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Chapitre 385 : Le petit Dresseur

Le carreau rebondit sur la tête dénudée de Bravain qui soupire très fort en se tournant vers moi. Il était donc sur ses gardes. Cela confirme ce que je savais déjà. Bravain m’a caché des choses pendant tout ce temps.

— Je n’ai jamais été un très bon menteur, mais je ne m’attendais pas à ce que tu tires sur moi aussi facilement. On se connaît, Nomad. Tu pourrais me poser des questions et j’aurais pu t’offrir des explications. À la place, tu décides de passer ta frustration sur moi. Range ton arbalète et viens discuter avec moi.
— Hors de question. Je ne suis pas un ange, mais je ne tue pas des enfants pour faire de la politique.
— Et maintenant tu me juges sans comprendre. C’est un peu facile pour un homme qui vient de passer sa nuit à massacrer tout un camp.
— Un camp de soldats. Je peux comprendre l’idée de tuer pour atteindre un objectif puisque je suis un Assassin. J’ai juste beaucoup plus de mal avec le meurtre d’enfant. Si je me rappelle bien, sur la dizaine de rejetons, il y en avait trois ou quatre qui avaient moins de dix ans ? Je m’en rappelle, car tu t’en es servi comme d’un argument pour expliquer que Thif est un monstre.
— J’ai fait ce que j’avais à faire pour que ce royaume puisse être sous notre contrôle. Je fais ça pour les grimpeurs. Nous pourrions vivre en harmonie avec les Galatiens ! Penovia pourrait être le premier royaume à démontrer que c’est possible et devenir un havre de paix pour tous !
— Et je fais ça parce que tu es méchant.
— …
— …

Il me regarde sans comprendre, mais je le pense sincèrement. Bravain est un méchant. Il a juste du mal à le croire et à le comprendre, mais vu mon air sérieux il ne semble pas vouloir se mettre à rire en m’entendant résumer si simplement ce qu’il a fait.

— C’est vraiment ça ton argument ? Que je suis méchant ? Ne te comporte pas comme un enfant, Nomad. Tu vaux mieux que ça.
— Mets-toi à ma place. Tu t’es servi de moi en me mentant avec d’autres membres sur le vrai objectif de ma quête. J’imagine que la totalité de la guilde n’est pas au courant, sinon j’aurai fini par le découvrir avec mes animaux.
— Correct.
— Cela fait donc trois semaines que tu t’efforces de me cacher la vérité en voulant te servir de moi comme un pion à sacrifier pour générer du chaos. Le problème c’est que j’ai réussi et que je suis de retour puisque j’ai compris qu’il y avait un coup fourré. DONC, tu décides de m’attendre en préparant un piège pour te débarrasser de moi avant que je ne parle à quelqu’un et que cela devienne gênant. Maintenant, tu me révèles que tu es un tueur d’enfants prêt à tout pour atteindre ses objectifs.
— Donc… je suis un « méchant ». C’est assez stéréotypé, mais acceptons.
— Tout ça ressemble à un film. C’est toi le méchant et automatiquement je suis le gentil qui a découvert ton plan et qui cherche à y mettre fin. Ne t’en fais pas, je suis certain que le film finira bien.

Bravain me regarde et soupire en secouant la tête négativement. Je semble l’avoir fatigué avec mes explications. J’ai donc gagné la guerre psychologique et maintenant il ne me reste qu’à gagner sans me faire couper un bras et avant que Thif ne perde patience.

« Tu sais, je prévoyais de t’emprisonner et discuter avec toi dans l’espoir que tu comprennes et qu’on trouve un arrangement… mais je me rends compte que cela rentre dans ta narrative du méchant. Tu ne rentres pas non plus dans l’idée que je me fais d’un Assassin en ayant ce genre de réaction. Je n’ai pas agi par plaisir, mais j’ai fait ce qui était nécessaire pour réussir. »

… Quand un Chevalier agit avec moins de morale qu’un Assassin, je pense pouvoir dire que j’ai raison. Surtout s’il prévoyait de me torturer.

Bravain baisse la visière de son casque après l’avoir remis sur sa tête. Je soupire en le regardant faire. Cela ne m’arrange pas du tout qu’il se protège complètement. Il n’a pas l’air de vouloir prendre de risque en se reposant uniquement sur sa compétence forteresse.

