LES MONDES ERRANTS – Chapitre 11

Chapitre 11 – L’Aigle rouge 4/5

— Et tu comptes me faire avaler ces sornettes ? maugréa Gustave, assis sur son grand lit à plume.

Les bras croisés, le brunet au visage tout aussi tuméfié que les deux autres scrutait son ami avec dédain. Perché sur le rebord de la fenêtre et le bas du corps masqué par un buisson épineux, Juan ouvrit le haut de sa petite sacoche trouée.

Heureux de pouvoir enfin entrer en scène, Diego extirpa sa tête de la besace et prit une profonde inspiration, laissant l’air vivifiant de la nuit pénétrer dans ses poumons.

Lorsque Gustave aperçut la créature, le mulâtre dut se jeter sur son lui pour le faire taire. Il plaqua farouchement sa tête contre la literie, manquant de le faire s’étouffer tant son emprise était solide. Après avoir longuement gigoté comme une anguille, le brunet cessa de se débattre et se figea, regardant avec effroi le klabauster qui riait aux éclats devant sa face pâle d’être terrorisé. Après s’être assuré que son ami était redevenu suffisamment calme, Juan lui libéra la bouche et se recula :

— Je t’avais dit de me croire sale froussard ! pesta-t-il.

— Tu ne faisais pas le fier il y a une heure loco ! railla la créature en s’approchant des garçonnets.

Proche de la tête du brunet encore fébrile, il lui adressa un sourire malicieux et sortit son sabre pour venir effleurer le bout du nez de la pointe de sa lame.

— Bon, puisque tu sais ce que je veux, vas-tu m’aider à entrer ? Je te conseille de dire oui, sinon je crains que ton sang aille bientôt se répandre sur ces jolis draps soyeux et ce par tous tes orifices.

Ne sachant que répondre, le garçon à tête de poney acquiesça mollement d’un signe de la tête. Satisfait, le capitaine rangea son arme et se glissa à nouveau dans la besace.

— Alors andale amigo ! Le temps presse, je tiens à récupérer mon trésor ce soir.

En chemin, les deux comparses discutaient à voix basse de l’opération qu’ils allaient mener. Peu raccords sur le procédé adéquat, Juan finit par se plier aux conseils de son ami.

— Et tu crois vraiment qu’il n’y aura pas de gardes dans le manoir ? s’étonna-t-il, plus que sceptique vis-à-vis de cette affirmation.

— Je te le garantis ! assura l’autre en examinant la façade de l’édifice qui se dessinait à une centaine de mètres.

La large bâtisse en bois immaculé était isolée sur la crête, dominant l’île de toute sa hauteur.

— D’après ce que je sais, quand maman est avec lui, ils ne se cantonnent pas qu’à la chambre si tu vois ce que je veux dire. Du coup les gardes ont l’ordre de surveiller l’extérieur. Faut juste qu’on espère ne pas les croiser dans la salle où il a rangé ce foutu trésor. D’ailleurs, c’est quoi son trésor ? Parce que si c’est énorme, crois-moi que je ne me trimbale pas avec un truc archi lourd et encombrant dans toute la ville pour parvenir jusqu’à une chaloupe et prendre le large !

— Ce que contient mon trésor ne te regarde pas coño ! répliqua sèchement Diego d’une voix étouffée par le tissu. Mais c’est petit et pas bien lourd ! C’est si petit que tu peux même le fourrer là où je pense pour voyager sans crainte d’être repéré.

Offusqué, Gustave se renfrogna et ronchonna. Arrivés devant les hautes grilles noires, Juan se dissimula intégralement dans les fourrés annexes foisonnants d’orties et de ronces tandis que le brunet s’avança au centre. Il plaqua sa tête contre les grilles et héla un garde.

Voyant le gamin terriblement insistant, la sentinelle souffla d’exaspération et accourut vers lui.

— Que veux-tu encore gamin ! Ta mère n’est pas disponible ce soir. Alors va jouer ailleurs !

— Mais monsieur, dit-il d’un ton théâtralement plaintif, j’ai besoin d’aide, un étranger est entré à la maison pour voler les biens de maman ! Comment réagira-t-elle si elle apprend qu’un voleur lui dérobe ses bijoux de famille en son absence ? Ou pire ! Porte la main sur moi.

Il lui tendit son bras et lui montra l’empreinte des dents que Juan lui avait infligée le matin même et pointa du doigt son visage tuméfié.

— Regardez, il m’a même frappé ce salopard !

