Chapitre 11
— C’est dans la boîte ! s’exclama Maud.
Heureuse de sa capture, elle se trémoussa et scruta son écran avec intensité, les yeux brillants. La marmotte apeurée par cette agitation soudaine s’enfuit en galopant dans cette vaste plaine à la recherche d’une cachette. Son petit corps agile serpentait entre les brins d’herbe haute et les fleurs sauvages.
Après avoir gravi un pan de montagne et longé le cours d’une rivière, les deux acolytes se retrouvèrent sur un plateau où les pâturages foisonnaient de végétation. La faune était au rendez-vous. Des troupeaux de brebis paissaient sereinement en compagnie d’armées de pinsons, de mésanges et de merles. Hormis le bruissement des feuilles tanguant au gré du vent, seules résonnaient les cloches des bêtes ainsi que les chants d’oiseaux conjugués aux sifflements des marmottes alertées.
La nature était en éveil, bercée sous ce chatoyant soleil de fin de matinée. Tandis que Maud admirait son chef-d’œuvre, gloussant devant l’air tétanisé du pauvre rongeur qu’elle venait de photographier, Florian sortit une bouteille d’eau et but à grandes lampées avant de la lui tendre. La jeune femme l’imita et tous deux poursuivirent leur route.
— J’espère qu’il y aura d’autres animaux visibles dans le coin. Oh ! J’aimerais tellement voir des chamois ou alors des bouquetins !
— Ta bonne humeur m’enchante, ricana Florian, aller, avance un peu si tu veux qu’on arrive au refuge pour le déjeuner car à ton rythme on y sera pour dix-neuf heures si ça continue.
Elle s’apprêtait à lui rétorquer une remarque moqueuse mais un gros chien noir et blanc avançait vers eux à vive allure, le corps enveloppé par une substance marron semblable à de la boue. L’air menaçant, l’animal leur aboyait dessus avec panache. Il montrait les crocs et grognait tout en plaquant ses oreilles vers l’arrière. Surprise, Maud se plaça derrière son supérieur et, par réflexe, s’agrippa à ses manches, se serrant fortement contre lui.
— Maco ! Ici Maco ! hurlait un jeune garçon qui courait à toutes jambes en leur direction.
Arrivé non loin d’eux, il rajouta :
— Vous inquiétez pas, il est pas méchant. Il a juste peur des étrangers. Maco ! Arrête de hurler ! Maco, tais-toi !
Haletant, il se rua sur l’animal et le tint fermement par le collier, puis il lui adressa un regard noir et le somma de se taire. Le chien finit par obéir et se coucha aux pieds de son maître en couinant.
— C’est bien mon chien, tout doux ! fit le garçon en lui tapotant le crâne.
Le cœur tambourinant ardemment contre sa poitrine et les muscles tremblants, Maud finit par lâcher Florian et se plaça à côté de lui. Honteuse de s’être laissée surprendre, son visage devint rouge et elle tenta de se calmer. Le garçon se confondit en excuses et leur demanda si tout allait bien. Il leur avoua que son garnement n’était pas bien méchant malgré le fait que ce soit un gros chien.
— Mais il ne ferait pas de mal à une mouche ! assura-t-il. Bon, c’est vrai qu’il a déjà mordu des gens, mais il est pas méchant je vous jure. Il a juste peur.
— Ce… ce n’est rien, parvint à articuler Maud, guère rassurée par ses justifications.
Sachant qu’il s’agissait de leur cible, ils se mirent à l’étudier. Lucas était un garçon fluet d’environ huit ans, au teint hâlé et aux cheveux châtains ébouriffés. Il était vêtu d’un short bien trop grand pour lui et déchiré par endroits ainsi que d’une chemise à carreaux boutonnée de travers. Ses genoux étaient couverts d’écorchures et ses grosses bottes en caoutchouc maculées de boue fraîche. Le husky, quant à lui, était un adulte au pelage noir marbré de blanc et aux yeux bleu clair caractéristiques de sa race. Malgré son physique robuste, de multiples balafres striaient sa peau dont certaines paraissaient anciennes, et un bout d’oreille lui manquait.
