NORDEN – Chapitre 101

Chapitre 101 – Souvenirs

— Retour de la Goélette au port de Varden ! cria le jeune vendeur de journaux hissé sur son promontoire d’infortune, érigeant fièrement la gazette devant lui.

Intriguée par la une, et désireuse de connaître les nouvelles denrées rapportées de Providence, Blanche acheta le journal et le rangea dans sa sacoche. Puis elle continua sa route, flânant dans les ruelles afin de profiter de cette après-midi qui, bien que maussade, n’était pas des plus désagréables. Emmitouflée dans son épais manteau, elle souhaitait rejoindre le port.

Son escapade avec son beau-frère effectuée trois jours auparavant lui avait ravivé cette étincelle ; celle de revoir la mer et de se laisser bercer par ses souvenirs agréables de l’enfance, renouer avec son insouciance de jadis, à l’époque où tout lui souriait dans cette situation prospère.

En arpentant les ruelles de Varden, elle se rendit compte de la désolation qui frappait certaines familles et impactait bon nombre de commerces. Car, sur les devantures aux fenêtres closes et aux vitrines dépourvues d’objets, des affiches par dizaines étaient placardées. Toutes mentionnaient la fermeture définitive des échoppes pour cause de non-ravitaillement ou de faillite.

L’embargo avait eu, et continuait d’avoir, des conséquences désastreuses sur une bonne partie de la population, plus impactée qu’elle n’aurait cru l’être. Puisqu’à présent, même les familles bourgeoises ou disposant d’un minimum de fond grinçaient des dents. Le prix des denrées, mais aussi et surtout la rareté de celles-ci, provoquait des réactions en chaîne qui ne se limitaient plus seulement aux marins, carriéristes et commerçants.

Dorénavant, les riches familles se délestaient des domestiques qui ne pouvaient plus subvenir à leur besoin sans une augmentation conséquente de leur salaire. Or, ces gens qui jusqu’alors étaient favorables à la politique de von Tassle, ne pouvaient plus se payer le luxe de le suivre dans ses affaires et rejoignaient progressivement les rangs de l’Élite. Il en allait de même pour les gérants des boutiques haut de gamme, boudées par ces familles aisées qui ne pouvaient plus se permettre de fréquenter de tels établissements par les temps qui courent.

Bien que les tensions entre les habitants et différents camps politiques s’étaient atténuées, elles n’en demeuraient pas moins latentes et le traumatisme que les citoyens avaient essuyé en cette journée sanglante du 19 octobre 309 leur avait laissé de sévères séquelles.

Ne s’attardant pas outre mesure sur ce paysage sinistré aux façades ternies et aux habitants tout aussi moroses, Blanche continuait son chemin et longeait les murs afin d’éviter de gêner ou perturber le passage des très nombreuses milices armées qui sillonnaient la ville. Elles quadrillaient le périmètre pour assurer la sécurité des civiles ou dissuader le moindre importun de porter atteinte à autrui ; les vols avaient considérablement augmenté et les placardages d’affiches de propagandes, devenues illégales depuis l’Insurrection, ne cessaient leur progression.

Ces soldats de corporation divergente n’étaient pas des plus rassurants. Seule la Garde d’Honneur, les miliciens de la ville, était digne de toute confiance ou encore les hommes travaillant à la solde de ces messieurs James et William de Rochester, au service de la paix et de la stabilité depuis des décennies. En revanche, ce n’était absolument pas le cas pour les trois factions restantes.

La première, les forces Hani, concernait ces étrangers du territoire des carrières nord, des aranoréens héritiers de la puissante tribu des Ulfarks. C’étaient des hommes et des femmes, grands de taille et musclés, à la peau aussi noire que le charbon et au tempérament ardent. Partisans du Baron von Tassle, leur faction s’était installée ici afin de veiller à la sécurité du maire et au bon déroulement des accords commerciaux entre Iriden et Forden, leur fief.

La seconde concernait les hommes travaillant à la solde du marquis von Dorff, mais aussi quelques-uns appartenant au marquis Desrosiers, farouches opposants au maire.

Pour le dernier corps, les plus nombreux et surtout les plus agressifs, mieux valait à tout prix ne jamais croiser seul ces cavaliers en costume bleu outremer sur lequel un oiseau blanc était épinglé. Frustrés de leur situation, les soldats du comte de Laflégère n’hésitaient pas à piller les passants, molester des hommes ou harceler des femmes lorsque la victime se trouvait accessible et piégée.

