LES MONDES ERRANTS – Chapitre 50

Chapitre 7

Plus d’une heure passa avant que Maud ne se décide à sortir de la salle de bain. Les yeux rougis et la tête basse, elle avança en direction du lit où elle se posa. Assis derrière le bureau, Florian continuait d’écrire. Comme à son habitude, il n’osa pas l’aborder de front et attendit silencieusement qu’elle se confie d’elle-même ; chose qu’elle finissait toujours par faire de son plein gré. L’abcès ne tarda pas à se crever car après avoir soupiré, elle s’excusa d’une voix mal-assurée.

Ne voulant pas s’éterniser sur cet écart de conduite qu’il scotomiserait auprès de la direction, il fit pivoter sa chaise et la regarda droit dans les yeux, joignant ses mains devant lui pour se donner un air plus solennel :

— Puis-je compter sur toi cet après-midi ou dois-je me résoudre à mener cette affaire seul ?

Elle renifla, se gratta le nez d’un revers de la main puis tritura nerveusement ses doigts tout en continuant d’éviter son regard :

— Je pense avoir une idée pour évincer cet homme et faire qu’Emma le déteste… marmonna-t-elle faiblement, et ce ne sera pas si compliqué à mettre en œuvre.

— Je t’écoute, fit-il en s’avançant légèrement.

Elle s’éclaircit la gorge et lui raconta son plan. Parfaitement calme et attentif, Florian l’écoutait. Puis un sourire s’esquissa sur ses lèvres une fois qu’elle eut fini d’exposer les faits.

— L’idée est très intéressante et marchera à coup sûr.

— C’est vrai ? Tu trouves pas que c’est ridicule ?

— Je suis sérieux, si tu nous rejoues le coup des larmes comme tu l’as fait tout à l’heure et que tu arrives à jouer la comédie le temps de la scène alors oui ! je pense que nous avons toutes les chances de la dégoûter de lui. Définitivement et viscéralement même.

— Quand faut-il intervenir selon toi ? À leur départ ? J’ai cru comprendre qu’elle avait un soin jusqu’à seize heures.

Le visage de son supérieur se crispa et il laissa un temps avant de répondre.

— Je pense oui, ça lui laisse tout le loisir de repartir en train dans la foulée si jamais elle souhaite quitter la ville pour espérer ne pas croiser sa route le dernier jour.

— On fait quoi en attendant ? fit-elle en se rendant sur la terrasse pour contempler la mer.

— Il est midi, cela nous laisse éventuellement cinq heures devant nous avant qu’ils ne quittent les lieux. Sachant que je n’ai rien payé concernant l’hôtel et qu’il nous reste donc suffisamment d’argent je te propose qu’on aille au cinéma dans ce laps de temps. Ça va te détendre un peu et s’il fait beau on peut toujours se poster chez un glacier ou une brasserie non loin de l’hôtel, comme ça on se pose et on intervient dans la foulée.

— Tu voudrais rentrer ce soir du coup ? demanda-t-elle d’une petite voix tout en lui adressant un regard larmoyant.

— Rien ne sert de rester ici un jour de plus. Cela a l’air de t’attrister ? Et puis tu n’as pas hâte de retrouver ton homme ? D’ordinaire t’es plutôt pressée pour rentrer à la maison. C’est rare de te voir freiner des quatre fers.

— Non, c’est juste que…

Elle ne termina pas sa phrase et porta à nouveau son regard sur ce paysage paisible et bucolique, plongeant son esprit dans une rêverie mélancolique.

***

— Deux places pour Amélie Poulain s’il vous plaît, annonça Florian une fois que lui et son acolyte eurent enfin choisi leur film parmi les sept disponibles.

Derrière son comptoir, la guichetière opina et leur détailla les formules pop-corn et autres confiseries qu’ils déclinèrent poliment.

— Très bien, cela vous fera soixante-dix francs.

Il tendit un billet, reprit la monnaie et récupéra les tickets qu’elle cacheta.

— Salle trois sur votre gauche, bonne séance.

Suivi par Maud, ils longèrent ce couloir obscur aux murs recouverts de moquette rouge sur lesquels les affiches des films à venir s’exposaient. La jeune femme semblait avoir repris son entrain habituel, sondant cet endroit de ses yeux brillants d’une étincelle enfantine.

