NORDEN – Chapitre 82

Chapitre 82 – Prologue

Il était sur Norden un majestueux manoir construit il y a près de deux siècles dans un vaste domaine boisé s’ouvrant sur l’océan. Niché au cœur de cet écrin de verdure, il se distinguait de loin avec ce toit mansardé couvert d’ardoises coiffant une façade ivoire percée de fenêtres à croisillons. Érigé sur deux étages et pourvu de deux ailes saillantes, il pouvait accueillir une centaine de convives en son sein bien que seule demeurait céans la riche famille ducale des von Hauzen ainsi que leur dizaine de domestiques.

— S’il vous plaît père, racontez-nous une histoire ! demanda une fillette à la peau ambrée dont les iris charbonneux trahissaient une espièglerie innée.

Âgée de six ans, l’enfant affichait un sourire sincère, révélant ses quenottes dont une manquait à l’appel. Les yeux brillants d’admiration, elle se tenait assise sur son lit, noyée sous un amas de couvertures moelleuses desquelles émanait une enivrante senteur de lessive. La pénombre naissante envahissait les lieux, plongeant la chambre sous des nuances bleutées. Les nitescences des chandelles posées sur les guéridons et les bibliothèques garnies d’ouvrages éclairaient timidement cet espace silencieux.

— Oh oui ! encore une ! renchérit une autre fillette tout aussi avide de cajoleries.

La seconde enfant était aussi claire de peau que sa sœur était hâlée. Avec la même intensité que sa jumelle, elle plantait ses yeux vairons, l’un bleu céleste l’autre noisette, dans les prunelles noires de son géniteur. Ce dernier ne pouvait s’empêcher d’afficher un sourire empli de fierté, heureux de toute l’attention et de l’amour que ses deux filles pouvaient lui vouer.

Tout juste rentré du travail, sa satisfaction première fut d’aller les voir avant qu’elles ne s’endorment. Il n’avait alors eu ni le temps de dîner ni de se changer. De ce fait, il portait encore son uniforme de maire, un somptueux costume sombre sur lequel une broche dorée était épinglée. Le bijou fait d’or pur représentait un cerf et une licorne entrelacés ; les symboles respectifs des peuples noréens et aranéens.

— Laquelle vous ferait plaisir ? murmura-t-il en passant une main dans ses cheveux noir-ébène parsemés de mèches grises.

— La Bête du Haut Valodor ! s’exclama la première.

— Oh non ! rétorqua la seconde avec vigueur. On l’a déjà eu hier ! Moi je préfère l’histoire du cerf et de la licorne.

— Mais on la connaît par cœur !

Mécontente, la fillette à la peau ambrée triturait ses cheveux de jais, une moue dessinée sur son visage mafflu constellé d’éphélides.

— Du calme les filles !

Assis sur le lit de la première, l’homme tenta de trouver un arrangement sur ce sujet de discord auquel il avait affaire près d’un soir sur deux. Les mains jointes et le dos bien droit, il s’éclaircit la voix et proposa diverses solutions. Histoires, comptines, chansons… tout leur fut exposé jusqu’à ce qu’elles se mettent d’accord sur un chant ; leur Hymne familial connu autrement sous la complainte de l’Aigle brisé.

Une fois que l’air fut compté, le père embrassa tour à tour les deux fillettes et leur exposa les directives du lendemain.

— Je travaille jusque tard demain et votre mère a un empêchement, ce sera donc le capitaine Friedz qui vous récupérera après l’école. Je vous accorde la permission d’aller au parc ou à la plage et si vous êtes gentilles, j’autorise même Herbert à passer à la Bonne Graine pour vous acheter une viennoiserie.

— Oh oui ! répondirent-elles en cœur, ravies de ce programme fortement alléchant.

Après un dernier regard complice échangé, l’homme se leva. Il éteignit les chandelles et partit en refermant la porte derrière lui. Désormais seules, les jumelles gloussèrent puis, sans attendre, l’une vint assaillir le lit de l’autre. Leurs corps enfouis sous les épaisses couvertures, elles chahutèrent et rirent à gorge déployée sans nullement se soucier des heures défilantes.

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