Chapitre 17 – Sous un ciel étoilé d’automne 3/4
Sept jours s’écoulèrent depuis l’entrevue. Durant cette semaine pluvieuse, Sylvain considéra la demande de sa sœur et se prépara mentalement à descendre dans la vallée pour rejoindre la ferme familiale où Thérèse vivait encore en compagnie de son mari et de leur père.
Marchant seul sur les sentiers que la terre humide rendait glissants, le garçon descendait au village. D’épais vêtements couvraient l’intégralité de son corps dont seule la tête restait nue. Une pleine lune trônait dans ce ciel dépourvu de nuage, nimbant les plaines et les vallons d’une lueur ardoise. Sa lumière léchait la surface moirée des lacs endormis en contrebas et faisait étinceler la blancheur des rares neiges éternelles demeurant sur les cimes des pics crénelés. Saisi par le froid mordant que le vent transportait, il plongea ses doigts gourds dans ses poches et avança hâtivement.
À grandes enjambées, il longeait les pins charbonneux jusqu’aux abords du plateau. Là, il emprunta une tortille sinueuse qui sillonnait la paroi rocheuse. Il descendit avec l’agilité d’un cabri, sautillant de roc en cailloux en prenant garde à ne pas se fouler une cheville ni égratigner sa peau dans les broussailles.
Au bout d’un quart d’heure, il parvint à franchir ces ultimes obstacles et effectua un dernier saut pour atterrir en haut de la vallée. Il ne lui restait plus qu’à descendre en pente douce pendant trois heures pour parvenir à gagner la maison de sa sœur, la plus élevée des environs.
Cette partie du chemin se révélait bien plus agréable avec cette forêt à la végétation luxuriante et cette rivière dont le lit paisible serpentait à sa droite. Quelques animaux sauvages étaient de sortie, biches et sangliers étudiaient de leurs yeux luminescents les déplacements de l’étranger, une pointe d’appréhension dans leur regard.
À chaque rencontre, le garçon levait la main et leur adressait un salut amical. Pour égayer son trajet, il se mit à fredonner des airs populaires. Il s’interrompit subitement lorsqu’une odeur sanguine parvint à ses narines et attira son attention. La trace de l’effluve était tenue mais aisément discernable et il quitta son trajet initial pour s’enquérir de cette provenance. À l’orée d’un chemin broussailleux, il aperçut une silhouette allongée au sol, inerte. Intrigué, il avança lentement. Son cœur battit à vive allure en remarquant qu’il s’agissait d’un humain.
En dépit de la faible luminosité, il reconnut un jeune homme de quinze ans tout au plus, les cheveux clairs, coupés courts, le corps fluet à peine couvert d’une veste en cuir. Un jean troué aux genoux habillait ses jambes, des chaussures à la semelle lisse couvraient ses pieds et un minuscule sac pendait sur son dos ; un accoutrement si peu adapté pour une promenade en pleine nature.
En observant les environs, il comprit que l’adolescent avait dû glisser et se cogner la tête contre l’arbre. En témoignait la végétation annexe et sa personne maculée de boue, couverte de brindilles et de taches verdâtres. Un hématome s’étendait à sa tempe entaillée. Du sang encore frais perlait à travers l’incision, coulant sur son visage éburné aux yeux clos, les lèvres bleuies par le froid.
En se penchant, il posa une main sous le nez puis sur le ventre de l’inconnu et sentit son souffle faible ainsi que sa cage thoracique se soulever à chaque inspiration. Il était vivant. Sylvain fut en proie à une hésitation. Devait-il ramener cet humain chez lui, le ramener chez sa sœur ou bien le laisser là ?
Après un temps de réflexion, il pencha pour la première proposition. Bien que plus hasardeux, le chemin pour regagner son logis était situé à moins d’une heure de montée, soit presque trois fois moins de temps que la descente. Au vu de sa blancheur maladive, le blessé souffrait d’hypothermie, mieux valait le réchauffer au plus vite. Avec des gestes minutieux, il parvint à hisser l’adolescent sur son dos. Malgré sa chétive constitution, Sylvain possédait une robustesse allouée par sa nature la nuit venue et le souleva sans peine.
