NORDEN – Chapitre 134

Chapitre 134 -Retour à Varden

Il faisait à peine jour lorsque Faùn se réveilla. À ses côtés, ses trois compagnons et la fillette dormaient encore, emmitouflés dans leurs fourrures. L’air intérieur était froid et humide, le feu avait presque entièrement consumé tout le bois, seul restait un tas de cendres duquel s’échappait un mince filet de fumée. L’homme bâilla à s’en décrocher la mâchoire et se leva. Il s’enveloppa de sa toge écrue et enfila ses bottes qu’il remonta au-dessus de son pantalon.

Paré, il sortit rendre visite à la petite sauvageonne. Les premiers rayons de l’aurore caressaient la paisible cité où de rares oiseaux gazouillaient. Le Shaman inspira et s’étira, appréciant ce moment de sérénité, puis se dirigea dans la maison annexe. Alors qu’il s’avançait, quelque chose le troublait, le lieu semblait trop calme.

Mesali se serait-elle enfin endormie ? songea-t-il, sceptique.

À peine fit-il un pas dans la maison, qu’il vit avec effroi que la porte de la cage était béante et la captive absente. Ébaubi, il tourna les talons et alla avertir ses camarades.

— Mesali est partie ! s’écria-t-il.

— Quoi ? maugréa Sonjà qui se redressa en hâte.

— Mesali n’est plus là ! La porte de sa cage est ouverte !

— Mais comment est-ce possible ? ronchonna la guerrière en enfilant ses habits.

— Je n’en sais rien !

— Sahr ! comment ça t’en sais rien ? Comment se fait-il qu’elle ait pu ouvrir c’te cage !

Elle balaya la pièce d’un œil mauvais. À présent, tout le monde était réveillé et se préparait à poursuivre leur route.

— Et comment ça s’fait qu’avec trois Sensitifs aucun de vous n’a pu déceler son agitation !

Adèle fit la moue et mira la guerrière avec un soupçon d’appréhension. Pour la réconforter, Anselme s’envola et vint se poser dans ses bras.

— C’est ma faute, marmonna-t-elle, c’est moi qui l’ai libérée, cheffe Sonjà.

— Quoi ? lâchèrent en cœur les deux Svingars.

Adèle fit la moue et porta sur eux un regard plaintif.

— J’ai été la voir cette nuit. Elle était tout agitée et criait « Aider, aider, libérer, aider ».

— Mais Mesali ne parle pas le pandaranéen ! Elle le baragouine tout au plus !

La cheffe grogna, le teint rougi sous le coup de la colère. Sa poitrine se gonflait avec énergie.

— Elle a parlé ! soutint la petite albinos.

— C’est impossible !

Pour l’intimider, Sonjà se pencha vers elle et souffla son haleine au visage comme un taureau en pleine charge.

— Si tu oses me mentir crois-moi gamine que tu vas regretter sévèrement d’être venue avec nous !

— Je vous jure que c’est vrai !

— Pourquoi l’as-tu libérée ! s’énerva Faùn. Tu savais très bien qu’elle ne voulait pas rester dans cette cage ! Te rends-tu compte des difficultés que je vais avoir pour la récupérer ? Elle n’est pas sur son territoire ! Les gens pourraient l’abattre sans aucune pitié.

— Mais je l’ai pas libéré parce qu’elle le voulait ! Elle voulait aller aider quelqu’un, quelqu’un qui est en danger et qu’elle veut protéger !

— Sahr ! c’est nouveau ça ! mugit la guerrière en levant les bras au ciel. Depuis quand la sauvageonne est prise d’une conscience morale !

— Qui est cette personne ? s’enquit Faùn en plaçant une main sur l’épaule de sa cheffe. Te l’a-t-elle dit ?

Les yeux embués et la tête basse, Adèle grimaça.

— Elle a crié Ketta… mais je ne sais pas qui c’est Ketta.

— Ketta ? grommela la Svingars. D’où est-ce qu’elle a vu un chat la gamine !

— Ketta veut dire chat ? s’étonna la fillette. Mais c’est l’animal totem de ma sœur ! Ambre est un chat viverrin !