N’empruntant que de larges allées à des horaires ciblés, Blanche tentait de se dissimuler au mieux parmi cette foule. Souvent, elle entendait des sifflements portés à son attention, émanant de ces hommes qui prenaient un malin plaisir à la suivre à bonne distance. Et la duchesse le savait, il suffirait d’un unique faux pas ou d’une étourderie pour qu’elle se fasse croquer par ces loups affamés qu’une tendre proie appâtait.

Sur le qui-vive, elle emprunta l’avenue portuaire, sillonnée par des montures haletantes qui tractaient leurs chargements pour ravitailler les commerces en produits de la mer mais aussi en produits issus de Pandreden que la Goélette avait rapportés en sa cale chargée.

Au bout d’une quinzaine de minutes, elle arriva au port et prit la direction des quais du sud, les plus sûrs pour une femme de sa veine. Méfiante, elle souhaitait éviter les lieux où la Goélette, l’Alouette et l’Albatros étaient amarrés et où les membres d’équipage rôder en ces lieux.

Proche de la mer, la brise était relaxante et la duchesse se laissa bercer par le bruit des craquements de bois, des cliquetis métalliques des mâts ainsi que par le roulement des vagues, faisant fi du tumulte des marins et commerçants annexes. Un peu plus loin, en retrait des larges allées, elle s’enfonça sur un ponton, s’accouda au muret et contempla le paysage marin encore en pleine effervescence où les navires offraient un ballet incessant d’allées et venues, accompagnés par les mouettes et autres oiseaux jacassant à gorge déployée.

Elle ferma les yeux et inspira à pleins poumons, assaillie par des images nostalgiques qui manquaient de la faire pleurer tant ces réminiscences douces-amères provoquaient en elle cette malsaine sensation d’abandon.

Elle se revoyait avec sa jumelle. Les petites riaient aux éclats, si complices, si unies. Puis vint le temps où, ayant assez joué, il leur fallait rentrer, appelées par cet homme pour les raccompagner. Mais qui était-il déjà ? Elle ne parvenait plus à remettre un visage sur cette voix grave emplie de suavité.

Las de contempler cette vision qui la tourmentait plus qu’elle ne l’apaisait, Blanche soupira et décida de rentrer. La tête basse, l’air songeur, elle suivait son trajet d’un œil vide. Ce ne fut que lorsqu’elle entendit une voix grave et suave semblable à celle de ses souvenirs, résonner non loin de là qu’elle se retourna en hâte. À la vue de cet homme qui s’apprêtait à monter dans un fiacre, elle écarquilla les yeux. Elle fut foudroyée par un flot d’images qui la pétrifia et coupa net sa respiration.

À une dizaine de mètres, un grand homme d’une bonne cinquantaine d’années aux cheveux poivre et sel conversait avec un cocher. Sa carrure massive de marin militaire le rendait impressionnant et sa personne, bien mis en valeur par ce costume d’officier d’un bleu outremer galonné de boutons dorés, inspirait le respect ainsi que la crainte au vu du sabre et du revolver qu’il portait à la ceinture.

Blanche plaqua une main contre le mur afin de conserver son équilibre. Devenues fébriles, ses jambes étaient incapables de la soulever et son estomac la brûlait de l’intérieur. Suffocante et se sentant au plus mal, elle gémit et courba son corps vers l’avant. Des riverains alertés par son état accoururent, mais elle n’eut pas le temps de leur répondre qu’elle s’effondra, inconsciente, dans les bras d’un inconnu.

***

La mer était incroyablement belle en cette après-midi d’Automne, d’un bleu éclatant dont les perles d’écumes scintillaient de mille éclats. Blanche était accroupie sur le ponton aux côtés de sa sœur. Les deux jumelles, heureuses et insouciantes, chahutaient innocemment et tentaient de capturer les petits crabes rouges qui traversaient la plage pour rejoindre la marée.

Une voix grave et suave, le timbre chaleureux, les appela afin de regagner le chemin du logis. Blanche se retourna et vit un grand homme au visage flou, indiscernable. Elle ne voyait en lui que la tache bordeaux de son veston. La mine rayonnante elle prit la viennoiserie qu’il lui tendit et la croqua goulûment, plantant ses quenottes dans la pâte croustillante de ce croissant chaud au bon goût de beurre qu’elle adorait plus que tout. Puis elle tendit sa mimine à l’homme qui la pressa tendrement et lui accorda une délicate caresse de son pouce.

