NORDEN – Chapitre 120

Chapitre 120 – La harpie brisée

Les lieux étaient parfaitement calmes, avalés par la pénombre. Dehors, le silence régnait en maître. Le tumulte qui encore un quart d’heure auparavant englobait les rues agitées avait totalement disparu. Plus aucun fracas, pas un cri, ni le moindre claquement de sabot ; Iriden paraissait comme morte. Ambre, sonnée, était encore allongée sur le canapé. Sa cousine se tenait auprès d’elle et caressait délicatement sa main.

— Je n’étais pas non plus au courant de leur existence, murmura cette dernière, mais sache que le chat que tu appelais Pantoufle était le même que notre Châtaigne, disparu au même moment. Honoré veillait sur nos deux familles. Et Aorcha, le rouge-gorge, nous sert de messager pour communiquer entre mère et moi.

Ambre essuya ses yeux d’un revers de la main et renifla.

— Tu crois que H a choisi Erevan comme femme car elle était fille de la Shaman ?

— C’est probable et certainement du même âge que lui.

Ses pensées se brouillaient, elle parvenait difficilement à mettre ses idées au clair tant toutes ces informations lui paraissaient insensées.

— Pourquoi se sont-ils tous transformés ? Et pourquoi nos mères ont-elles été abandonnées puis séparées ? Pourquoi Medreva se faisait appeler Ortenga et n’a jamais…

— Je l’ignore également. Tout comme toi, je ne connais rien de ma mère, je ne sais rien de sa vie.

— Tu crois que ce serait en lien avec les de Rochester ? Que ma mère s’est mise avec mon père dans le but de s’allier avec cette famille, comme ta mère l’a fait avec le Duc ?

— Oh ça oui ! Tout a un lien avec la Cause, voire avec Alfadir lui-même. C’est pour cela que je te dis d’être confiante envers le déroulement des événements.

Ambre dévisagea sa cousine de ses yeux rougis.

— Que sommes-nous censées faire ? Quel est notre but ?

— Hélas ! Je n’en ai pas la moindre idée. Exister sans doute, perpétuer la lignée de H et…

Des bruits de sabots et des hurlements résonnèrent, se rapprochant à vive allure. La duchesse se leva et alla en direction de la fenêtre. Elle poussa discrètement le rideau et observa le paysage avec appréhension. Des silhouettes émergèrent des vapeurs, une demi-douzaine de soldats stoppèrent leur monture et mirent pied à terre.

« C’est bien la demeure du marquis ! » hurla quelqu’un dont la voix trahissait un certain ravissement. « Allons y faire un tour, il doit y avoir pas mal de choses à piller chez le vieux de Lussac ! »

— Oh non, ils arrivent déjà ! s’inquiéta-t-elle en plaquant une main sur sa bouche. Ça ne devait pas être si tôt !

— Que veux-tu dire ? s’affola Ambre, l’échine hérissée.

Elle se redressa instantanément et partit rejoindre sa cousine. À sa hauteur, elle porta son regard au dehors et reconnut le capitaine Friedz ainsi qu’un brunet vêtu de sombres apparats, au visage soucieux, et dont les cheveux mouillés par le faible crachin lui collaient aux tempes ; Edmund von Dorff, le petit-fils de Dieter.

Blanche lâcha le rideau et lui adressa pour confidence :

— Je suis censée attirer Friedz et ses hommes pour faire diversion. L’Albatros ne doit pas prendre le large. Au vu de la situation, mère craignait que le navire attaque la Goélette qui doit normalement revenir au port à la tombée de la nuit. Tu ne devais plus être ici. J’avais averti Théodore pour qu’il te récupère ce soir et que vous partiez loin d’ici.

Ambre écarquilla les yeux, foudroyée par cette annonce.

— Que veux-tu dire par…

— Vite, cache-toi !

— Mais !

— Pas de « mais » ! fit-elle en lui empoignant le bras pour l’amener vers l’armoire. Planque-toi là-dedans et ne dit rien surtout ou ils te tueront sans hésitation.

