LES MONDES ERRANTS – Chapitre 51

Chapitre 8

Comme chaque fois qu’ils revenaient de leur séjour, l’horloge de la pièce indiquait dix-sept heures lorsque les deux acolytes s’extirpèrent de la machine pour rejoindre la salle. Dans la pièce, la vieille dame venait elle aussi de se réveiller et semblait étonnamment perdue. À ses côtés, en plus du médecin, se tenait une fille d’une trentaine d’années qui ressemblait étrangement à la jeune Emma qu’ils venaient de quitter.

— Tout va bien maman ? demanda celle-ci en pressant chaleureusement sa main dans celle de leur patiente.

Maud sourit à cette vision ; mademoiselle Emma Martin semblait avoir refait sa vie auprès d’un autre et avait su fonder la famille qui lui manquait par le passé.

En quittant leur secteur en compagnie de son supérieur, après avoir revêtu leurs tenues, Maud s’empara de son portable et vit plusieurs messages en attente. François avait cherché à la joindre à plusieurs reprises, lui demandant de passer faire les courses et l’avertissant qu’il invitait du monde chez eux ce soir.

Notant sa mine renfrognée, Florian la dévisagea d’un œil inquiet.

— Tout va bien ? s’enquit-il en ralentissant le pas.

— Euh… oui, bafouilla-t-elle en rangeant l’objet dans sa poche, j’ai juste pas mal de choses à faire, c’est tout.

— Tu veux que je passe pour toi dans une boutique pour développer tes photos ? J’en ai une juste en bas de chez moi. Si je m’y rends directement en rentrant je devrais les avoir avant la fermeture et te les donner demain.

À cette remarque, elle arrêta sa marche. Sous l’effet de la stupeur, elle le regarda avec des yeux écarquillés et la bouche légèrement ouverte ; il était rare que des gens soient aussi bien intentionnés à son égard, plus encore lorsqu’il s’agissait d’un élan si spontané.

— Tu ferais ça ?

Il tendit sa main vers elle et lui présenta sa paume.

— Allez, file-moi ça.

Confuse, elle sentit son cœur s’accélérer et lui tendit l’appareil d’une main tremblante. Puis elle le remercia et poursuivit sa route en direction du métro où ils se séparèrent. Enfin seule, elle patienta à la station noire de monde et se faufila dans le wagon dès que celui-ci foula le quai.

Elle conservait la tête basse, la face affichant une mine maussade où ses yeux voilés trahissaient sa tristesse qu’elle avait tenté de refouler pendant son séjour. Le retour à la réalité était souvent brutal, là, il lui asséna un violent coup au moral. Elle sortit à nouveau son portable et relut un à un ses nombreux messages ; il fallait qu’elle le quitte. Qu’elle le chasse de chez elle. Elle refusait de le voir avant cela mais cet homme était toxique. Ses parents le lui avaient dit, son frère aussi et sa meilleure amie également. Elle s’était d’ailleurs fâchée avec eux en refusant de l’admettre.

À présent qu’elle vivait avec lui, l’ayant pris sous son toit dans cet appartement bien trop petit pour deux, elle se rendait compte qu’il était un parasite qui la menait par le bout du nez dès les premiers instants ; un baratineur, un manipulateur beau parleur qui l’avait mis à l’aise jusqu’à ce qu’elle soit totalement éprise de lui et qu’il s’agrippe à elle telle une tique. Fort heureusement, il n’était pas violent, physiquement tout du moins, car entre ces paroles affables il était capable de lui cracher du venin.

Il pouvait la glorifier et la détruire avec une simple remarque, jouait en permanence le chaud froid sur sa personne ce qui avait le don de la déstabiliser. Mais le pire était qu’au vu de l’enfance difficile que ce jeune homme avait eue, elle était incapable de s’énerver contre lui et mettait un point d’honneur à essayer de le remettre sur pied. Malheureusement, cela faisait deux ans qu’il vampirisait sa vie, suçant son énergie ainsi que sa bonne humeur pour ne laisser qu’à la fin une jeune femme sans repère, renfermée sur elle-même et qui n’osait rien dire à sa famille de peur d’être jugée.

Arrivée dans son quartier, elle passa au supermarché de proximité et tenta d’acheter tout ce qu’il avait marqué pour lui faire plaisir ; mieux valait ne pas tenter d’envenimer leurs rapports pour des broutilles de ce genre. Puis, les bras chargés de victuailles, elle remonta les escaliers et s’engouffra chez elle.

François l’y attendait, avachit sur le canapé en train de regarder une série à la télévision.

— C’est à cette heure-ci que tu rentres ? demanda-t-il d’une voix monocorde, concentré sur son écran. Les potes arrivent d’ici une demi-heure.

— Il y aura qui ?

