NORDEN – Chapitre 70

Chapitre 70 – L’offrande du corps

Il faisait nuit lorsque la jeune femme pénétra dans le hall après s’être attardée deux heures dans les jardins afin de prendre l’air et de réfléchir aux propos énigmatiques de la duchesse. Elle rejoignit sa chambre, une chandelle à la main dont la faible flamme crépitait. Une fois dans la pièce, elle se dévêtit et s’habilla confortablement d’une chemise de nuit légère en lin blanc. Elle était en train de tresser ses cheveux en une longue natte lorsqu’elle aperçut un petit écrin blanc enveloppé d’un ruban doré, posé sur sa table de chevet avec pour mention écrite :

Mademoiselle Ambre,

Je ne suis malheureusement pas parvenu à retrouver votre précieux médaillon. Cependant, remerciez votre sœur d’avoir eu la finesse d’esprit de garder une trace de votre bijou en l’ayant représenté lorsqu’il le fallait.

Amicalement, Votre hôte

Intriguée, elle l’ouvrit et remarqua qu’il s’agissait d’un médaillon. Elle le prit délicatement entre ses mains et l’examina avec soin. À sa grande stupéfaction, elle reconnut une broche médaillon pratiquement identique à la sienne, bien que de plus noble facture. Le bijou mesurait deux centimètres de diamètre et semblait fait d’or pur, de teinte cuivrée. Il était légèrement bombé et cerclé d’un anneau uni. Le chat viverrin y était représenté, un peu plus finement ciselé et détaillé que jadis. L’animal se tenait de profil, la gueule ouverte et les oreilles en arrière, une patte avant tendue et la queue panachée fièrement dressée.

Ambre frissonna et ne put réprimer un sanglot. Avec lenteur, elle s’installa sur son lit, le bijou fermement tenu entre ses mains. Elle fit rouler l’objet entre ses doigts et l’admira sous toutes les coutures avec fascination. Elle ne pouvait refuser un tel cadeau, cette attention bienveillante de la part de son hôte, cela lui était impossible. C’était, et de loin, la plus belle chose qui puisse lui être offerte.

Bien qu’encore fébrile de ses émotions, elle se releva et, sans conscience réelle de sa tenue vestimentaire, descendit les marches. Elle avança à pas de velours, ses pieds nus effleurant le sol carrelé et froid du rez-de-chaussée. Après une brève hésitation, elle toqua à la porte du salon. Elle patienta un instant dans la pénombre puis, au bout d’un temps sans réponse, remonta, le médaillon plaqué contre sa poitrine, jalousement gardé dans le creux de sa paume.

Arrivée en haut des escaliers, elle vit sa silhouette se dessiner dans le hall, plongée sous la pâle clarté d’un halo de lune. Il était assis sur un fauteuil à côté d’une fenêtre entrouverte de laquelle s’échappait un mince filet d’air frais et contemplait sereinement le paysage, ses cheveux lisses et lâchés descendant sur ses épaules. Il caressait tendrement la tête de Désirée qui se tenait à ses pieds. La chienne gardait la tête posée sur ses cuisses et le regardait amoureusement de ses grands yeux humides. Ne voulant pas le déranger, Ambre marcha d’un pas discret, tentant de regagner sa chambre sans un bruit. Mais à peine eut-elle ouvert sa porte qu’elle entendit sa voix.

— Le médaillon vous plaît-il ?

Elle se retourna et l’aperçut debout juste à côté d’elle, la dominant de toute sa hauteur. Il paraissait détendu, le regard doux, semblable à celui de l’autre soir dans la roseraie. En le voyant ainsi, elle le trouvait totalement différent d’ordinaire. Pour toute réponse, elle opina. Il afficha un sourire satisfait puis tourna la tête en direction de sa chienne qui venait de presser sa truffe contre la main de son maître. Elle le lécha et descendit rejoindre sa niche, ses longues pattes griffues tintant sur le parquet. Il la regarda s’éloigner, une pointe de tristesse dans le regard, puis plongea ses yeux sombres dans ceux de la jeune femme.