« Évitez de faire feu ! D’après Desrosiers, la duchesse doit sûrement être là-dedans ! »

— Mais et toi ?

— Friedz et le jeune von Dorff sont là ! Et si Edmund est là alors Alastair ne doit pas être bien loin. S’ils te voient, ils te tueront ou te feront du mal, alors que moi j’ai une chance de m’en tirer. Ils se rendront vite compte que quelqu’un est ici et je dois les retenir un maximum de temps afin de faire diversion, pour mère et pour la Cause.

Ambre s’engouffra dans l’armoire.

— Tu partiras une fois qu’ils auront quitté les lieux, chuchota la duchesse en refermant la porte, Théodore viendra te récupérer et vous quitterez la ville. En attendant reste là, ne fais aucun bruit et surtout n’interviens sous aucun prétexte ! C’est d’accord ?

La porte d’entrée s’ouvrit avec fracas, des bruits de pas martelèrent le plancher, accompagnés de paroles indiscernables. D’une maîtrise superbe, Blanche s’assit sur le canapé et afficha un air digne. Cinq des six hommes, sabre à la main et couverts de sang, pénétrèrent dans la pièce. Ils ne purent réprimer des cris et des sifflements de satisfaction lorsqu’ils virent cette belle duchesse totalement à leur merci. Friedz affichait un sourire triomphant, cela faisait des semaines qu’il cherchait désespérément sa promise. Seul Edmund paraissait mal à l’aise et l’étudiait de ses yeux noirs dissimulés derrière le verre embué de ses lunettes rondes. Le jeune marquis s’avança timidement vers elle.

— Oh ! mademoiselle Blanche, que faites-vous ici et toute seule ? C’est dangereux, venez avec moi, que je vous ramène chez Léopold.

Mais avant qu’il ne puisse lui prendre la main, Herbert lui barra la route de son imposante carrure et le toisa.

— Ne la touche pas ! trancha-t-il d’un ton péremptoire. Blanche est à moi, je t’interdis de poser la main sur elle.

— Mais Friedz, vous n’êtes pas bien ! Je veux juste la ramener chez elle ! Sa place n’est pas ici mais au manoir auprès des siens. Imaginez que d’autres que nous l’aient vue en premier. Qui sait ce qu’ils auraient pu lui faire !

— C’est une chance que nous soyons arrivés avant, en effet ! fit-il en se frottant les mains. Maintenant, va dehors avec mes hommes et laisse-moi.

Le visage du marquis fut ôté de toute couleur et il demeura pantois devant cette ignoble injonction.

— Co… comment osez-vous, Friedz !

— Dehors !

Herbert fronça les sourcils et grogna. Edmund le dévisagea sans trop oser rétorquer ; le capitaine était bien plus grand et imposant qu’il ne l’était et surtout très bon bretteur, il pouvait aisément le tuer d’une simple estocade bien portée. De plus, les hommes présents céans, des marins travaillant sur l’Albatros, étaient à sa solde. Or, ne souhaitant pas livrer la duchesse à ce triste sort, le marquis se fit violence et riposta diplomatiquement, tentant d’imposer sa loi et de ne pas flancher.

Mais après de vifs échanges houleux, le ton monta. Las, Herbert bomba le torse, se dressa de toute sa hauteur et posa une main sur le pommeau de son sabre, prêt à le dégainer si le jeune mufle s’entêtait à s’opposer à lui. Edmund, définitivement vaincu, baissa la tête, la jouxte verbale ne servait à rien. Avant de partir, il regarda Blanche avec désolation puis s’exécuta.

— Mon grand-père en entendra parler ! marmonna-t-il en scrutant son adversaire d’un œil mauvais. Vous êtes profondément abject !

— Estime-toi chanceux que je ne te tue pas pour un tel affront ! grogna le capitaine.