— Dis-moi, jeune homme, sais-tu où se trouve le refuge ? demanda Florian.
Le garçon cessa de caresser son chien et se redressa. De son doigt, il indiqua les deux bâtiments présents au loin.
— La bergerie ? Oui, c’est celle de mon père, elle est à peine à cinq cents mètres. C’est la vieille maison en pierre et la grosse grange en bois que vous voyez là-bas.
Après les avoir salués, le garçon poursuivit sa route en compagnie de son chien tandis que les deux acolytes reprirent leur marche. Dès que le garçon fut suffisamment éloigné, Maud soupira et s’assit quelques instants sur un rocher, plaquant une main contre sa poitrine pour reprendre le contrôle de sa respiration. La voyant toute en émoi, son supérieur sortit la bouteille d’eau pour la lui donner.
— T’as l’air bien chamboulée, nota-t-il en apercevant ses mains trembler.
— Un peu, parvint-elle à articuler, j’ai peur des gros chiens. C’est stupide car je les adore mais j’ai toujours peur de me faire mordre. Surtout qu’apparemment il a l’air d’avoir déjà niaqué des gens.
— Tout à fait, je ne sais pas d’où il vient pour être aussi amoché mais je ne serais pas étonné qu’il provienne de la SPA ou qu’il ait été trouvé sur le rebord d’une route.
— Ça ne pourrait pas être ses maîtres qui le battent ?
— Non, il obéit au garçon sans le craindre et ses cicatrices semblent anciennes. Il a l’air de sortir sans laisse et peut s’éloigner de son maître. C’est intéressant de le savoir car il peut facilement se rendre où bon lui semble. En tout cas, lui et son jeune maître se baladent souvent et à mon avis dans des coins hasardeux au vu de son accoutrement et du nombre d’entailles et de bleus que Lucas a aux jambes et aux coudes.
— Tu penses donc que le chien aurait pu sortir de chez ses maîtres le soir de sa disparition car il aurait été alerté par un bruit et serait mort en escaladant un coin dangereux par exemple ?
— Pour la première partie c’est fort possible. En revanche, je doute fort qu’il soit mort d’une chute. Son cadavre aurait été retrouvé et je pense que l’animal est assez habile et habitué des lieux pour savoir les dangers qui s’y trouvent.
Elle hocha la tête et lui rendit la bouteille. Puis elle se leva et marcha à ses côtés. Ils cheminaient en silence sur ce large sentier caillouteux. Le refuge devenait de plus en plus net. Son architecture en pierre se mariait à merveille dans ce paysage verdoyant, faisant écho à la paroi rocheuse de la montagne annexe.
Maud s’arrêta et dégaina son appareil photo pour le capturer en entier. Devant les volets jaunes, un groupe de randonneurs s’apprêtait à quitter les lieux, portant sur leur dos un gros sac qui devait peser dans les quinze kilogrammes. Des poules picoraient autour d’eux et un âne se reposait derrière la barrière de son enclos conférant à cet endroit un aspect bucolique en dehors du temps.
— Le tour des Écrins est un sentier de randonnée réputé, l’informa Florian, c’est une boucle qui part généralement de Bourg-d’Oisans. Il faut environ sept ou huit jours pour le faire et tu peux gravir des cols dépassant parfois les deux mille sept cents mètres d’altitude.
— Je pourrai jamais faire ça ! s’étonna-t-elle en scrutant ces pèlerins chargés. Sept jours à marcher continuellement et dans des sentiers sinueux. Ce n’est pas pour moi !
— T’en serais pourtant capable, objecta Florian, il te faut juste le matériel adéquat, de la bonne volonté et si sept jours c’est trop court pour toi, tu peux toujours rallonger pour le faire de manière moins soutenue. Il y a des refuges assez régulièrement sur celui-ci.
— Tu en as déjà fait ?
— Deux ou trois fois, oui.
— Tout seul ?