— Seriez-vous partante pour une session de danse demain soir ? demanda-t-il calmement. Je souhaiterais évaluer votre niveau et reprendre avec vous les bases et corriger éventuellement vos pas. Je travaille jusqu’à dix-huit heures, avec le dîner, cela me ferait rendre disponible pour vingt heures. Cela vous conviendrait-il ?

Elle pouffa, les joues rubescentes.

— Je ne pense pas avoir vraiment le choix ?

— Alors c’est entendu.

Il l’observa de pied en cap avec un certain ravissement. Les formes de sa petite proie s’esquissaient sous cette fine étoffe mettant en valeur la moindre courbure de son corps de jeunette, dévoilant impudiquement et en toute innocence, ses minces épaules et ses cuisses dénudées. Sa natte rousse flamboyante effleurait sa peau duveteuse, caressant sa joue pour aller s’achever à l’orée de son décolleté.

À cette vision, il éprouva le plaisir brûlant de serrer contre lui ce corps si ardemment convoité et qui commençait à le rendre fou, où chaque jour la faisait se rapprocher de lui, inconsciemment. Il n’était plus qu’à deux doigts de pouvoir la capturer, de la toucher. Demain se jouerait un enjeu crucial, espérant que le verdict serait en sa faveur et que cette douce créature puisse par la suite éprouver en retour tout ce qu’il ressentait pour elle sans oser lui avouer.

Aujourd’hui, il avait joué un coup de maître et s’en félicita, en lui offrant ce bijou qui lui coûta fort cher à défaut d’avoir pu retrouver l’original qu’il n’avait eu de cesse de chercher lors de ses recherches infructueuses. Deux jours durant, il avait arpenté les abords de Meriden accompagné de sa fidèle Désirée, quadrillant chaque parcelle de forêt, scrutant le moindre carré d’herbes et les buissons épineux allant jusqu’à fouiller les flaques d’eau boueuses. Il était rentré le soir, exténué et furieux de ne pas être parvenu à mettre la main dessus. Fort heureusement, Adèle avait volé à son secours lorsqu’en allant dans sa chambre, son regard s’était posé sur le dessin réaliste de cet objet précieux qu’il lui fallait reproduire à défaut de pouvoir le retrouver.

— Je vous demanderai juste d’enfiler une robe et des souliers à talons, il faudrait que vous soyez à l’aise dans vos mouvements le moment venu.

Il plissa les yeux et ajouta de manière plus mesquine :

— À moins que vous ne comptiez danser dans cet accoutrement, se risqua-t-il à dire avec un air charmeur.

Ambre s’empourpra. Dans son trouble, elle n’avait pas réalisé qu’elle était en chemise de nuit. Elle toussota et couvrit le haut de son corps à l’aide de son bras et de sa natte.

— Tâchez d’être à l’heure ! susurra-t-il suavement.

Il fut satisfait de l’embarras qu’elle éprouvait à son égard, lui conférant un air mignon de vierge effarouchée. Sur ce, il la salua et regagna ses appartements.

Le lendemain soir, Ambre mit un certain temps à se décider sur sa tenue. Elle resta de longues minutes devant sa penderie, faisant défiler les robes une à une afin de trouver la plus adéquate. Elle porta son dévolu sur une robe de velours noir, de style noréen, sans manches, cintrée à la taille par un ruban et attachée par de fines agrafes dans le dos. Elle s’arrêtait à mi-cuisse et présentait des broderies dorées sur le plastron. Le Baron la lui avait offerte le jour de sa majorité et elle n’avait encore jamais eu l’occasion de la porter. Elle l’enfila et y épingla son médaillon, le bijou fièrement mis en valeur sur cette étoffe aux couleurs de la nuit. Puis elle attacha ses cheveux en queue de cheval haute de laquelle s’échappait une éternelle mèche rebelle. En guise de chaussures, elle enfila une paire de souliers noirs à talons hauts et épais.