Dès qu’il fut parti, le visage d’Herbert se radoucit et il posa de nouveau son regard sur la duchesse. Dissimulée à l’ombre de l’armoire, Ambre fut aussitôt prise d’un malaise provoqué par le remugle que l’homme exhalait. L’odeur de D.H.P.A. assaillit ses narines et elle fut saisie d’un haut-le-cœur, accentué par la douleur lancinante qui rongeait sa main meurtrie. Pour rester maître d’elle-même, la jeune femme se résolut à ingérer une seconde dose de Liqueur. De sa main valide, elle trempa la pipette et fit glisser les gouttes sur sa langue. Le remède avalé, elle souffla puis se concentra au mieux pour observer la scène où l’homme prit délicatement la main de la duchesse et la baisa. Blanche se laissa faire, roide comme la glace.

— Oh ma douce Blanche, fit-il en s’accroupissant en face d’elle, comme vous m’avez manqué ! J’ai eu si peur l’autre jour en apprenant l’enlèvement de votre mère. J’ai pensé qu’il vous était arrivé malheur à vous aussi.

Il l’embrassa un peu plus haut sur l’avant-bras qu’il caressait de son pouce. Puis il fit glisser ses doigts le long de ses cuisses en porcelaine, retroussant l’étoffe si légère.

— Cette vision de vous voir disparue a hanté mes nuits, sachez-le. Oh ! ma belle ! Je ne pense pas m’en remettre si jamais j’apprenais qu’un malheur vous était arrivé.

Il déposa un baiser langoureux sur son genou offert. Blanche réfréna un soubresaut. Afin de se dominer, elle ferma les yeux et inspira profondément.

— Vous ne dites rien, ma chère. Sachez que vous ne courez aucun danger avec moi. Je suis là, je suis à vos côtés et je vous protégerai de tous ceux qui voudront vous faire du mal. Vous avez ma parole.

Toujours dissimulée dans l’armoire, Ambre plaqua sa manche sur sa bouche et étouffa une toux. Prise d’un relent soudain, une horrible sensation lui piquait la trachée.

— Je veux bien croire que vos paroles sont sincères, monsieur Friedz, parvint à articuler la duchesse, mais je n’ai besoin de personne pour me protéger, soyez rassuré.

Le capitaine sourit et la contempla longuement, scrutant avec attention la moindre de ses formes harmonieuses s’esquisser sous cette robe noréenne. Son cœur s’accéléra à la vue de cette créature incroyablement désirable.

Il avait toujours eu une attirance folle, magnétique, pour cette femme-là. Sa Blanche, sa divine petite duchesse. Quinze ans plus tôt, lorsqu’il était capitaine de l’Alouette et habitait Iriden, il se rendait régulièrement au manoir von Hauzen. Grand ami de Friedrich, il profitait de ses passages pour apporter des cadeaux aux jumelles ou des viennoiseries que les enfants affectionnaient tant. Pendant qu’elle dégustait ces délicieuses gâteries, il prenait la fillette à la peau opaline sur ses genoux.

À cette époque, sa petite Blanche riait beaucoup, surtout lorsqu’il l’embrassait dans le cou et la chatouillait avec sa barbe, ravi de la sentir gigoter et se tortiller sur lui telle une anguille. L’innocente riait aux éclats et, comme n’importe quel enfant insouciant et heureux d’être au centre de l’attention, l’embrassait à son tour sur la joue. Bien sûr, cette satanée Irène n’était jamais présente et il faisait cela uniquement lorsque Friedrich, submergé par le travail, lui laissait récupérer les filles à l’école.

Herbert était l’homme le plus heureux en ces instants, il savait qu’il ferait d’elle sa promise, qu’importe leurs trente-sept années d’écart ; l’amour n’avait pas d’âge selon lui. Ils s’étaient même promis de rester ensemble « pour la vie », comme l’avait déclaré la fillette alors qu’ils se baladaient. Ce jour-là, Friedz avait ramené ses deux protégées chez lui et leur avait offert un goûter digne de ce nom. Tandis que la brunette s’amusait avec le chien, il avait chuchoté quelques mots à l’oreille de son adorable Blanche qui, trépignant d’impatience, le suivit, voulant absolument voir la surprise qui l’attendait dans sa chambre. Or, quand la petite Blanche, six ans, rejoignit sa sœur une quinzaine de minutes plus tard, tenant la main d’un Herbert rayonnant, elle affichait un visage grave aux yeux voilés.

