LES MONDES ERRANTS – Chapitre 53

Chapitre 10

Après avoir réservé leur chambre dans ce gîte pour les six nuits à venir, Florian s’empara des clés que lui donna le réceptionniste. Les deux acolytes se rendirent à l’étage dans une petite chambre sous mansarde marquetée de bois et dans laquelle se tenaient deux lits séparés à la parure typique des refuges alpins. La pièce était propre, sentait le pin et la fenêtre s’ouvrait sur la chaîne de montagnes. Sur le bureau, divers fascicules et documents sur les lieux à visiter ou les randonnées à effectuer étaient posés.

Florian y déposa la fiche de leur mission, son calepin ainsi que son téléphone par satellite, utilisable seulement en cas d’urgence. Puis il fit pivoter la poignée de la fenêtre et aéra l’espace pour y faire entrer un brin de fraîcheur, tandis que Maud s’affala sur le lit après avoir ôté ses chaussures. Elle s’enfouit sous les couvertures et lui tourna sciemment le dos. Sachant pertinemment qu’elle désirait être seule pour se reposer en paix, il se délesta de ses biens, ne conservant sur lui que son porte-monnaie et la carte des lieux.

— Je pars faire un tour, annonça-t-il, tu as besoin de quelque chose ?

— C’est bon, merci, marmonna-t-elle sans prendre la peine de se retourner.

Il ne s’offusqua pas de son impolitesse et reprit le chemin de l’allée pour arpenter le village situé en plein cœur de la vallée, à une altitude avoisinant les mille cinq cents mètres. L’air était agréable sous ce ciel de début mai et le soleil du soir illuminait pleinement le paysage verdoyant. Peu de gens vivaient céans en dehors des périodes estivales ou hivernales. Le village en pierre grise et aux toits faits d’ardoises était resté dans son jus. Les ruelles au sol pavé étaient sinueuses et une rivière traversait son centre.

Il vagua dans les allées, profitant de cet instant de grand calme. Comme sa collègue, il avait besoin de cette pause détente. Passer de la capitale à la mer pour revenir immédiatement à la montagne ; le changement était brutal. Une chance que l’époque dans laquelle ils venaient d’être propulsés n’était pas bien éloignée. Trente-sept ans tout de même, son année de naissance officielle ; même s’il savait qu’il manquait quelques petites années à ce chiffre pour être réellement représentatif.

Personne n’était dupe et ce n’était pas le fait de partir une poignée de jours avant le terme de la mission qui lui accordait un tel vieillissement prématuré. C’était une chance qu’il soit très bon travailleur et qu’il n’ait jamais causé d’esclandre ou d’acte réprimandable. Car qui pouvait-il berner avec ce corps qui commençait à se flétrir alors que la quarantaine ne le guettait pas encore ? Les gens lui donnaient encore courtoisement son âge, mais qu’en serait-il lorsque ses petits jeux incessants ne pourraient plus être dissimulés et que ces visites répétées allaient devenir suspectes aux yeux des employés de la clinique ? Certes, voilà bien des années qu’il avait cessé ce manège. Cependant cette envie irrésistible venait le titiller à nouveau et revenait au galop de manière fulgurante, pulsionnelle, après ce profond sommeil.

Le tour du village effectué, il s’installa sur un banc et examina la carte. Il y avait pas mal de randonnées à proximité. Certainement que Maud serait enthousiaste à l’idée d’en pratiquer une ou deux afin de canaliser son mal-être. La bergerie de monsieur Gérard Petit, le père du patient, se situait à quatre kilomètres de marche à plus haute altitude, au niveau des alpages où les pâturages y sont plus abondants. Et la ville la plus proche était à plus de quinze kilomètres de route.

Dès qu’il fut suffisamment reposé, il décida de rentrer. Sur le chemin du retour, il repéra des commerces éventuels et vit qu’il y avait une pharmacie ainsi qu’une supérette non loin de leur logis.

Arrivé dans la chambre, Maud n’avait pas bougé d’un poil et dormait à poings fermés. Pour être sûr qu’elle n’était pas malade, souhaitant profiter de l’ouverture de la pharmacie si tel était le cas, il alla poser discrètement une main sur son front. À son contact, elle rouvrit brutalement les yeux et sursauta.

— Excuse-moi, murmura-t-il en se retirant en hâte, je voulais juste voir si tu avais de la fièvre.

— Je ne suis pas malade Florian, marmonna-t-elle au creux de l’oreiller, je ne vais juste pas au mieux.

