LES MONDES ERRANTS – Chapitre 13

Chapitre 13 – A la mémoire de nos pères 1/2

Je n’ai que peu de souvenirs de mon père, mort lorsque j’étais encore bien jeune. Onze ans si ma mémoire est bonne, douze peut-être. Ivan était un homme dur au visage crispé. Sa carrure était aussi massive que celle d’un ours et je savais qu’il en intimidait plus d’un avec sa grosse moustache brune et ses yeux bleus perçants dont aucune chaleur n’émanait. Il sentait le tabac froid et l’alcool. L’odeur de vodka imprégnait en permanence ses vêtements.

Quand il sortait, en hiver, il portait son impressionnant manteau de fourrure hirsute qui grossissait davantage sa silhouette. Je ne pouvais m’empêcher de rire en voyant les passants s’écarter de son chemin et traverser la route pour marcher sur le trottoir d’en face, prenant soin de regarder leurs pieds pour ne pas croiser le regard de la bête.

Mais sous ses airs bourrus et ses manières rustres, se cachait un homme bon et généreux qui savait se faire respecter. Ceux qui le connaissaient vantaient son caractère et ses services. Ma mère, ce petit bout de femme d’un mètre cinquante, n’en pouvait plus d’amour pour celui qu’elle appelait affectueusement « son nounours mal léché ». Ils formaient un drôle de couple. Tout les opposait, tant dans leur physique que dans leur comportement.

Maman, cette femme si douce, provenait d’une peuplade isolée dans les montagnes, les Apalandes. La peau ambrée, les cheveux et les yeux noirs, elle était aussi petite et menue que mon père était grand et large. Ysmelda se prénommait-elle. Je revoyais d’elle son visage souriant et ses yeux rieurs. Même après la mort de mon père, elle avait su conserver cette joie éternelle, gravée sur ses traits. J’avais hérité d’elle cette chair couleur caramel quelque peu diluée par la peau laiteuse de mon géniteur.

Comme tout enfant, je pense, j’admirais mes parents. J’ai grandi heureux, insouciant. Une vie laborieuse certes, car j’étais fils de prolétaires et que mes parents n’étaient indéniablement pas bien riches. Néanmoins je ne manquais de rien. Jeune, seuls un foyer chauffé, une pitance suffisante et des parents aimants comblaient mon bonheur. Adulte, j’avais su m’intégrer dans la société ; fonder une famille, exercer un travail honnête, avoir des amis et des loisirs agréables. Mais tout a changé depuis ce jour-là.

En effet, il y a une poignée d’années à peine, je me rendis en pèlerinage à Vladeskaya. Plus précisément, au Manoir Volkof pour retrouver ce trésor que j’avais jadis déniché puis aussitôt caché après que mon père, abattu par ma trouvaille, m’avait formellement ordonné de la rapporter là où je l’avais trouvée. Je me souviendrais à jamais de l’expression qui était affichée sur son visage lorsque je lui avais montré cette boîte en fer joliment décorée. Il y a des choses qui ne s’oublient pas, le comportement de mon père en cet instant était l’une d’elles.

Laissez-moi vous conter cette histoire.

Tout commença en cette journée d’hiver. Je n’avais alors que sept ans et croquais l’aube de ma vie à pleines dents. Mon grand-père, Igor, venait tout juste de décéder et mon père venait de recevoir une lettre du notaire pour l’avertir que la maison venait de lui être cédée. À cette époque, je n’avais pas compris pourquoi mon père n’avait pas désiré assister à l’enterrement de son géniteur ni même pourquoi ma mère ne voulait pas nous accompagner pour vider sa demeure.

Le sujet de mon grand-père avait toujours été un tabou. Personne n’en parlait à la maison. Il n’y avait aucune photo de lui. Pourtant, il en avait vécu des choses mon grand-père ! Les mois d’été, quand mes parents travaillaient d’arrache-pied à l’usine, j’étais convié à passer les deux mois de vacances en sa compagnie. Je passais mes journées à écouter ses multiples anecdotes qu’il me racontait avec des yeux brillants du feu de la passion qui l’animait.

