Chapitre 5 – Le Bal des tourterelles 1/3
Le soleil commençait à décliner, plongeant les jardins du vaste domaine sous une chatoyante clarté mordorée. La brise légère s’élevait, provoquant de subtils friselis sur les feuilles d’arbres naissantes qui tanguaient au gré des faibles bourrasques. Les branches sinueuses exhibaient les premières fleurs du printemps. Celles-ci se déployaient avec majesté, arborant de somptueuses couleurs vives : du bleu outremer, du blanc lilial, du jaune doré et du rouge pourpré parsemaient les arbustes impeccablement taillés de l’allée de graviers. Des roses s’amoncelaient entre les ronces entrelacées, bardées d’épines tranchantes.
Ce jardin divin en pleine effervescence était situé au milieu d’une nature paisible sans l’ombre d’une menace. Cependant, les grondements de l’orage devenaient de plus en plus fréquents une fois la nuit tombée, auréolant le ciel charbon de nimbes orangés, accompagnés par le souffle caverneux d’une bête farouche. En ce lieu reculé, préservé de tout tumulte, les hautes grilles noires en fer forgé marquaient la fin du domaine, protégé par cette interminable forêt de pins qui s’érigeaient tels des remparts. Les seuls êtres vivants présents à la ronde n’étaient autres que les habitants de cette forêt primitive et sauvage où quadrupèdes, ongulés ou griffus, fréquentaient bipèdes aux plumages variés ainsi que rampants couverts d’écailles et autres amphibiens.
Si envoûtants étaient les chants d’oiseaux aux plumages chamarré, offrant une farandole de notes lors de leur hymne crépusculaire ; des gazouillements tantôt aigus tantôt graves, des envolées lyriques ou à l’inverse des petits trémolos éparses. Les cerfs accompagnaient la fête, les mâles en rut bramaient à tout va à la recherche d’une partenaire pour asservir leur besoin primaire. Ces mélodies diurnes laissaient place au chant des grillons et aux hululements des chouettes une fois le jour tombé. Le tout conjugué aux croassements rauques des corbeaux ou encore aux hurlements des loups au clair de lune, sonnant le glas de la chasse. Ces prédateurs impitoyables croquaient leurs proies à pleines mâchoires. Les éclats d’agonie des bêtes victimes résonnaient en écho dans les profondeurs de la nuit. Ici point besoin d’orchestre, la Nature jouait pour vous.
Les odeurs s’entremêlaient. De délicats parfums floraux s’immisçaient dans les narines de la petite Sarah qui, les yeux clos, inspirait profondément cette immense bouffée d’air frais. Assise sur le rebord de la fontaine en pierre grise polie, où la statue d’un loup triomphant crachait de sa gueule grande ouverte une vigoureuse gerbe d’eau claire, la demoiselle était en grande conversation avec son amie Misskitty, sa fidèle complice de toujours.
— Alors comme ça il y aura un grand bal au manoir ce soir ? s’étonna la fillette. Oh ! Cela fait si longtemps que personne n’y a été convié ni qu’aucune fête n’a été donnée.
Ravie par cette nouvelle, elle observa avec intensité ce resplendissant hôtel particulier appartenant au célèbre collectionneur et négociant juif Wolfgang Mendel. Son imposante façade écrue absorbait les rayons du soleil couchant, la faisant presque s’embraser tandis que les vitres de la rangée de chiens assis, saillants de ce toit noir fait d’ardoise, étincelaient de mille éclats flamboyants.
— Oui ma chère ! répondit posément Misskitty le visage dissimulé intégralement derrière son masque en papier mâché à tête de chat. Et tu y es invitée bien évidemment, il ne peut en être autrement !
La petite frappa dans ses mains et se redressa en hâte pour chantonner une ritournelle tout en effectuant moult pirouettes. Elle déploya ses bras menus et tournoya sur elle-même, faisant virevolter sa robe en mousseline bleu pervenche garnie de dentelles.
— Tu as l’air toute heureuse ! lança Misskitty attendrie. Cela fait longtemps que je ne t’avais pas vue si joviale et souriante.
Essoufflée et le visage rouge, la fillette s’arrêta et toussota. Puis elle porta à nouveau son attention sur l’édifice, joignant ses mains derrière le dos et dodelinant de droite à gauche comme une pendule, hissée sur la pointe des pieds.
— Crois-tu que je verrai la princesse Sarah ?
— Elle y sera pour sûr, je te le garantis ! Et elle vêtira sa magnifique robe à froufrou que son papa lui a achetée à l’occasion de son anniversaire.
— Celle qui est verte comme un verre d’eau de menthe avec de jolies fleurs de toutes les couleurs estampées dessus ? s’écria-t-elle avec ravissement. Elle ira si bien avec sa peau caramel.
— Tout à fait ! Et elle possède même un ruban rose poudré pour cintrer la taille et y faire un gros nœud dans le dos comme pour un paquet cadeau. C’est que monseigneur Wolfgang aime son trésor.