Il hocha la tête, s’installa sur le lit et s’allongea avec nonchalance. Pour l’aguicher, il sortit les clichés et les regarda à nouveau.

— Elles sont très jolies les photos que tu as prises, annonça-t-il calmement en les faisant défiler une à une.

Surprise, elle se retourna et se redressa. Tel un animal craintif, elle s’approcha avec lenteur pour les regarder de plus près. Un faible sourire illumina son visage blême alors qu’elle les observait avec attention et marmonnait. Installé si près d’elle, il ressentait son léger souffle contre sa nuque. Partageur, il lui tendit les images et admirait discrètement ses traits redevenus doux alors qu’elle prenait plaisir à contempler son œuvre.

— C’est vrai qu’elles sont réussies, murmura-t-elle une fois qu’elle eut fini de les faire défiler, je te dois combien ?

— Rien du tout, ça me fait plaisir de te les offrir.

— Je peux pas accepter, c’est pas la première fois que tu refuses que je te rembourse quelque chose et ça me gêne.

— Dans ce cas, offre-moi l’une d’elles et nous serons quittes.

Sa remarque lui fit décrocher un petit rire et elle sélectionna la plus jolie pour la lui donner. Après une longue hésitation entre celle où monsieur tirait la langue et celle chez le glacier, elle opta pour lui donner cette dernière. Et pour augmenter son degré de préciosité, elle inscrivit quelques mots sur le revers : À mon collègue tyrannique adoré. Maud Roux (ton insupportable subordonnée).

— Voilà pour toi, annonça-t-elle avec une certaine réjouissance, comme ça si t’arrives plus à me supporter t’auras quand même un souvenir de moi.

— C’est vrai que je vais t’oublier avec une telle facilité ! se moqua-t-il. Mon esprit tout du moins car mes mollets auront encore la marque de tes coups de pied la nuit et ce jusqu’à ma mort.

À l’entente de cette réplique, elle s’esclaffa, produisant un rire aigu qui résonna dans tout l’espace. Elle mit du temps à se calmer et fila aux toilettes pour se soulager. Il l’entendit pester et maugréer des paroles indistinctes avant de se glisser à nouveau sous les couvertures.

— Mademoiselle sera trop fatiguée pour sortir ce soir je présume ? Je vais passer à la supérette pour acheter des choses à grignoter. Tu veux quelque chose en particulier ?

— Non pas spécialement, hormis du pain et un fromage du coin. Mais je vais venir aussi ne t’inquiète pas.

— Ne te force pas, c’est juste en bas, j’en ai pour cinq minutes.

— Dans ce cas, murmura-t-elle en baissant la tête.

Elle laissa un temps et son visage prit une teinte rosée.

— Est-ce que ça te dérangerait de m’acheter des serviettes ? finit-elle par demander.

— Elles ne sont pas fournies par le gîte ?

— Je parle pas de celles-là, fit-elle en se mordillant les lèvres, les joues rubescentes.

Comprenant sa demande, il se raidit.

— Oh ! laissa-t-il échapper. Euh… oui bien sûr. Il y a une marque spécifique ?

Elle fit non de la tête et il partit faire ses emplettes. À son retour, il avait ramené un sac chargé de victuailles froides à manger sur le pouce. Hélas pas de boulangerie ou de fromage local. Ils durent se contenter d’un camembert de grande marque ainsi que du pain de mie blanc ; idéal pour se marier avec ces carottes râpées en barquette noyées sous une sauce acide et ce céleri rémoulade insipide qu’ils s’apprêtaient à manger avec des fourchettes en plastique qui se tordraient ou perdraient leurs dents au moindre mouvement brusque.

Il sortit également son dernier présent et le lui tendit.

— Je ne sais pas si ça te convient mais j’ai été te les chercher en pharmacie.

— T’es vraiment adorable ! fit-elle en se redressant pour se rendre dans la salle de bain. Merci beaucoup.

Ils prirent place sur les fauteuils du bureau et dînèrent en silence avec la vue sur la chaîne de montagnes couchantes où le ciel aux teintes flamboyantes et parsemé de nuages roses virait à l’outremer. La cime des grands pins tanguait à la bise et les oiseaux entonnaient progressivement leur hymne crépusculaire tandis que les chiens domestiques aboyaient ici et là et que le tintement des cloches accrochées au cou des diverses bêtes de troupeaux annonçait l’heure de la retraite au bercail.

