NORDEN – Chapitre 90

Chapitre 90 – La glorieuse fête de l’Alliance

— Arrêtez de bouger maître ! lança Emma après un soupir d’exaspération. Je ne parviendrai jamais à vous attacher cette cravate si vous gigotez sans cesse !

Les sourcils froncés et le visage grimaçant, elle tentait de préparer le marquis comme il se devait pour célébrer ce jour si particulier, pestant de ne pas parvenir à nouer cette « saloperie de cravate » sur laquelle elle s’acharnait depuis plusieurs minutes sans réel succès. Le jeune marquis se tenait debout et triturait anxieusement ses doigts, remuant sa tête de gauche à droite.

— T’en as encore pour longtemps ? fit-il en regardant l’horloge. Les invités doivent presque tous être arrivés ! Magne-toi un peu s’il te plaît !

Elle s’arrêta et le darda d’un regard noir.

— Oh, mais quel culot dis donc ! Si monsieur était rentré plus tôt et n’avait pas passé son après-midi à copuler, il serait déjà prêt depuis bien longtemps ! En plus je suis attendue au service, cela doit faire bien vingt minutes qu’on m’attend en bas.

— Ne manque pas de respect à ton maître ! s’énerva-t-il en la toisant avec sévérité. Et je te signale que j’ai passé la journée à la mairie aux côtés du maire afin de préparer le discours de ce soir. Je suis fatigué et stressé et te voir me parler ainsi me donne envie de te ficher une raclée bien méritée. Et si tu continues à agir de la sorte, crois-moi Emma, je demanderai à mon père de te ficher dehors ! Je ne sais pas ce que tu as, mais tu commences à dépasser les bornes ces derniers temps !

La jeune femme fit une moue mais ne rétorqua rien. Ne souhaitant pas essuyer de remarques quant à son comportement auprès du marquis père, elle baissa la tête et s’excusa à mi-voix. Puis, terrorisée à l’idée d’être congédiée alors qu’elle ne possédait ni logement ni famille ni fortune et que trouver un travail bien rémunéré dans les temps actuels se révélait extrêmement compliqué, elle hoqueta et commença à sangloter. Voyant qu’il était inutile de se défouler sur elle, Théodore glissa un doigt sous son menton et la fit le contempler droit dans les yeux.

— Calme-toi Emma, dit-il d’une voix radoucie, je ne compte pas te mettre à la porte. Mais franchement arrête de toujours outrepasser les limites ! Reste à ta place, fais ce que je t’ordonne et tout se passera bien. C’est d’accord ?

— Ou… oui maître, renifla-t-elle, je vous promets de ne plus vous manquer de respect.

— Maintenant ressaisis-toi, finis de me nouer cette cravate et après tu es libre de rejoindre les autres en bas pour entamer ton service.

Elle passa une main sur ses yeux rougis et termina sa tâche. Lorsque le nœud fut enfin noué, il la congédia, se parfuma puis alla s’observer devant le miroir de plain-pied. Il se trouvait incroyablement élégant avec ce gilet noir cintré qu’il avait enfilé par-dessus cette chemise liliale tout juste repassée. Son pantalon sombre et moulant descendait jusqu’à ses souliers vernis offerts par son père spécialement pour cette occasion. Dans un souci du détail, il avait soigneusement plaqué ses cheveux sur le côté et lustré ses lunettes afin de mettre en valeur ses yeux de jade.

Une dizaine de minutes plus tard, il descendit les escaliers du hall puis prit la direction du grand salon où la salle était comble, comportant une centaine d’invités. La plupart des convives était d’origine aranéenne et provenait d’un milieu aisé. Il salua l’assemblée et fut salué en retour, affichant un sourire faux qui dévoilait l’intégralité de ses dents blanches tout juste brossées pour leur donner un éclat coruscant. Ce soir, il espérait attraper quelque oiselle qui se laisserait volontiers charmer par ce marquis à la fortune notable et au poste convoité.

Bien évidemment, la soirée ne se prêtait guère à ce genre de lubie ; la fête de l’Alliance était avant tout un événement diplomatique ayant lieu chaque année le dix-neuf octobre. Elle célébrait la réunion des deux peuples, l’union symbolique du cerf et de la licorne et était, avec la fête nationale du trente et un juillet, une journée majeure dans le calendrier aranoréen.