Confus, l’homme demeura immobile un instant. Puis il se ravisa et appela son acolyte pour lui raconter l’affaire. Après concertation, les deux gardes se rendirent en ville, talonnant le jeune homme qui s’éloignait en hâte afin de ne pas leur laisser le temps de verrouiller la grille.

Ayant désormais le champ libre pour s’engouffrer dans les jardins en toute discrétion, Juan s’extirpa des buissons et avança à pas de velours en direction de l’entrée. Celle-ci était fermée mais il remarqua que la fenêtre de l’étage était grande ouverte. Avec habilité, il escalada la gouttière et l’atteignit sans grande peine.

Tel un rat, il se glissa à l’entrebâillement et atterrit dans une chambre plongée sous un voile bleuté, sans réelle noirceur. À peine fit-il un pas qu’il remarqua une silhouette allongée dans un lit, dormant profondément. Le garçon pesta intérieurement ; il avait oublié que le gouverneur avait trois filles ainsi qu’une épouse légitime.

Au vu du faciès de celle-ci ainsi que de la peau molle et distendue qui pendait au niveau de ses bras dénudés situés sur les draps, il ne s’agissait certainement pas de l’une des filles. L’échine hérissée et les sens en alerte, le mulâtre marchait timidement en direction de la porte qu’il ouvrit avec la plus grande lenteur.

Dans le corridor de l’étage, Diego mit pied à terre et guida son porteur en direction du salon privé du gouverneur ; là où l’homme rangeait ses documents officiels et exhibait ses innombrables richesses.

Le verrou de la porte scellée ne résista pas au perçant de la lame du capitaine qui la crocheta sans peine. Le bureau ouvert, les deux compañeros fouillèrent l’ensemble des vitrines et des étagères à la recherche, selon le klabauter, d’un écrin blanc pas plus gros qu’un pouce sur lequel un aigle rouge était dessiné.

En tâtonnant dans le noir, ils trouvèrent l’objet tant convoité dans l’un des secrétaires. Celui-ci était rangé près d’une clé universelle qui permit d’ôter les fers des mains de la créature. Les poignets déliés, le capitaine récupéra méticuleusement son précieux trésor et se glissa dans la besace. Ils s’apprêtaient à sortir lorsque des bruits se firent entendre dans le corridor.

Paniqué, Juan se rua sous le bureau tandis que la porte s’ouvrit à la volée. Des silhouettes entrèrent prestement. À l’entente des grognements, des bruits de succion et des claquements de peau ; il devait certainement s’agir du gouverneur et de la Lapine — le surnom donné à celle qui était la favorite du moment —.

La vérité ne tarda pas à éclater lorsqu’il vit les deux amants engagés dans un coït bestial. Felip del Avaro en plein rut, chevauchait farouchement cette femme à la croupe fièrement dressée. Le garçon détourna le regard et se boucha les oreilles, incapable de regarder cet homme corpulent, à la perruque brune bouclée si longue qu’elle venait s’échouer jusqu’au milieu de son ventre proéminent, pénétrer avec l’ardeur d’un chien en chaleur cette femme flétrie et usée par sa vie de labeur faisant à peine le tiers de son poids. Elle gémissait, couinait alors qu’il lui crachait des mots qu’aucun enfant ne devrait entendre — surtout lorsqu’il s’agissait de la mère de son seul et unique ami —.

Diego, lui, laissa dépasser sa tête de la besace et observait en silence cette scène tant grivoise que cocasse, un immense sourire affiché sur son visage.

Après un dernier coup de reins fort brutal, l’homme au visage blafard ruisselant et placardé de grosses mouches noires émit un râle libérateur. Puis il s’échoua tel un morse sur la femme qui s’écroula sous son poids. Même malgré la pénombre, Juan pouvait discerner leurs corps suintants de transpiration, rendant leur peau luisante.

Ils demeurèrent un moment dans cette position, le temps que le vieil homme se remette de ses efforts. Puis, après un temps interminable, Felip finit par se redresser. Il sortit son épée du fourreau, la lame dégoulinant en abondance qu’il rangea dans son caleçon avant de se redresser avec autant de grâce qu’un homme fortement aviné. La femme l’imita et partit à sa suite, une main sur son intimité pour empêcher la divine semence accordée de souiller le tapis ainsi que le parquet.

Il fallut par loin d’une demi-heure à l’enfant pour reprendre ces esprits. Celui-ci gisait encore sous le bureau, les yeux hagards et les muscles tremblants par les événements dont il venait d’être témoin en première loge.

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