Une fois prête, elle descendit les escaliers et alla rejoindre le salon. Elle frappa, le cœur battant vaillamment, appréhendant cet instant qu’elle avait jusque-là toujours redouté. Après une réponse de sa part, elle soupira et entra. Le Baron l’attendait, assis à son bureau et vêtu d’un costume sobre mais élégant. Il se leva et l’invita à le rejoindre. Hésitante, elle avança et se positionna face à lui, rapprochant son buste du sien. À son invitation, elle posa timidement sa main sur son épaule et vint engouffrer l’autre dans la sienne qu’il pressa avec douceur.

Ce toucher si subtil raviva le souvenir de leur première danse et elle ne put s’empêcher de décrocher un rire nerveux en se remémorant ce moment où, totalement captivée, elle n’avait su résister au jeu de séduction de son cavalier. Il avança lentement sa main afin de la tenir à la taille et la ramena délicatement à lui. À son contact, la jeune femme frissonna et sentit son cœur s’accélérer.

Ils esquissèrent quelques mouvements de valse, dans un silence rythmé par le tintement de l’horloge et de leurs pas contre le parquet. Alexander lui laissa le temps d’apprivoiser sa gestuelle, ne voulant pas la brusquer davantage, car mademoiselle bougeait maladroitement. Il devait la mettre en confiance, la rassurer devant cette situation délicate, ne voulant pas briser ses longs mois d’efforts pour une remarque déplacée ou un geste mal intentionné. Il la dévisageait, amusé devant l’attitude de sa cavalière qui, visiblement mal à l’aise, n’osait soutenir son regard.

— Détendez-vous, je vous sens crispée.

Elle déglutit puis redressa la tête.

Il est vraiment incroyablement séduisant vu d’aussi près !

Elle soupira et sentit son cœur s’emballer.

Non, mais je rêve, c’est le charme de sa danse qui opère ou bien cet homme est réellement en train de me faire de l’effet ?

Confuse de cet élan sentimental, elle se mordit les lèvres. Il relâcha son étreinte, la fit tournoyer une première fois puis la prit à nouveau et fit glisser ses doigts le long de son bras, palpant cette peau si fine afin de capturer sa main. À cette caresse, il la sentit embarrassée et nota, avec un immense plaisir, sa poitrine se soulever sous son élégante étoffe noire. Elle était craquante avec ses airs de petite oie blanche, dans cette attitude inaccoutumée d’être docile et fragile. Le charme de sa danse opérait et il était on ne peut plus flatté de la voir vêtir cette magnifique robe qu’il lui avait offerte.

— Rassurez-vous, mademoiselle, vous savez bien que je ne mords pas ! annonça-t-il suavement.

Cette phrase eut le don de la détendre et elle prit peu à peu de l’assurance, tentant de se libérer de ses craintes.

Après tout, qu’ai-je à perdre ? J’ai l’impression de m’entêter à vouloir croire qu’Anselme me reviendra mais c’est faux, jamais je ne pourrai faire avec lui ce que je fais actuellement dans les bras de cet homme. Jamais je ne pourrai partager quoique ce soit… pas même mes sentiments…

À cette révélation qu’elle ruminait depuis plusieurs semaines, les larmes lui vinrent aux yeux ; son Anselme, son fiancé, n’était plus. Tous ses sentiments depuis sa transformation n’étaient qu’illusion, un vain espoir de le revoir, d’être à nouveau près de lui, à lui. Elle sanglota à cette vérité implacable.

Adèle a raison, ça fait trop longtemps que je suis seule. Trop longtemps que je souffre de cette absence, de la perte de mon Anselme qui, c’est un fait, ne me reviendra plus.

Alexander arrêta la danse et la libéra.

— Tout va bien ? s’enquit-il avec une pointe d’anxiété.

Ambre essuya ses yeux et acquiesça en silence.

J’ai besoin de quelqu’un… un ami tout du moins… Et c’est vrai qu’il est pas si méchant finalement… Enfin, je crois.