D’ordinaire, lors des vingt-deux années précédentes, sous le mandat du Duc Friedrich von Hauzen, celle-ci avait lieu à son manoir. Cette année, Wolfgang avait proposé au maire von Tassle d’accueillir ce glorieux événement en son enceinte, désireux de retrouver un semblant de prestige et d’être au centre de l’attention.

Les notes du piano et de l’orchestre résonnaient à travers le vaste espace, agrémenté par le brouhaha et les rires de la foule. Le grand salon avait été spécialement réagencé pour la soirée ; les fauteuils avaient été disposés près des baies vitrées bardées de rideaux opalins. L’immense table à déjeuner avait été déplacée dans un coin et servait à accueillir le majestueux buffet garni de vivres et d’alcool. Des mets de diverses saveurs, tantôt sucrés tantôt salés, avaient été disposés sur des plateaux de porcelaine, répandant dans l’atmosphère un fumet appétissant.

Théodore esquissa un sourire en prenant entre ses mains une coupe de champagne que lui tendit un serveur. Son père avait vu les choses en grand et n’avait absolument pas regardé à la dépense pour organiser ce premier événement diplomatique depuis l’élection du maire von Tassle. Tout comme le père d’Antonin, Wolfgang vivait dans la démesure et le faste. « Un convive choyé et comblé était un convive charmé et un futur client régulier » avait-il l’habitude de dire.

Enivré par cette ambiance festive, le brunet se laissait bercer par la farandole d’odeurs et par les demoiselles aux tenues aguichantes, habillées d’un plumage semblable à celui d’un paon. Vêtues de leurs plus belles robes d’apparats, faites de fines broderies et de soieries, elles exhibaient fièrement leurs atours aux jeunes mâles arborant des tenues toutes aussi somptueuses dans leurs costumes unis et sobres que seul un unique bijou venait égayer.

Il n’était pas dix-neuf heures que, déjà, les jeux de séductions se déployaient ici et là. Les hommes chassaient, les femmes charmaient. Un spectacle d’exhibition où les premières convoitises et les rivalités commençaient à naître alors que le champagne n’avait pas encore dit son maître mot à travers les lèvres de ces gens, aux langues non déliées, encore bien timides sans cette ivresse salvatrice pour les pousser au vice.

Détendu, Théodore avançait dans ce dédale humain en mouvance constante, se frayant un chemin entre les paires de jambes. Séducteur, il frôlait les damoiselles, effleurant du bout des doigts leurs flanelles ou la peau de leurs bras laissés nus et examinait leur gorge avec un ravissement contenu. Il marchait d’un pas chaloupé, faisant claquer ses talons contre le sol en damier noir et blanc. Il était heureux de se retrouver dans cet univers où son père et lui étaient au centre de l’attention, espérant redorer leur blason à l’émail terni.

De toute la noblesse, seul le clan des von Dorff et des de Malherbes ainsi que leurs partisans manquaient à l’appel, soit une majeure partie de la haute société qui voyait en Wolfgang un piètre opportuniste et un traître à la Nation. Si le marquis von Eyre voulait étinceler, c’était auprès du peuple qu’il fallait se rabaisser.

Théodore repéra enfin Antonin. Le blondin en costume bleu nuit se tenait non loin de l’estrade, un verre à la main.

— Monsieur Antonin, suis-je en train de rêver ? Vous êtes seul ? nargua-t-il en posant une main sur son épaule. Mademoiselle est encore à son logis en train de terminer sa toilette ? Se pomponner afin d’être parfaite pour son amant le marquis.

Son ami pouffa et approcha son verre du sien afin de trinquer. Le cristal tinta, produisant un son limpide.

— En effet, ma moitié n’est pas encore arrivée, je suis venu avec mes sœurs. Myriam est insupportable ce soir.

— Comme tous les jours non ? s’amusa le brunet.

— Comme tous les jours depuis vingt-sept ans, un calvaire cette fille. Heureusement que Félicité est plus posée.

— Elle est venue ? C’est rare de la voir revenir par ici.

