LES MONDES ERRANTS – Chapitre 55

Chapitre 12

Harassée par sa journée de randonnée, Maud fila sous la douche pour se débarrasser de la sueur et de la terre qui tachait ses vêtements. Le contact de l’eau chaude contre sa peau lui fit le plus grand bien et elle s’attarda plus que de raison dans la cabine. Elle passa le savon le long de sa peau duveteuse, frottant avec acharnement ses muscles courbaturés pour les désengourdir. Puis elle se munit de sa serviette, enfila son pyjama et s’extirpa des vapeurs brumeuses de la salle de bain. Florian prit sa suite.

Quand il eut fini, il ouvrit la fenêtre en grand pour chasser la buée et retourna dans la chambre. Il trouva son acolyte assise sur le lit en train de panser ses pieds où des ampoules étaient présentes. Elle affichait une mine morose avec ses yeux rougis et un rictus affiché sur le coin des lèvres.

— Tu viens d’assécher une ville avec ta consommation, se moqua-t-il, en plus l’eau était brûlante.

— Oui, j’y suis peut-être allée un peu fort cette fois-ci, annonça-t-elle plongée dans ses réflexions, mais ça m’a fait du bien. Pour une fois que je n’ai pas à regarder le compteur. Je préfère juste en profiter avant…

Elle laissa sa phrase en suspens et continua de s’occuper à soigner ses ampoules. Ses gestes devinrent rigides et son visage se rembrunit.

— Tu veux en parler ? Ou tu préfères que je te laisse tranquille ?

Elle passa la langue sur ses lèvres, manquant de fondre en larmes.

— Je ne veux pas t’embêter avec mes histoires.

Souhaitant la mettre en confiance, il s’installa sur le lit juste à côté d’elle. Les mains posées sur la literie, il la regarda avec bienveillance et lui dit posément :

— Tu sais que si tu ne vas pas mieux à la fin de cette semaine, je ne vais pas pouvoir négocier auprès du médecin ton prochain départ et tu seras mis à pied jusqu’à ce que tu sois à nouveau maître de toi-même.

Les larmes aux yeux, elle renifla et fut traversée par un sanglot. Elle arrêta sa tâche et replia ses genoux contre elle, chose qu’elle faisait régulièrement pour se rassurer. Puis, n’y tenant plus, terrorisée à l’idée de se qu’elle allait devenir, elle craqua et lui dévoila tout ce qu’elle avait à l’esprit. La voix enrouée par ses hoquets à répétition, elle mentionna également son chantage, sans entrer dans les détails que contenait ladite vidéo. Jamais Florian ne l’avait vue si chamboulée. Il l’avait pourtant déjà connue essuyer deux ruptures mais celle-ci, au vu des circonstances, se révélait bien plus douloureuse que les autres sur le moral de son acolyte.

— Donc, si je comprends bien, tu lui dois trois mille euros quoiqu’il arrive et en plus tu lui laisses l’appartement ainsi que tous les biens qui s’y trouvent, c’est ça ?

Elle ne dit rien et se contenta de hocher la tête.

— Et il te laisse vivre sous son toit le temps que tu lui rembourses la somme ? demanda-t-il d’une voix étranglée, choqué par cette proposition qu’il jugeait fourbe et terriblement indécente.

— Oui… marmonna-t-elle.

— Maud, tu ne peux pas accepter ça ! C’est cruel !

— Je n’ai pas le choix, pleura-t-elle, j’ai pas d’argent de côté. Je peux pas en même temps louer un bien, le rembourser et acheter des meubles pour me loger. Je n’en ai pas les moyens ! Et vivre auprès de lui me terrifie car je ne veux plus le croiser. Il m’a fait trop de mal pour que je me résolve à le supporter quotidiennement tout en sachant que c’est devenu chez lui. Et je sais qu’il ne se gênera pas pour inviter des gens et ses conquêtes à la maison alors que je serai là.