Le trio marchait gaîment dans ce qui semblait être la ville d’Iriden aux routes interminables et aux immenses habitations, si hautes, déformées par les souvenirs d’une enfant haute comme trois pommes. Les deux fillettes parlaient et gloussaient, plaisantant avec cet homme flou comme si elles l’avaient toujours connu. Et l’homme leur répondait, adressant à la fillette à la peau d’albâtre un sourire si lumineux qu’elle en était sans cesse émerveillée.

Dans l’intimité, quand père et mère n’étaient pas présents et qu’il la prenait sur ses genoux, elle appelait cet homme « mon chéri » et lui susurrait à l’oreille des mots tendres pour lui montrer ô combien elle l’aimait et souhaitait demeurer auprès de lui « pour la vie ». Et l’homme la faisait gigoter sur ses jambes, la chatouillant de part et d’autre et l’assaillant de petits baisers délicats qu’il déposait dans son cou ou sur ses joues.

L’homme fit tinter ses clés et laissa entrer les fillettes en sa demeure. Alors que Meredith alla s’amuser avec le chien, l’homme interpella Blanche, souhaitant lui offrir un précieux cadeau qu’il gardait pour elle à l’étage. Il mit un doigt devant sa bouche floutée pour lui signifier de ne rien divulguer à sa sœur. Ravie, elle gloussa et opina avant de le suivre. Elle lui tint la main, la sienne était moite et rugueuse.

Quand elle pénétra dans cette chambre sombre, ses pensées se brouillèrent. La pièce devint floue, le monde vacilla autour d’elle ; elle ne discernait que l’odeur étouffante du cèdre. Elle sentit une main effleurer sa peau, l’emprise des serres d’un aigle s’agripper à sa taille suivi des chuchotements, l’infime murmure des lèvres qui susurraient à son oreille à la manière du sifflement d’un serpent.

L’image d’une anguille lui vint à l’esprit, la bête sinueuse ondulant sur sa chair, tout comme le bruit sourd d’une bête enragée. Enfin, quelque chose brûla en elle, une douleur vive, semblable à un coup de poignard, puis tout devint noir.

***

Quand elle rouvrit un œil, elle était en sueur, le cœur battant ardemment contre sa poitrine et le souffle court. Tout ceci n’était qu’un rêve, un fort mauvais rêve ! pensait-elle. Pourtant, tout semblait étrangement vrai, si réel. Tel un souvenir enfoui réémergeant à la surface après tant d’années à dormir au plus profond de son être.

À l’intérieur, il faisait sombre. Reprenant peu à peu connaissance, elle passa une main sur le visage afin d’y ôter le voile vitreux qui s’y était déposé. Elle remarqua qu’elle était allongée dans une pièce austère qu’elle était incapable de reconnaître et cela l’angoissait.

— Tu es enfin réveillée, tu nous as fait une belle frayeur.

— Mère ? répondit la jeune femme, tentant de récupérer sa lucidité. Où sommes-nous ?

Elle sentit la caresse d’une main se poser sur sa joue, effleurant sa peau avec la plus grande douceur.

— Au dispensaire du Docteur Hermann. Des gens t’y ont déposée il y a plus de cinq heures. Selon leurs dires, tu te serais évanouie au port, effondrée en pleine rue. C’est une chance que des personnes bienveillantes aient été là pour te prendre en charge. Je n’ose espérer ce qui aurait pu t’arriver si cela n’avait pas été le cas.

— Je suis désolée, mère… murmura-t-elle, gagnée par les larmes et une atroce douleur l’empoignant aux tripes.

Irène soupira et ajouta plus sèchement :

— Que faisais-tu là-bas ? Je t’avais pourtant mis en garde d’éviter ce genre d’endroit. L’histoire de ta sœur l’an dernier ne t’a pas suffi ? Qu’est-ce qui t’a causé cette inconscience ?

— Je suis désolée mère, je ne m’en souviens plus, avoua la fille en hoquetant, je voulais juste me balader et revoir cet endroit où l’on jouait avec Meredith. Et je ne sais plus pourquoi je me suis sentie si mal.

— Tu te sens mieux ? s’inquiéta-t-elle.

Elle fit non de la tête, puis se tenant le ventre tant son estomac lui broyait les entrailles, elle commença à pleurer à chaudes larmes, incapable de se maîtriser.

— Non, j’ai vraiment mal au ventre. Je n’ai jamais eu si mal, j’ai l’impression de brûler de l’intérieur.

Alarmée par le lâcher-prise de sa fille, Irène se leva.

— Soit, fit-elle en effectuant quelques pas vers la sortie, dans ce cas je vais chercher Aurel afin qu’il t’ausculte.