Fébrile, elle se rapprocha et reprit sa position, engouffrant d’elle-même sa main dans la sienne. Il la déplaça avec plus de grâce, la faisant tournoyer une deuxième fois. Elle se laissa transporter par les mouvements aériens et maîtrisés de son cavalier. Ils effectuèrent quelques pas, laissant leurs mains s’effleurer puis se lâcher avant de revenir se toucher en une caresse puis se relâcher à nouveau pour revenir s’étreindre plus longuement.

Ambre sentit la chaleur la gagner à chaque contact rapproché de son buste contre le sien, le cœur battant fortement contre sa poitrine. Elle fit une autre pirouette, le fouettant par mégarde du bout des cheveux, ce qui la fit pouffer. Elle était submergée par une vague de désir naissant lorsque sa tête se trouvait proche de son cou duquel émanait son parfum pénétrant qu’elle avait longuement humé lors de son sauvetage et qui lui provoquait un intense sentiment de réconfort.

Son cavalier, malgré son allure digne et ses gestes retenus, jouissait pleinement de cette valse silencieuse en dehors du temps, rythmée par leur souffle mutuel. Il ressentait une infinie satisfaction à l’avoir dans ses bras, partageant auprès d’elle un moment si tendre. Le toucher de sa taille lui brûlait la paume, le corps de sa petite proie vibrait sous ses doigts. Elle était vivante, une créature charnelle si désirable.

Alors qu’il s’apprêtait à la faire tourner à nouveau, Ambre, dans un état second, les yeux à moitié clos et les jambes flageolantes, perdit pied et trébucha. D’un geste vif, il la réceptionna avant qu’elle ne tombe, l’agrippant fermement à la taille. Il la releva et vint la plaquer contre lui, l’entourant de ses deux bras.

Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes, à demi essoufflés. Alexander sentait le ventre de la jeune femme se gonfler et se dégonfler au gré de ses respirations. Ambre, dont les pensées se bousculaient, était pétrifiée, incapable d’effectuer le moindre mouvement. Elle se sentait étrangement bien, nichée entre les bras de cet homme dont elle pouvait sentir les battements lourds et vigoureux de son cœur frapper contre son dos. Elle déglutit puis expira avec lenteur, réfléchissant à l’issue de cet acte.

Après avoir trouvé son verdict, elle poussa un soupir. Comme pour une invitation, elle redressa sa nuque et vint poser l’arrière de son crâne sur son torse, s’abandonnant à lui, décidée. Conscient de cette convocation adressée subtilement, il effleura du bout des doigts la peau duveteuse de son bras et, d’un mouvement lent et précis, les remonta progressivement jusqu’à câliner son épaule dénudée. Les poils de sa cavalière se hérissèrent à son contact mais elle ne bougea pas et resta calme. Il caressa sa nuque et, lentement, descendit jusqu’à l’orée de son décolleté.

Avec la plus grande prudence, il glissa ses doigts sous l’étoffe et vint palper son sein, ressentant au creux de sa paume les battements ardents de son cœur. En émoi, gagné par l’excitation, il approcha la tête de son cou et y déposa un baiser. Il goûta avec extase cette peau d’une saveur exquise.

— Tu ne me résistes donc pas, cette fois ? murmura-t-il.

Elle frissonna au ressenti de son souffle caressant sa nuque, sentant le désir de l’homme poindre avec vigueur contre son bassin.

— Te laisserais-tu cueillir ? chuchota-t-il à son oreille.

Elle enfouit son visage dans son cou, câlinant sa peau du bout du nez, et se mit à bouger très légèrement des reins, se frottant avec subtilité contre la masse de son bas-ventre, l’invitant à la prendre.

— Cela se pourrait… À moins que cela ne vous effraie ?

Il eut un petit rire amusé et embrassa sa nuque. Puis il ôta sa main, prit sa cavalière par la hanche et la fit pivoter afin qu’elle se retrouve face à lui. Les deux acolytes se regardèrent intensément, les yeux brillants par le halo des chandelles et les pupilles dilatées sous l’excitation. Il cala une main derrière son crâne et vint toucher ses lèvres. La jeune femme ferma les yeux et goûta avec extase ce baiser langoureux.

