Categories: NordenOriginal

NORDEN – Chapitre 22

Chapitre 1 – L’insouciante petite mouette

Comme chaque vendredi avant de prendre le chemin de l’école, Adèle quittait un peu plus tôt son cottage pour se rendre à la plage, les bras chargés de pain rassis qu’elle avait emballé dans un chiffon troué. Après avoir dévalé une bonne partie de la falaise, à l’endroit où les dernières touffes d’herbes s’arrêtaient pour laisser place au rivage, elle déposa son cartable ainsi que ses souliers sur une pierre bordée de criste-marine puis continua sa descente.

Elle marchait d’un pas léger, ondoyant entre les galets, les coquillages et les crustacés. Ses pieds nus gravaient de minuscules empreintes sur le sable encore humide de la marée. À son passage, elle jetait quelques miettes aux phoques et oiseaux marins, offrant de plus gros morceaux aux mastodontes qui attendaient patiemment leur tour. Le soleil naissant cajolait leur dos luisant d’écume, d’un brun-crème moucheté de noir.

Des nuages dissimulaient une partie de l’astre diurne dont les timides rayons nimbaient l’île d’une clarté mordorée vrillée de corail, produisant des reflets scintillants sur l’étendue outremer qui se déployait à l’ouest, à perte de vue. Au loin, des voiliers exploraient l’océan en l’espoir d’une pêche prolifique, à l’instar de la ribambelle de goélands et de cormorans. Les oiseaux marins volaient à proximité. Leurs cris rauques et leurs froissements d’ailes résonnaient dans l’air frais chargé d’une forte odeur iodée. Malgré ce chahut habituel, il régnait en ces lieux une atmosphère apaisante, rythmée par le balancier régulier de la houle.

Aux limites de la plage, qui n’était pas bien étendue, les vagues se fracassaient contre les hautes falaises crénelées qui découpaient les abords de l’île. Ces remparts naturels pouvaient s’ériger à plus de deux cents mètres et servaient de refuge à la faune. En temps de guerre, ils avaient été des alliés salvateurs et les nombreuses crevasses percées sur ses flancs témoignaient du carnage passé. À une centaine de mètres sur la gauche, le vieux phare, tel un colosse abandonné depuis des siècles, saillait sur son monticule rocheux. Sa fierté d’antan s’était évaporée. Des pierres avaient déserté sa façade cendrée et la rouille rongeait les ultimes plaques métalliques encore appliquées.

La fillette s’arrêta au bord de l’eau et admira l’horizon de ses yeux céruléens. Ses cheveux nacrés ondulaient au gré du vent et fouettaient son visage voilé d’une peau aussi liliale que celle d’une hermine en hiver. Autour de son cou, une petite sculpture de bois blanchi en forme d’oiseau ballottait, grossièrement taillée par sa grande sœur Ambre pour célébrer sa naissance il y a sept ans de cela.

Pendant que les vagues venaient lui chatouiller les orteils, éclaboussant le bas de sa robe écrue tirant sur le gris tant elle était usée, Adèle sortit de sa poche un pipeau. Elle porta l’objet à sa bouche et, bien qu’elle s’y appliquât avec ferveur, soufflota une mélodie maladroitement exécutée. Au bout d’un moment, un phoque au pelage lactescent émergea de la mer et s’avança vers elle de sa démarche pataude. Une fois à sa hauteur, il se jeta dans ses bras et se mit à ronronner.

— Maman ! s’exclama joyeusement l’enfant de sa voix flûtée. Tu m’as tellement manqué ma petite maman chérie ! Ça fait si longtemps que tu n’étais pas venue me rendre visite !

Elle saisit sa tête entre ses mains et plongea son regard dans celui du phocidé dont les billes obsidiennes et la truffe larmoyaient.

— J’ai cru qu’il t’était arrivé malheur ! Qu’un marin t’avait pêchée ou qu’une méchante orque avait fini par te croquer ! Mais t’as l’air en forme. Je vais enfin pouvoir dire à Ambre que tu vas bien et que tu n’as rien ! J’espère qu’elle ne sera pas trop fâchée, elle a horreur que je vienne ici toute seule et…

Ne comprenant rien au verbiage de l’enfant, l’animal couina et renifla la petite à la recherche de nourriture. Il la culbuta si fort qu’elle tomba à la renverse sur le sable mouillé. Puis il posa ses imposantes nageoires autour de son corps chétif et approcha sa tête de veau aux yeux de chien battu de celle de la fillette. Sa peau froide et trempée sentait un remugle d’algue mêlé de vase. Ses vibrisses hérissées remuaient d’excitation.