Faùn demeurait songeur puis posa son regard sur celui de la Shaman qu’il trouvait étrangement muette et sereine.

— Tu n’y serais pour quelque chose dans cette histoire toi ? adressa-t-il mentalement à son homologue Sensitive.

— Bien sûr Faùn, j’ai entendu les paroles de Mesali, j’ai laissé le soin à Adèle de la libérer, lui dit-elle avec un sourire, ses yeux bleus perçants plongés dans les siens.

— Pourquoi ne m’as-tu pas averti au préalable ? pesta-t-il en serrant les poings. D’où est-ce que tu te permets de prendre des décisions sur les membres de mon clan, sans mon accord !

— Je te signale qu’elle fait partie des miens désormais, ta cheffe s’est proposé de me la confier, dois-je te le rappeler ? Et tu n’avais qu’à l’entendre Faùn, tes facultés baissent à vue d’œil ! Alors reprends-toi et va la chercher.

— Comment as-tu osé me trahir ! fit-il en montrant les dents. Pourquoi as-tu agi de la sorte ?

— Je ne t’ai pas trahi et ta Féros ne fait que suivre son Instinct ! Alors, fais-lui confiance au lieu de la craindre. Prenez Skand avec vous et partez la chercher tous les trois. Allez protéger la Ketta. Nous vous attendrons ici, Adèle et moi. Nous allons avoir fort à faire dans quelques heures.

— Tu me le paieras Wadruna !

Elle laissa échapper un rire narquois.

— Mon pauvre Faùn tu as décidément bien perdu en faculté ! Si tu étais un peu plus apaisé, tu comprendrais pourquoi j’ai laissé ta petite Féros s’en aller. Malheureusement, tu es si tourmenté que tu n’as même pas entendu son appel.

— De quoi parles-tu ? Le Aràn a parlé ?

— Höggormurinn Kóngur…

Faùn la scruta, bouche bée :

— Jörmungand ?

Pour toute réponse, la Shaman le gratifia d’un sourire entendu. Il resta un moment perdu dans ses pensées.

— Qu’a-t-il dit ?

— Rends-toi à Varden et tu sauras. Alfadir vous y rejoindra à la tombée du jour. Solorùn, Saùr et Fenri sont en chemin.

Il passa une main sur son visage et se frotta les yeux.

— Je vois qu’on a pas le choix, finit-il par dire, énervé contre lui-même et son homologue. Dépêchons-nous de la récupérer. Qui sait où elle peut être à l’heure actuelle !

Sur ce, Sonjà se précipita vers les écuries afin de récupérer Majar et Munkor. Faùn observait la Shaman et son apprentie. Ses vibrations étaient si puissantes qu’elles transpercèrent Adèle telles des aiguilles et la firent se sentir mal. Il se tourna vers Skand.

— Souhaites-tu nous accompagner à Varden ?

Ce dernier acquiesça et alla chercher son cheval.

— Ne crains pas les Féros Faùn, avisa Wadruna, accorde-leur autant confiance que tu n’en as pour Servàn. Ils ne sont pas tous comme Hrafn !

Faùn la dévisagea avec mépris puis soupira. Les bruits de sabots se rapprochèrent, l’homme s’arma de son arc qu’il accrocha à son dos, sortit de la maison et monta en selle. Adèle et Wadruna le rejoignirent dehors. Il les darda d’un dernier regard noir et les trois cavaliers s’engagèrent au galop, en direction de Varden.

L’écume aux lèvres et le corps trempé de sueur, les chevaux galopaient à vive allure. Après avoir quitté la forêt, ils aperçurent au loin un convoi de plusieurs dizaines de charrettes et de fiacres, disposés à la chaîne le long de la route, allant en leur direction. Alertés, les noréens ralentirent et mirent leur monture au pas. En ouverture du convoi se dressait une douzaine de cavaliers qui les mettaient en joue, tout aussi sur la réserve. Certains s’apprêtèrent à tirer lorsque l’un d’eux, le meneur, ordonna de baisser leurs armes.