— Oh comme il me tarde de la voir ! Je suis sûre que la princesse portera à ses pieds ses jolis souliers dorés ainsi que ses soquettes en dentelle tout juste lavées et qu’elle aura de belles tresses en guise de coiffe.
— Pour les tresses, il faudra que cette chipie soit patiente et qu’elle ne bouge pas, car cela prend du temps à réaliser ! objecta Misskitty en la gratifiant d’un regard malicieux derrière ce masque de chat bariolé où seules les prunelles bleues étaient discernables.
— Dans ce cas, elle les laissera détachés, comme ça ses boucles brunes pourront valser autour d’elle, réfléchit la fillette en frottant son doigt contre son menton, ou alors elle mettra juste son ruban blanc pour faire une queue de cheval et éviter que les cheveux ne lui tombent devant les yeux.
Elle tourna la tête et contempla la statue du Loup finement sculpté, au poitrail gonflé, si noblement exécuté.
— Crois-tu que monseigneur sera là lui aussi ? dit-elle en caressant les pattes robustes de la bête. Est-ce qu’il portera son grand costume de loup qui lui va si bien ?
— Cela se pourrait bien, c’est un bal costumé après tout !
— Et il dansera avec moi ! s’exclama-t-elle en levant les bras.
Misskitty gloussa :
— Mais avant cela il te faut te préparer jeune fille. Tu es attendue dans le hall en fin de soirée, pour l’heure du dîner plus précisément, et si tout se passe bien monsieur Coquin, Filou ainsi que Miss Coquette seront présents.
— À quelle heure dois-je être prête exactement ?
— Tu as ton invitation écrite de la main du maître du logis dans ta chambre. Que disait la lettre parfumée que tu as lue tout à l’heure ?
Sarah fronça les sourcils, elle avait appris le message par cœur, et s’éclaircit la voix :
« À ma chère petite princesse qui ce soir fêtera sept ans
Un bal aura lieu ce soir vingt heures,
Dont tu seras l’invitée d’honneur,
Conserve donc ta bonne humeur.
Rejoins-moi avec tes amis,
Vêtue de ta nouvelle robe fleurie,
Qui t’attendra juste sur ton lit.
Signé ton Grand Loup Protecteur »
Elle frappa une nouvelle fois dans ses mimines et serra la main de son amie.
— Très bien, je vais aller goûter et après avoir mangé j’irai me changer.
Impatiente, la fluette fillette fila à toutes jambes en direction de la demeure, emportant Misskitty à bout de bras qui ballottait derrière elle comme une poupée de chiffon. Elle monta deux à deux les marches d’escalier, saluant au passage tourterelles et colombes roucoulant paisiblement dans leur cage d’argent posté sur le palier.
Arrivée dans cette pièce tranquille, sans l’ombre d’un bruit hormis le tintement de la pendule et le crépitement du maigre feu brûlant dans le foyer, elle s’installa à sa place où un thé à la mûre ainsi qu’une tarte aux pommes préparée de la veille étaient posés, attendant sagement d’être engloutis par l’appétit vorace de cette fieffe gourmande.
Elle huma à pleins poumons l’effluve encore chaud de cette boisson qu’elle affectionnait tant et but à grandes lampées, plaquant ses petits doigts contre la paroi de la tasse pour les réchauffer. Puis elle prit la délicieuse gâterie qu’elle avala goulûment, léchant ses phalanges couvertes de confiture et piochant une à une les miettes échappées pour les sucer afin que rien ne soit gâché. Les denrées dévorées, elle se massa le ventre et rota sans ménagement sous le regard désapprobateur de Misskitty ; voilà qui était une jeune fille fort malpolie !
Enfin, ses yeux louchèrent sur le journal disposé sur le coin de la table. Dans un souci d’imiter son père, la fillette s’en empara et entreprit la lecture. Pour cela elle fronça les sourcils, prenant un air concentré comme son paternel faisait chaque fois qu’il le lisait puis elle crispa ses doigts sur le papier et examina la gazette datée du jour : le mardi5mai 1942.
Elle ne comprit pas grand-chose à ce texte, hélas ! Voilà qui était bien hasardeux et surtout pénible à déchiffrer. De ce fait, elle s’attarda sur la photo en noir et blanc placardée en première page, illustrant une assemblée d’un millier de personnes, toutes droites, regardant au loin et pointant le bras droit vers l’avant en guise de salut. Ces gens faisaient vraiment peur avec leurs uniformes militaires noirs et leurs airs implacables de prédateur sans foi ni loi. Pour accentuer ce sentiment d’oppression, un immense drapeau, sur lequel une étrange croix sombre emprisonnée dans un cercle était dessinée, flottait à la brise vigoureuse.
La fillette reposa le journal à sa place puis rejoignit ses quartiers à l’étage, toujours accompagnée de sa fidèle alliée qui manqua, dans la précipitation, d’en perdre son masque. Elle escalada les escaliers du hall, en marbre blanc recouvert d’une moquette de velours rubis en son centre ; un chic que tout nouvel arrivant céans ne cessait de flatter tant la renommée ainsi que la splendeur de ce domaine préservé suscitait l’admiration et était fort convoité.
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