— Oui, avoua-t-il, c’est plus compliqué car tu ne peux compter que sur toi-même mais c’est plaisant de pouvoir avancer à son rythme.
— Au moins, c’est vrai que tu n’as pas à supporter le mauvais caractère des autres, soupira-t-elle en affichant une mine maussade.
Conscient qu’elle commençait à nouveau à se renfrogner, Florian expliqua brièvement ses voyages afin de lui changer les idées. Ils passèrent la porte d’entrée et arrivèrent dans une grande salle où de multiples tables et bancs en bois s’étendaient en rangées ordonnées. Des trophées de chasse, des animaux empaillés et un fusil décoraient les murs aux côtés de photos de paysages.
— Que puis-je pour vous jeunes gens ? demanda une femme d’un certain âge.
Ils s’avancèrent jusqu’au comptoir et examinèrent l’ardoise présente à côté des étagères, proposant un plat unique du jour ainsi que des sandwichs et autres snackings. Ils commandèrent un plateau de fromages locaux à partager pour le déguster accompagné d’une bière et d’une grosse miche de pain de campagne.
Ils s’installèrent en extérieur et trinquèrent. Tout en mangeant, ils profitaient de l’ambiance chaleureuse de ce lieu isolé, entourés par les poules et les rares marmottes qui osaient s’approcher. D’autres chiens rôdaient autour d’eux, une demi-douzaine au total dont la moitié était des chiens de berger de type border collie. Les canidés paraissaient bien nourris et heureux de leur condition.
Le trio de fromages était excellent et le déguster ainsi devant un tel paysage idyllique le rendait davantage savoureux. Quand ils eurent terminé, la tenancière les avertit qu’elle se rendait à la bergerie pour nourrir les bêtes engrossées et autres femelles ayant mis bas depuis peu. La dame leur proposa de venir se joindre à elle pour leur faire découvrir son métier.
Maud regarda Florian avec un regard suppliant qui signifiait à lui seul plus que n’importe quel mot.
— Oui, on y va ! répondit-il en suivant la bergère.
Ils suivirent leur hôtesse et entrèrent dans ce vaste bâtiment à forte senteur de bestiaux et de paille. Charmante, la dame leur expliqua son travail et leur montra les différentes brebis qui se tenaient dans leurs enclos séparés. Toutes étaient tondues et paraissaient étrangement sereines. Certaines avaient leur ventre gros comme des pastèques alors que d’autres, plus fluettes, patientaient debout, leur petit tétant à leurs pis à la recherche d’une giclée de lait maternel.
Dans un enclos, deux agneaux se trouvaient seuls, lovés l’un contre l’autre à la recherche de chaleur. La bergère leur expliqua que la mère était morte après avoir mis bas il y a trois jours de cela, laissant ses deux petits livrés à eux-mêmes. Elle sortit de sa sacoche deux biberons de lait tiède et en glissa un sous le nez de la jeune femme.
— Vous voulez lui donner à manger ? s’enquit-elle en la gratifiant d’un sourire. Ce n’est pas très compliqué.
— Avec plaisir ! fit-elle en s’emparant de l’objet.
Sous les indications de la femme, Maud attrapa délicatement l’agneau et le blottit contre elle, le plaçant sur ses cuisses. Puis elle glissa la tétine sous son nez. Le petit affamé tétait goulûment le repas, le corps frétillant d’impatience.
— Il est tout doux et tout chaud ! annonça-t-elle en accordant un regard rayonnant à Florian. Tu veux le nourrir toi aussi ?
— C’est bon pour moi, je te regarde faire. En revanche je peux te prendre en photo, si mademoiselle le désire.
— Oh oui ! S’il te plaît ! Mon portable est dans ma sacoche.
Il ouvrit le sac et en sortit l’engin. Il tapa le code à six chiffres qu’elle lui indiqua et tomba sur son fond d’écran qui n’était autre qu’une photo d’elle et de ses neveux. Cela appuya ses théories au sujet du mal-être de sa subordonnée. Il cliqua sur l’icône de l’appareil photo, capturant cette fille joviale, conquise par cet instant.
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