Il régnait comme un froid lorsque papa me déposait chez lui, à Vladeskaya. Les deux hommes ne se parlaient guère et après cinq heures de voiture pour nous rendre sur place, papa rentrait dans l’immédiat, buvant seulement un café en notre compagnie. Avant de repartir, il m’accordait une tape amicale sur l’épaule, me sommant d’être sage. De la même manière, je ne devais jamais évoquer mon séjour ou les activités que j’effectuais à ses côtés. C’était un secret qu’il ne fallait pas que je partage et je me faisais rappeler à l’ordre si j’avais le malheur de mentionner son nom à la maison.

Ce jour-là, la vieille automobile noire dormait devant notre garage. Enveloppé de mon épais manteau de fourrure, je suivais docilement mon père. Alors qu’il entrait dans la voiture, celle-ci s’affaissa sous son poids. Une main sur le volant, il mit les clés sur le contact puis démarra. L’engin commença à crachoter, vomissant un nuage de vapeur grisâtre qui s’étendait dans l’air glacé, délaissant de sombres particules dans ces monticules de neiges qui s’entassaient de chaque côté de la chaussée. Il me regarda puis tapota le siège à côté du sien, m’invitant à grimper à l’avant. Ravi de la place qu’il m’offrait, je lui souris, dévoilant l’intégralité de mes quenottes dont une manquait à l’appel.

Je l’avais glissée sous mon lit la veille au soir et la petite souris me l’avait prise au beau milieu de la nuit. En guise d’offrande, elle m’avait octroyé un petit pochon de friandises. Bien sûr, je ne croyais plus en ces choses-là à mon âge, mais j’aimais écouter ces contes farfelus avec des créatures magiques et autres bêtes mystiques. Seuls le croque-mitaine et le monstre sous le lit m’effrayaient. Quoi qu’il en soit, j’avais aimé entendre ma mère venir dans ma chambre pour troquer ma dent de lait contre ces gourmandises. J’avais eu le plaisir de sentir son parfum fleuri et, adorable qu’elle était, elle m’avait déposé un baiser sur le front avant de s’en aller à pas de velours.

Avant d’ouvrir la portière pour rejoindre mon patriarche, je tournai la tête et adressai un regard à ma mère. Ysmelda patientait sur le perron. En simple chemise de nuit et pantoufles à ses pieds, elle grelottait, me faisant de grands signes pour me dire au revoir. Incapable de résister, je m’en allai l’enlacer une dernière fois. Elle se baissa à ma hauteur, me prit dans ses bras et me murmura de sa douce voix :

— Surtout soit gentil et écoute ton père mon petit Sergueï.

— Oui maman, répondis-je en hochant la tête, on se voit bientôt ?

— Dans une semaine mon lapin.

Je me renfrognai.

— Pourquoi tu ne viens pas avec nous ?

Elle soupira et ébouriffa mes cheveux.

— On en a déjà parlé ! Maintenant vas-y, ton père t’attend.

Je fis la moue puis défis mon étreinte pour aller le rejoindre. Sans un mot, j’entrai dans l’automobile. Après un dernier salut de la main et un coup de klaxon, la voiture s’engagea dans l’avenue en ronronnant.

Le paysage défilait lentement. On s’y perdrait avec tous ses immeubles construits d’un bloc sans aucune singularité. Des masses grises érigées sur une dizaine d’étages, à l’architecture droite avec des fenêtres étriquées, rythmées à intervalle régulier. Tous les bâtiments se suivaient à la chaîne, bloc A, B, C et ainsi de suite. Des gens marchaient dans les rues, ensevelis sous leur manteau, la tête enveloppée d’une écharpe et surmontée d’une chapka. Leurs pieds et leurs mains se couvraient de hautes bottes et de gants, pas l’ombre d’un morceau de peau hormis le bout du nez dépassait à l’air libre.

Le froid, dans cette partie reculée du monde civilisé, était mordant et les hivers bien rudes. Il n’était pas rare de tomber malade. Les infections pulmonaires et les engelures étaient monnaie courante. L’alcool réchauffait les âmes, tout le monde ici jurait par la Sainte Vodka.