Bravain est un Chevalier qui en a donc la défense physique, mais pas uniquement. C’est avant tout un spécialiste de classes offensives. De ce que je sais, il est aussi Duelliste, Maître, un mauvais Samurai et un Lutteur. Tout ça contenu dans une armure complète et solide au cas où la compétence défensive d’un Chevalier soit insuffisante. Contre Emy qui frappe aussi fort qu’un camion et avec l’énergie d’une furie, il n’a aucune chance sur le long terme. Moi par contre… mes stylets ne vont même pas lui faire une égratignure. Il attrape une épée et un bouclier dans son inventaire et commence à marcher dans ma direction de façon assez intimidante.

Tu parles d’un boss de fin. J’ai l’impression d’avoir un tank qui braque son canon sur moi. La classe de Chevalier va me rendre fou avec cette défense impénétrable. J’ai presque envie de crier que ce n’est pas du jeu, mais c’est seulement ma propre faiblesse qui parle. Je n’ai toujours pas résolu ce problème et je n’attends pas un miracle pendant ce combat.
Autant choisir la facilité, même si cela rend la fin du film un peu rapide.

Alors que Bravain saute dans ma direction en frappant avec son épée, je jette un fumigène asphyxiant au sol. La fumée rouge me recouvre presque aussitôt alors que j’esquive l’attaque de Bravain. Je jette une deuxième fiole sur lui en sortant du nuage. La potion collante et le fumigène devraient être suffisants pour en finir, peu importe sa défense.

Je m’appuie sur le rempart et je décide d’attendre en croisant les deux bras. Je pourrai partir en direction de Nikolas et du château, mais Thif est de l’autre côté de ce nuage de fumée rouge et je ne compte pas le laisser pendu indéfiniment. Cela ne le fera pas prendre le pouvoir et résoudre cette guerre civile.

Un bruit sourd retentit dans la fumée. De la pierre se brise alors que, grâce aux yeux de Micha, je peux voir Bravain avancer dans ma direction. Il a utilisé sa force brute pour briser la pierre et se libérer.

« Il faudra plus que ça pour m’arrêter Nomad, je ne com — »

Alors qu’il émerge de la fumée, deux fioles supplémentaires de potion collante se brisent sur lui. Il n’aura même pas eu le temps de lever son bouclier pour se défendre. Le liquide gluant coule jusqu’au sol en fixant à nouveau Bravain au sol comme du ciment à prise rapide. Il essaye de forcer une nouvelle fois pour se libérer, mais un deuxième problème semble l’en empêcher. La colle est prise dans l’armure et semble avoir figé les jointures. Son armure est maintenant tout autant une prison que le sol sur lequel elle est maintenant fixée. J’en jette une de plus en visant son casque et le liquide coule une nouvelle fois en ne laissant aucune chance à Bravain de se libérer.

Il force en gémissant, mais semble incapable de bouger d’un millimètre. Bravain est maintenant une statue.

— C’est gênant de me voir réduit à un simple obstacle sans même avoir la possibilité de me battre.
— Je suis un Assassin, ce qui m’intéresse c’est le résultat, pas la manière. Tu penses vraiment que je serais capable de survivre à la tour sans ce genre de méthode ? L’univers veut ma mort. Un Chevalier comme toi n’aurait aucune chance à ma place. Et puis, tu ne mérites pas un combat. La fin ne justifie pas les moyens, tocard.

Je vais chercher Thif en laissant Bravain essayer de se libérer. En le hissant à la force de mes bras, il me demande rapidement pourquoi j’ai mis aussi longtemps. Je ne prends pas la peine de lui répondre et je repasse devant Bravain en guidant Thif pour qu’il ne marche pas dans la potion collante. J’ai des présentations à faire.

— Bravain, voici Thif, frère du roi et héritier légitime du trône de Penovia dès que j’en aurai fini avec Nikolas. Thif, voici Bravain, le grimpeur responsable de la mort de ton frère, de tes neveux et sans doute de la reine et d’un bon paquet de personnes.
— Il est toujours en vie ?
— Des présentations sont plus faciles s’il est vivant, Thif. Et puis je n’étais pas encore sûr que sa mort soit une bonne chose. Il est le chef de la guilde Agamemnon. Le tuer ne rendra pas faciles les négociations pour te mettre au pouvoir. La décision t’appartient. Je ne suis pas politicien.
— J’en ai suffisamment entendu quand j’étais suspendu. Je ne discuterai pas avec un meurtrier de son espèce. Tue-le.

En me disant cela, Thif s’écarte et commence à marcher en direction du palais. Bravain se débat autant qu’il peut en me voyant sortir un croc de basilique de mon inventaire.

