Chapitre 2 – The fisherman’s widow 2/4
Une heure passa. Je barbotais sereinement dans mon bain, reniflant les effluves enivrants de mes sels parfumés. Je frictionnais mon corps de mon gant, ôtant la crasse qui s’y était déposée depuis trois jours. L’eau était à présent plus grise que mon carrelage et des peaux mortes flottaient à la surface. Je pris mon petit miroir portatif et me regardais. Déçu par mon reflet, je fis une moue ; voilà bien des années que ma beauté de dandy m’avait quitté au profit de… eh bien, de ça ! Un vieil homme aux bajoues tombantes, à la face blafarde et aux yeux bleus cernés de rides. Mes cheveux avaient presque entièrement disparu et ma barbe grisonnante frisottait comme la laine d’un mouton si je la laissais pousser plus d’une semaine.
De l’autre côté de la pièce, Bess nettoyait ma chambre. Elle ne devait pas voir grand-chose la pauvre, au vu de ce ciel sombre qui plongeait l’île dans une inquiétante atmosphère, presque lugubre. Soudain, je l’entendis faire un mouvement brusque et dévaler en trombe les escaliers.
Je tendis l’oreille et perçus la voix grave de ma Betsy, apparemment en grande conversation avec un quelconque énergumène.
Alors que je m’assoupissais, on toqua à ma porte.
— Qui est-ce ? demandai-je, groggy.
— Monsieur ! me répondit Bess avec une pointe d’hésitation. Monsieur, il faut que vous sortiez.
— Pourquoi donc ? fis-je, surpris.
— Quelqu’un vous demande monsieur, je ne sais pas qui sait, mais elle est… étrange… je l’ai fait attendre dans le salon en attendant de vous prévenir.
— Une inconnue ? m’énervai-je. Chassez-la, je vous prie. Ne savez-vous pas que pendant que vous êtes ici, elle a tout le loisir de dérober mes biens en bas ? Descendez immédiatement !
— Monsieur ! insista-t-elle. Madame demande votre aide. Elle désire parler au détective Daniel Darcy Egerton. Elle dit que c’est important. De la plus haute importance même !
Estomaqué par l’annonce — presque personne ne connaissait mon nom de famille complet ni mon ancien métier dans le coin — je m’emparai de ma serviette et me séchai à la hâte.
Lorsqu’un quart d’heure plus tard, les tempes encore mouillées et habillé de guingois, je descendis les escaliers, j’aperçus Bess assise dans le salon avec notre étrange inconnue. Celle-ci était de dos, près de la cheminée et buvait un thé chaleureusement servi par son hôtesse, le corps noyé sous un amas de couvertures.
En entendant le parquet grincer derrière elle, l’inconnue posa la tasse sur le rebord du foyer et se redressa instantanément. En la voyant accourir vers moi, j’écarquillai les yeux et eus, par réflexe, un bref mouvement de recul en m’apercevant que cette dernière avait une silhouette dépourvue de tout vêtement, laissant à l’air libre ses bouts de tétons rosés et la petite touffe noire qui recouvrait le dessus de son bas-ventre. Le visage rubescent, je laissai échapper un juron et détournai le regard tandis qu’elle avançait ses mains pour les glisser dans les miennes.
— Oh monsieur, par pitié daignez m’aider !
Son accent me perturba, je reconnaissais dans cette voix plaintive et percluse de sanglots le langage des profondeurs, d’ordinaire utilisé par les sirènes. Elle pressa ses mains, si lisses et douces telle la peau d’un dauphin, et tenta d’accrocher mon regard. Sentant qu’elle n’était possiblement pas humaine, je jetai une œillade en sa direction avant de m’avouer vaincu et de l’observer intégralement.
Je fus aussitôt happé par ses grands yeux noirs larmoyants, plus que visibles sur cette peau blanche, à moitié translucide. Ses longs cheveux noirs dégoulinaient et épousaient son corps élancé, presque dépourvu de forme hormis une poitrine gonflée et tombante ainsi qu’un petit ventre charnu à la peau quelque peu distendue. À vue de nez, je lui donnais à peine seize ou dix-sept ans.