Pendant le trajet, ni père ni moi ne parlâmes. Je voyais ses gros doigts se crisper contre le volant. Il déglutissait régulièrement, plus que les autres fois. Cela m’angoissait, car il était très rare que mon père marque des signes de nervosité. Pour faire passer son agitation, il se résolut à sortir son paquet de cigarettes. Il fuma avec acharnement. Le remugle nauséabond de tabac brun imprégnait l’habitacle, me donnant des haut-le-cœur à m’en faire vomir. Mais je me taisais. Par moments, je le voyais prendre la fiole de saint alcool qu’il gardait précieusement dans la boîte à gants. Il tétait une gorgée et refermait le couvercle de métal pour replacer le contenant dans sa cachette.

Au fil de sa traversée, ses yeux brillaient et la voiture valsait de gauche à droite dans des crissements de pneus. Le moteur crachotait. La vieille rosse était capricieuse et ronchonnait à accélérer sa course. Elle tremblait et peinait à avancer sur cette route cabossée partiellement gelée. Par chance, il n’y avait presque personne dans cette campagne perdue. La route sinueuse serpentait entre des étendues interminables de champs maculés de neige où seuls de rares arbres dépassaient, exposant leurs troncs ternes à nu.

M’ennuyant comme un rat mort, je posai ma tête contre la vitre et tentai de trouver le sommeil. La monotonie du trajet avait sans cesse raison de mon être. Ce paysage manquait de divertissement et ce n’était pas les rares vaches que j’apercevais dans les champs ou les voitures que l’on croisait qui avaient le don de me maintenir éveillé.

Je sentis la main de mon père tapoter ma cuisse. En ouvrant les yeux, je vis que l’on était arrivés. La maison de grand-père était si isolée. Nichée à l’orée de cette immense forêt sauvage où, disait-on, des loups et des ours vivaient. Je n’en avais jamais aperçu cela dit, mais j’avais l’intime souhait d’en rencontrer un, un jour prochain.

J’imitai mon père et sortis du véhicule. À peine esquissai-je un pas que je chutai dans la neige. Mon père eut un rire franc en apercevant mon vol plané. Sans attendre, il me prit dans ses bras pour m’emmener au logis. Je grelottais comme une feuille.

Nous pénétrâmes dans la maison. Papa me reposa et alla dans la salle de bain pour me donner une serviette alors que j’ôtai mes vêtements trempés. Pendant que je séchais mes cheveux, je gambadais dans cet espace sans vie. Mes yeux balayaient ces pièces qui paraissaient aussi mortes que ne l’était le défunt Igor. Une lueur diaphane nimbait les surfaces, éclairant également les postillons de saletés qui s’étendaient dans l’atmosphère, stagnant dans l’air. J’avais entendu au téléphone que papa avait autorisé les habitants de la région à prendre ce qu’ils désiraient dans cette maison. Ainsi de nombreux meubles et appareils étaient déjà emportés ; la télévision et le frigo entre autres. À la place, une myriade de moutons de poussière roulaient sur le plancher grinçant.

Je toussotai tant l’air ambiant piquait le nez et grimaçai devant la vision pitoyable que ce logis m’offrait : des murs au papier peint arraché, couleur marron jauni et couverts de champignons, avec des traces de tabac et l’empreinte des meubles disparus. Seuls les cadres restaient, ces vieilles photographies en argentique, témoignages des événements passés.

Une pile de courrier et des journaux s’étalaient sur la table du salon. En examinant l’un d’entre eux, je vis qu’il datait d’il y a trois mois. Une tasse de café encore à moitié remplie trônait sur la table. La mixture se couvrait d’une couche de moisis et le cendrier annexe gerbait de cigarettes mâchonnées. Je m’affalai sur le vieux fauteuil miteux et fis glisser le plaid sur mon corps. Qu’il faisait froid dans cette maison coupée de tout chauffage ! Fort heureusement, papa venait de l’allumer et l’odeur de cramé s’échappait du radiateur qui peinait à chauffer l’espace. Je pris le cadre qui se tenait sur la table annexe et portai mon attention sur l’image.

