Chapitre 10 – L’Aigle rouge 3/5
Pour la seconde fois de la nuit, Juan fut extirpé de son sommeil par un bruit de mâchonnement entrecoupé par le tintement de cliquetis métalliques. La mine renfrognée, il ronchonna et enfonça davantage sa tête dans son oreiller afin de presser ses oreilles contre l’étoffe.
Lorsqu’il sentit quelque chose grimper sur lui, il gigota pour chasser le possible rat comme il arrivait parfois que cela soit le cas. Ne parvenant pas à s’en défaire, il voulut se retourner pour l’examiner. Mais il n’eut pas le temps de pivoter qu’il sentit le tranchant d’une lame se glisser sous son menton, tapotant légèrement contre sa carotide. Le cœur battant la chamade et les muscles tremblants, il demeura pétrifié, incapable de bouger.
— Tout doux amigo, dit une petite voix flûtée non loin de son oreille, reste calme.
— Que… qu’est-ce que vous voulez ? s’enquit le garçon d’une voix chevrotante.
Le bruit de mastication s’intensifia :
— Si tu me promets de pas hurler, je libère mon sabre de ta nuque et je te raconte mon affaire. En revanche… poursuivit-il en lui tâtant la pomme d’Adam, si tu fais le moindre bruit suspect ou que tu t’agites, crois-moi amigo que je te transperce la gorge et te regarde crever. Entendu amigo ?
Ne pouvant aller contre la décision de son énigmatique interlocuteur, le mulâtre déglutit péniblement et acquiesça mollement.
— Bien, fit ce dernier en sautant de son dos pour se mettre juste à côté de lui, maintenant tu vas faire tout ce que je t’ordonne. Alors tu vas t’asseoir et m’écouter attentivement.
Confus, l’enfant s’exécuta. Une fois en place, il chercha désespérément un homme dans la pièce, balayant frénétiquement les lieux obscurs mais ne vit rien.
— Plus bas amigo ! dit sèchement la voix.
En baissant la tête, un petit cri de stupeur s’échappa de sa bouche qu’il cacha entre ses mains pour étouffer le bruit. Car devant lui se tenait une bien étrange créature en costume rouge sang galonné et de noble facture, portant un tricorne en guise de coiffe où de longues plumes blanches pendaient jusqu’au sol. Juan écarquilla les yeux et l’étudia bouche bée.
Il s’agissait d’un petit être haut comme deux pommes et demie au corps mince surplombé d’une tête disproportionnée encadrée par une chevelure noire hirsute. Un large sourire sur cette bouche aux lèvres épaisses fendait son visage aux pommettes saillantes, révélant deux rangées de dents puissantes aux incisives pointues entre lesquelles demeuraient des miettes du morceau de pain fraîchement consommé.
Juan se recula ; il était atrocement laid avec ses grands yeux gris brillant chargés d’un éclat de malice. Pourtant, le monstre n’avait pas l’air menaçant. Et malgré son apparence dérangeante, il avait le visage tuméfié et des fers liaient ses mains ; il inspirait davantage à de l’empathie qu’à de la méfiance.
— Qu’est-ce que tu es ? demanda-t-il en approchant timidement sa main pour le toucher afin de savoir s’il n’était pas en train d’halluciner.
Courroucée, la créature lui asséna un vif coup de sabre sur le doigt pour repousser son geste, ce qui fit couiner l’enfant dont l’index venait d’être entaillé.
— Malpoli ! On ne touche pas le capitaine de la sorte, surtout un marmot dans ton genre ! Pour répondre à ta question, car je vois à ta tête de cabron que tu ne connais rien en dehors des frontières de ta misérable île, mais je suis un Klabauter, lutin des mers et des rivières cousin germain de mon cousin germanique Klabautermann, le plus célèbre de ma race.
Il ôta sa coiffe et fit une courbette.
— Quant à savoir qui je suis, amigo. Tu ne m’as jamais vu mais mon nom est connu en ces lieux reculés. Mon règne fait foi en ces mers tourmentées où mon navire navigue par monts et par vaux pour piller les ressources de mes ennemis et enrichir mes hommes. On me craint, on me vénère, je domine le vaste océan et choisis le sors réservé à chacun des vaisseaux que je conquis.
— Capitaine Diego de la Riviera ? tenta-t-il d’une voix étranglée.
La créature ricana et rangea son sabre tandis que la respiration de l’enfant se coupa nette tant il était ébahi de rencontrer son idole bien que plus curieusement bâtie et infiniment plus minuscule qu’il ne l’aurait imaginé.
— Pourquoi êtes-vous ici, capitaine ? Et pourquoi vous êtes aussi amoché, et d’ailleurs pourquoi portez-vous des fers aux poignets ?
— Ola ! que de questions amigo. J’ai pas le temps pour y répondre, j’ai besoin de ton aide.
— De mon aide ? s’enquit Juan en haussant un sourcil.
— Si ! Comme tu peux le voir, j’ai été fait prisonnier par mon équipage, il y a eu une mutinerie et mon second s’est emparé de mon trésor qu’il a remis au gouverneur en échange d’une coquette somme et m’a fait mettre sous fers. Par chance j’ai pu m’enfuir juste avant d’arriver en prison, ces imbéciles ont cru bon de me faire voyager avec ces esclaves, sans tenir compte que ma petite taille passait aisément à travers les barreaux. Et une fois dans la rue, je me suis caché en attendant la nuit pour passer incognito, mais ces saloperies de matous se sont mis en bande pour me bouffer.
— C’était toi sous les cagettes ! s’exclama le garçon.
— Vrai amigo. Maintenant écoute-moi bien car toi et moi on a un navire à récupérer et crois-moi que tu seras récompensé pour ton geste. Il faut juste qu’on aille chez le gouverneur récupérer mon butin ainsi que la clé de mes fers et après je pourrais embarquer sur mon navire et prendre le large sans équipage.
— Mais… je peux pas faire grand-chose capitaine. Je suis qu’un gamin ! J’ai pas de force, je suis pas très rapide et y’a pleins de gardes en plus chez le gouverneur !
— T’es pas non plus le plus futé ni le plus intelligent amigo, mais j’ai besoin d’un humain pour me couvrir, du moins jusqu’au manoir del gobernador. Y’a trop de chats et chiens errants dehors, je suis seul et j’ai aucune envie de me faire bouffer ! Une fois qu’on sera chez le señor Felip del Avaro j’aurai le champ libre pour m’emparer de mon trésor.
— Mais je peux pas entrer chez le gouverneur comme ça ! réfléchit-il. À moins que…
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