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NORDEN – Chapitre 10

Chapitre 10 – Prémices d’un monde nouveau

Fidèle au rôle qu’il s’était attribué, Alexander profitait de sa soirée mondaine malgré la cacophonie ambiante et la présence de très nombreux convives déployés dans le vaste salon. Entouré de Léandre, d’Éric et de Clément, les quatre jeunes mâles en quête de prestige s’étaient regroupés autour d’un guéridon. Ils se vautraient avec désinvolture dans des fauteuils aux assises rembourrées, tapissées de velours ultramarin, situées dans un coin relativement boudé par l’assemblée, loin du buffet, du fumoir et de l’estrade.

Ainsi excentrés, ils pouvaient embrasser du regard l’ensemble de la pièce et les animations qui s’y succédaient puis bavarder librement. De leur clan soudé, seul manquait Isidore qui, d’astreinte, n’avait pu échapper à son poste et patrouillait dans les rues d’Iriden, fort agitées en ce trente et un juillet. Son cadet Clément, pour sa part, arborait fièrement son costume militaire ; une veste cardinale, pantalon blanc et bottes charbonneuses grimpant jusqu’aux genoux. Sous la clarté des lustres en cristal, son insigne d’aspirant, ses galons et ses épaulettes irradiaient de lumière, à l’instar du champagne reposant au fond de sa coupe.

En l’honneur de la fête nationale, vouée à solenniser la création d’Iriden et de sa jeune sœur Varden, que près d’un siècle sépare, une armada de domestiques était déployée, servant liqueurs et une ribambelle de mignardises délicatement proposées sur des plateaux d’argenterie. Par le fait de sa récente nomination en tant que maire de la haute et basse ville, le duc Friedrich von Hauzen avait insisté pour que l’événement soit célébré en son humble demeure. Son prédécesseur, le marquis Théophile de Lussac était lui aussi présent et avait préparé un discours en raison de la passation de pouvoir après plus de vingt-quatre ans à gouverner, soit deux mandats consécutifs.

Désormais trop âgé du haut de ses soixante-dix ans, le grand-père de Léandre se révélait incapable de poursuivre ses ambitions politiques. Deux successeurs avaient été en lice pour reprendre le flambeau : le duc Friedrich von Hauzen ainsi que le marquis Dieter von Dorff. Bien que le premier soit également magistrat et le digne héritier de son ancêtre Vladimir, considéré comme le sauveur de leur peuple lors de leur exode sur Norden, la majeure partie de l’Élite penchait pour le second dont les aspirations s’accordaient davantage avec leurs propres intérêts.

Après la délibération des scrutins électoraux à la mairie d’Iriden, les représentants avaient finalement voté en faveur du duc. La nouvelle fit grand bruit et on se demanda qui, parmi les cent sièges en vigueur, avait osé voter pour ce dernier. Bien sûr, la moitié des électeurs était issue de la basse classe aranéenne couplée à de rares noréens exerçant de doctes professions. Mais sur cette-dite moitié, une portion non négligeable travaillait de près ou de loin en partenariat avec les riches familles, ce qui, au final, aurait dû porter à plus de soixante-quinze les bulletins octroyés au profit du marquis.

Néanmoins, on apprit par la suite que ce fut grâce au soutien de l’influente famille des de Rochester si Friedrich était parvenu à se hisser au sommet de l’État. Loin d’être une lignée élitiste, les de Rochester avaient une ascendance notable sur le territoire. Neutres et pacifistes, ils étaient souvent considérés comme le maillon qui nouait les liens entre ceux de la branche haute et le commun des mortels, entre noréens et aranéens. Leur voix portait et, généralement, le peuple les écoutait. L’Élite, à l’exception d’une poignée, prit leur vote pour une trahison.

En apprenant la nouvelle, Léandre avait expliqué à Alexander tout ce qui risquait de changer dans les prochaines années. Et qu’ils avaient tout intérêt à révolutionner leur stratégie s’ils voulaient prospérer. Car, Friedrich von Hauzen au pouvoir, cela sous-entendait l’instauration d’une société plus égalitaire envers les noréens, et de ce fait, moins discriminante à l’égard des plus défavorisés. En revanche, pour contrebalancer cette pilule amère et apaiser ceux de sa caste, le nouveau maire comptait intensifier les échanges commerciaux entre Norden et Pandreden.