— Oui, elle est avec son mari et ses deux enfants. Et tu veux savoir la nouvelle ? Il paraît que Philippe la trompe. Elle ne sait pas avec qui mais elle en est certaine. Sa chemise sent le parfum de femme et ce n’est pas le sien. Du coup elle l’espionne et cherche à lui faire avouer ses fautes, mais il nie tout sans sourciller. Et il ne s’en offusque même pas ! Bon, après ils se sont quand même sacrément disputés à la maison l’autre jour. Et devant les parents. T’aurais vu la tête de ma mère. Elle était scandalisée.

Théodore ricana et but une nouvelle gorgée de liquide pétillant qu’il laissa glisser le long de son palais.

— Après, on va dire que c’est assez commun, fit-il en balayant l’assemblée du regard, pour moi, rares sont les couples qui durent en restant fidèles ou du moins en ne partageant leur vie qu’avec un seul et unique partenaire. Surtout lorsqu’il y a des gamins dans l’affaire.

— Tu crois cela ? s’enquit le blond, la mine renfrognée.

— Je peux te dire que j’en sais quelque chose. Ça fait maintenant cinq mois que je travaille au cabaret et je vois déjà quatre clients réguliers dans cette salle et ce ne sont pas des célibataires mais des gens mariés dont tu ne pourrais même pas soupçonner l’identité au vu de leur vie si parfaite en apparence. Je ne te dirai pas qui c’est car le secret professionnel m’oblige à tenir ma langue et que je ne dois pas nuire à l’intégrité ni à la réputation de mes clients. Et ce sont des hommes comme des femmes, jeunes et moins jeunes. J’ai même eu un couple dont l’homme voulait que je prenne sa femme devant lui. C’était terriblement excitant.

Le visage d’Antonin se décomposa davantage à l’entente de ses explications. Comprenant qu’il commençait à s’agiter Théodore lui tapota l’épaule et le rassura :

— Mais ne t’en fait pas mon brave, il y a bien un moment donné où ta belle duchesse aura un parfum trop coutumier et elle ne te suffira plus au point de devenir fade et sans la moindre saveur. Tes actes deviendront mécaniques et tu le feras davantage pour te soulager plutôt que pour y prendre un réel plaisir. Et à ce moment-là, tu verras que spontanément ton cerveau et ce que tu as entre les jambes s’activeront auprès d’une autre, puis d’une autre encore après elle. C’est la vie, mon cher. Le charme de l’imprévu et l’avidité de la conquête.

— On voit que tu n’as jamais été amoureux, objecta-t-il en piochant un petit four du plateau que le serveur venait de lui tendre, crois-moi que cette femme-là je l’aime et jamais pour rien au monde je ne voudrai m’en passer.

— Tu dis ça car c’est nouveau, on verra si dans un an tu auras le même discours ! Pour l’instant tu t’amuses et tu explores. Elle était ton fantasme depuis longtemps, alors forcément que les pulsions que tu éprouves envers elle sont puissantes. Mais une fois que tu l’auras retournée dans tous les sens et que tes gestes deviendront inlassablement répétitifs alors là tu verras les choses autrement.

— Il n’y a pas que l’acte sexuel Théodore ! J’aime sa personnalité, sa bonne humeur, sa volonté de ne pas se laisser abattre malgré sa disgrâce. Elle est gentille, cultivée, intelligente et même drôle ! Maman et papa l’adorent !

— C’est uniquement parce qu’elle est nouvelle dans ta vie ! Tu ne lui vois que ses qualités ! Mais quand tu en auras marre de toujours devoir aller dans son sens, de faire ce qu’elle te demande et surtout de t’excuser comme un petit chien soumis, tu verras qu’il y aura plein d’autres femmes tout aussi dignes de toi et attrayantes, avec qui t’amuser et te défouler en parallèle.

Antonin ferma les yeux et soupira d’agacement.

— Écoute, je sais que t’as jamais connu ce que c’était que de voir deux personnes s’aimer profondément et ce malgré les années. T’as jamais connu ton père avec ta mère. Tu ne sais pas ce que c’est que de grandir dans une famille unie et aimante et de voir quotidiennement tes parents s’échanger des regards et des amabilités. De vivre leur vie en se comprenant parfaitement jusqu’à devenir fusionnels et d’essayer de tout faire pour que leurs enfants grandissent et s’épanouissent à leur tour dans ce cocon baigné d’amour. Je veux vivre cette expérience avec Meredith. Qu’importe sa disgrâce. Je veux la protéger et la chérir.