— Ah ah ! Arrête maman, tu me chatouilles avec tes moustaches ! Je n’ai rien à te donner à manger aujourd’hui ! On n’avait rien pour toi à la maison. Et t’es arrivée trop tard pour le pain, les oiseaux et tes amis ont tout dévoré.

Elle repoussa le phoque de toutes ses forces puis se remit debout et épousseta sa robe piquetée de sable. De visqueuses taches verdâtres étaient imprimées sur le tissu.

— Ah mince ! grimaça-t-elle en portant une main à son nez, incommodée par le miasme aux accents de poisson putréfié. La maîtresse ne va pas être contente ! Je suis toute sale et je pus maintenant.

Néanmoins, elle ne blâma pas l’animal à qui elle donna une tape amicale sur la tête avant de l’embrasser sur le front.

— Je te laisse maman, il faut que j’aille à l’école ou je vais être en retard. Et je ne veux pas être encore punie. Bonne journée à toi, je reviendrai te voir ce soir si Ambre me le permet. Alors sois sage et attends-moi ici ! D’accord ?

Elle salua également les autres phoques présents et s’enfuit en hâte. Elle regagna la lande où elle essuya ses pieds sableux et enfila ses soquettes dentelées ainsi que chaussures. Puis elle prit son cartable et se mit en route en direction de l’école, située en plein cœur de la basse-ville de Varden, à cinq kilomètres de marche.

La petite avançait à bonne allure sur la sente cabossée, bordée par les champs de blé et diverses parcelles agricoles. Des clôtures en bois rustique et des murets rocheux séparaient les propriétés, souvent des chaumières ou granges aménagées isolées dans leurs écrins de verdure. Faits de pierre coiffée de paille ou d’ardoise, ces minuscules îlots d’humanité semblaient perdus au milieu de la flore, farouchement gardés par des chiens. Les canidés aboyaient au moindre intrus passant à proximité.

Quelques troupeaux de moutons et chèvres broutaient dans leurs pâturages verdoyants où les brins d’herbes hautes parsemés de coquelicots et fleurs champêtres ondulaient sous la brise. Des nuées de passereaux se joignaient au bétail, cherchant à l’aide de leur bec des insectes ou des graines cachés entre les légumes émergents. En ce début de saison printanière, les arbres exhibaient leurs somptueux duvets floraux, promesse d’une abondante récolte à venir. La nature renaissante se parait de vert.

Adèle cheminait gaiement et secouait ses bras tels des ailes invisibles. Pour accompagner son geste, elle poussait des pépiements aigus et se dandinait de gauche à droite sur la pointe des pieds. Au fil de sa traversée, les maisons se multipliaient, le trafic routier se densifiait et Varden grossissait dans son champ de vision. La basse-ville nichait en bas de falaise, à l’abri du vent, surplombée par la haute-ville d’Iriden. Contrairement à son aînée, Varden était une ville portuaire peu prisée par les gens fortunés et se composait majoritairement d’une population noréenne et aranéenne issue de milieu modeste voire encline à la pauvreté.

Étant la ville la plus densément peuplée de l’île, elle comprenait une dizaine de milliers d’habitations ainsi que de nombreux commerces et institutions. Son port naturel, construit dans une rade, jouissait d’une activité intensive qui alimentait en ressources maritimes presque l’ensemble de la côte occidentale. À la manière d’un ballet chronométré, les bateaux allaient et venaient à chaque moment de la journée, leur cale lestée de poissons et de crustacés fraîchement pêchés. Tonneaux et cagettes seraient par la suite débarqués sur les docks avant d’être triés, achetés, distribués puis vendus à qui de droit. Un engrenage bien huilé qui structurait la société jusque dans les hautes sphères.

Adèle emprunta le pont qui enjambait le Coursivet et pénétra dans l’enceinte de la ville en pleine effervescence. L’avenue principale fourmillait d’attelages et de travailleurs. De part et d’autre de la voie, des réverbères récemment bâtis séparaient le trottoir de la chaussée, jadis délimitée par de simples rigoles. Au centre, des équidés tractaient charrettes et tombereaux chargés de marchandises. Captivée par ces géants à la force tranquille, la fillette aimait observer les imposants chevaux de trait qui, de sa hauteur, avaient de quoi l’impressionner avec leurs muscles puissants et leurs longs crins indomptables dont les larges sabots ferrés claquaient avec fracas contre les pavés.