Les tensions diplomatiques ayant encore diminué entre les empires de Providence et de Charité, il escomptait doubler voire, si possible, tripler le transport de fret. L’Hirondelle et l’Alouette seraient ainsi autorisées à effectuer chacune leur tour jusqu’à trois voyages annuels. Fleurons de l’industrie navale de feu la Fédération, ces vaisseaux trois-mâts de plus de trois siècles d’âge, couramment restaurés et choyés avec un zèle exacerbé, restaient les plus rapides et les plus imposants de la côte ouest. Il leur fallait généralement à peine plus d’un mois de traversée en eaux tumultueuses pour rallier Varden à Espérance, ville portuaire majeure située au sud de l’empire de Providence.

— Si vous aviez vu la tête de mon frère lorsqu’il a appris la nouvelle, leur confia Éric avec amusement, Friedrich lui a fait une sacrée fleur en autorisant son navire à décupler son nombre de trajets annuels. C’est la première fois que j’ai vu Laurent être autant perturbé, ne sachant s’il devait être ravi ou au contraire consterné par les résultats électoraux. Je crois que c’est en grande partie pour s’excuser des déconvenues à venir que le duc l’a gracié de la sorte. À voir si mon serpent de frère va se tenir tranquille ou s’il va se rallier aux côtés de von Dorff et lui mettre des bâtons dans les roues. Une chose est sûre, l’avenir est encore incertain et risque d’être bien différent d’aujourd’hui.

Il but une gorgée de champagne et pourlécha ses lèvres. Ses pupilles brillaient sous l’effet de l’alcool.

— En tout cas, ma sœur Honorine est ravie. Wolfgang va pouvoir décupler ses stocks de marchandises. D’après elle, il a commencé à racheter de nouvelles épiceries et à agrandir la taille de son entrepôt. Elle compte également accroître la notoriété de son enseigne et faire de Chez Honorine une institution de la mode et du prêt-à-porter.

— Surtout que le prix des denrées va sacrément baisser, ajouta Clément, plongé dans ses réflexions. Maintenant, même le bas peuple pourra s’offrir du café et du tabac, enfiler de la soie et du cachemire, acquérir des ensembles mobiliers à bas coût et tout un tas d’objets qui nous étaient réservés jusqu’alors. D’ailleurs, je m’interroge, mais ça ne vous semble pas un peu étrange que seules l’Alouette et l’Hirondelle fassent la traversée ? De notre côté, c’est normal car je sais qu’on veut volontairement limiter le danger d’embarquer des passagers clandestins ou du matériel de contrebande. Et je sais par mon père que des contrôles réguliers sont effectués à Espérance avant chaque séjour en mer puis à Varden avant l’accostage. Mais pourquoi ne voyons-nous jamais de navires providentiens ou charitéens vers nos côtes ? Ils savent pertinemment où Norden se situe sur la carte et ils disposent d’une technologie largement supérieure à la nôtre.

— Toi, tu n’as rien retenu de tes cours de primaire on dirait ! ricana Léandre en tournant la tête pour plonger ses iris cristallins dans ceux du jeune baron. Je suis sûr que notre bon ami se fera une joie de te rafraîchir la mémoire.

Alexander sentit ses joues s’empourprer. Il se racla la gorge et expliqua d’une voix professorale altérée par sa mue :

— Tu te souviens qu’avant notre arrivée sur l’île, Norden était gouvernée par une entité que l’on nommait Halfadir et que le Aràn, comme on l’appelle, se cloître désormais dans son sanctuaire situé à Oraden, à la frontière entre les terres svingars, korpr et ulfarks.

— Oui, je me rappelle de ça, répondit le militaire en levant les yeux au ciel tant cette explication l’exaspérait. Le cerf nous aurait laissé accoster sur son île en l’an zéro de notre ère et aurait par la suite permis à nos ancêtres exilés de prospérer. Je me souviens que c’est grâce à ce soi-disant Harfang si nos navires ont pu traverser l’océan depuis la Fédération pour venir s’échouer ici. On dit que la chose s’est révélée inédite car, auparavant, cet immense serpent blanc aux yeux de braise chassait le moindre navire qui osait s’aventurer non loin de l’île et qu’il aurait depuis des millénaires coulé des centaines de navires. Ça, je le sais baron ! Mais soyons sérieux un instant, tout ceci n’est que du folklore. Ces entités mystiques n’existent pas, à l’instar d’Adam, notre vénérée licorne. Des écrivains farfelus comme le comte de Sérignac ont simplement enrubanné la réalité pour en faire des récits épiques à raconter au coin du feu ou pour émerveiller les gamins. Le cerf et le serpent au même titre que le loup, le sanglier et les corbeaux des tribus noréennes ou encore la licorne, la lionne, l’aigle, la salamandre et la wyvern sur Pandreden… Ces onze chimères ne sont que des symboles voués à décorer nos étendards et à nous unifier sous des bannières communes. Elles ne sont que des métaphores, rien de plus !