— Maud, tu ne dois pas accepter son chantage !

— Et tu veux que je fasse quoi ? s’énerva-t-elle. J’ai rien Florian, rien ! C’est si difficile à comprendre pour toi ? Ma famille est loin. Personne n’a d’argent à me donner et je peux pas contracter un prêt tellement les intérêts pour les microcrédits sont démesurément élevés et que j’ai pas de garant. En plus je serai obligée de contracter pas loin de cinq mille euros pour m’acheter des meubles et avoir l’apport nécessaire pour me louer un appartement de la taille d’une cage à lapin !

Il eut un rictus et déglutit péniblement :

— Et si je te donnais cet argent pour que tu…

— C’est hors de question ! cria-t-elle en le dardant d’un œil mauvais. Tu m’entends ! Jamais je n’accepterai que tu me donnes le moindre centime ! C’est pas ton rôle !

Voyant qu’elle s’emportait injustement contre lui, elle toussa et poursuivit d’une voix plus calme.

— Je sais que t’as de l’argent et que tu souhaites m’aider, mais je peux pas accepter ! Je dois me débrouiller par moi-même et le simple fait que tu me le proposes si gentiment me rend redevable envers toi. Pour toi c’est une petite somme, un mois de salaire peut-être avec ton statut d’encadrant et ton ancienneté. Tu t’en ficherais même si je te rembourse pas je suis sûre, mais…

Elle baissa les yeux et soupira.

— Mais pour moi ça veut dire que je te suis redevable, et ce, même si je te rembourse la somme. Et c’est pas ton rôle. Tu me gâtes déjà trop par rapport à ce qui devrait en être. Et je ne veux pas accepter ça au risque de briser notre binôme. Que tu me vois comme quelqu’un de faible car je peine à garder la tête hors de l’eau. T’es un gars gentil Florian et je veux pas abuser de ta gentillesse ou de ta générosité.

— Je comprends, parvint-il à articuler, les entrailles broyées à l’entente de tels propos. Dans ce cas que comptes-tu faire ?

— Rester à l’appartement le temps que je le rembourse, réfléchit-elle après un haussement d’épaules, avec un peu de chance et si tout se passe bien, je pourrai le rembourser dans six mois. Car je sais qu’il continuera à me faire payer une partie du loyer, la moitié des charges et la nourriture jusqu’à ce que je quitte cet endroit.

— Tu vas y arriver ? s’enquit-il en levant un sourcil, sceptique.

Elle fit non de la tête.

— Non, avoua-t-elle, pas au vu de comment il me traite et de comment il risque de me traiter. Je me rendais bien compte ces derniers temps qu’il se payait ma tête et testait mes limites pour savoir jusqu’où je pouvais me plier sans broncher. Là, il ne se gênera pas pour me tester devant nos potes. Ou alors il va tout faire pour me convaincre de rester auprès de lui, me rabaisser pour me faire comprendre que je suis dépendante de lui. Que sans lui je suis nulle, vulnérable ; une idiote pas fichue d’acheter un paquet de chips pour l’apéritif.

Florian expira longuement et regarda devant lui, les yeux voilés par une fine pellicule, presque invisible.

— Il te ferait du mal ? se risqua-t-il à demander.

— Non, pas physiquement en tout cas. Je sais qu’il a des bons côtés malgré tout. Mais j’ai peur qu’il m’ébranle plus que jamais. C’est quelqu’un de très émotif et il pourrait très bien me menacer de se tailler les veines. Ou au contraire me faire passer pour la pire des chiennes à le quitter comme ça. Ou encore de m’obliger à fuir au plus vite. Ou alors il va être doux comme un agneau et tenter de me garder auprès de lui car même si on était différents sur de nombreux points, on partageait pas mal de choses… du moins au début.

— Ça fait beaucoup de suppositions et de réactions totalement opposées.