Emporté par son élan, il la reprit par la taille et posa sa main libre sur sa cuisse. Il l’engouffra sous sa robe puis la glissa d’un geste tendre pour la remonter jusqu’à sa hanche. Il sentit sa peau vibrer à travers ses doigts, la demoiselle, féline, semblait ronronner. La faiblesse câline, elle se laissa sagement palper, avide d’être étreinte et désireuse de retrouver cette agréable sensation dont elle n’avait pu connaître qu’un avant-goût trois ans auparavant.

Avec une maîtrise experte, il commença à dégrafer le haut de sa robe. Au fur et à mesure que les attaches cédaient, l’étoffe soyeuse pendait à la manière d’une mue de serpent, dévoilant progressivement les formes de son corps, jusqu’à venir choir à ses pieds. Il se recula brièvement et la contempla de toute sa hauteur.

À présent, elle était nue, la silhouette en courbe, la poitrine masquée par ses bras frêles, positionnés en croix devant elle, dans une pudeur contenue. Elle avait les jambes galbées, un corps ferme d’une teinte laiteuse et parsemé de taches rousses à la manière d’un léopard. Seule restait une mince flanelle qui lui recouvrait le bas-ventre.

À cette vision, Alexander sentit son cœur s’emballer tant il fut envahi par une excitation viscérale. Fiévreux, il l’embrassa à nouveau et guetta sa réaction ; malgré sa candeur apparente, la demoiselle avait l’œil vif et rieur. Elle soutenait son regard sans l’ombre d’animosité, un sourire esquissé au coin des lèvres, le corps et le visage plongé sous une éblouissante clarté orangée émanant des lanternes.

Enhardi, il plaqua son corps contre le sien et la fit basculer avec lui au sol, se retrouvant à demi-allongés sur l’imposant tapis rouge à la bordure foisonnante de motifs de flammes ardentes.

Devant la fougue de son imposant cavalier, Ambre pouffa, séduite d’être ainsi convoitée et prise au dépourvu de se livrer si facilement à sa personne. Sa peau prise en tenaille entre l’épais velours du tapis et les habits de cet homme qui la chatouillaient de part et d’autre, elle l’étudia, plongeant ses yeux ambrés dans les siens. Puis elle tressaillit, gagnée par une angoisse croissante. La sentant anxieuse et bien qu’avide de la posséder au plus vite, il se fit violence et freina son élan, usant d’un effort surhumain pour se dominer. Il posa une main sur sa joue et murmura quelques mots de sa voix grave.

— Rien ne t’oblige à te livrer si tu ne le veux pas. Ne te force pas si tu crains de le regretter. Dis-le-moi maintenant et je te libère car, je t’avertis, si je commence à te toucher, saches que je ne pourrai plus me dominer une fois lancé.

Il fut choqué de se voir aussi indulgent, de lui laisser le choix et de se plier à sa volonté en cas de refus éventuel, cruellement frustré si tel était le cas. Mais cet homme foncièrement intègre ne pouvait tromper la confiance si durement gagnée de la délicate créature, d’ordinaire indocile, qui se tenait entre ses cuisses et qui s’offrait à lui pour la première fois dans une mignonne fébrilité.

Ambre poussa un soupir et se détendit à cette annonce. Ils se dévisagèrent, chacun guettant avec une pointe d’angoisse la réaction de l’autre. Alexander déglutit, pris d’une violente secousse qui le consumait intérieurement. Ambre, désarçonnée, réfléchissait. Elle se sentait étrangement bien, lovée contre lui, obnubilée par ces pensées érotiques qui la titillaient. Elle éprouvait le besoin d’assouvir auprès de lui cet acte naturel, de se sentir possédée, pénétrée, qu’importe la sauvagerie dont il ferait preuve.