Alexander se renfrogna et frotta ses doigts contre ses paumes.

— Je suis aussi perplexe que toi là-dessus, mais je t’avoue ne pas avoir d’explication plus tangible.

— D’explication plus tangible ? s’étouffa Léandre. Parce que croire en la présence d’entités supérieures de plusieurs milliers d’années d’existence ça te paraît crédible ? Et as-tu déjà vu un serpent de près de deux kilomètres de longueur rôder autour de l’île ? Ça ne doit pourtant pas passer inaperçu !

— Ce n’est pas moins crédible que de côtoyer des êtres humains capables de se transformer en animal une fois devenu adulte ! rétorqua Alexander, piqué au vif par cette remontrance. Quant au Aràn Harphang, de nombreux récits attestent de son existence. Je crois même qu’il est mentionné sur le traité commercial exposé dans les archives de la bibliothèque ainsi que dans le lex legatorum si ma mémoire est bonne. Pourquoi nos ancêtres se seraient-ils amusés à inventer de telles fables s’il n’y avait pas un fond de vérité ?

À cette saillie, Léandre ne sut que rétorquer.

— Soit, mais cela n’explique en rien l’inaction de Charité et de Providence. Ils savent pertinemment que la traversée entre les deux îles est possible. Alors qu’est-ce qui les empêche d’envoyer une armada de navires jusqu’ici ? Le redoutable serpent protège les gentils aranéens et dévore nos méchants persécuteurs ? Rien ne tient dans cette explication.

Alexander baissa les yeux et soupira :

— Je ne peux te répondre, Léandre. Je ne dispose d’aucune information à ce sujet et, avant que tu ne me juges là-dessus, sache que je me suis régulièrement posé la question.

— Si vous voulez mon avis, les amis, on nous ment ou du moins, on nous cache sciemment les choses, affirma Éric qui s’était redressé, fier comme un coq. C’est peut-être prétentieux de ma part de vous dire ça mais je sais que mon frère jouit d’informations confidentielles qu’il se refuse à partager et que seuls les membres de l’Hydre disposent. M’est avis qu’on nous manipule depuis longtemps et que nos liaisons avec Pandreden ne sont pas qu’un simple caprice commercial mais ont une raison plus profonde. Ce n’est pas un hasard si l’Alouette et l’Hirondelle ont toujours appartenu à des membres de l’Hydre. Je crois même qu’il fut un temps où l’Albatros et le Cormoran étaient également réquisitionnés pour la traversée. Justement, quand leurs propriétaires faisaient partie de cette organisation et habitaient encore sur la côte ouest avant de déménager à l’autre bout du territoire.

— On en revient au même, grommela Léandre avec un agacement notoire, celui qui intègre l’Hydre tient Norden au creux de sa main. Et je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour obtenir ces précieuses informations. Je ne supporte pas rester dans l’ignorance !

Le groupe demeura muet un instant. Alexander profita du silence pour observer la foule où des femmes somptueusement vêtues riaient et conversaient entre elles. Rehaussées de parures aux pierreries étincelantes, ces aranéennes de tout âge, accoutrées de longues robes à traîne, exhibaient leurs atours à leurs consœurs ainsi qu’aux hommes alentour. Coiffées d’un entrelacs de tresses, surmontées d’un nœud de soie ou d’un diadème pour les plus fortunées, elles ressemblaient à ces paons et autres oiseaux d’apparat. Majoritairement debout, elles agitaient leurs éventails plumés et usaient d’une posture volontairement lascive, presque provocante.

Malgré la langueur de leur gestuelle, le jeune baron savait qu’elles pouvaient se montrer extraordinairement farouches si l’on osait leur manifester de l’irrespect ou, pire encore, de l’indifférence. Et leurs ongles manucurés, semblables à des griffes, pouvaient aisément érafler le doux minois d’une rivale pour le défigurer.