— C’est magnifique, assura Maud en posant ses deux coudes sur le rebord de la fenêtre, c’est dans ces moments-là que je me dis que j’ai vraiment un métier extraordinaire et que j’ai la chance de pouvoir l’exercer. Dire que je pensais que c’était une organisation comme l’ONU, voyage et aide humanitaire avec mission de sauvetage. Je crois que c’était ce qui était écrit dans l’intitulé du poste.

— Oui, répondit-il tout autant contemplatif, mais il n’en reste pas moins un métier éprouvant, surtout mentalement. Peu de gens peuvent se permettre d’y accéder, moins encore parviennent à y rester et rares sont ceux à l’exercer des années.

— Tu connais des gens qui sont là depuis la création ?

— Mon mentor Nicolas y est resté seize ans officiellement. Il était l’un des premiers à avoir travaillé pour les Ailes Irisées. Au début, les gens restaient davantage dans le passé auprès de leurs patients pour assimiler un maximum de connaissances sur le déclenchement de l’Ophélie. En soi, il aura travaillé l’équivalent de trente ans. Enfin, selon ses dires car personne ne pourrait exactement le prouver, mais il vaut mieux ne pas exercer ce métier plus de dix-huit ans. Trois en formation, cinq en tant qu’apprenti et dix en tant qu’encadrant. C’est pour cela que l’on nous met directement dans le bain et qu’on passe tous ces tests psychologiques afin de s’assurer que les membres de la Brigade sont assez solides pour encaisser toutes les informations que l’on engrange et ne pas sombrer dans la folie. Il faut à tout prix éviter de déclencher le syndrome du Sauveur ou bien l’Ophélie.

— Du coup, ça veut dire qu’il te reste six ans ? Une dernière année à m’encadrer et après tu pourras prendre un nouvel apprenti ?

— Oui, ou alors te garder jusqu’à ce que tu sois toi-même apte à diriger à ton tour dans quatre ans. Ce sera à discuter l’année prochaine auprès de nos supérieurs et entre nous pour voir si on est capables de continuer sur notre lancée ou s’il vaut mieux changer.

Elle fit la moue et fronça les sourcils.

— J’aime bien notre binôme, j’ai l’impression d’être avec un grand frère. T’es suffisamment jeune pour que je puisse parler librement avec toi et en même temps tu ne me dévisages pas comme un morceau de viande à consommer comme le font les garçons en général.

Il ricana :

— Mademoiselle connaît-elle la conscience professionnelle ou cette notion lui est totalement inconnue ?

— Oh, tu sais, certains de nos collègues ne s’en gênent pas. Et certains sont bien plus vieux que toi. On est pas nombreuses en tant que filles et je sais que toutes ont eu plus ou moins des remarques par leurs collègues voire même de la part de leur binôme. Alors que moi je n’essuie pas ça avec toi. T’es juste… gentil.

— Je suis bien élevé.

— Ça veut dire que tu me regardes quand même ? annonça-t-elle en plantant ses yeux rieurs dans les siens.

— Je n’ai jamais dit ça !

— Mais tu l’as pensé très fort !

— Même pas en rêve ! railla-t-il.

Elle minauda et tritura une de ses mèches de cheveux, entortillant sa boucle blonde autour de son doigt.

— Quoi ? Je sais que je suis mignonne à croquer ! Je suis sûre que je t’ai fait flancher dès la première fois que tu m’as vue aux entretiens.

— C’est vrai que mademoiselle est ravissante au réveil avec la bave aux lèvres, les croûtes sur les yeux et les cheveux ébouriffés. Tu as raison je suis subjugué par ta beauté et ton haleine matinale a fini d’achever mon envoûtement. On devrait me remercier pour me dévouer à travailler avec un tel spécimen. Je n’avais pas signé pour encaisser pareille torture !

Elle rit à gorge déployée et plaqua une main devant la bouche pour étouffer le bruit. Quand elle fut calmée, elle s’essuya les yeux et parla plus sérieusement.

— T’es un idiot ! D’ailleurs, comment en es-tu venu à faire ce métier ?

Face à cette question qu’elle avait déjà tant de fois posée sans avoir eu la chance d’obtenir de réponse concrète, Florian lui adressa un sourire et l’observa avec intensité. La demoiselle soutenait son regard, plongeant ses immenses yeux de chien battus bordés de cils dorés dans ses pupilles claires. Après un temps à la dévisager, désarmé par sa mine innocente, il esquissa un sourire du coin des lèvres et se résigna à lui parler.

— T’es vraiment une petite curieuse ! s’exclama-t-il avec amusement.

