivés sur le Maître-masque, tandis que Myrica s’était faufilée le long du tronc pour se tenir là, dans la boue, droite et raide comme lors du début des classes. 

Tous les deux étaient silencieux, car ils savaient parfaitement qu’il n’y avait aucune discussion de possible avec la silhouette sombre qui les toisait, muette. Elle ne paraissait même pas en colère contre eux, puisqu’elle n’avait aucune émotion, du moins aucune que les élèves eussent pu percevoir.

— Vous avez enfreint plusieurs règles de notre enseignement. Aucune punition ne serait à la hauteur d’un tel affront et vous allez entraîner avec vous d’autres apprentis. Dès à présent, vous serez gardé à l’isolement, loin de vos dortoirs. Il vous est dorénavant interdit de parler à quiconque, de vous regarder, ainsi que d’avoir de nouveaux contacts.

La voix sortant du masque avait été la même que lors des enseignements, des encouragements et des constats. Elle était stable, monotone et plate. Myrica sentit les larmes monter à ses yeux et l’ampleur de la punition fit naître en elle une colère qui transcenda sa peur.

— C’est injuste, vous ne pouvez pas nous enfermer, nous n’avons tué personne, nous voulions juste…

La jeune fille avait parlé d’un murmure inégal et entrecoupé de sanglots, mais le Maître-masque compta cela comme une infraction à ses nouvelles règles. Il leva la main et Myrica perçut la cisaille d’une corde invisible glisser sur son cou et serrer sa poitrine jusqu’à ce qu’aucun son ne puisse sortir. Elle essaya de hurler, mais cela empira la douleur. Maintenant suspendue dans les airs, elle griffait la chair de sa gorge sans parvenir à dénouer la boucle terrible qui l’étouffait. Brusquement, l’étreinte disparut et elle tomba par terre avec lourdeur.

— Vous ne devez pas parler, rappela le Maître-masque. Êtes-vous prête à rejoindre votre nouvelle chambre sans d’autre désobéissance ?

— Non.

La voix de Saule avait tranché la nuit comme un éclair et Myrica était stupéfaite, sans oser à nouveau l’exprimer. Son ami descendit du tronc où il était encore perché et se dressa devant la haute silhouette encapuchonnée.

— C’est injuste, et c’est une erreur d’apprentissage. Votre enseignement ne devrait pas suivre cette voie.

La jeune fille contempla Saule avec ahurissement. Quelque chose en lui venait de changer, d’une seconde à l’autre. Il semblait avoir soudainement laissé son corps d’adolescent sur le bois mou et humide, et il se présentait maintenant au monde avec l’assurance adulte et convaincue d’un héros accompli. Lentement, le Maître-masque leva la main, sans toutefois attaquer Saule, qui demeura immobile, sans peur ni haine. D’une caresse dans le vent, le masque d’argent fit poindre une bourrasque vive, qui tourna autour d’eux avec la violence d’un ouragan. Sur son passage, le lichen s’extirpa de l’humus et le bois se fendit en aiguilles souples. Au milieu de cette tourmente, Saule s’éleva du sol quelques instants, et à la lumière argentée de la lune, il répondit par un regard devenu doré. Une vague chaude et aride émana de lui comme si un soleil était né, et la tempête périt en un instant. Pendant encore quelques secondes, Saule flotta gracieusement dans l’air et la mousse arrachée reprit alors racine pour se parer du vert le plus profond, tandis que la terre humide du marais séchait, en faisant germer des orchestres de fleurs jaunes et odorantes. Le bois mort se mua en un berceau de rosiers grimpants blancs et les champignons disparurent, pour laisser apparaitre les longues tiges aux épines douces de framboisiers. Dans un cercle parfait autour du jeune homme, la nature avait répondu avec amour à son appel.

Lorsqu’il toucha à nouveau le sol, Saule parut vidé de son énergie et hésitant.

— Un maître ne doit pas agir comme cela, murmura-t-il en tombant à genoux dans l’herbe dense qu’il avait fait naître.

— Félicitations, vos pouvoirs se sont révélés, Saule. Vous partirez de l’île dès l’aube.

Toujours cette même voix, qui venait tour à tour de les surprendre, de les juger, de les punir et puis de féliciter le jeune homme qui levait maintenant sur le masque lisse un regard de nouveau sombre et triste. 

Myrica reprit soudain ses esprits, et elle courut aux côtés de Saule pour saisir son visage entre ses doigts. Aucun mot ne parvint à franchir leurs lèvres et ils se contemplèrent longtemps, avant que des mains gantées ne les séparent. 

À l’aube, Saule avait disparu, tandis que Myrica était allongée seule, dans l’obscurité de sa nouvelle chambre. Désormais, elle n’avait plus aucun espoir.