— Cheffe Sonjà, chef Skand, Shaman Faùn ! les salua l’homme en allant à leur rencontre.

Sonjà l’étudia de pied en cape.

— Bonjour monsieur de Rochester. Que faites-vous ici ? Et avec tous ces gens ?

Le vieil homme s’éclaircit la voix et leur expliqua l’étendue de la situation ainsi que l’ensemble des événements infortunés ayant eu lieu pendant cette nuit interminable.

— Quant à moi, conclut-il, j’escorte tous ces gens à Meriden. Nous y serons en sécurité pour quelques jours, le temps que les tensions redescendent.

Il se retourna et, d’un geste éloquent de la main, montra la myriade de charrettes chargées de gens abattus. À côté de William, Edmund se tenait sur son palefroi.

— Bonjour confrères noréens, dit-il poliment.

Le marquis était épuisé d’une nuit qu’il n’avait pas vue défiler. Après avoir abandonné Ambre à son destin, il s’était rué sur son cheval, désireux de rejoindre Louise dans son échoppe d’apothicaire. Arrivé sur place, il s’était aperçu que la demoiselle et son collègue venaient d’essuyer une agression ; des hommes venus pour piller du matériel de soins nécessaire à leurs besoins. Au cours de leur rapt, ils avaient blessé le garçon. L’herboriste était parvenue à atteindre son arme, chaudement gardée dans le tiroir de son comptoir. Étant, à l’instar de sa sœur Diane, une chasseuse régulière, il ne lui fut pas compliqué de les intimider une fois son revolver en main.

Edmund, choqué de voir sa cousine désemparée et tentant de remettre sur pied son collègue mal en point, les avait fait monter sur son cheval pour rejoindre un dispensaire. Après avoir essuyé plusieurs frayeurs, ils avaient croisé le William de Rochester qui appelait les habitants à évacuer les rues.

Fulminante, Sonjà observa ses confrères.

— Faut qu’on s’dépêche !

— Avant que vous ne partiez, l’interpella William, sachez que nous avons Hrafn, il est à la Mésange Galante. C’est une boulangerie à la façade bleue située sous les arcades de la grande place, à Varden, si vous souhaitez vous y rendre. L’oiseau est sous bonne garde, Alfadir est au courant et ne devrait pas tarder à venir nous aider.

— Quoi ? crièrent-ils en cœur, les yeux écarquillés.

— Je tiens aussi à ajouter que le Aràn Jörmungand s’est manifesté. Selon les rumeurs, il serait à l’origine du tremblement de terre d’hier soir. Il a détruit à lui seul le port entier ainsi que toutes les embarcations qui s’y trouvaient. Les secousses ont par la suite fait pas mal de ravage dans les périmètres alentour. Prenez garde si vous y allez.

William ordonna à deux hommes de lui céder leurs armes et tendit trois revolvers chargés à ses interlocuteurs, ébahis par l’annonce de cet événement. Ne voulant plus perdre un instant, les deux Svingars et le chef Korpr engagèrent leur monture au galop et poursuivirent leur route.

— Faùn, tu vas récupérer Mesali ! ordonna Sonjà.

— Bien, cheffe ! fit le Shaman en s’inclinant légèrement.

— Quant à nous, Skand, j’sais pas où est leur chef-lieu, c’te grand’place de Varden, mais faut qu’on s’y rende pour protéger le chef hundr. Si ce William dit vrai et qu’ils ont le corbeau, alors Alfadir viendra.

Les mains fortement appuyées à l’encolure de Majar, elle jeta un regard en coin à son Shaman.

— Au fait Faùn, comment s’fait-il que t’aies pas senti sa présence, le Aràn ne t’a pas prévenu ?

Le Svingars se pinça les lèvres et baissa la tête.

— Je n’ai pas envie d’en parler et c’est pas le moment !

Pour toute réponse la guerrière lui donna une tape amicale sur l’épaule et fit accélérer son cheval. L’imposant destrier allongea la foulée, faisant trembler le sol par son impressionnante charge musculaire, et s’engagea dans une course effrénée en direction de la ville au-dessus de laquelle s’étendaient d’épais nuages de fumée.

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