LES MONDES ERRANTS – Chapitre 57

Chapitre 14

Le retour à la réalité fut brutal pour les deux acolytes. De une heure et demie du matin, tremblants de froid sous une température avoisinant les cinq degrés, ils furent propulsés en plein après-midi, sous une pièce baignée par la lumière et dont le thermomètre affichait pas loin de trente-cinq degrés.

Sonnée, Maud resta un instant allongée sur l’un des canapés, tentant de récupérer ses esprits après cette douche qu’elle venait de prendre pour ôter la boue et réchauffer son corps perclus de plaques rouges qui la grattaient. Florian la rejoignit, tenant dans ses mains une tasse de café pour tenter de rester éveillé malgré le décalage horaire et la chaleur qui venaient de l’abêtir sauvagement.

— Ça va aller pour rentrer ? demanda-t-il à l’attention de son acolyte. Tu n’as pas l’air bien.

— Pas vraiment, maugréa-t-elle après une toux rauque.

— Tu veux que je te raccompagne jusque chez toi ?

Les yeux clos, elle opina du chef. Une fois son café avalé, Florian aida sa subordonnée à se relever. Encore groggy, elle se redressa mollement, peinant à rester sur ses deux jambes flageolantes. Elle parvint à se stabiliser et à trouver un semblant d’équilibre puis elle le suivit en marchant d’un pas lent et traînant.

Le trajet du retour se fit en silence. Le tumulte de la capitale agressait leurs oreilles après une semaine écoulée en totale tranquillité, loin de l’agitation. Et les travailleurs harassés par leur journée de travail les bousculaient sans gêne pour s’engouffrer dans les wagons chargés de monde où l’odeur de sueur régnait en maître. En bas de son immeuble, Maud se tourna vers Florian et planta ses yeux noisette dans les siens.

— Merci de m’avoir raccompagnée.

— Tout ira bien pour toi ? s’enquit-il en fronçant légèrement les sourcils.

— Oui, répondit-elle d’une petite voix, on se voit lundi.

Sur ce, elle tapa le digicode et entra dans l’immeuble. Elle trouva l’appartement vide. Intriguée par l’absence de François, elle regarda son portable et vit que monsieur lui avait laissé plus d’une dizaine de messages. N’ayant pas le cœur de les lire intégralement, elle se contenta de les faire défiler à toute vitesse, lisant en biais. Comme elle s’y attendait, il avait choisi le scénario de l’homme victime et tentait de la faire culpabiliser sur sa volonté de le quitter. Entre des messages violents où il l’insultait presque, il lui envoyait des paroles enflammées avec de multiples émojis fleuris à base de cœur pour enrubanner son discours.

Déconcertée, Maud jeta son portable sur le lit et sortit son calepin. Pendant son séjour à la montagne, elle avait élaboré un programme pour organiser au mieux son temps ; trier ses affaires, les regrouper et les encartonner, jeter le superflu pour ne conserver que l’essentiel. Voilà qui devrait lui prendre le week-end entier.

Elle commença par vider l’armoire, éparpillant ses piles de vêtements en vrac sur le lit. Elle les fit défiler un à un et les classa en deux catégories. Les affaires rejetées furent empilées dans des sacs poubelles qu’elle descendrait chaque matin pour les mettre dans la benne à collecte de textiles.

Il était pas loin de vingt heures lorsque la porte d’entrée s’ouvrit et que François pénétra dans l’appartement. D’une démarche gauche, il entra dans la chambre et vit la jeune femme en train de faire son tri. Maud ne dit rien et le regarda avec étonnement. Il affichait des yeux larmoyants et une mine pitoyable puis il soupira longuement en la voyant prête à le quitter sous peu. Dans ses mains, il portait un immense bouquet de roses qu’il lui tendit avec la plus grande tendresse dont il était capable.

— Je les ai prises pour toi, lui confia-t-il, et je tiens à me faire pardonner. Je n’aurais pas dû te parler comme ça. Viens on sort, je t’emmène au resto ce soir.