Encline à se laisser conquérir, elle avança sa main sur le col de son veston, l’attira vers elle et l’embrassa langoureusement. Puis elle décroisa les bras, dévoilant une poitrine fièrement dressée.

Soulagé de son choix, il explora de manière lente et voluptueuse le galbe de ses seins, descendant progressivement jusqu’à la courbure de son ventre. Il sentait sa chaleur émaner sous ses doigts et ses paumes, palpant avec délicatesse son corps encore ferme et juvénile. Il retrouvait peu à peu ces gestes qu’il avait refoulés depuis des années et les effectua avec un réel délice. Cette sensation de désir s’intensifia lorsqu’elle fut traversée d’un frisson qui la fit trembler de tous ses membres, rendant sa peau moite et lisse, si agréable à parcourir. Il se recula et écarta les cuisses de la friponne, les plaçant de part et d’autre de son corps.

Il profita de ce changement de posture pour lui ôter sa mince flanelle qu’il glissa le long de ses jambes fuselées, la dévoilant intégralement. Puis il parcourut librement son corps, posant ses lèvres sur ces zones sensibles, allant même jusqu’à y faufiler ses doigts sans aucune résistance. Il l’entendait tantôt miauler tantôt gémir et la sentait gigoter.

Enivré par la vue et le toucher de ce corps féminin si sensuel et si longtemps refusé, s’offrant si généreusement à lui telle une offrande divine, Alexander ne put se retenir davantage, voulant mettre fin à ce supplice qui le tiraillait depuis tant d’années. Il ôta sa ceinture, déboutonna son pantalon et vint prestement en elle. Une fois confortablement ancré, il remonta ses mains et vint les plaquer contre ses paumes. Elle écarquilla les doigts pour qu’il y engouffre les siens puis les resserra afin de les capturer.

L’homme la dominait de tout son être et menait son assaut avec une fougue et une excitation bestiale. Il assouvissait au fond de lui le plaisir coupable d’être ainsi parvenu, au bout de trois longues années, à apprivoiser, à charmer et à faire plier cette fieffe sauvageonne à sa volonté. Dominé par la fièvre de cet instant si longuement espéré, il claquait avec force sa chair contre la sienne, désireux de s’engouffrer toujours plus profondément afin de jouir et de savourer au mieux ce corps tant convoité.

Le souffle court, Ambre haletait, submergée par la sensation de plaisir que lui procuraient ses mouvements pleins d’ardeurs. La tête dressée et la nuque relevée, elle s’abandonnait à lui toute entière. Pour la première fois de sa vie, elle se laissa dominer par ce prédateur impitoyable, s’offrant à lui sans gêne ni pudeur ; les yeux mi-clos et l’esprit vagabond.

L’homme émit un râle libérateur. Une fois leur union achevée, il resta quelques instants au-dessus d’elle, savourant cette délivrance si parfaite et inespérée. Hors d’haleine, triomphant, et enfin déchargé d’un lourd fardeau, il la contempla d’un regard tendre puis posa une main sur sa joue entaillée et la caressa, se délectant de ce petit écart de conduite. Ambre ferma les yeux, profitant de ce geste affectueux. Elle se sentait cotonneuse, les membres fébriles, une délicieuse sensation lui picotant le bas-ventre.

— Voilà qui est pour le moins inattendu ! finit-il par dire, le sourire en coin, heureux de cet emballement précipité qu’il n’espérait pas voir venir de si tôt.

Ils échangèrent un sourire complice. Il essuya son front duquel des gouttes de sueur perlaient. En se levant, il lui tendit la main et l’aida à se relever à son tour. Il se reboutonna, replaça ses cheveux noir-ébène aux mèches humides puis se faufila derrière elle et l’aida à fermer sa robe, prenant soin de l’examiner une dernière fois. Avant qu’elle ne regagne sa chambre, titillé par le plaisir de la voir à nouveau s’offrir à lui, il se posta devant elle.

— Si jamais vous le souhaitez, sachez que mademoiselle est dorénavant la bienvenue dans mes appartements.