— Oh non, mère ! pas un homme s’il vous plaît ! laissa échapper la jeune femme, le regard suppliant.

Troublée par le refus immédiat presque impulsif de sa fille, la duchesse mère se figea mais n’objecta pas.

— Très bien, je vais chercher Joséphine. Je reviens.

— Merci mère, murmura-t-elle d’une voix plaintive à peine audible.

***

Le lendemain, Irène changea les plans qu’elle et Wolfgang avaient initialement prévus pour l’après-midi. En effet, elle devait accompagner le marquis pour une journée d’emplettes aux entrepôts nord. Avec le retour de la Goélette, l’homme voulait se fournir en tissus, textiles et autres matière premières pour sa boutique de vêtements Chez Francine ainsi que pour son cabaret le Cheval Fougueux afin d’avoir un stock conséquent pour la conception à venir de ses vêtements et ne pas essuyer de pénurie.

La duchesse lui avait envoyé une lettre la veille au soir en lui faisant part du problème et déclina poliment l’invitation pour demeurer au chevet de sa fille, souhaitant la surveiller de près.

Soucieuse d’y mettre les formes pour ne point courroucer monsieur, prompt à monter sur ses grands chevaux lorsqu’il essuyait quelque refus, elle s’excusa en lui écrivant un discours enrubanné d’affabilités qui fut d’une pénibilité affligeante à rédiger. Néanmoins, l’état de sa fille l’inquiétait beaucoup plus qu’à l’accoutumée. Car, d’autant qu’elle se souvenait, jamais elle n’avait vu son enfant si bouleversée.

Certes, il y avait eu l’emprisonnement, le procès et l’enterrement de son père ou encore ses fiançailles avec Mantis qui l’avaient bien perturbée, mais rien qui n’avait fait jaillir dans ses yeux larmoyants cette étincelle de tristesse infinie mêlée de crainte, trahissant un désarroi profond.

Blanche passa la matinée à la Marina prostrée dans le salon, se massant le ventre afin de faire passer cette douleur atroce que les médicaments fournis par Joséphine ne semblaient apaiser. Elle tremblait et gémissait par moment. La mère faisait régulièrement des va-et-vient, la scrutant du coin de l’œil lorsqu’elle passait à ses côtés pour l’étudier discrètement et espérant vainement qu’elle daigne se confier.

Nerveuse par son silence qu’elle ne souhaitait briser, elle s’installa à la chaise de la cuisine, ouvrit la fenêtre et porta une cigarette à ses lèvres.

Sa plus grande hantise fut que son enfant, empêtrée dans cet abattement, finisse par se transformer, volontairement ou à son insu. Cela ne pouvait se produire, cela ne devait se produire ! Comment pourrait-elle encaisser à nouveau pareil déchirement ; elle savait si bien la souffrance que la perte de sa sœur avait engendrée. Non ! elle ne pouvait revivre pareille torture qui sonnait comme un deuil.

Décidément, tout allait de mal en pis. Assaillie de toute part, ces jeux de l’ombre commençaient à devenir démesurément compliqués et hasardeux pour sa seule personne. Sans Friedrich, Irène se sentait seule et démunie. Bien sûr, elle était trop fière pour oser l’avouer mais la présence de cet homme qui, bien que n’étant pas des plus courageux, avait toujours su être un appui solide.

À présent, elle devait porter sur ses épaules la lourde charge que lui avait ordonnée son père. Elle avait essuyé tant de sacrifices, encaissé tant de coups et de blâmes. La duchesse était épuisée et pourtant la mission était encore bien loin d’être terminée. Demeurer dans l’ombre, ne jamais se faire repérer et ce quoiqu’il en coûte ! tel était le mot d’ordre que la Hyène blessée et solitaire suivait.

Et cet imbécile de Wolfgang qui n’y voyait que du feu ; un sourire de sa part, jouer l’oiselle éplorée, avaient suffi à charmer ce dandy célibataire aux frasques innombrables et aux points faibles si aisément discernables. Dire qu’il n’avait toujours pas remarqué que ses dossiers avaient été fouillés pour en remettre les informations à ses alliés afin de retrouver Hrafn pour le ramener au Cerf.

Irène soupira ; il lui restait une dernière carte maîtresse à jouer. Pour cela, il allait falloir opérer dans la plus grande discrétion, en espérant qu’elle fasse le bon choix de s’entretenir auprès de cet honnête marquis tout aussi secret qu’elle et qui pouvait la broyer d’une seule main tant son emprise était puissante.