— J’ai l’impression que cela fait des lustres que tu n’as pas mis les pieds dans un cinéma, je me trompe ?

— Non, avec François on a plus trop l’habitude de sortir. Les seuls films et séries que l’on regarde sont sur nos chaînes d’abonnements. Ça fait longtemps que je n’ai pas pris le temps de m’installer dans le salon pour en voir un.

Ils passèrent la porte de la petite salle et prirent place sur les fauteuils centraux de la rangée du milieu. Elle s’y avachit avec désinvolture et regarda attentivement autour d’elle pour voir si des gens étaient présents. Le film était sorti depuis avril et, hormis eux, la salle était encore vide.

— Je peux nous prendre en photo avec mon portable ? chuchota-t-elle en enfouissant la main dans sa poche.

— Si tu fais vite, vas-y.

Elle dégaina l’appareil et, alors qu’elle le déverrouillait sous leurs yeux, elle vit le dernier message présent s’afficher en gros. Gênée, elle quitta en hâte la messagerie et cliqua sur l’appareil photo. Elle s’approcha de lui et fit tout son possible pour afficher un sourire franc, troublée à l’idée qu’il avait pu lire le message ou du moins une partie. Puis elle rangea son téléphone et s’installa à son aise. Le noir submergea la pièce et les bandes-annonces prirent place sur l’écran.

La séance achevée, ce film léger et humoristique, empreint d’une ambiance mélodramatique, se grava à nouveau dans leurs mémoires. Plus sereins qu’en arrivant, ils affrontèrent de nouveau le monde extérieur baigné sous le soleil intense du début d’après-midi, plongeant les rues noires de touristes sous une éclatante lumière dorée.

Ils prirent la direction du littoral ; il faisait particulièrement chaud et le vent marin était le bienvenu. Devant la plage, juste en face de l’entrée de la Belle en Mer, un glacier était établi. Un seul regard échangé suffit à mettre d’accord les deux acolytes qui s’installèrent à une table. Sans attendre, Maud commanda une coupe deux boules — noix de coco et pistache, ses préférées — tandis que monsieur s’orienta sur un sorbet.

Quand leur commande fut déposée, Maud regarda Florian de ses grands yeux de biche et s’exclama :

— Oh tu peux attendre juste une minute, s’il te plaît ?

Il haussa un sourcil mais ne rétorqua rien. Sur ce, elle dégaina son appareil jetable et alpaga un serveur :

— S’il vous plaît, vous pouvez nous prendre en photo ? demanda-t-elle si mignonnement que le garçonnet eut un petit rire et lui prit l’objet.

Le visage souriant maladroitement, ils placèrent devant eux leurs glaces colorées joliment décorées de coulis, d’une ombrelle et d’un biscuit. Il leur fit signe de se rapprocher et, alors que les épaules des deux collègues se frôlèrent, leur sourire se mua pour devenir naturel et sincère. Le serveur appuya sur l’objectif à cet instant. L’appareil rendu, elle le remercia vivement et garda l’objet en main.

— J’ai fini la pellicule, annonça-t-elle, manquera plus qu’à la développer en rentrant.

— C’est toujours ta passion à ce que je vois.

— Oui, ça l’a toujours été ! affirma-t-elle tout en plantant sa cuillère dans la coupe. Depuis mes six ans en fait. Mes parents m’avaient offert un appareil et ça a été le coup de foudre. Je l’ai gardé longtemps et aujourd’hui j’ai plein d’albums que je regarde régulièrement.

— Tu photographies de tout ? Ou tu t’axes sur des choses spécifiques. En dehors de ce que tu prends quand tu es au boulot j’entends.

Elle gloussa et passa sa langue sur sa lèvre couverte de crème glacée.

— Qu’est-ce qui te fait rire ?

— Rien, t’es le premier à me poser des questions sur le sujet. D’habitude les gens se fichent pas mal de ce que je prends en photo. Ou alors il faut que ce soit du nu artistique ou des photos bien-être pour les réseaux genre des jolies assiettes minceurs ou des gens qui font du sport.

— Ça ne répond pas à ma question, se moqua-t-il.

Elle finit sa bouchée et contempla la scène animée qui s’étendait devant elle, un ballet d’innombrables inconnus qui se croisent et se décroisent.