— Je préfère rester ici, je suis fatiguée.

— Dans ce cas, je nous commande un plat à emporter ? Il y a quelque chose qui te ferait envie ?

Elle baissa les yeux et se mordilla la lèvre.

— François, tes excuses ne changeront rien à ma décision. Tu as raison, on est pas fait pour être ensemble. Et je préfère partir car toi comme moi on sait très bien ce qu’il en sera ensuite. Et le simple fait que tu me menaces encore avec la vidéo que tu as prise à mon insu me terrifie.

— Mais je te promets de changer ! D’être moins méchant envers toi ! Je t’aime Maud ! Je ne veux pas tout gâcher à cause de cette dispute ! J’ai même effacé cette vidéo. Promis je ne l’ai plus ! Je t’ai menacé sous le coup de la colère mais je ne le pensais pas. Je sais que je suis un idiot et que j’ai tout gâché. Mais je veux me racheter. Par pitié laisse-moi une chance !

Maud le regarda, hébétée par ces propos. Elle ne bougeait pas et écoutait les justifications de son homme qui ne cessait de la couvrir d’éloges. Enfin, François la prit dans ses bras et l’enserra fortement contre lui, manquant de l’étouffer.

Apaisée par ses paroles, l’agitation de Maud descendit d’un cran et elle passa la soirée à ses côtés. Ils dînèrent ensemble un repas commandé au japonais du coin, puis ils se mirent à regarder un film, blottis l’un contre l’autre sur le canapé. Enfin, pour clôturer cette journée sous les meilleurs auspices, elle dormit avec lui. Ayant besoin de tendresse, elle se laissa palper et cueillir, gémissant de plaisir sous ses gestes beaucoup plus sensuels qu’à l’accoutumée.

***

Pendant les semaines qui suivirent, Maud et François parvinrent à trouver un équilibre dans leur relation. Les gestes tendres et les mots doux avaient su revenir et renouer les liens. Leur altercation encore bien présente dans son esprit, La jeune femme tentait de passer outre et chassait immédiatement tout sujet de discorde lorsqu’une remarque désobligeante était lancée à son intention. Comme avant, le venin se mêlait aux affabilités, le miel côtoyait le fiel, et les caresses affectueuses commençaient à reprendre en fougue, devenant parfois brutales lors de l’acte charnel.

L’envie de le quitter restait en permanence dans un coin de sa tête, la martelant sévèrement le soir venu lorsque les profondeurs de la nuit enveloppaient son être, l’assaillant de mille pensées contradictoires. L’une d’elles était également présente, vive et limpide, rassurante même ; la possibilité de bénéficier d’un pied à terre l’espace de quelques semaines en allant vivre chez son supérieur. Car elle le savait, malgré son mutisme, Florian veillait au grain. Avec des propos détournés, il s’enquérait de son état, la couvant d’un regard éternellement bienveillant.

Maud se doutait qu’il n’approuvait pas son choix de rester auprès de lui. Était-ce de la jalousie ou bien simplement de l’inquiétude ? Elle n’en savait rien et l’ambiguïté de son supérieur à son égard commençait à la troubler. Comment s’y prendre auprès d’un homme aussi cachottier sans risquer de le braquer à son tour ou de lui faire espérer des choses ? D’ailleurs, pourquoi songeait-elle autant à lui depuis leur séjour à la montagne ? Était-ce sa proposition si généreuse et désintéressée qui la chamboulait ou bien était-ce le fait de se remémorer régulièrement l’instant où elle s’était retrouvée au creux de ses bras, lovée contre cet homme qui avait tant pris soin d’elle sans rien exiger en retour.