Il lui fallut près d’une heure de marche active, le corps courbé vers l’avant, pour regagner son humble domaine. À peine pénétra-t-il en sa demeure qu’il posa l’inconnu sur son lit et s’empressa de mettre de l’eau à bouillir avant d’allumer un feu. Puis il dévêtit son hôte dont les vêtements mouillés devaient irriter la peau et refroidir davantage cet organisme bien affaibli. Lorsqu’il ôta les chaussures, un cri de stupeur s’échappa de ses lèvres. Sous des couches de cotons et des pansements de fortunes, ses pieds étaient couverts de cloques sur le talon et l’auriculaire, les ongles noircis par la terre incrustée. Le cuir de la veste et le jean collaient à sa peau à la manière d’une mue de serpent. Dès que ce dernier fut ôté, un doute germa en lui car nulle bosse ne semblait saillir sous cette culotte grise, bien mise en valeur par des cuisses à la pâleur inquiétante, tapissées d’un fin duvet blond. Son trouble se confirma lorsqu’en retirant son maillot, une brassière de sport étranglait deux petits seins.
Il se recula, étourdi, l’inconnu était une fille. Ne souhaitant pas par pudeur lui ôter ces ultimes vêtements, il se rua devant la gazinière et versa l’intégralité de l’eau bouillante dans une bassine. Il s’arma également d’un gant qu’il frotta au savon et frictionna énergiquement le corps de l’inconsciente. Mais alors qu’il s’attela à la soigner, fouillant dans sa trousse de soin des compresses et des gazes, la jeune femme ouvrit un œil. Quand cette dernière perçut enfin son environnement et vit l’étrange garçon à la face à demi brûlée qui se dressait devant elle, la panique la submergea. D’abord pétrifiée, sa respiration se fit haletante et un hurlement s’extirpa de sa gorge avant qu’elle ne vacille et s’évanouisse à nouveau.
Pendant que son hôte reprenait ses esprits, il termina de soigner sa plaie, recouvrit son corps de la grosse couverture en laine puis prit ses vêtements humides qu’il fit sécher devant la cheminée. Ce fut à cet instant que Moustache sauta sur le rebord de la fenêtre et gratta à la porte dans l’espoir de pénétrer dans la demeure. Le garçon lui ouvrit et laissa le félin tigré se faufiler à l’intérieur, miaulant fortement tant il était affamé.
Tandis que le bipède sortait du bocal un morceau de bœuf séché, le chat tentait de l’amadouer en se frottant nonchalamment à ses pieds. Il reçut son offrande et la dévora puis, submergé par un besoin de tendresse, sauta sur les jambes du garçon qui était parti s’asseoir sur le fauteuil devant le foyer et ronronna avec ferveur.
Dès que les premières lueurs de l’aurore infusèrent à travers les rideaux tirés, la blessée battit des paupières à plusieurs reprises pour chasser le voile vitreux qui rongeait ses rétines et explora du regard cette pièce silencieuse. En se redressant, elle porta une main à sa bouche, toussa rauque puis gémit sous la douleur qui la cognait à la tempe. À la vue de son bras dépourvu de vêtement, elle se palpa avec angoisse. Mais lorsqu’elle comprit qu’elle était presque nue en ce lieu inconnu, elle se mit à crier tout en pressant la couverture contre son corps.
Alertés par le vacarme, Sylvain et Moustache se réveillèrent en sursaut. À la vitesse d’un boulet de canon, le chat détalla jusqu’à l’autre bout de la salle et se glissa sous le placard de la cuisine tandis que le garçon, hébété, s’extirpa du fauteuil pour aller à sa rencontre.
— Doucement, tout va bien ! murmura-t-il, les mains tendues devant lui.
L’adolescente hoqueta et se recroquevilla.
— Pitié ne me faites pas de mal ! supplia-t-elle en posant sur lui un regard empli de terreur.
— Je vais pas te faire de mal, promit-il en s’installant sur le rebord du lit, agitant nerveusement ses doigts.
En hyperventilation, elle replia ses jambes contre son torse et l’observa intensément, s’attardant sur la brûlure qui déformait ce visage, le faisant paraître à un monstre hideux. Pourtant, elle fut stupéfiée de voir qu’il s’agissait d’un enfant, dix ans tout au plus, la peau laiteuse jaspée de rose, encore joufflue et dépourvue de plis. Ce constat la rendit moins craintive.
— Où suis-je ? Qui êtes-vous ?
— Je t’ai sauvée cette nuit et t’ai ramenée chez moi dans le but de te soigner, répondit-il faiblement, c’est dangereux de te balader si peu couverte, t’aurais pu mourir de froid, chuter ou pire ! Te faire attaquer par une meute de loups. Il y en a beaucoup dans les environs, tu sais.
— C’est toi qui m’as sauvée ?
