LES MONDES ERRANTS – Chapitre 49

Chapitre 6

Le toucher velouté des mains expertes de l’employée était exquis. Cette dernière palpait avec méticulosité et énergie chaque parcelle de la peau claire bardée d’éphélides de sa cliente. Grisée par ces gestes habiles, la chaleur ambiante de la pièce, la musique zen et par les senteurs de plantes aromatiques terriblement enivrantes, Maud soupirait d’aise. Allongée sur cette table pliante délicieusement confortable, le corps enveloppé d’huile, elle se laissait guider telle une marionnette totalement soumise aux manipulations que lui accordait sa masseuse.

Son massage achevé, elle se leva avec lenteur, s’étira de tout son long et rejoignit l’espace principal où bassins, sauna, hammam et autres commodités étaient disposés. Se remémorant que Florian partait en ville pour réserver un hôtel plus abordable, se renseigner sur les séances de cinéma ainsi que sur les horaires de trains en partance pour Paris le lendemain, elle décida de profiter pleinement du lieu et se rendit au sauna.

À l’intérieur de la cabine chauffée à cinquante degrés, elle déplia sa serviette, s’étendit de tout son long à l’étage du dessus et ferma les yeux. Elle se concentra sur sa respiration, laissant l’air chaud pénétrer ses poumons et assécher sa peau gorgée de gouttes de sueur.

— Salut miss, dit une voix suave juste à côté d’elle.

Surprise, elle sursauta et se redressa hâtivement. Puis, voyant de qui il s’agissait, elle grimaça par réflexe.

— Excuse-moi de t’avoir effrayée, ricana Thomas en la regardant avec des yeux brillants, c’est bien toi qui es avec le grand homme brun d’une quarantaine d’années ? Celui qui est tout maigre, je me trompe ?

Ne sachant quoi lui dire, et nerveuse à l’idée de se retrouver seule avec ce genre de garçon dans un lieu confiné, elle fronça les sourcils et se contenta de soutenir son regard.

— Oui, finit-elle par dire sur la réserve, et il n’a pas quarante ans mais trente-sept !

— Oh la la pardon ! c’est vrai que ça fait une sacrée différence. Vous avez quoi, une grosse dizaine d’années d’écart ? Je trouve ça chouette de rencontrer une fille aussi ouverte d’esprit.

— Je sais pas ce que tu t’imagines mais il s’agit de mon oncle ! rétorqua-t-elle avec vigueur, décontenancée par l’aplomb dont il faisait preuve.

— Ah oui ? dit-il à nouveau après un ricanement exaspérant. C’est étrange pour un homme d’emmener sa nièce dans ce genre d’endroit et de dormir dans une chambre double avec elle, tu ne trouves pas ? Sans compter que vous ne vous ressemblez absolument pas.

Maud pâlit à cette annonce ; visiblement, le jeune homme les épiait également. Sentant qu’il avait le dessus, il poursuivit :

— Écoute, je vais pas te juger. Vous avez très probablement conclu un accord tacite entre vous. T’es peut-être encore en étude et il te promet de jolies vacances en échange de petits coups de reins. J’ai connu des filles comme ça aussi. Vous avez raison de le faire. D’ailleurs si tu veux t’amuser avec quelqu’un de plus jeune ou simplement parler pour te changer les idées, je suis disponible entre quatorze et seize heures, ma demoiselle sera en soin et j’ai la chambre pour moi tout seul. Je peux nous monter une bouteille de champagne et on profite d’un petit moment tous les deux. Promis ta venue ne t’engage à rien.

Fort mal à l’aise, elle balaya l’espace du regard mais ne vit personne à proximité hormis dans les bassins situés bien trop loin si jamais elle faisait l’affront de le provoquer. Son physique taillé — il était bien plus grand et imposant qu’elle — une seule gifle bien placée suffirait à la renverser et elle n’était pas en mesure de lui résister si jamais il lui prenait l’envie d’un tel coup de folie.