— Cédric et Adrien, comme d’hab quoi. J’avais aussi invité Margot mais elle n’a pas pu venir.

Elle ne répondit rien et rangea les affaires qu’elles venaient d’acheter. De tous les amis de son compagnon, c’étaient ceux qu’elle appréciait le moins ; elle ne comprenait pas pourquoi ils se comportaient aussi étrangement envers elle depuis son anniversaire il y a près de trois mois. Suite à cet événement, ils ne cessaient de s’échanger des messes basses et de faire des allusions salaces à son sujet. Cela la tracassait car elle ainsi que tous les invités avaient anormalement bu ce soir-là et elle était incapable de se souvenir de toute la fin de soirée. Son état d’ébriété l’avait maintenue au lit toute la journée du lendemain, avec les membres cotonneux en particulier vers la zone de son bas ventre et François, allongé auprès d’elle, avait paru tout autant désarticulé.

Elle s’étira, se fit un thé et s’installa sur le canapé à ses côtés. À peine se posa-t-elle qu’il bougea pour se serrer contre elle, plaçant sa tête non loin de sa poitrine. Il huma son parfum, l’embrassa au cou à maintes reprises et commença à engouffrer ses mains sous sa robe, palpant sa chair moite qui suait sous la chaleur. Émoustillé, ses gestes se firent de plus en plus insistants mais Maud, peu encline à se donner à lui présentement, le repoussa avec tendresse.

— S’il te plaît arrête, je suis pas d’humeur, murmura-t-elle.

— Mademoiselle est encore une fois indisposée, se moqua-t-il en se frottant avec plus d’ardeur.

— Non, fit-elle en le repoussant davantage pour qu’il se décroche, je suis juste fatiguée, la journée a été épuisante.

Il soupira et se retira. Tout en lui adressant un regard noir, il croisa les bras et reprit sa série. Puis, voulant se détendre et se désaltérer, il partit vers le frigo. Il se servit une bière et fouina dans les placards pour voir ce qu’elle avait ramené.

— T’as pas pris de chips ? s’étonna-t-il avec une voix teintée de reproche.

— Tu ne me l’as pas marqué ! se défendit-elle.

— Ouais, enfin c’était parce que ça me semblait évident mais il faut croire que non !

— Tu veux que je retourne en acheter ?

— Non, c’est bon, au moins tu te souviendras d’en prendre la prochaine fois.

La sonnette retentit et les deux invités entrèrent. Après s’être salués, Maud fila en cuisine et prépara les divers récipients avec les choses à picorer tandis que François bavardait avec ses potes. Elle disposa le tout sur la table et leur servit une bière puis elle se posa sur un coin du canapé et les écouta parler d’une demi-oreille, l’esprit encore trop accaparé par sa journée. Les heures défilèrent et quand son portable indiqua vingt-deux heures, elle jugea qu’il était temps pour elle d’aller dormir.

— Tu te couches déjà ? s’étonna François en lui tenant le bras.

— Oui, avoua-t-elle, je suis vraiment fatiguée.

— Eh bien ! railla Cédric. Tu te couches comme les poules, on t’a connue plus en forme.

Adrien pouffa tandis que François lui asséna un coup de coude sur le bras pour lui signifier de se taire. La jeune femme aurait aimé renchérir mais elle ne souhaitait pas s’engager sur une conversation qui risquerait de s’éterniser. Elle préféra mordre sa langue et partir se coucher afin d’espérer être en forme pour la mission du lendemain.

Elle mit un temps incroyablement long à s’endormir, l’esprit tourmenté par mille pensées éparses qu’elle n’arrivait pas à canaliser. De plus, les trois garçons ne semblaient nullement enclins à baisser d’un ton et s’esclaffaient comme des porcs.

Alors qu’il était une heure du matin, elle fut prise d’une envie pressante et traversa le salon pour se rendre aux toilettes. À son retour, elle se stoppa devant les trois garçons et leur demanda de se calmer. Ils étaient visiblement bien éméchés au vu de leurs yeux vitreux et du nombre impressionnant de cadavres de bouteilles présents sur la table. François se moqua d’elle mais Maud, échaudée, partit sur ses grands chevaux et tous deux commencèrent à se houspiller sous le regard des deux autres qui prirent la décision de rentrer.

Se retrouvant seuls, les deux amants se disputèrent tellement que Maud, n’y tenant plus, décida de rompre avec lui et de le chasser de son appartement dès le lendemain. Peu choqué par cette décision à laquelle il s’attendait d’un jour à l’autre, il eut un rire sardonique.

— Alors là ma vieille, c’est mort ! trancha-t-il en la regardant avec malveillance. Je pars pas d’ici, et je te signale que t’as de l’argent à me rembourser !

