LES MONDES ERRANTS – Chapitre 46

Chapitre 46

La chambre était des plus somptueuse avec ce mobilier en bois cérusé et cette literie quadrillée à carreaux bleu et blanc bien mis en valeur sur ce parquet lustré à forte senteur de cire d’abeille. Elle disposait de tout le confort que n’importe quel client, même exigeant, pouvait souhaiter. Spacieuse, les grands murs écrus étaient égayés de tableaux illustrant des paysages marins ainsi que des villages de la région. Deux hautes fenêtres de plain-pied, bardées de rideaux opalins à motifs de coquillages, s’ouvraient sur une terrasse privative donnant vue sur la mer.

Ravie de son nouvel espace, Maud jeta ses affaires sur le lit et examina dans les moindres détails cette chambre ainsi que cette salle de bain attenante aussi grande que son appartement de trente mètres carrés. Puis elle se rendit immédiatement sur la terrasse et, telle une enfant, se dodelina. Elle dansait la danse de la joie comme elle avait coutume de faire lorsqu’elle était submergée par un trop plein d’émotions positives. Elle fit des moulinets des mains, se trémoussait et gigotait les jambes, balançant avec énergie son corps de droite à gauche en poussant des petits « oh yeah ! » successifs qui provenaient du fond du cœur.

— Je présume que tu me laisses le côté gauche du lit, nota Florian avec pragmatisme.

— Tu peux pousser mes affaires si tu veux ! lança-t-elle en défaisant ses chaussures.

Elle rentra et posa ses fesses sur le lit, déballant les deux changes et son maillot de bain qu’elle avait emportés pour les poser sur la commode. Elle sortit également un carnet ainsi que son appareil photo jetable.

— On fait quoi à présent ?

— Je pense qu’au vu du tempérament ardent de nos deux tourtereaux échaudés, il n’est pas impossible qu’ils restent sagement dans leur chambre pendant quelques petites heures. À mon avis ils ne sortiront pas de leur cocon avant le début de soirée.

— Oh la chance ! Ils ont bien raison, qu’ils en profitent !

Elle soupira et s’avachit sur le lit en écartant les bras.

— Comme je les envie ! Moi aussi j’aurais fait la fête à mon homme pour le remercier de me faire un tel cadeau.

À cette annonce, son supérieur manqua de s’étouffer. Il toussota, se raidit et écarquilla les yeux.

— Je te demande pardon ! s’exclama-t-il, outré.

— Quoi ? Avoue que c’est génial ! Tu pars en vacances, tu rencontres un gars qui te plaît, il t’invite dans ce super hôtel et en plus t’as le droit à une thalasso ! Non mais tu m’étonnes qu’elle ait craqué pour lui !

— Mademoiselle ne disait-elle pas à peine plus tôt que c’était le genre d’homme baratineur à devoir se méfier ?

— Oui mais mon ex lui, jamais il ne m’aurait invité dans pareil endroit ! Ni même François d’ailleurs. Je ne suis même pas sûr qu’il y aurait songé tant il est égoïste lui aussi. Même pour un simple voyage dans un endroit abordable pour notre porte-monnaie.

Florian haussa un sourcil et la regarda de haut :

— Ta condition financière a l’air de te préoccuper à nouveau, je me trompe ? Tu n’as pas cessé d’évoquer ce sujet de la journée. Ça fait longtemps que tu ne l’avais pas abordé.

— Pour dire vrai ? fit-elle en plantant sur lui des yeux larmoyants. Oui, c’est quelque chose qui me stresse depuis quelques mois. Car même si depuis que je fais partie de la brigade, que j’ai une paie plus qu’honorable et que je peux vivre dignement sans avoir à compter éternellement mes sous, je m’aperçois que je suis la seule de ma famille à m’en sortir réellement…

Elle fit la moue et baissa les yeux.

— Tu veux m’en parler ? s’enquit-il sincèrement peiné pour son acolyte.

Après un soupir, Maud recroquevilla ses jambes et les enserra de ses bras. Puis elle posa son menton contre ses genoux et observa devant elle, le regard perdu dans le vide.

— Tu sais que j’ai grandi dans une famille où le moindre centime dépensé compte et que la peur de manquer est ancrée en moi de manière viscérale au point que ça en soit une angoisse récurrente. J’ai eu la chance d’être boursière et bosseuse et d’avoir pu intégrer l’école que je voulais pour arriver ici. L’ennui est que mon grand frère s’est fait virer il y a peu et au vu de la faible source de revenus de sa femme, ce n’est pas avec l’argent de l’aide sociale qu’il parviendra à s’en sortir et accorder un train de vie adéquat à ses deux enfants. Du coup je lui ai donné une partie de mes économies mais…

Elle laissa sa phrase en suspens, n’osant poursuivre. Pour toute réponse, Florian posa une main amicale sur son épaule et lui annonça d’une voix douce :

— Et si l’on allait plutôt profiter de la piscine ? Se détendre un peu en attendant que nos deux oiseaux pointent le bout de leur nez en dehors du nid. Qu’est-ce que t’en dis ?