— Je trouve ton comportement très déplacé ! maugréa-t-elle en tentant de se dominer.

— Il ne faut pas ! répliqua-t-il avec amusement. Je suis pas ce genre d’hommes. J’étais juste curieux de voir comment un homme comme lui avait pu se retrouver avec une fille comme toi.

Elle fut troublée par sa question qui, sans qu’elle ne comprenne pourquoi, lui assénait un pincement au cœur.

— Pourquoi tu dis ça ?

Il passa une main dans ses cheveux châtains encore humides et lui adressa un sourire charmeur :

— T’es plutôt jolie fille. Alors que lui… bon c’est vrai que je regarde pas les hommes, mais franchement il n’a rien d’extraordinaire. Hormis sa richesse, je vois pas ce qui pourrait t’intéresser chez lui.

Vexée par cette réflexion, elle lâcha un juron et se leva. Alors qu’elle reprenait sa serviette pour sortir, il se redressa à son tour, se plaça devant la porte et lui barra la route.

— Pousse-toi ! s’écria-t-elle en sentant ses battements cardiaques s’accélérer.

— Écoute, je voulais pas te vexer ! s’excusa-t-il. C’était pas méchant de ma part et j’imaginais pas que tu puisses éprouver des sentiments pour un homme comme lui.

— J’éprouve rien pour lui ! s’énerva-t-elle en perdant définitivement patience. Maintenant pousse-toi et laisse-moi sortir ou crois-moi que je vais trouver un moyen de me plaindre à la direction !

— T’es encore plus mignonne quand tu t’énerves !

— Pousse-toi, je te dis !

Il ne répliqua rien de plus et s’écarta tout en ricanant. Furieuse, elle s’extirpa du sauna et partit en direction de sa chambre. Arrivée devant sa porte, elle se rendit bêtement compte qu’elle ne possédait pas les clés et cela eut le don de la mettre hors d’elle ; elle était donc condamnée à errer entre les couloirs et la balnéo en attendant que monsieur consente à rentrer.

Alors qu’elle venait de s’engouffrer dans l’ascenseur, elle fut rejointe par sa patiente qui daignait enfin sortir le bout du museau de sa tanière. À peine mit-elle un pied dans l’habitacle que son parfum d’agrumes l’exaspéra. Le bonheur et l’insouciance sans bornes d’Emma face à cette situation malsaine, dont elle ne se rendait nullement compte, acheva son état et tout le bienfait que lui avait prodigué son massage s’évanouit intégralement.

N’ayant pas le cœur à discuter auprès de sa patiente qui prit le chemin pour se rendre aux bassins, elle se rendit dans le hall et quitta les locaux pour venir patauger dans le sable fin encore humide. La mer était à nouveau basse, dévoilant ses trésors échoués sur la plage jonchée de galets et crustacés.

Pour faire passer sa mauvaise humeur, consciente qu’elle ne devrait pas se comporter de la sorte, elle décida de ramasser les coquillages aux surfaces polies et colorées qui luisaient telles des pierres précieuses au contact des rayons du soleil. Elle garderait en main et embarquerait ceux qu’elle trouverait les plus jolis pour les mettre dans son mini aquarium et servir de compagnon à son poisson combattant, Cachalot ; après tout, prélever un coquillage ou deux n’était pas le genre de chose qui porterait préjudice et changerait la face du monde.

Tandis qu’elle effectuait cette tâche, les paroles du goujat lui revinrent plusieurs fois à l’esprit. Pourquoi s’était-elle emportée de la sorte contre lui ? Certes, ce mufle s’était comporté de manière cavalière, grossière même, et lui avait débité sans gêne ce qu’il pensait. Mais pourquoi garder une telle rancœur envers une simple remarque alors qu’il n’avait pas été particulièrement insultant ?