La jeune duchesse n’avait, jusqu’alors, jamais rien dévoilé de leur « petit secret », cette « jolie confidence », ce « beau moment de complicité » comme répétait l’homme. Cependant Irène fut troublée par l’attitude de Friedz envers ses filles et, soucieuse du bien-être de sa progéniture, ordonna à son mari de l’exiler au plus vite. Il dut alors se réfugier à Wolden où il rejoignit les ordres du comte de Laflégère et fut nommé capitaine de l’Albatros, si loin de sa Blanche, si malheureux, sans avoir eu la chance de lui dire au revoir. À présent, ils étaient réunis. Elle était majeure, libre et pouvait s’offrir à lui sans n’être nullement entravée.

Herbert se releva et agrippa le poignet de sa promise afin de la faire se lever à son tour. Debout, il ne la dépassait que d’une seule tête dorénavant, elle qui jadis ne lui arrivait qu’au bas ventre. Il prit ses mains dans les siennes, les baisa puis les pressa tendrement.

— Ma magnifique Blanche, voulez-vous, je vous en prie, faire de moi votre homme ? Honorer votre serment fait il y a si longtemps lorsque vous et moi nous nous sommes engagés ? J’ai fâcheusement appris que le jeune marquis von Eyre vous courtisait, lui, votre futur beau-frère ! Une relation incestueuse, quelle infamie ! Je n’ose imaginer la disgrâce que cela puisse vous apporter à l’avenir s’il s’avérait que vous vous engagiez auprès d’un homme de sa veine ! Ainsi j’ai pris quelques dispositions concernant ce Théodore afin qu’il ne vous importune plus. Wolfgang von Eyre est un traître, sa tête est mise à prix et sa réputation vient de s’écouler comme celle de votre mère, je le crains.

À cette annonce, Blanche manqua de vaciller. Les poils de sa peau se hérissaient au contact des doigts du capitaine qui les remontait lentement le long de son bras, allant jusqu’à toucher ses épaules. Sous le coup de l’excitation, il s’humectait les lèvres et respirait bruyamment. Ainsi, il était encore plus intimidant qu’il ne l’était autrefois avec ses grands yeux noirs aux pupilles dilatées à l’extrême, ivre de cette extase bestiale provoquée par la présence de sa proie tant convoitée.

Saisie de peur, regrettant de s’être livrée à lui et de ne pas être capable d’assurer sa mission, la jeune duchesse ne parvenait pas à bouger. Elle se contentait de plier sous ses gestes de plus en plus fougueux, sentant ses mains avides d’étreintes parcourir l’intégralité de sa chair nue. Elle se comportait en une bête docile, attendant le moment venu pour mener son assaut, la terreur au ventre.

— Ma douce Blanche, liez-vous à moi, un avenir glorieux nous attend. J’ai de la fortune, de l’influence et je pourrai vous offrir tout ce que vous n’auriez jamais espéré avoir. Je prendrai la défense de votre mère lors du procès, elle sera épargnée je vous l’assure. Et demanderai grâce à von Dorff afin qu’il ne condamne pas votre sœur ni la famille de Lussac. Je vous en donne ma parole.

Il palpa sa nuque puis, au contact de la froideur de sa peau, l’attira violemment pour l’enlacer entre ses bras virils. La duchesse se laissa faire, sentant le membre proéminent de cet homme se presser fougueusement contre sa robe au niveau de son nombril.

Alarmée, Ambre commença à entrebâiller la porte. Mais Blanche, d’un subtil geste de la main, lui fit comprendre de ne surtout pas intervenir. Après tout, elle aussi attendait ce moment depuis longtemps. Elle s’était d’ailleurs vêtue ainsi pour lui. Elle savait qu’il viendrait, qu’il serait le premier sur les lieux et qu’il empêcherait quiconque de s’approcher de sa personne et de la toucher. Son piège fonctionnait à merveille. Il était à sa merci, seul et vulnérable.