***

Un vendredi soir, alors qu’elle rentrait de mission. Maud envoya à son supérieur une photo qu’elle avait prise à son insu alors qu’ils étaient dans un bar lors d’une soirée foot mémorable, le 12 juillet 1998. D’ordinaire, elle évitait soigneusement de lui envoyer des messages en dehors du boulot afin de conserver un minimum de distance et de vie privée. Or, la photo la fit tellement rire qu’elle ne put s’empêcher de la lui adresser. Pour la même occasion, elle lui envoya également celle qu’elle avait prise au cinéma ainsi que celle où elle nourrissait l’agneau. Sous cette dernière, elle avait écrit : « J’en veux un comme animal de compagnie ! C’est beaucoup trop mignon !». Chose faite, elle posa son smartphone sur le canapé et alla préparer le dîner.

François, avachi à côté, loucha sur l’écran lorsque le mobile se mit à vibrer. À la vue du prénom affiché, ses sourcils se froncèrent et il examina la conversation. Fulminant, il serra rageusement l’appareil et se rua dans la cuisine. Une fois devant elle, il la bloqua dans un coin et lui brandit l’engin sous le nez où la conversation entre elle et Florian était affichée en gros plan. D’une voix ferme et menaçante, il exigea des explications. Sa cage thoracique se soulevait à chaque respiration tandis qu’il vociférait un flot d’insultes à la « traînée » qu’elle était.

Maud, terrifiée par cette masse qui la dominait avec aisance, se recroquevilla et le regarda avec sidération. Ses muscles tremblaient et son teint pâlit. Le ventre noué, elle ne parvenait pas à décrocher le moindre son et se contentait d’encaisser les sermons qu’il débitait à coups de hurlements et d’insultes.

Une fois vidé de toute énergie après ces nombreuses minutes passées à défouler sa colère, François déglutit et la darda d’un regard si haineux qu’il pouvait la transpercer.

— Finalement, t’as raison ma vieille, je crois qu’il est temps qu’on se quitte. T’es définitivement qu’une traînée et tu me dégoûtes plus qu’autre chose ! T’as beau pleurnicher pour pas que je partage ta vidéo mais mademoiselle a très certainement dû faire le tour des membres de la direction toute seule comme une grande. Ah t’es pas douée à grand-chose mais écarter les cuisses et enchaîner les coups de reins ça tu sais le faire !

Il jeta le portable au sol et ajouta de manière plus intimidante :

— Va donc le rejoindre, tiens ! Puisqu’il te le propose si gentiment ! Je sais maintenant comment tu l’as eu ton job. Monsieur va très certainement prendre soin de sa « subordonnée ». T’as beau me reprocher que je sois franc en te disant ouvertement ce que je pense, mais sache que les types dans son genre sont pires. J’ai hâte de te voir sombrer lorsque tu remarqueras ce qu’il est réellement et ce qu’il attend de toi. Je vais bien me marrer je crois.

Il tourna les talons et mit ses chaussures, s’apprêtant à quitter les lieux.

— Ah ! et une dernière chose, l’avertit-il en pointant sur elle un doigt accusateur, t’as jusqu’à dimanche soir pour foutre le camp de chez moi et à trouver un moyen de me rembourser dans le mois, le mois ! Tu m’entends ? Sinon je te jure que je vais te faire vivre un enfer et crois-moi que ta vidéo je vais aller me la procurer chez les potes et la partager. Mais ça ne devrait pas trop te poser de problème je pense. Au pire, t’iras pleurnicher chez ton frère.

La porte claqua farouchement. Se retrouvant seule, Maud se laissa choir sur le carrelage et tenta de récupérer ses esprits. Paniquée et le cœur battant à tout rompre, les larmes lui vinrent aux yeux, se déversant sur ses joues blêmes jusqu’à lui brûler la peau. Elle plaça une main fébrile sur son ventre tordu de douleur et le massa langoureusement. Ses hoquets incessants la faisaient suffoquer et elle peinait à rester lucide.

Après plus d’une heure à essayer de retrouver son calme, elle attrapa son portable et tapota tant bien que mal sur le clavier. Les larmes présentes sur ses yeux irrités lui brouillaient la vue, l’empêchant d’écrire correctement. Une réponse ne tarda pas à venir une fois le SMS envoyé. Elle renifla, s’essuya les yeux et la lut : « Bien évidemment, as-tu besoin d’aide ? »

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