Après tout, Florian n’était qu’un collègue. Bien sûr, elle passait énormément de temps en sa compagnie, presque autant qu’auprès de François si l’on faisait le décompte. Après quatre années passées auprès de lui, dont une entière sur le terrain sous son seul chaperon, elle commençait à le connaître un peu malgré son caractère énigmatique et sa faculté extraordinaire à toujours éluder ses questions. Le portrait qu’elle s’était fait de lui était plutôt flatteur quand elle y songeait ; un homme calme, réfléchi, gentil, qui ne portait pas de jugement hâtif et était doté d’une bienveillance sans fin, du moins à son égard.

En soit, elle ne pouvait rien reprocher à son mentor, encore moins la confiance qu’il lui accordait en mission. En y réfléchissant bien, il était peut-être le seul homme envers qui elle n’oserait faire la moindre remarque désobligeante, injustifiée tout du moins. Ce qui ne pouvait pas être le cas de François… hélas !

Consciente qu’elle s’égarait et que sa colère la poussait dans des réflexions qu’elle ne souhaitait nullement avoir, elle chassa ces pensées et retourna à l’intérieur où elle aperçut son mentor présent dans le hall. En la voyant seule, dehors, plutôt qu’auprès de leur patiente, il fronça les sourcils mais eut l’intelligence de ne rien dire. Elle marcha donc à sa suite et entra dans la chambre où elle alla directement se doucher pour se réchauffer et ôter les grains de sable et la vase qui lui collaient aux pieds.

Se laver sous l’eau chaude lui fit le plus grand bien et ce fut donc un peu moins crispée qu’elle sortit de la salle de bain vêtue d’un short ainsi que d’un tee-shirt ample.

— Ton massage s’est bien passé ? commença-t-il de manière formelle.

— Oui, c’était bien… merci, répondit-elle sans entrain.

Il haussa un sourcil et lui tendit son calepin, lui annonçant les horaires de train ainsi que ceux du cinéma. Le dernier train en partance pour Paris était prévu pour vingt heures ce qui leur laissait l’entièreté de la soirée du lendemain pour profiter encore un peu de la ville.

— Je présume que tu as énormément avancé de ton côté auprès de madame Martin ? annonça-t-il d’une voix teintée de reproche.

— Je ne vais pas te mentir, je ne suis pas allée lui parler.

— Maud ! souffla-t-il, exaspéré.

— Ça va, je sais ce que tu penses ! marmonna-t-elle en baissant les yeux. Je vois bien que je te déçois.

— T’avais qu’une chose à faire aujourd’hui, une seule ! Aller la voir quand tu étais sûre que son homme ne serait pas à proximité et qu’elle serait libre dans un lieu public. Je l’ai vue en bas, seule dans le bassin, alors que je te cherchais. Tu vas me trouver quoi comme excuse ?

— Rien ! Rien car j’ai pas d’excuses figure-toi ! s’exclama-t-elle, les larmes aux yeux. Je sais que j’ai merdé ! Je le sais très bien !

La gorge sèche, elle déglutit péniblement et commença à trembler :

— Alors si tu veux m’arroser d’insultes, me dire que je suis qu’une bonne à rien et que je devrais me concentrer sur un travail adapté à mon intelligence car mon esprit trop limité est incapable d’exécuter les simples tâches que tu me demandes, bah vas-y ne te gêne pas !

Florian demeura immobile, à la fois choqué par la virulence de ses propos et incapable de comprendre la raison de son emportement. Il s’en voulut presque de lui avoir fait une réflexion. Pourtant, il était son supérieur et avait tous les droits d’exiger ce que son acolyte se devait d’exécuter et, à ce titre, il n’osa pas se laisser démonter et lui tint tête. Elle cracha alors avec une habileté spontanée tout ce qu’elle avait sur le cœur sans tenir compte de son grade. Enfin, dès qu’elle fut entièrement vidée de son venin, la culpabilité l’envahit et elle partit s’isoler dans la salle de bain, claquant fortement la porte derrière elle.

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