Il acquiesça. En la voyant replier la couverture avec pudeur contre elle, il lui montra ses vêtements suspendus devant l’âtre. Il déglutit et baissa la tête.
— Désolé de t’avoir déshabillée, j’ai pas eu trop le choix et comme t’étais trempée… je pensais pas que tu étais…
L’adolescente fit la moue. Un silence gênant s’imposa où seul le crépitement des bûches dans le foyer résonnait.
— Tu as soif ? finit-il par demander. J’ai fait du café tout à l’heure, il doit être encore chaud.
— Je veux bien oui, répondit-elle en grelottant.
Sans attendre, le garçon se leva. Mais avant de la servir, il partit en direction de son armoire et en ressortit une ample chemise de nuit tirant sur le gris tant elle était datée. Il retourna vers son hôte et lui tendit l’étoffe.
— Tiens, mets ça si tu veux, c’était la chemise de nuit que ma maman m’avait offerte. Elle a toujours été trop grande pour moi, je pense qu’elle sera à ta taille.
D’une main fébrile, la jeune femme s’en empara et, pendant que le garçon avait le dos tourné, enfila l’habit. Elle grimaça en reniflant le tissu qui exhalait la vieille cave et le moisi. À son retour, elle prit la tasse et le remercia vivement, trempant ses lèvres dans le breuvage noir.
— Tu… tu vis tout seul ici ?
Alors qu’il s’apprêtait à répondre, un miaulement l’interrompit. Sorti de sa cachette, Moustache avançait craintivement vers le lit. Il sauta sur le matelas et se pressa contre son bipède, regardant l’inconnue de ses billes aigue-marine. Celle-ci tenta une approche amicale, mais le farouche animal feula, ébouriffant son pelage.
— Je te présente Moustache, pouffa le garçon en caressant le crâne du félin après que la jeune femme ait retiré sa main de peur d’essuyer une morsure. Il est un peu ronchon. Comme moi il a pas l’habitude de voir des gens.
— Tu vis donc seul ici ?
— Oui.
— Depuis longtemps ?
— Ça doit faire cinquante ans maintenant.
Cette réponse la laissa pantoise. En examinant son interlocuteur d’aussi près, elle vit l’extrémité de ses canines saillir de sous sa lèvre supérieure.
— Tu… tu es le monstre de la montagne ? bégaya-t-elle avec un mouvement de recul inné.
Il se rembrunit puis soupira. Il crut en la voyant tressaillir qu’elle allait à nouveau hurler, mais cette dernière maîtrisa son émoi et se contenta de le scruter comme un animal aux abois, piquée par une étrange curiosité.
— Alors tu existes ? Tu n’es pas un mythe ?
— Je ne suis ni un mythe ni un monstre ! rétorqua-t-il avec vigueur en croisant les bras.
— Tu as pourtant des dents très longues. Les vampires, c’est comme les chauves-souris, ça boit du sang non ?
Il haussa les épaules.
— Tous les cheiroptères ne sont pas carnivores. Et je mange surtout des légumes et des œufs. La viande c’est bon mais je me limite à une fois par semaine, pas plus.
— Pourquoi cela ?
— J’aime pas abuser des bonnes choses.
— Tu comptes me manger ? paniqua-t-elle.
Il pouffa et caressa le chat lové en boule à ses côtés.
— Pas question que je mange des humains ! Non pas que je vous préfère à d’autres espèces mais vous mangez des choses tellement bizarres… j’ai peur de tomber malade à la première bouchée. À choisir, je préfère dévorer une charogne.
À cette réponse incongrue, l’adolescente plaqua une main devant sa bouche et rit à gorge déployée.
— T’es vraiment bizarre toi !
— Pas plus que toi visiblement !
— Pourquoi tu dis cela ?
Il la regarda de pied en cap.
— Faut être un peu stupide pour se balader en forêt la nuit avec un tel équipement. T’as pas de bonnes chaussures, ton pantalon est trop rigide, t’as presque pas de réserve d’eau et t’as même pas de nourriture en cas de pépin ! C’est très inconscient. En plus il y a des loups dans les parages. Et pour les croiser souvent ils sont assez impitoyables et terriblement possessifs de leur territoire.
Elle hocha la tête en silence puis bâilla à s’en décrocher la mâchoire, les yeux embués de larmes. Pour la laisser se reposer, Sylvain débarrassa sa tasse et elle s’allongea de tout son long sur le lit, le corps intégralement enveloppé par la couverture.
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