— J’aime photographier les choses du quotidien, dit-elle d’une voix rêveuse, des petits plaisirs comme manger une glace, jouer au ballon, se balader. J’aime aussi prendre des paysages, ville ou nature qu’importe, surtout quand il y a un animal présent. Comme ça quand je regarde mes photos plus tard, je m’imagine les mille vies que peuvent vivre ces personnes et je me demande aussi pourquoi ils étaient là, en cet instant, quand j’ai décidé de prendre cette photo.

Les yeux brillants par l’émotion, elle renifla et reprit sa dégustation. Sa réflexion laissa son supérieur songeur qui regarda sa subordonnée d’un œil attendri sans oser la questionner davantage. Ils dégustèrent leur friandise qui fondait à vue d’œil sous ce soleil de plomb et profitèrent de l’animation. Des gens promenaient leurs chiens, flânaient dans les boutiques ou papotaient sur un banc. Un homme jouait de la guitare sur la table d’en face accompagné par des mouettes qui poussaient leurs jacassements incessants tandis que des enfants s’amusaient bruyamment à tourner autour de leurs parents.

Pendant de longues minutes aucun d’eux ne parla, se laissant bercer par ce moment d’insouciance fortement reposant et agréable. Puis, une subtile tape sur l’épaule la fit sursauter. Surprise elle regarda son collègue qui lui indiqua de son doigt le couple qui s’en allait de l’hôtel.

— À toi de jouer, susurra-t-il tout en s’enfonçant dans sa chaise, prêt à admirer le spectacle à venir.

Prenant conscience de sa mission Maud se leva. Gagnée par l’appréhension, elle sentit ses muscles tressaillir mais tenta de réfréner ses tremblements. Elle avança dignement en direction de sa cible, sous l’œil attentif de son supérieur. Éloigné de cinquante mètres de sa personne, il était incapable de comprendre ce qu’elle disait à l’homme mais au vu de son jeu d’acteur aussi drolatique que caricatural il put aisément comprendre qu’elle se faisait passer pour son coup de l’après-midi et qu’elle demandait des explications quant à la fille qui se tenait à son bras. Elle n’hésita pas à pointer Emma d’un doigt accusateur tout en affichant un visage aux traits tirés à l’extrême.

N’importe qui aurait pu deviner qu’il s’agissait d’un canular mais le visage catastrophé de leur patiente suffit à convaincre Florian qu’elle croyait dur comme fer aux explications que débitait Maud depuis plusieurs minutes. La tension s’éleva et les voix commencèrent à devenir discernables ; la dispute éveillait la curiosité des passants annexes qui se retournaient vers eux afin de comprendre les motifs de la discorde. Certains commentaient à voix basse ce spectacle tragi-comique qui les faisait glousser.

D’un geste théâtral Maud repoussa Thomas et tourna les talons. Alors qu’elle revenait vers Florian, le jeune homme reçut une gifle monumentale de la part de sa cavalière. Visiblement ulcérée par son comportement, Emma le laissa en plan et partit d’une démarche furieuse avec ses valises sous le bras dans le coin opposé à celui de Maud.

Sa collègue eut la décence de ne pas s’arrêter devant lui et de poursuivre son chemin pour rejoindre une ruelle plus tranquille. Florian paya, récupéra leurs affaires et se leva pour aller la retrouver à une boutique de souvenirs dans laquelle elle venait de s’engouffrer. À l’intérieur, elle déambulait dans les rangées et observait avec un intérêt feint les cartes postales disposées sur le présentoir dont la plupart illustraient le somptueux Jardin Exotique et Botanique ; un lieu touristique majeur dans la région qu’ils n’auraient pas eu l’honneur de visiter.

— Tu m’as trouvé comment ? demanda-t-elle, les yeux brillants d’un éclat de malice.

— Je t’ai suivie, répondit-il avec cynisme.

Face à sa réplique, elle pouffa.

— Je parle pas de ça idiot !

— C’était bien.

— C’est tout ?

— Je te dirais bien que tu as été parfaite mais si je te complimente trop tu vas prendre la grosse tête.

Elle rit à gorge déployée et récupéra ses affaires.

— On fait quoi maintenant ?

— Il est temps de rentrer à présent.

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