Alors qu’elle s’apprêtait à refermer la fenêtre, elle vit un fiacre se garer juste devant les grilles de son logis. À la vue de Théodore accourant vers elle d’un pas pressant, un rictus s’esquissa sur le coin de ses lèvres fines. Elle ne savait réellement quoi penser de ce garçon qu’elle ne portait guère dans son cœur. Elle le trouvait horripilant, vulgaire, inintéressant et maladroit.

Néanmoins, il dégageait quelque chose d’attachant. Elle ne saurait réellement dire quoi, si ce n’est qu’elle le trouvait plutôt affectueux. Malgré sa couardise, le jeune homme se dévouait pour accomplir tout ce qu’on lui confiait, une belle qualité qu’elle saluait.

À moins que dans un souci d’empathie inné, elle ressentait la souffrance interne de ce garçon tout juste adulte et comprenait ce qu’il subissait d’avoir grandi sans mère pour l’élever. Car, après tout, elle aussi n’avait jamais connu la sienne, morte peu après la naissance de sa sœur Hélène, foudroyée lors de ce duel infâme opposant le Cerf et le Serpent. Elle ne conservait d’Erevan que le timbre d’une voix douce et juvénile ainsi qu’une réminiscence qu’elle revoyait à travers la physionomie de Meredith.

Voyant le garçon approcher, Irène s’écarta de la fenêtre et ouvrit la porte. Dressée de toute sa hauteur, elle scrutait le jeune homme aussi grand qu’elle, plantant ses yeux bleus de givre dans ses pupilles smaragdines.

— Bien le bonjour monsieur von Eyre, fit-elle en croisant les bras, que nous vaut cette visite ? J’ose espérer que ce cher Wolfgang a bien reçu ma lettre et l’a lue avec la plus grande attention. Et qu’il comprenne tout à fait mon refus de me rendre auprès de lui aujourd’hui.

Elle le vit déglutir, quelque peu désarçonné par cette attaque directe qui le déstabilisa.

— Bonjour Irène, hésita-t-il, en effet, je viens sous ordre de mon père. Il souhaiterait que vous soyez présente auprès de lui. C’est vraiment très important, m’a-t-il demandé de rajouter.

— Votre père est bien têtu d’exiger cela ! maugréa-t-elle en fronçant les sourcils afin de l’intimider. Ma lettre n’était-elle pas des plus claires ?

Il fit la moue et passa une main dans ses cheveux ébènes.

— Si… bien sûr ! Je suis désolé, je vous fais juste passer le message. Il dit que c’est vraiment important et il insiste pour que vous soyez à ses côtés.

Irène siffla, retroussant sa lèvre pour y dévoiler un bout de ses canines. Cette expression fit perdre davantage contenance au brunet qui ne savait que faire en cas de refus éventuel de la part de sa future belle-mère.

— Sachez que je suis là pour veiller sur votre fille en votre absence, ajouta-t-il, j’ai moi aussi appris la nouvelle et je vous promets de vous avertir en cas de problème.

Il y eut un silence pesant durant lequel ils se dévisagèrent en chien de faïence.

— Très bien, finit-elle par dire en se retournant afin d’enfiler son manteau.

Avant de partir, elle alla voir une dernière fois sa fille. Dans le salon, Blanche était dressée de toute sa hauteur, les muscles tendus, et dardait sa mère d’un regard noir. Sa fille paraissait furieuse, cela se pouvait se justifier.

— Je pars rejoindre Wolfgang, annonça la mère avec fermeté. Théodore reste là pour veiller sur toi.

— Je vous ai entendue. Je me débrouillerai bien seule, mère, n’ayez crainte. Je n’ai pas besoin de lui ! Je peux prendre soin de moi et je n’ai absolument pas besoin d’être surveillée. Je vous le promets.

— C’est un ordre ma fille, que cela te plaise ou non ! trancha-t-elle. Alors ne le discute pas.

En se retournant, elle l’entendit pester mais ne renchérit rien. Une fois devant la porte d’entrée, la duchesse mère toisa d’un œil sombre le jeune homme resté sagement sur le perron. Elle s’approcha de lui et, lentement, posa une main sur son épaule. Enfin, elle fit claquer sa langue et lui murmura à l’oreille.

— Si jamais il lui arrive malheur en mon absence, Théodore, croyez-moi que vous regretteriez amèrement cette invitation. Vous comme votre père. Suis-je claire ?

— Très claire madame, marmonna-t-il.

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