— Que puis-je pour vous ? demandai-je en m’efforçant de ne pas loucher sur la zone de son bas ventre.
Avant qu’elle ne réponde, je l’invitai à reprendre place sur le fauteuil et m’installai en face d’elle une fois qu’elle eut masqué ses intimités. Dès qu’elle fut installée, elle se racla la gorge et me regarda avec une pitié comme rarement il m’avait été donné d’en voir.
— Monsieur, il faut que vous m’aidiez. J’ai vraiment besoin de vous.
— Que se passe-t-il mademoiselle ? Mais avant cela, veuillez me dire qui vous êtes et qui vous a conduit jusqu’à moi.
— Excusez-moi, quelle impolie je fais, renifla-t-elle, c’est le tenancier du Fisherman’s Widow qui m’a conduit à vous. Je m’appelle Nolwenn et je suis une Selkie. Je me suis établie non loin de Brandesburgh voilà maintenant deux ans avec mon bien-aimé. Nous vivons près de Seagull’s beach dans une brèche présente sous la falaise. Malheureusement mon compagnon est mort après avoir été transpercé par un harpon alors qu’il ramenait à manger pour les petits et moi-même et…
Elle laissa sa phrase en suspens et sécha une larme qui perlait sur son visage juvénile.
— Une Selkie, murmurai-je, ces femmes qui se changent en phoque à l’aide d’une peau magique, c’est bien cela ? Vous venez de la terre ou de la mer ?
— De la terre… mes parents sont humains et habitent à la pointe nord des Shetlands. J’ai hérité de la peau de phoque de maman quand je suis tombée amoureuse de Sêl. L’ennui est que ma peau a été transportée par les bourrasques la semaine dernière alors que je me rendais au village sous ma forme d’humaine. Nous venons d’avoir trois enfants. Ils sont encore si petits et sans protection et je ne peux pas rester auprès d’eux ainsi, ils ont besoin de lait et de mon apprentissage et j’ai peur que les marins ne les trouvent et ne les chassent.
— Vos enfants sont des phoques ? m’enquis-je, embarrassé par ce récit troublant.
Elle ne répondit pas et se contenta de hocher mollement la tête.
— Soit, dans ce cas je peux vous proposer de ramener vos enfants ici le temps que vous et moi retrouvions votre peau. Avec un peu de chance, elle est encore dans les parages !
— Mais qui s’occupera d’eux ? demanda-t-elle d’une petite voix.
Je me tournai vers Bess et lui accordai un sourire. Comprenant sa future mission, elle écarquilla les yeux et voulut rétorquer, mais j’intervins aussitôt.
— Betsy voyons, vous vous occupez déjà de la marmaille chez vous, en quoi des petits phoques seraient différents ? Vous savez soigner, vous n’aurez qu’à les nourrir et à les enfermer dans la salle de bain et pour les déjections et bien… vous aviserez en conséquence.
Sans un mot, elle fit une moue et finit par acquiescer.
En pleine réflexion, je laissais mon interlocutrice récupérer un peu de ses esprits puis, une fois les faits établis, j’acceptais de l’aider à retrouver sa peau. Sur ce je me levai et, après avoir ordonné à Betsy de trouver quelques habits plus discrets pour ma cliente, je remis convenablement ma perruque et m’emparai de mon manteau ainsi que d’un parapluie et d’un vieux plaid. Puis, une fois paré, je sortis de chez moi sous une pluie battante, à la suite de cette charmante mère éperdue.
Dans les ruelles, je suivais tant bien que mal la jeune Selkie, tentant de suivre sa cadence. Cette dernière marchait d’un pas alerte, sa crinière épousant le mouvement de ses hanches et de son long manteau, et tenait le plaid aux creux de ses bras frêles. Nous arrivâmes rapidement sur la plage. Hors d’haleine, je toussotais et reprenais mon souffle, les mains appuyées contre mes cuisses, tandis qu’elle s’impatientait, m’accordant un regard troublant. S’agaçait-elle ou bien doutait-elle réellement de mes exploits de jadis ? Il faut dire qu’au vu du portrait peu glorieux que je lui offrais présentement, les doutes étaient de mise.