Elle ne dit rien. Elle reprit son affaire pour éviter de s’attarder sur le sujet et raviver en sa mémoire un flot de souvenirs dont elle ne pouvait analyser pleinement les émotions au vu de son instabilité. Un silence s’installa où elle tentait de maîtriser ses sanglots qui s’estompaient au fil des minutes écoulées. Dès qu’elle fut à peu près calmée, Florian proposa à voix basse :

— Tu ne veux pas que je te donne de l’argent, mais accepterais-tu que je t’héberge ?

Elle s’apprêtait à rétorquer mais il leva la main pour l’interrompre.

— J’habite un appartement trois-pièces. J’ai un bureau qui me sert de chambre d’ami à l’occasion. Je sais que tu ne veux pas que je t’offre l’hospitalité. Dans ce cas, permets-moi de te demander si tu accepterais de venir t’installer chez moi, dans cette salle. Je te ferai payer la location de la chambre, une partie des charges et bien sûr tes dépenses quotidiennes. Tu ne me seras redevable de rien.

Elle laissa un temps de réflexion qui sonnait comme un supplice dans l’esprit de son interlocuteur.

— Je ne peux pas accepter… murmura-t-elle faiblement, je suis désolée mais je ne peux vraiment pas.

Elle redressa la tête et planta ses grands yeux rougis dans les siens.

— Je ne peux pas me résoudre à dépendre de quelqu’un, d’un homme de surcroît. J’aurais peur que tu exiges des choses que je ne voudrais pas t’offrir et…

Comprenant ce qu’elle voulait signifier, son visage s’empourpra, courroucé à l’idée qu’elle puisse penser ce genre de choses à son égard. N’ayant pas les mots pour répliquer tant sa réflexion l’avait stupéfié, il se redressa.

— Je comprends, répondit-il sèchement, dans ce cas n’en parlons plus. Mais sache que si tu changes d’avis, je serai enclin à t’accepter chez moi le temps que tu te ressaisisses. Et contrairement à ce que tu penses, je n’exigerai rien de toi. Je trouve ça même fortement déplacé que tu y songes un instant même ! Tu as beau fréquenter des gars douteux, mais ne nous mets pas tous dans le même panier s’il te plaît !

— Je ne voulais pas te vexer, c’est juste que…

— Pas la peine, maugréa-t-il, n’en parlons plus.

Il mit ses chaussures et s’empara de son manteau.

— Je pars faire les courses, tu as besoin de quelque chose ? demanda-t-il avec sévérité.

— Non merci, je n’ai pas faim, marmonna-t-elle.

En silence, il sortit de la chambre et descendit les escaliers. Une fois en bas, il emprunta le chemin pavé en direction de la rivière. Dans un petit parc, proche de la berge, il prit place sur un banc niché à l’ombre d’un vieux saule et regarda d’un œil morne l’eau défiler à grande vitesse sous ses yeux. Seul, il laissa libre cours à ses émotions, submergé par la colère ainsi que par la tristesse et la culpabilité. D’une main fébrile, il essuya discrètement une larme ; cela devait bien faire quatre ans qu’il n’en avait plus versé une.

Les tripes broyées, il fit gigoter ses jambes avec nervosité ; il ne pouvait lui avouer ce qu’il ressentait, lui dire à quel point il voulait être là et l’épauler. Elle ne le comprendrait pas, comment le pourrait-elle alors qu’elle ne voyait encore en lui qu’un mentor bienveillant, un « grand frère » comme elle lui avait déclaré l’avant veille.

Il sortit de sa poche une photo qu’il examina avec attention. Il eut le cœur lourd en observant dans les moindres détails les traits de la jeune femme, le regard si pétillant de joie, toujours éclatant malgré la couleur ternie et les diverses pliures. Et ce « À mon collègue tyrannique adoré. Maud Roux (ton insupportable subordonnée) » cette inscription devenue presque illisible tant l’encre avait bavé. Il caressa l’image avec tendresse, espérant un jour prochain la délivrance tant attendue, mais qui tardait malheureusement à venir.

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