Perdue dans sa contemplation, Adèle fut heurtée par un tiers qui l’admonesta avant de poursuivre sa route. Le choc la fit se ressaisir et, pour ne pas gêner le passage des employés empressés, elle se mit à frôler les murs en massant son épaule froissée. Qu’elles soient en pierre, en briques rouges ou à colombages, les habitations au style hétéroclite ne dépassaient pas les deux étages. Tuiles et ardoises couvraient leurs toits pentus où saillaient chiens-assis et conduits de cheminées. Au-dessus des huis, bannières et écriteaux se succédaient à la chaîne, offrant une guirlande colorée qui égayait cette chaussée aux pavés ternis et ce ciel voilé par les vapeurs de fumée émanant des foyers.

Grande ville l’oblige, les odeurs s’entremêlaient. Les alléchants fumets de soupe, de pain chaud et de viande rôtie partageaient le champ olfactif avec des senteurs moins glorieuses, mélange écœurant de crottin, de sueur et de parfum bon marché agrémentés d’un soupçon d’urine et d’eau croupie.

L’école d’Adèle était située proche du centre-ville, dans le quartier culturel, bien plus tranquille que les docks et les avenues commerciales. Pour y accéder, la petite s’engagea sur la place des Victoires. Là, elle se fraya un chemin entre les passants, se faufilant entre les arcades qui épousaient le pourtour de l’agora. Dans son errance coutumière, elle ralentit le pas et butina de boutique en boutique, scrutant avec curiosité les divers objets entreposés pêle-mêle derrière les vitrines.

La boulangerie de la Bernadette, La Mésange Galante, était celle devant laquelle elle s’attardait le plus. Sa façade ultramarine attirait le regard et rehaussait les couleurs ocrées des douceurs qu’elle proposait en devanture. La fillette lorgnait avec envie les tartes fruitées, les viennoiseries à la pâte dorée et les magnifiques brioches tout juste sorties du four. Mises en valeur sur des plateaux de porcelaine, les innombrables pâtisseries attendaient sagement d’être dévorées.

Adèle saliva et inspira à pleins poumons les effluves irrésistibles qui la firent gargouiller. Elle posa ses mains sur la vitrine et observa attentivement le comptoir. Elle espérait y apercevoir le gentil Thomas, le jeune coursier qui tenait l’échoppe de temps à autre et lui offrait une friandise à chaque visite, charmé par le regard implorant et le sourire enjôleur de la fillette. Malheureusement, le garçon n’était pas présent et la vieille propriétaire savait résister à ses tentatives de séduction. Inutile de l’amadouer, elle en ressortirait bredouille et davantage affamée.

Elle poussa un soupir à fendre l’âme, fit la moue et reprit sa marche. Elle n’effectua pas dix pas qu’elle bifurqua de sa route pour s’avancer jusqu’au milieu de la place où trônait la statue en marbre blanc grandeur nature du duc Friedrich von Hauzen.

L’éminence était l’aranéen le plus puissant du territoire et le maire élu de la haute et basse-ville depuis plus de vingt ans. L’homme se tenait debout, le port altier, une main levée en guise de salut universel tandis que l’autre pressait contre son torse un exemplaire du Noréeden gentem unitum, le Code civil. La sculpture s’érigeait sur une magnifique fontaine ornementée, flanquée à sa gauche par une licorne d’albâtre tandis qu’un cerf aux ramures majestueuses se dressait sur le côté opposé. La gueule bayante des chimères immobiles crachait un filet d’eau cristalline.

Les représentants du bas peuple s’étaient cotisés pour concevoir un tel monument public. Car, depuis les deux derniers siècles, jamais le peuple n’avait connu d’élu plus égalitaire. L’événement se devait d’être dignement célébré, d’autant que la place des Victoiresse prêtait à exhiber pareil ouvrage.

Varden avait été modelée pour sa praticité et non pour une quelconque esthétique. En cela, elle avait souvent été boudée de tout programme décoratif ou de construction architecturale d’envergure. Configurée il y a deux siècles sur l’ancienne cité noréenne de Raven, elle avait été bâtie en urgence, dans le but de désengorger Iriden et sa population en éternelle croissance mais, surtout, à dessein d’accueillir les très nombreuses familles noréennes migrantes qui, au fil des années, avaient déserté la cité sylvestre de Meriden et les hameaux alentour pour profiter d’un confort et d’un cadre de vie plus prospère au sein d’une ville et des multiples atours qu’elle pouvait offrir.

Adèle, qui ne connaissait rien à la démographie ni à la politique hormis ce que sa maîtresse, madame Lérot, ou sa sœur lui racontaient, ne savait quoi penser de cet homme et de ses actions. La première éprouvait de la sympathie à son égard et avait à plusieurs reprises abordé ses projets de loi lors des cours d’éducation civique dispensés à sa classe. La seconde, en revanche, ressentait une haine viscérale envers n’importe quel aranéen issu de la haute-ville qu’elle jugeait perfides et dangereux.