— Ma merveilleuse Blanche, poursuivit Friedz, vous ne parlez pas et je sens que vous tremblez, dois-je comprendre que vous me craignez à présent ? Serait-ce possible ? Cet odieux marquis vous aurait-il malmené ?

— Je ne vous crains pas Herbert, murmura-t-elle.

— Dans ce cas, épousez-moi ! déclara-t-il en défaisant son étreinte. Épousez-moi et je vous protégerai. L’ennemi est partout, si je leur dis que vous êtes mienne ils ne vous toucheront pas, je vous en fais la promesse.

Voyant qu’elle ne répondait pas et que le silence devenait pesant, il commença à la déshabiller. Il approcha sa tête de la sienne et l’embrassa dans le cou à maintes reprises. Puis il fit parcourir une main derrière la robe et la délaça. Une fois le laçage défait, le vêtement chut à ses pieds, dévoilant un corps d’une blancheur tranchée par de rares taches plus sombres sur les seins et le ventre, une silhouette élancée, sans rondeur. Une mince flanelle recouvrait son bas ventre et Ambre, bien que cachée à trois mètres de distance, put distinguer une broche argentée en forme d’oiseau accrochée à l’étoffe.

Herbert, subjugué par ce spectacle, se mordit les lèvres et sentit un désir ardent poindre en lui. Il l’enserra et, d’une voix suave, chuchota à son oreille :

— Que répondez-vous, ma douce ?

— Votre proposition est fort tentante, cher Herbert, si j’avais été aranéenne, je l’aurais très certainement acceptée ! assura-t-elle, le timbre grave. Mais l’ennui, c’est que je suis également noréenne.

— Cela ne me dérange pas ma belle Blanche. Tu n’en seras que d’autant plus attrayante à mes yeux.

Il ferma les yeux et s’enivra de son étreinte. Ses lèvres se pressèrent contre celles de sa promise qui s’entrouvrirent à son contact pour échanger un baiser langoureux. Pendant qu’elle l’embrassait, la duchesse dégrafa la broche de son étoffe et s’en empara telle une dague.

— J’espère que vous avez bien profité de cette vision, cher Herbert, murmura-t-elle une fois sa bouche libérée, car ce sera la dernière que vous verrez.

— Que dites-vous ma…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’une lame foudroyante le frappa à la nuque. Assommé par cette piqûre virulente qui lui transperça la peau de part et d’autre, manquant de peu la carotide et la trachée, il plaqua une main contre sa nuque où deux gerbes de sang s’échappaient des perforations. Il tourna la tête par réflexe, songeant avoir été attaqué par autrui mais, à sa grande stupeur, ne vit personne. Alors, une pensée terrifiante lui traversa l’esprit. L’homme, abattu par ce coup du sort, s’immobilisa et son cœur, conscient de la trahison qu’il venait d’essuyer, cessa de battre.

Il n’eut pas le temps de se retourner pour faire face à son exécutrice qu’un hurlement strident parvint à ses oreilles, suivi d’une violente griffure qui lui lacéra le visage. Tout devint sombre. Ses yeux le brûlaient ; il pensait les avoir ouverts mais tout demeurait noir. L’homme hurla un râle étouffé par les gargouillis et s’effondra sur le plancher en gémissant. Devant lui, sans qu’il ne puisse le voir, un immense oiseau au plumage blanc et cendré, au bord des ailes noir, l’observait de manière impassible. Il avait un port impérial, accentué par un bec noir effilé, sa tête couronnée d’une houppette ébouriffée. Ses longues serres, où des lambeaux de chair restaient accrochés, dégoulinaient de sang qui se répandait sur le dossier du canapé.

Alertés par le vacarme, les hommes de Friedz ainsi qu’Edmund se précipitèrent dans la pièce. Après un instant d’hébétement, ils furent choqués de voir le capitaine gisant à terre. Le teint d’une pâleur mortuaire et les muscles raidis, le l’homme gémissait et gigotait mollement. Profitant de ce flottement, la harpie féroce gonfla avec panache son plumage et poussa un cri strident. Puis elle prit son envol et s’engouffra à travers la porte d’entrée restée béante pour se perdre dans les cieux embrumés.

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