Mon grand-père y était représenté avec ma grand-mère, devant leur maison. Le drapeau de la nation, l’aigle rouge bicéphale, flottait sur le rebord de la fenêtre. Ils ne souriaient pas, droits comme des piques. À l’époque « il fallait tirer la gueule pour être heureux » comme il me disait. Ils étaient encore si jeunes. Tanya, ma grand-mère, avait le ventre rond, prête à mettre au monde son fils unique. Papy Igor me disait tout ému que la photo datait juste d’avant son départ pour la guerre et qu’à son retour trois ans après, Ivan était né mais que mamie l’avait quitté. Ce fut donc lui qui avait éduqué mon père, seul, avec les honneurs de la Nation pour les actions salvatrices rendues.

Alors que je rêvassais, mon père pénétra dans le salon.

— Je vais à Vladeskaya faire des courses, me dit-il de sa voix caverneuse qui résonna en écho, tu viens ?

Groggy, je hochai la tête et le suivis.

Nous reprîmes la route pour descendre au village. Papa gara la voiture sur la place principale et se rendit à l’épicerie. Il n’y avait pas grand-chose de présent sur les étalages. Ce village isolé n’était pas des mieux desservi ni achalandé. Dans la besace, mon père mit toutes sortes de victuailles ; des conserves de haricots, des bocaux de cornichons, du pâté ou encore des raviolis en boîte. Au comptoir, il prit le luxe d’acheter un morceau de saucisson ainsi qu’une miche de pain.

— Bonjour Ivan, salua le vendeur en inscrivant la note des articles dans son calepin, cela fait bien longtemps que je ne t’avais pas vu ici. Trois ans peut-être ?

— Cinq, répondit-il gravement.

Le vieux vendeur opina du chef et se racla la gorge.

— J’ai appris pour Igor. Arrêt cardiaque, c’est ça ?

— L’alcool a eu raison de sa santé, oui.

— Soulagé ?

Mon père grimaça et haussa les épaules avant de se tourner vers moi pour me donner le pâté ainsi que le saucisson. À ma vue, le vendeur me sourit et me salua.

— Et toi bonhomme, comment vas-tu ? Pas trop triste ?

Intimidé je fis non de la tête et me cachai derrière les jambes de mon père. Avec papy, on allait rarement en ville, si ce n’est jamais. Et je ne devais par ailleurs jamais me rendre seul Vladeskaya. Ainsi je n’avais jamais eu d’amis ici et passais journées seul avec papy. Le plus souvent on regardait les émissions devant le vieil écran cathodique dont l’image défaillait et écoutions la radio au son grésillant.

Pour me souhaiter la bienvenue, le vendeur me tendit une sucette. Je le remerciai et ôtai le plastique pour la sucer, laissant le goût chimique du citron imprégner mon palais. En sortant de l’échoppe, mon père salua de loin un groupe de personnes assis à la terrasse d’un café. Les hommes répondirent poliment d’un signe de la main. Une fille se trouvait parmi eux et semblait m’étudier comme une chose curieuse.

Nous rentrâmes au logis et mon père prépara le dîner. J’en profitai pour prendre une douche chaude, frictionnant mes membres frigorifiés. Puis, sentant germer en moi l’âme d’un explorateur, je me faufilai dans la chambre de grand-père et furetai à la recherche de trésors. Il ne me fallut pas longtemps pour m’emparer de sa boîte secrète qu’il gardait sous son lit et dont la clé se trouvait cachée entre les lattes et le matelas. Elle était à sa place, personne ne l’avait emportée lors des visites.

Le sourire aux lèvres, je m’assis en tailleur et glissai la clé dans la serrure. J’allai enfin connaître son grand secret : l’emplacement de son fabuleux trésor. Celui dont il ne cessait de me parler comme d’une relique et qui était, selon lui, son héritage le plus précieux. Sans attendre j’ouvris l’écrin et déroulai le papier qui s’y trouvait.