Après avoir caressé le sabot du cervidé, Adèle porta son regard sur l’horloge de l’agence postale. Ses paupières s’écarquillèrent en remarquant que les aiguilles indiquaient les huit heures et qu’elle était une nouvelle fois en retard. Comme pour la mettre en garde, le carillon tinta ses coups. Elle poussa le juron le plus insultant de son répertoire puis se mit à courir. Alors que le gardien s’apprêtait à refermer les grilles, elle le supplia d’attendre et accéléra la cadence. Elle franchit le portique, remercia vivement le surveillant et s’engouffra dans l’établissement.

Lorsqu’elle arriva devant sa salle de cours, elle ouvrit la porte à la volée, prête à débiter un énième mensonge qu’elle espérait crédible afin de justifier son retard. Fort heureusement, sa maîtresse était aux abonnés absents. Elle soupira de soulagement et pria Halfadir pour sa miséricorde. Les joues rouges et le souffle court, elle alla s’installer à sa table sous l’œil amusé de ses camarades.

Après avoir récupéré un semblant de respiration et réfréné à l’aide d’un mouchoir les perles de transpiration qui auréolaient son front, elle déploya ses crayons et son carnet de cours sur son pupitre. Puis elle croisa les doigts et releva la nuque dans l’intention d’effacer toute trace de son retard.

Aussi raide qu’un chien de garde, elle contempla le tableau à craie ainsi que les nombreuses affiches qui en décoraient le pourtour. Sa préférée allait à la carte du territoire dont l’étendue paraissait immense. À l’ouest, Varden et Iriden n’étaient que des points jumeaux minuscules, opposés à Wolden et Exaden, les deux plus grandes villes de la côte est. Le centre était étonnamment vide, découpé en trois zones distinctes que seuls de rares sentiers et cours d’eau traversaient ; la plaine au nord, la forêt au milieu et la chaîne montagneuse des Aravennes au sud, frontière naturelle avec le territoire noréen.

— Alors la p’tite Mouette, comme ça on arrive encore à la dernière minute ! s’exclama une voix sarcastique. Si ça continue, on va te décerner un prix dans cette discipline.

Adèle se retourna et adressa un sourire à son interlocuteur, dévoilant ses dents blanches dont une manquait à l’appel. Ferdinand venait de quitter sa place, située à l’autre bout de la salle, pour venir rejoindre sa meilleure amie. De deux ans son aîné c’était un garçon à la silhouette longiligne, vêtu d’une marinière rentrée sous une ample salopette. Une chevelure flamboyante encerclait son visage juvénile, valorisant l’éclat de ses iris céladons qui transsudaient de malice.

— Je suppose que t’es encore allée donner à manger à ces gros phoques puants ? railla-t-il en la scrutant de pied en cap, ses sourcils froncés étirant la cicatrice qu’il arborait à l’arcade. Tu refoules la vase à plein nez ! Et t’es aussi propre qu’un mouton roulé dans un champ de boue.

— Bien sûr que j’y suis allée ! rétorqua-t-elle vivement. En plus, Maman était là ce matin, j’étais obligée de rester un peu avec elle ! Et je suis pas si sale, j’ai juste un peu de sable et des taches vertes bizarres ! Alors que toi t’es tout grafigné !

— C’est de la faute à mon frère ! grogna-t-il en perdant de son entrain. Il est devenu sauvage depuis quelques jours et ne supporte plus qu’on l’approche. Tiens, regarde !

Il retroussa sa manche et révéla son avant-bras estampillé d’une morsure couplée de diverses égratignures.

— Ça fait un mal de chien !

Adèle eut un cri de stupeur et suivit de son index les incisions marquées sur la peau de son ami.

— Je suis sûre qu’il va s’assagir ! le rassura-t-elle. Faut le temps qu’il s’habitue à sa nouvelle vie.

Il grimaça et croisa les bras, peu convaincu par sa réponse.

— J’espère oui, maman et papa sont épuisés. Il met la maison sens dessus dessous. J’ai envie de l’assommer et de l’étrangler !

Alors qu’il nettoyait sa paire de lunettes, l’élève qui venait de les rejoindre gloussa. Il s’agissait de Louis, le troisième membre de la bande. Sa tâche terminée, le garçon rondelet aux cheveux miellés coiffés en bataille réajusta ses besicles sur le bout de son nez et demanda :

— Ça vous dit d’aller jouer à chat perché sur les remparts après l’école ? Maintenant qu’il fait beau et que les pierres ne sont plus glissantes ?