Il s’enfonça sur le dossier de sa chaise et croisa les bras. Comprenant qu’il s’apprêtait à lui répondre, Maud le gratifia de son plus beau sourire à son tour, allant jusqu’à dévoiler l’intégralité de ses dents.

— Je t’avertis de suite fouineuse, mon histoire est loin d’être des plus joyeuse alors je te prierai de ne pas me harceler de questions suite à cela ni de te miner pour des événements qui sont à présent datés. Suis-je clair ?

Interloquée par cette injonction prononcée avec tant de sérieux, la jeune femme hocha la tête.

— Bon, fit-il après s’être éclairci la voix, comme tu le sais je suis entré ici en 2031 soit huit ans avant que tu n’arrives. J’avais donc vingt-cinq ans et je venais de terminer mes études. Jusque là, rien d’anormal. Comme tu t’en es rendu compte, je viens d’une famille aisée et mes parents m’ont eu sur le tard. Ma mère travaillait à la maison dans son cabinet d’architecture et mon père était dans la finance, éternellement en voyage pour affaires. Je suis fils unique et je n’ai pas spécialement grandi dans une famille que l’on pourrait qualifier d’aimante vu que mon père était souvent absent si ce n’est jamais présent. En revanche, ma mère était là et me couvait plus que nécessaire, trop même, car en l’absence de son mari, elle portait toute son affection sur moi et cela m’étouffait.

Maud eut un rire interne en imaginant son supérieur encore enfant, étranglé dans les bras de sa mère. Cependant, elle fut gagnée par un étrange sentiment d’amertume à l’entente de tels propos.

— Pour supporter l’absence et les agissements de son mari, ma mère prenait régulièrement des médicaments de type antidépresseur. Apparemment, mon père faisait comme les marins ; une femme dans chaque port si ce n’est plusieurs. Dans tout ce lot, ma mère était l’officielle mais bien qu’elle n’aimait pas l’attitude « déplacée » de son mari comme elle me le répétait en boucle, elle ne voulait pas se séparer de lui car le train de vie qu’il nous offrait nous permettait de vivre dans l’opulence et de ne jamais manquer de rien.

Les larmes vinrent aux yeux de la jeune femme qui toussota pour masquer son émoi. La gorge serrée, elle n’osait s’imaginer ce que cela procurait d’avoir grandi dans une famille brisée.

— J’ai donc grandi tranquillement en assimilant ces principes de vie que je n’aimais pas et que je refoulais en moi pour ne pas exploser. Je voulais rester un petit garçon modèle qui veut tout faire pour plaire à sa maman. J’étais son trésor et son unique attention dans la vie. Sauf qu’à partir de quatorze ans j’ai fréquenté un groupe qui n’était pas des plus équilibré et, les hormones aidant, je me suis rebellé contre les injustices de ma vie. Je sortais souvent, je courais les filles, je fumais, je buvais et je faisais des conneries. Je ne rentrais que très peu et je dormais chez des potes ou des conquêtes d’un soir. L’avantage était que je restais bon élève et que je parvenais à poursuivre ma scolarité sans trop de peine.

Maud laissa échapper un petit cri de stupeur. Confuse, elle s’excusa et l’engagea à continuer.

— Je te brise un mythe, la nargua-t-il, et oui, ton cher petit patron n’est pas que l’homme modèle et équilibré que tu croyais.

— C’est surtout que je n’imaginais pas que tu puisses avoir vécu ce genre de choses. T’es tellement strict et prude maintenant…

Le visage empourpré, elle n’osa pas poursuivre et pinça ses lèvres pour écouter la suite de son récit. Il ricana ; malgré l’inconfort de ressasser de tels souvenirs, il se délectait de la voir suspendue à ses lèvres comme s’il lui annonçait un événement majeur.

— Arrivé à l’âge de dix-sept ans j’ai arrêté mes conneries et j’ai fui le cocon familial basé à Paris pour me rendre à Bordeaux où j’ai fait des études pour être médecin. Le problème est que mon père venait d’être diagnostiqué comme porteur de l’Ophélie et que ma mère souhaitait dans la mesure du possible que je revienne faire mes études à Paris pour la soutenir et aider mon père. J’étais jeune, libre, j’avais besoin d’air et je ne voulais pas retourner à la maison pour m’occuper, nourrir et faire la toilette d’un homme qui ne s’était jamais occupé de moi tout en devant prendre en charge ma mère que la dépression de voir son mari dépérir hantait plus que de raison. J’ai donc refusé et suis donc resté sagement à Bordeaux pour continuer mon affaire sans nullement me soucier d’eux.