C’était une carte de la région. La maison de papy ainsi que le village de Vladeskaya étaient inscrits en bas à gauche. Puis, sur tout le reste, s’étendait la vaste forêt. Je ne l’imaginais pas si grande ; elle était immense même ! Au centre se tenait le vieux manoir du Sieur Dmitri Volkof, connu autrement sous le domaine du Seigneur Ours. Il était entouré en rouge. Je reposai la carte et regardai le petit mot griffonné sur un papier froissé :

« À mon adorable petit Sergueï,

Cher Camarade, dans ce manoir abandonné, se trouve mon trésor caché.

Dans la salle de bain de l’étage, tu trouveras derrière l’évier la boîte que je t’ai réservée en héritage.

Durant ta traversée dans cette forêt enchantée, il te faudra faire preuve de courage, car les loups et les ours rôdent dans les parages.

Bonne chasse au trésor

signé, ton vénérable grand-père, Igor »

La voix de mon père résonna dans la maison. En hâte, je rangeai la boîte et m’emparai de la carte que je pliai en quatre pour la glisser dans ma poche. C’était décidé, demain je me rendrai en forêt pour y trouver ce trésor.

Durant le dîner, avec papa nous parlâmes peu. Ce n’était pas un homme très bavard et le fait de se rendre ici le rendait encore plus muet qu’à son habitude. Pendant que nous mangions nos raviolis, il me posait des questions formelles auxquelles je répondais machinalement entre deux bouchées. Puis, une fois le repas achevé, mon père s’étira et partit se coucher dans l’immédiat, épuisé par cette journée de voyage.

Réveillé aux aurores, je m’habillai pour mon périple. Avant de partir, je pris une gourde remplie d’eau et mis dans ma sacoche un paquet de chips et une barre chocolatée. À mon grand dam, papa me réquisitionna pour l’aider à faire les cartons. Déçu, je soupirai mais obéis.

Il était plus de deux heures de l’après-midi lorsqu’il me libéra. Les allées et venues dans la maison, le transport des cartons et le rangement dévorèrent une grande partie de mon énergie. Mais, ma motivation demeurait intacte. Je m’emparai de la sacoche et mis un pied dehors. J’inspirai profondément pour m’armer de courage et m’en allai en direction de la forêt, qu’importe la menace des créatures sauvages.

J’avais à peine fait quelques pas sur le sentier qu’une voix aiguë m’interpella. Surpris, je sursautai et me retournai en hâte pour voir l’origine de l’appel. J’aperçus une fille assise sur le muret de pierre et qui me regardait intensément.

Conscient qu’elle me parlait, je l’observai puis souris en reconnaissant celle qui m’avait dévisagé tantôt. Elle était vraiment mignonne cette gamine d’une petite dizaine d’années avec cette frimousse ronde bardée d’éphélides. Ses cheveux blonds, coupés au carré, ondulaient à la brise. Et ses yeux bleus rieurs lui conféraient un air espiègle.

— T’es sourd ? réitéra-t-elle, goguenarde.

Elle sauta du muret et épousseta sa salopette tachée de boue. Puis elle s’avança vers moi d’une démarche assurée et, après avoir ôté l’un de ses gants, me tendit une main.

— Moi c’est Petra, camarade.

Hésitant, je regardai cette main offerte et approchai la mienne pour la saluer en retour. Sa paume était chaude et nous échangeâmes une poignée de main solennelle, comme le faisaient les adultes.

— Sergueï, murmurai-je timidement.

Elle porta son attention sur la maison de grand-père et fronça les sourcils.

— T’es de la famille du vieux ? demanda-t-elle en toute familiarité. Il est mort, c’est ça ?

— Oui, soupirai-je, une pointe au cœur à cette annonce. C’était mon grand-père.

Quelque chose bougea dans la sacoche qu’elle portait en bandoulière. Une tête émergea de l’ouverture. Surpris, je reculai et regardai le rongeur à la toison rousse d’un air interdit.

— Je te présente Pilot, ricana-t-elle, c’est mon petit compagnon de voyage.

— T’as un écureuil en animal de compagnie ? m’étonnai-je en m’approchant pour mieux le contempler.