Théodore fronça les sourcils et souffla :

— En parlant de protection, il ne me semble pas avoir encore aperçu la rouquine.

— Non, en effet ! Mais j’ai vu von Tassle, il a l’air plutôt agité. C’est étrange de le voir comme ça.

— En effet, fit-il en pointant du doigt le Baron, c’est vrai qu’il a l’air nerveux.

L’homme se tenait non loin d’eux et était en grande conversation avec ses partisans. En apparence calme, les gestes du maire trahissaient un mal-être latent ; comme ces subtils frottements de doigts contre la paume de ses mains ou bien le léger tressaillement de ses lèvres.

Antonin ricana :

— Si ça se trouve il a tué la rouquine.

— Arrête, elle est increvable celle-là. Pire qu’une tique ! Je ne sais pas si elle va nous faire grâce de sa présence ce soir, mais avoir cette noréenne défigurée sous mon toit ne m’enchante guère.

— Tu dis ça mais elle titille tes ardeurs. Avoue que ça t’obsède de ne pas l’avoir chevauchée alors qu’Anselme s’en est chargé. Elle a préféré un infirme plutôt que toi et ça te reste en travers de la gorge.

— T’étais là je te signale ! rétorqua-t-il avec vigueur. Tu ne vas pas me dire que la fois où nous l’avions piégée dans la ruelle tu ne te serais pas amusé avec elle toi non plus. En plus, c’est vrai que tu n’as pas eu l’occasion de la toucher ou de l’approcher de près. Tu ne peux pas savoir comment son parfum m’a terriblement séduit lorsque j’avais sa gorge entre mes mains et que mon sexe frottait contre son bassin. Même avec la couche de nos pantalons, je n’ai jamais été aussi dur qu’en cet instant. C’en était grisant. Cette fille est née pour être saillie et ce n’est pas un hasard que l’un des plus grands pervers de l’île l’héberge en son manoir ! Surtout qu’il la lance en politique ! Non, mais t’as vu à quel point elle est rustre et grossière ! Il n’a même pas suffi d’un discours pour que Muffart et la presse se délectent de la ridiculiser dans leurs journaux.

— Rien que d’imaginer un homme de son âge jouir d’une fille aussi jeune me donne la nausée. Ils ont quoi, vingt ans d’écart ? Elle pourrait être sa fille.

— Ce n’est pas trop ça qui m’intrigue, mais plutôt le fait qu’elle sortait avec son beau-fils et il la lui pique sans aucune pitié maintenant que ce laideron boiteux d’Anselme est devenu un sale corbeau. Cet homme est aussi calculateur que cruel. J’en suis admiratif.

— En effet et…

Antonin n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’une paire de bras s’enroula autour de son cou, l’enserrant avec force. Une odeur terriblement enivrante de fleur d’oranger parvint à ses narines et un souffle chaud, chargé d’une senteur florale caressa sa nuque, le faisant frissonner.

— Quel bel homme vous faites marquis, susurra Meredith à son oreille tout en se plaquant contre lui.

— Comment allez-vous ma biche ?

Il se retourna vers elle et l’embrassa langoureusement. Elle gloussa puis planta ses yeux rieurs dans les siens avant de lui voler sa coupe de champagne à moitié pleine et de la finir d’une traite. Puis elle confia la flûte à Théodore avant d’embrasser à nouveau son amant plus fougueusement. Antonin renchérit à son étreinte, la plaquant contre lui.

Cet étalage de passion mièvre arracha une grimace au brunet qui, se sentant de trop, entreprit de vagabonder parmi les invités. Non loin devant lui, il aperçut Irène proche des banquettes, tenant entre ses mains une longue cigarette aussi fine que ses doigts, qu’elle portait à ses lèvres avec des gestes lents et maniérés.