Après avoir craché, je la suivis dans le sable, humide et froid, évitant les mouettes et les phoques qui jonchaient le sol, se reposant parmi les rocs noirs, les galets et les algues.
— C’est encore loin ? criai-je, las de marcher sur cette étendue sans fin, balayé par les vents mordants.
Le corps fouetté par les bourrasques et le visage assailli par les grains de sable et les gouttes d’eau iodées, je parvenais difficilement à garder les yeux ouverts et à marcher droit. Mon parapluie s’échappa des mains et s’envola une dizaine de mètres plus loin ; le récupérer aurait été peine perdue. D’autant que j’utilisais mes mains pour maintenir ma perruque en place de peur qu’elle ne s’envole également.
Nous longeâmes la falaise et, à mon grand désarroi, je vis ma cliente poser le plaid et se dévêtir pour se jeter à l’eau. Un intense frisson parcourut ma moelle épinière ; jamais je ne mettrai un orteil dans cette eau glacée ! Jamais !
Au bout d’une minute, consciente que je ne la suivrais pas, elle me regarda une nouvelle fois de son étrange manière puis annonça d’une voix tranchante.
— Attendez-moi ici, je reviens.
Elle s’enfonça dans les eaux obscures et ne reparut plus. Pour patienter, je me plaquai contre la falaise, à l’abri du vent, et m’assis sur le rocher le moins pointu. Alors que je m’assoupissais, j’entendis sa voix m’appeler. Surpris, je me réveillai en sursaut et la vis se tenir non loin de moi, tenant entre les bras trois petits phoques entièrement blancs, emmitouflés sous l’étoffe mouillée couverte de sable. Les trois créatures, au pelage duveteux, me dévisageaient de leurs yeux noirs de chien battu, poussant de petits couinements aigus semblables aux miaulements d’un chaton.
— Ce sont vos enfants ? demandai-je en approchant un doigt de la tête d’un des petits pour le caresser.
Comme apeuré par ma vieille main noueuse, le blanchon piailla et gigota. Je retirai aussitôt ma main sous le regard amusé de la mère. Et nous rentrâmes en hâte à mon domicile, les petits emmaillotés en baluchon afin de ne pas attirer d’éventuels curieux sur la nature de ma cliente qui, au vu de sa nudité avant de me rejoindre, avait dû attirer le regard de nombreux riverains. D’ailleurs, comment Abe avait-il osé la laisser ainsi dévêtue lorsqu’elle avait été le rejoindre pour lui demander de l’aide ? Il avait bien dû se rincer l’œil, l’animal.
Au logis, Betsy nous attendait derrière la porte. Elle avait pris soin de retrousser ses manches et de faire couler un nouveau bain, d’eau froide et salée. Sans attendre la mère déposa sa progéniture dans le liquide et les petits, tout à leur aise, barbotaient en bêlant sous les caresses affectueuses de leur mère. Puis elle en prit un et le pressa contre son sein. Le blanchon, affamé, plaqua sa bouche contre la tétine et téta goulûment son repas, ronronnant de bonheur. Bess, attendrie par la scène qui lui faisait ressentir des élans maternels, s’approcha.
— Que dois-je faire en votre absence ? s’enquit-elle avec une pointe d’inquiétude.
— Ils sont assez autonomes, répondit Nolwenn en changeant de petit pour en rassasier un autre, votre présence suffira à les rassurer. Mettez leur juste à disposition quelques objets pour les distraire. Sortez-les du bassin s’ils s’impatientent. Vous pourrez les coucher sur la couverture ou sur le carrelage même. Et s’ils ont faim, donnez-leur une ou deux sardines. Évitez de trop les nourrir cela dit, je ne veux pas qu’ils s’habituent à avoir plus que ce qu’ils n’auront d’ordinaire.
Sans un mot Bess acquiesça tandis que, à peine remis de mon escapade, je repris la route en compagnie de ma cliente pour aller inspecter le village et interroger certains riverains.
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