Le rongeur portait un étrange costume bleu orné d’épaulettes dorées ainsi qu’un minuscule képi qui me faisait penser à celui des employés de gare.

— C’est un habit de postier, dit-elle en grattouillant sous le cou de la bête, c’est moi qui lui ai cousu. Je l’ai sauvé quand il était bébé. Il lui manque deux doigts à la patte, mais il est encore très rapide et agile.

Elle se pencha vers moi et chuchota à mon oreille.

— C’est lui qui distribue le courrier aux animaux de la forêt quand viennent les beaux jours.

Je me reculai et écarquillai les yeux, ébahi.

— Comment ça ?

Elle gloussa et chaparda de sa pochette des glands qu’elle disposa dans sa paume pour me les montrer. J’en pris un et l’examinai. Il y avait comme une inscription gravée sur la coque, indéchiffrable.

— Ce sont les messages qu’il porte aux animaux. Je ne sais pas ce qu’il y a d’écrit, car je ne sais pas lire l’écureuil, mais j’en trouve plein lorsque je me balade en forêt en sa compagnie.

Muet, je lui tendis le gland qu’elle rangea dans sa poche. Dressée de toute sa hauteur, elle m’observa de pied en cap.

— Tu vas où comme ça, camarade Sergueï ? Vu tes vêtements, je paris que tu vas explorer la forêt.

— Tout à fait camarade Petra.

— Et tu vas où exactement ?

— Au du manoir Seigneur Ours, situé en plein cœur de la forêt.

La jeune fille eut un rictus et réfléchit un instant.

— Tu parles du grand manoir délabré appartenant au Sieur Volkof ?

— C’est ça !

— Pourquoi tu vas là-bas ? Il ne faut pas aller là-bas tout seul, voyons ! C’est loin et si tu connais pas bien la forêt, tu pourrais te perdre.

Je sortis la carte trouvée chez mon grand-père et la lui montrai. Elle me l’arracha des mains et l’étudia.

— Tu sais lire une carte ?

— Oui, finit-elle par répondre, mais mieux vaut éviter cet endroit, c’est sinistre.

— Il s’est passé quoi ?

— Il a été bombardé il y a des tas d’années, pendant la guerre. Le maître des lieux et sa famille se trouvaient à l’intérieur. Après, il y a eu des tonnes de pillages. Maintenant, il ne reste que des ruines où seuls poussent les ronces. On dit même que les animaux sauvages y vivent, notamment le spectre d’un immense Ours brun, le symbole de Volkof.

— Tu pourrais m’accompagner dans ce cas ? T’as l’air de connaître plein de choses là-dessus.

L’arrête de son nez se pinça. Elle prit un temps pour réfléchir puis m’adressa un sourire en coin.

— Je veux bien, mais pas ce soir. Il est trop tard pour partir à cette heure et en plus je dois faire des trucs. Mais si tu veux, on peut se donner rendez-vous ici demain matin, à huit heures. À condition bien sûr que tu me donnes en retour quelque chose pour mon service.

— Tu veux quoi ?

Elle fronça les sourcils et croisa les bras.

— Je vous ai vus acheter du pâté et de la charcuterie. Je pense qu’au vu de la quantité vous avez pas tout mangé. Du coup, je veux que pour mon déjeuner, demain, tu me fasses un sandwich. On va avoir faim, le chemin est long et je suis en pleine croissance ! Et j’adore les cornichons aussi !

— Je sais pas si j’ai le droit d’en prendre, murmurai-je en baissant la tête. Papa ne va pas être content s’il se rend compte que je lui ai volé de la nourriture.

— Dans ce cas pas de marché, camarade ! dit-elle gravement. Je te souhaite bon courage pour ta mission.

Elle me tendit la carte et fit demi-tour.

— Attends ! l’appelai-je en la regardant s’éloigner. C’est d’accord ! Je vais te faire un sandwich !

Il y eut un instant de silence.

— Alors, tu viens ?

Elle pivota et m’adressa un salut militaire.

— C’est entendu camarade Sergueï, à demain, huit heures.

Sur ce, elle tourna les talons et reprit sa route, Pilot posté sur son épaule.

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Vindyr

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