Il fit une pause et se servit un verre d’eau qu’il but d’une traite. Puis il le reposa et jeta une œillade à son interlocutrice qui paraissait toujours avide de ces paroles.

— Comme tu le sais, un drame survient toujours dans ce genre de moment, poursuivit-il une fois qu’il fut de nouveau installé, mon père est mort alors que j’étais en cours. Mes partiels allaient avoir lieu et je n’allais pas remonter à la capitale pour voir le cadavre d’un inconnu alors que ma carrière était en jeu. Je suis donc resté, j’ai validé mon semestre et je suis remonté pendant les vacances. J’ai donc revu ma mère qui semblait avoir vieilli de dix ans à cause de ses cachets qu’elle ne cessait de prendre. Quant à mon père, je suis allé voir sa tombe au cimetière. En voyant l’épitaphe, j’ai même appris qu’il avait un deuxième prénom que je porte également, Raphaël.

— Je suis sincèrement désolée, murmura Maud en baissant la tête.

— Il ne faut pas, la rassura-t-il d’une voix ferme, tout ceci est du passé. Quoiqu’il en soit, il y avait un élément que je n’avais pas prévu dans cette histoire et l’indifférence que j’éprouvais à l’égard de mon géniteur se transforma rapidement en une immense culpabilité.

— Pourquoi cela ? s’enquit-elle d’une petite voix après ce silence trop long.

— Vois-tu, j’ai appris que mon père, malgré son absence, m’aimait et projetait à ma majorité que nous fassions le tour du monde rien que tous les deux. Et il avait mis une somme astronomique de côté spécialement pour l’occasion. On avait jamais réussi à parler tous les deux et cela aurait été une opportunité de le faire dans un coin plus agréable que sur le canapé du salon. J’ai même appris qu’il envoyait régulièrement des cartes et des lettres à ma mère où il demandait de mes nouvelles. Et que, chaque fois qu’il rentrait à la maison, il regardait les photos et vidéos que ma mère avait prises de nous avec un petit descriptif à côté pour apporter des précisions quant à nos aventures banales d’une mère et de son fils.

Il soupira et hocha mollement la tête, faisant défiler dans son esprit ces souvenirs doux-amers. Les yeux perdus dans le vide, il ajouta d’une voix morne :

— C’est là que j’ai décidé de plaquer mes études pour entrer dans la brigade. Je savais que le docteur Lazare recrutait du personnel pour sa section de recherche. Il y a douze ans, le traitement mis en place était encore expérimental et peu de patients étaient traités, mais les cas étaient minutieusement étudiés. De ce fait, les examens d’entrée étaient moins contraignants qu’aujourd’hui car à l’époque seuls comptaient les patients et non le moral des intervenants. Le métier a considérablement changé et s’est structuré avec des lois de plus en plus liberticides pour les « voyageurs temporels » dirons-nous. Ce que je fais actuellement au sein de la brigade ne changera jamais le cours de mon histoire, mais au moins je suis satisfait de pouvoir me racheter et rendre hommage à mon père de cette manière-là.

Un long silence s’installa et la pièce se nimba progressivement sous des lueurs de bleu tandis que les grillons commençaient à faire crisser leurs ailes. La voûte nocturne se voilait d’épais nuages sombres qui masquaient en partie ces étoiles émergentes, facilement visibles dans ce village isolé dans les montagnes. Seuls quelques réverbères éclairaient les ruelles encore empruntées par des riverains.

Pour ne pas mettre son collègue mal à l’aise, Maud avait détourné le regard de sa personne pour s’accouder à nouveau contre la fenêtre et respirer à grandes bouffées l’air extérieur. Ce vent frais apportait des senteurs de pin et les essences de bois calciné. Elle resta un instant ainsi, les yeux clos, tentant de masquer son émoi devant ces révélations qui lui broyaient le cœur d’un étau invisible. Elle ne se serait jamais doutée d’une telle chose le concernant. Certes, Florian n’avait jamais été des plus joyeux, mais de là à avoir vécu pareille histoire, si tragique… elle n’osait y songer. À l’inverse, elle avait vécu modestement mais d’une famille ô combien aimante et soudée malgré l’adversité.

— Je suis désolée, avoua-t-elle faiblement après un temps.

Florian se leva et posa une main sur son épaule.

— Ne te mine pas plus que de raison. Comme je te l’ai dit, c’est du passé. Cela fait des années que je suis passé à autre chose.

Sur ce, il prit ses affaires et s’en alla en direction de la salle de bain.

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