— Je te le rendrai ton argent, crois-moi ! Mais ne compte pas vivre ici dans mon appartement un jour de plus ! Tu m’entends ! C’est le mien !

— Non, objecta-t-il, rectification, il y a nos deux noms maintenant sur le bail depuis que tu l’as renouvelé ! J’ai donc autant le droit d’être ici que toi et vu qu’il est bien situé tu peux être sûre que je vais pas partir et que si tu veux te barrer et bien vas-y ! mais pour ça va falloir que tu me paies mes trois mille euros ou je garde tout ce qu’il y a dans cet appartement.

— Quoi ? s’offusqua-t-elle d’une voix étranglée. T’as pas le droit de faire ça !

— Oh que si ma vieille ! T’avais qu’à pas filer ma thune à ton imbécile de frère. T’as une reconnaissance de dette envers moi.

— Tu veux l’appartement ? Et bien garde-le sale égoïste ! Je m’en trouverai un autre. Mais tu ne m’empêcheras pas de récupérer mes affaires et la moitié des biens communs c’est moi qui te le dis.

— Oh non que tu ne vas pas les récupérer. Elles sont à moi tant que tu ne m’auras pas remboursé jusqu’au moindre centime.

— Tu peux rêver ! Y’a aucune loi qui l’oblige !

— Aucune loi, peut-être. Mais cette vidéo si…

Tel un revolver, il dégaina son portable et glissa vers l’album. Il sélectionna une vidéo qu’il lui glissa sous le nez et la regarda avec une telle haine mêlée de satisfaction qu’elle crut en défaillir. Fébrilement, elle l’actionna et la regarda sans bouger. À peine lancée, Maud demeura sidérée en comprenant de quoi il s’agissait.

— Co… comment… parvint-elle à articuler.

Il ricana et reprit son engin.

— On a fait sa fête à Mademoiselle pour son anniversaire ! Torchés comme des porcs, tu semblais vouloir profiter de l’occasion d’être la reine de la soirée.

— Comment as-tu osé les laisser faire ça ! laissa-t-elle échapper, les larmes aux yeux et les entrailles broyées.

— Oh arrête ! T’étais tout à fait d’accord je te signale ! En plus t’as pas arrêté de les aguicher de la soirée.

— Mais j’étais ivre ! Idiot ! Ivre ! T’aurais pas dû laisser ! T’aurais dû dire non et m’ordonner d’aller me coucher ! Quel homme oserait laisser sa compagne faire ça ? Et comment as-tu osé le filmer ?

— Quoi ? Tu voulais un cadeau mémorable, tu l’as eu ! T’arrêtais pas de me dire que c’était ton plus grand fantasme. Trois hommes pour mademoiselle. Et en plus tu peux même revoir la scène à ta guise si tu veux !

Elle pleura et, tremblante de tous ses membres, tenta de s’emparer de l’objet.

— Efface-moi ça ! cria-t-elle de rage.

— Je peux si tu veux, mais c’est pas la seule qu’il y a. Adrien et Cédric ont la leur eux aussi pour revisualiser leur exploit.

À ces mots, Maud pâlit et manqua de défaillir tant la nouvelle venait de la transpercer en plein cœur. Elle gisait stupide et regardait devant elle, incapable d’effectuer le moindre mouvement.

— Tu sais quoi Maud, t’es une gentille fille, assura François en la prenant dans ses bras, ce serait dommage que tu ne me voies uniquement que comme un salaud. Ne m’en veux pas, en plus on a été très gentils avec toi on t’a fait tout ce que tu nous as demandé. Si tu vois la vidéo en entier tu verras de quoi je parle. Mais tu sais, les temps sont durs, alors je vais te proposer un marché et tu vas m’écouter gentiment. Je prends l’appartement et tous les meubles qui s’y trouvent, tu peux loger ici le temps que tu me rembourses la somme que tu me dois. Et je te promets qu’une fois que tu m’auras payé j’effacerai ma vidéo et m’engage à ne pas la partager sur les réseaux et encore moins à ton travail. Cela serait irrespectueux. Mais si tu tentes de me duper alors crois-moi que ton directeur sera averti d’un mail avec cette pièce jointe et je doute qu’il soit très heureux de voir son employée filmée de la sorte au risque de tarir l’image de son hôpital. Tout comme celui avec qui tu travailles, ce vieux garçon… Florent… Florian, enfin je sais plus.

Il se détacha, essuya une larme qui perlait sur la joue de la jeune femme et déposa un baiser sur son front.

— Bon sur ce moi je vais dormir. Je vais dans le lit donc si tu veux venir pas de souci sinon tu as toujours le canapé.

Il partit en direction de la chambre et ferma la porte. Se trouvant seule, Maud s’effondra sur le canapé et pleura son désespoir.

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