Adèle se renfrogna et regarda par la fenêtre où le soleil éclairait le jardin boisé qui leur servait de cour de récréation.

— J’aimerais bien mais j’ai promis à Ambre de la rejoindre directement à la taverne. En plus, elle aime pas que je cavale près de la haute-ville sans un adulte. Et je veux aussi retourner voir maman sur la plage. J’ai promis de jouer avec elle ce soir.

— Oh ! c’est dommage. En plus, de là-haut, on verra plein de bateaux rentrer au port. Avec un peu de chance, tu apercevras celui de ton père.

Il tourna la tête et plongea ses yeux de givre dans ceux de son camarade.

— Tu peux toi, Ferdinand ?

Ce dernier réfléchit puis, les bras croisés contre sa poitrine, refusa également.

— Je pense pas, tu sais depuis que mon frère s’est…

La maîtresse entra et, sans mot dire, balaya la classe d’un air grave, attendant que les élèves retournent à leur place et se taisent. Chose faite, elle ôta son tailleur à tartan qu’elle posa sur le dossier de sa chaise et se frotta les mains.

— Bonjour les enfants. Avant de commencer, je souhaiterais vous faire part d’une nouvelle inquiétante. Selon les autorités, un loup rôde dans les environs et assassine le bétail la nuit venue. Même si aucun assaut contre un humain n’a été relaté, je vous recommande tout de même d’être prudents.

Apeuré par la présence d’un tel prédateur, Louis plaqua une main contre sa poitrine et serra avec force le médaillon représentant un lapin qui y était épinglé.

En tant que dignes héritiers du Aràn Halfadir, le grand cerf des tourbières et entité protectrice de Norden, les noréens étaient dotés d’une particularité singulière. À l’image de leur vénérable aïeul, ils pouvaient, une fois adultes, se métamorphoser en leur animal totem pour poursuivre leur vie sous une nouvelle apparence. La transformation était irréversible et l’animal en question choisi par l’île elle-même, révélé dès la grossesse par l’un des shamans. Certains parents, désireux d’entretenir des coutumes ancestrales, se rendaient à pied jusqu’à la cité sylvestre de Meriden, fief de la shaman Medreva, afin que la vieille dame dévoile le totem de leur nouveau-né.

Par la suite, ils offraient à leur progéniture un objet pour le caractériser. La plupart du temps, il s’agissait d’une broche ou d’un simple médaillon ciselé dans du cuivre, de l’os ou du bois. Mais il en existait des plus insolites comme des statuettes, des mouchoirs brodés ou divers ustensiles facilement transportables. Pour les plus riches, on n’hésitait pas à employer des métaux nobles tels que l’argent ou l’or. Les chevalières, colliers et montres à gousset témoignaient généralement d’une ascendance fortunée.

Les enfants écoutaient attentivement les conseils dispensés par leur supérieure et un murmure parcourut la classe une fois l’avertissement énoncé. Avant d’entamer les leçons du jour, la maîtresse ordonna à ses élèves de se lever afin d’entonner leur hymne. Tous se redressèrent et, la main sur le cœur, récitèrent la complainte du Aràn Halfadir.

Une fois leur ode achevée, les élèves se turent puis se rassirent de concert. Postée devant son tableau, le bras armé de sa craie, la maîtresse s’éclaircit la voix et commença le cours.

Chapitre Précédent |

Sommaire | Chapitre Suivant

Vindyr

Recent Posts

The Novel’s Extra – Chapitre 327

Chapitre 327 : Conférence transnationale pour la paix (3) J'ai acheté des ingrédients pour le…

2 jours ago

Kumo Desu Ga, Nani Ka ? – Chapitre 330.5.6

  Chapitre 330.5.6 : Les deux dernières options 4 Point de vue de Tagawa Kunihiko *…

3 jours ago

Reincarnated Mage With Inferior Eyes chapitre 20

Chapitre 20 : Abel contre Chronos Alors qu'Eliza et moi retournions au dortoir, j'ai de…

4 jours ago

LES MONDES ERRANT – Chapitre 45

Chapitre 45 Un faible crachin tombait par intermittence. Les gouttes s’échouaient avec lenteur contre le…

4 jours ago

Tour des Mondes – Chapitre 383

Merci aux donateurs du mois pour la Tour des Mondes ! ! Leslie V.// Max…

6 jours ago

NORDEN – Chapitre 21

Chapitre 21 - Prologue En cette nuit d’hiver, à l’heure où les habitants dormaient sereinement…

1 semaine ago