La duchesse mère était vêtue d’une somptueuse robe de bal à traîne, de teinte bleu sarcelle qui épousait ses formes sinueuses. Celle-ci était rehaussée de broderies d’or, la faisant scintiller aux reflets des lumières. L’étoffe paraissait neuve et surtout similaire à celles que son père vendait dans son magasin de vêtements de luxe pour femme ; Chez Francine. Il fut d’ailleurs surpris de la voir discuter avec Wolfgang qui, les yeux brillants, paraissait plus s’intéresser à son entrevue avec la dame que par le discours à venir du maire.

Il se comportait devant elle comme un coq faisant la cour, usant de son charme de dandy habituel : large sourire dévoilant l’intégralité de ses dents blanches, cheveux savamment coiffés avec une houppette pour lui garantir une allure désinvolte, mains appuyées sur sa canne dont il caressait le pommeau et déhanché impétueux que son veston vert anis cintré sur son pantalon blanc moulant accentuait.

Songeur, il continua son chemin, vaguant sans trop savoir où se rendre jusqu’à ce qu’il sentit la faim et la soif le tirailler, le faisant se diriger spontanément vers le buffet déjà bien déplumé de ses friandises. Avec des gestes retenus, il piochait différents petits fours à travers les divers réceptacles, collectionnant les roulés au saumon dont il se délectait à chaque bouchée avalée. Emma, qui le vit faire, s’approcha avec un plateau sur lequel trônaient de multiples flûtes de champagnes et lui en tendit une.

— Voilà pour vous ! murmura-t-elle. Si monsieur le désire, je peux vous garder un assortiment de mignardises et le déposer dans votre chambre.

Amusé, il lui adressa un sourire charmeur.

— Ce serait parfait. Et si jamais, lorsque je regagnerai ma chambre ce soir, mademoiselle se retrouve comme par mégarde couchée nue dans mon lit. Et que, bien sûr, elle se trouve d’humeur coquine, alors il serait possible qu’une pièce ou deux se glisse sous son oreiller pendant la nuit. Surtout que cela permettrait d’effacer la petite querelle de tout à l’heure et de terminer la soirée sur une note positive.

Emma pouffa et battit des cils :

— Cela devrait pouvoir s’arranger. Même si je risque de terminer plus tard que monsieur.

— Rejoins-moi tout de même, fit-il en posant un doigt sur ses lèvres pulpeuses, et réveille-moi en me montrant à quel point tu aimes ton maître et que tu es gourmande de sa personne.

Elle gloussa et opina du chef avant de poursuivre son chemin pour aller servir d’autres clients. Revigoré par cette idée, le jeune marquis but d’une traite le liquide liquoreux, passant sa langue sur ses lèvres afin de déguster les dernières gouttes. En se retournant, pour contempler l’assemblée, il aperçut le maire debout sur l’estrade, prêt à entamer son discours solennel.

Le port noble et la tête haute, le Baron von Tassle paraissait intimidant. Il débuta son élocution d’une voix grave et suave qui avait le don de charmer l’auditoire. Pourtant, il paraissait moins hardi qu’à l’accoutumée, butant sur un ou deux mots et laissant quelques instants de flottements, un comportement étrange pour un homme tel que lui, si difficilement troublé.

Tout en l’écoutant, le regard du marquis se posa sur la silhouette d’une magnifique femme vêtue d’une somptueuse robe longue en velours vert et arborant une sublime coiffe à plumes de paon. Dressée de toute sa hauteur, elle semblait flotter du haut de ses ravissants souliers noirs à talons fins.

Mais dans son regard aussi froid que le givre, aucune émotion ne transparaissait. Un air hautain qui la rendrait presque repoussante tant il n’en dégageait que de l’indifférence et du mépris. Ses mains jointes aux doigts entrelacés pendaient devant elle, lui conférant un port d’une extrême rigidité, comme si le fait de bouger le moindre de ses membres pouvait la briser.

Théodore l’observa intensément tout en se mordillant les lèvres. Plus il la voyait, plus elle le rendait mal à l’aise, la frigide duchesse n’était pas une femme pour lui. Il eut un rictus et s’empara d’une énième flûte d’alcool avant de reporter son attention sur elle. D’ailleurs, quel être sensé pourrait tomber amoureux d’une telle créature ?

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