Sa proposition décrocha un sourire à la jeune femme qui opina du chef, ravie de cette idée. Elle se glissa dans la salle de bain et enfila son maillot de bain deux pièces à motifs floraux très colorés. Puis elle se munit de son peignoir ainsi que de ses chaussons et rejoignit Florian devant la porte de la chambre, paré lui aussi pour sa baignade. Il ferma la porte à clé et les enfouit dans sa poche.

Ils longèrent les couloirs. Deux portes plus loin et du même côté, l’homme indiqua à sa collègue que leurs patients « dormaient » dans cette chambre. Puis ils prirent l’ascenseur pour se rendre à l’espace thermal où la piscine était librement accessible jusqu’à vingt heures.

Quand les portes s’ouvrirent, un nuage de vapeur chaude aux senteurs enivrantes de menthol les assaillit et ils se dirigèrent dans la pièce annexe où l’immense bassin de teinte verdâtre s’étendait, donnant une vue imprenable sur la plage. Par chance, il n’y avait pas grand monde de présent et les transats disposés sur le pourtour étaient presque tous vides, leur laissant une place de choix.

Sans attendre, elle jeta sa serviette sur l’un d’eux et plongea dans le bassin comme un boulet de canon avant de ressortir la tête hors de l’eau et de se laisser flotter sur le dos, fermant les yeux pour apprécier davantage cette sensation de légèreté.

— Elle est super bonne ! s’exclama-t-elle. Ça fait un bien fou !

Quand elle les rouvrit, elle vit Florian descendre avec lenteur les marches d’escalier. À sa vue, son visage rosit en se rendant compte que c’était la première fois qu’elle le voyait aussi peu vêtu, avec ce simple short noir pour masquer la zone de son bas ventre. Avant aujourd’hui ils n’avaient jamais eu d’affaires qui leur permettait pareil loisir ; la plupart de leurs interventions ayant lieu en automne ou en hiver. Discrètement, elle ne put s’empêcher de l’étudier et sa curiosité naturelle la poussait à détailler son corps avec une certaine insistance.

L’homme était élancé, maigre même au vu de ses côtes apparentes. Il n’avait même pas quarante ans que déjà des poils blancs et gris parsemaient son corps d’un blanc laiteux à la peau légèrement distendue. À trente-sept ans, il en paraissait bien cinq de plus. Il semblait carencé et ne devait pas être très à l’aise avec son physique au vu de ses gestes rigides, s’apparentant aux mouvements saccadés d’une mante religieuse. Mais ce qui la choqua davantage était cette impressionnante cicatrice qui lui taillait l’avant-bras sur toute la longueur.

Dès qu’il fut intégralement enveloppé par le liquide avoisinant les vingt-cinq degrés, il fit quelques brassées et se posa tranquillement sur un rebord faisant office de banc sur lequel il s’accouda. En silence, il profitait du paysage maritime qui se dessinait devant lui sur cette plage privative où des gens de tous âges se baignaient directement dans la mer ou s’amusaient à diverses occupations ; à la balle, aux cartes ou bien à construire des châteaux irrigués à l’aide de seaux et de pelles. Certains, plus calmes, lisaient leur livre ou sirotaient leur boisson, se prélassant sous ce soleil radieux qui faisait scintiller les vagues de mille feux.

— C’est beau comme spectacle, tu ne trouves pas ? dit Maud qui venait de le rejoindre. C’est dans des moments comme ça que je me dis que la vie est précieuse et que je trouve que le métier que l’on exerce à un sens. Et grâce à ça je me sens utile d’une certaine façon.

— Tout à fait, assura-t-il sans détourner le regard d’un père qui s’amusait avec son enfant encore bien jeune, lui apprenant à tirer dans un ballon.

La jeune femme loucha sur sa cicatrice qui, d’aussi près, semblait avoir été provoquée par un objet contondant.

— Tu te l’es faite en mission ? se risqua-t-elle à demander.

— Oui, fit-il en enfouissant son bras meurtri dans l’eau.

— C’est impoli si je te demande comment tu t’es fait ça ? T’es pas obligé de me répondre bien évidemment si c’est douloureux pour toi de m’en parler. Et n’hésites pas à me rembarrer si tu trouves que je te pose trop de questions indiscrètes.

Il ricana et donna une pichenette dans l’eau pour lui éclabousser le visage.

— Mais quelle petite fouine ! J’ai vraiment engagé la plus pipelette des minettes pour me seconder.

Elle ne rétorqua rien et se contenta de rester auprès de lui, profitant de l’atmosphère et de l’animation ambiante lui faisant oublier l’espace d’un instant tous ces tracas quotidiens. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie autant détendue.

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