Ambre sourit et acquiesça silencieusement.

Le lendemain matin, alors qu’elle se rendait dans la salle à manger afin de petit-déjeuner, elle aperçut son hôte en train de lire son journal, une tasse de café à la main.

— Bien dormi, mademoiselle ?

— Pas vraiment, révéla-t-elle tout en buvant une gorgée de café que venait de lui apporter Séverine. La nuit a été agitée et j’ai mis un certain temps à trouver le sommeil.

Elle piocha un croissant et le croqua à pleine dent. Elle ne savait pas si la viennoiserie était particulièrement délicieuse mais elle avait une saveur plus exquise qu’à l’accoutumé. L’homme posa son journal et regarda à travers la baie vitrée donnant sur les jardins baignés de lumière.

— La journée s’annonce belle, si vous n’êtes pas trop épuisée, peut-être souhaitez-vous m’accompagner pour une balade équestre le long de la côte. Il serait dommage de rester enfermés ainsi alors que le soleil est au rendez-vous. D’autant que la mer est calme à cette heure, la plage sera tranquille et silencieuse.

Ambre rit devant cette invitation pleine de sous-entendus. Elle but une autre gorgée et opina du chef. Alexander demanda à Pieter de seller Montaigne et Balthazar. Avant de partir, la jeune femme embrassa sa cadette qui bougonna, vexée de ne pas être invitée à leur promenade. Mais lorsqu’elle vit son père et sa sœur se tenir le bras dès qu’ils furent apprêtés, elle gloussa et afficha un sourire rayonnant.

Dehors, les deux cavaliers partirent au trot, quittant Iriden par la sortie ouest pour se rendre dans la campagne. Ils sillonnèrent le littoral et continuèrent leur course pendant plusieurs kilomètres. Le paysage devenait désertique, relativement sauvage avec ces rares habitations noréennes abandonnées qui servaient de refuges à la faune.

Ils arrivèrent dans une crique isolée, parsemée de vieilles bâtisses en pierre brute. C’étaient les ruines d’un ancien village de pêcheur noréen au milieu desquelles un serpent marin sculpté dans de la pierre était érigé, la tête séparée du corps. Des oiseaux sillonnaient le ciel, poussant des piaillements aigus envers les deux étrangers qui venaient les déranger sur leur territoire. Sur le sable encore humide de la marée, tapissé d’algues et de coquillages, de gros rochers noirs fissurés ou brisés semblaient témoigner d’un incident passé. Un pan de falaise rocheux avait fendu les pierres qui s’étaient échouées en bas.

Alexander descendit de cheval et aida la jeune femme à mettre pied à terre. Celle-ci se laissa faire et lui prit le bras. Ils marchèrent jusqu’au bord de l’eau puis l’homme s’adossa à un rocher sur lequel les initiales J et E ainsi que le mot ERAVEN étaient gravés. Il observa l’océan qui se déployait à perte de vue et où nul bateau ne venait troubler la belle étendue bleutée.

Ambre s’installa à ses côtés et l’imita. Le vent frais et vivifiant fouettait son visage et faisait danser ses cheveux. L’atmosphère était apaisante dans cet environnement sauvage et préservé malgré les meurtrissures, une nature brute qui portait encore les marques de vies humaines passées.

— Avez-vous réfléchi à ma proposition ? demanda-t-il posément.

Ambre déglutit et se frotta les mains. Elle avait passé la nuit à tenter de trouver une réponse à cette question qui la chamboulait depuis quatre mois déjà. Ses iris ambrés focalisés sur lui et un sourire au coin des lèvres, elle s’éclaircit la voix et avoua calmement :

— La question m’a occupée une bonne partie de la nuit mais je pense y avoir trouvé un semblant de réponse.

Alexander tourna la tête et la contempla de haut. Il demeurait immobile, attendant patiemment son verdict. Ambre fit un pas en sa direction puis, après une brève hésitation, posa une main sur sa joue et l’embrassa.

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