— Nomad, si tu fais ça, les autres vengeront ma mort. On peut trouver une solution ! Ne fais rien de stupide !
— C’est toi qui as été stupide de penser pouvoir me tuer. Tu n’es pas le premier sale type ou le plus dangereux avec lequel j’en finirai. Espérons pour les autres de la guilde qu’ils ne feront pas la même erreur.

Je peux entendre son armure grincer alors qu’il cherche à se libérer. En visant la visière de son casque et en l’ignorant alors qu’il me hurle d’arrêter, je plante le croc en lui transperçant un œil. Il hurle de douleur alors que le poison s’enfonce directement dans son cerveau. Je retire la lame avant qu’il ne soit mort et je m’éloigne sans me retourner.

Assez rapidement, je peux sentir sa corruption envahir mon corps et disparaître pour nourrir Angela. Il vient d’avoir une mort rapide, mais je ne vois pas de clé apparaître devant moi. J’imagine que pour ma prophétie, il ne me reste qu’une seule possibilité pour finir ma quête.

Je regarde la statue de Bravain avec les yeux de Micha. Immobile dans une posture ridicule, avec un peu de sang qui coule de l’intérieur de son casque. Je ne compte pas le plaindre. En tant qu’allié, il m’a manipulé. Il a ensuite cherché à me tuer. J’ai réalisé ce que toute sa guilde considère comme impossible et il a cru qu’il pourrait quand même me battre. Ils sont tous des vétérans avec plusieurs mondes derrière eux et se pensent supérieurs au petit Dresseur qui a un peu de notoriété.

M’entraîner dans le château semble leur avoir donné une mauvaise impression de moi. Ils m’ont tous vu comme quelqu’un de faible.
Je n’ai jamais battu Galaxia à la course ou Bravain en combat. Je n’ai pas la puissance d’un Mage comme Anisse, l’intelligence d’Héphaïstos ou le talent pour l’arc d’Apollon de leur guilde. Pendant les entraînements contre eux, j’ai respecté des règles tacites, car il n’y avait pas besoin d’aller aussi loin pour gagner à tout prix.

J’ai mordu la poussière. Je me suis brisé quelques os. J’ai perdu, car ce n’était que des entraînements ou des compétitions amicales. Eux ont décidé de comprendre que je n’étais pas si fort que ça en fêtant leur victoire pendant que je passais à l’entraînement suivant. Qu’est-ce que perdre à l’entraînement a à voir avec gagner sur un champ de bataille ?
Rien.
Rien du tout.
… J’ai rencontré des êtres dont le mouvement du petit doigt est une condamnation à mort. Être fier de gagner contre moi à l’entraînement n’est pas seulement ridicule. Dans la tour, c’est suicidaire.

Étrangement, je pense à Nerys pendant quelques instants. D’après elle, je vaux à peine mieux qu’un débutant… mais eux ? Si j’avais montré une telle vanité à l’entraînement en finissant un exercice, elle m’aurait brisé les bras et les jambes avant de m’ordonner de recommencer, tout en augmentant la difficulté.

Je peux tous les citer dans cette guilde avec leur petit monde de divinités et de légendes et admettre mes faiblesses quand je les ai croisés. Cependant, ils n’ont jamais admis les leurs.

… Ils m’ont lâché sur leur ennemi comme une bourrasque distrayante. Il voulait se servir de moi sans croire que j’y arriverai. Je l’ai accepté et j’ai dicté mes conditions. Ils n’ont toujours pas cru que j’avais une chance en me voyant comme un faible à la tête d’une armée de rongeurs. Trois semaines de préparations, de stratégies, d’espionnage et d’entraînement. Combien de fois j’ai dû me battre pour expliquer que je ne prenais que du matériel dont j’avais besoin ? Combien de fois ont-ils douté ou se sont tout simplement moqués quand ils pensaient que je n’écoutais pas.
Même après avoir réussi l’impossible, Bravain ne m’a pas pris au sérieux.

D’une fenêtre du château, il semble qu’un garde nous voit d’après les yeux de Micha. Une cloche commence à sonner. L’alerte vient d’être donnée, mais je m’en moque.

Maintenant que je ne suis plus l’un des leurs, ils feraient mieux de me craindre, car ils ne m’ont jamais eu comme ennemi.

Ils m’ont nommé Typhon et m’ont lâché sur leur ennemi. Maintenant, le vent vient de tourner et ils n’ont aucune idée de qui ils ont en face d’eux.

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Correction : Hastin

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