Les hommes étaient tout autant sur leur garde. Bien moins enclins à se comparer physiquement à leurs pairs comme en témoignait la sobriété de leur costume, allant du blanc au noir en passant par le gris ou l’outremer, ainsi que leur coiffure similaire ; la mode étant au catogan pour les plus vieux ou, à l’image d’Alexander et de Léandre, cheveux mi-longs lâchés au vent. Pour se démarquer, monocles, insignes et chevalières étaient de mise. Certains, à l’instar du marquis Lucius Desrosiers, se déplaçaient à l’aide d’une canne à pommeau mouluré, accentuant leur démarche altière.

En grande conversation avec son homologue de l’Hydre, Dieter von Dorff, l’oncle d’Alexander patientait au pied de l’estrade le discours à venir du nouveau maire. Étant le propriétaire du second navire de fret, l’Hirondelle, le jeune baron se demandait comment son oncle avait réagi suite à l’élection. Comme à son habitude, ce dernier ne montrait aucun signe d’émotion. C’était un individu froid et solitaire que l’on disait dépourvu de compassion et de toute appétence. Néanmoins, c’était un homme posé et très à l’écoute. Son intelligence et son tempérament mesuré en faisaient un excellent dirigeant. Quel rôle exact jouait-il dans la gestion du territoire et quels engagements diplomatiques entretenait-il réellement avec Pandreden ?

Perdu dans ses réflexions, Alexander se demandait si, un jour, il pourrait renouer le lien familial auprès de son oncle maternel, rompu depuis la mort d’Ophélia. Oserait-il lui avouer les horribles sévices que son père lui avait infligés ? Et quand viendrait le temps de le condamner, serait-il présent pour lui offrir son aide et protéger Désirée ainsi que sa famille ?

Il sentit un poids se poser sur son épaule puis sursauta.

— Eh bien mon petit baron, souffla Léandre à son oreille, c’est le parfum de ces dames qui fait vagabonder tes pensées ?

Alexander se ressaisit et s’aperçut que la conversation avait repris entre ses amis. Une assiette en porcelaine garnie de petits-fours trônait sur le guéridon. Il en piocha un et le porta à ses lèvres. Il s’empara également de sa coupe de champagne, à nouveau remplie par l’un des domestiques durant son errance mentale, et but à grandes goulées le liquide doré dont le venin émoustillait ses sens.

— Tout doux baron ! s’exclama Éric avec amusement. Si tu continues à boire de la sorte on va te retrouver en train de cuver sous le buffet. Et si tu comptes chasser la demoiselle, veille à ce que ton membre soit suffisamment irrigué. L’alcool c’est mauvais pour la performance. Elle pourrait te donner une gifle si tu faillis à la combler et raconter à toutes ses amies la médiocrité de ton assaut. Il n’y a rien de pire pour perdre toute notoriété auprès de la gent féminine, crois-moi.

Un rire graveleux suivit la plaisanterie.

— En parlant d’oiselle, avez-vous vu Irène ? s’enquit Clément qui s’était levé et balayait l’assemblée.

— Pas encore, répondit un Léandre désappointé. Et tu ne risques pas de la voir circuler au milieu de la valetaille.

— Que veux-tu dire par là ?

Il se rassit et dévisagea son ami. Le faux marquis reposa sa coupe et s’enfonça dans son fauteuil, les mains déroulées sur les accoudoirs et les jambes croisées. Il s’éclaircit la gorge :

— Vous savez, je suppose, que le duc est veuf depuis deux ans maintenant.

Ses interlocuteurs opinèrent du chef. Tous avaient appris que la femme de Friedrich, Eleanora von Hauzen, était morte alors qu’elle donnait naissance à leur premier enfant. Le nouveau-né également, un digne héritier mâle, n’avait pas survécu. Le bruit courait que le duc s’était très difficilement remis de cette tragédie. On l’avait trouvé fort changé depuis lors et sa volonté d’entrer plus fervemment en politique ne pouvait renier cette sinistre origine. Toutefois, bien qu’il soit magistrat, jamais personne n’aurait songé qu’il soit à ce point intéressé pour diriger le territoire. Il n’avait toujours montré qu’une avidité modérée pour les affaires publiques d’où le fait qu’il n’ait jamais intégré le cercle très fermé de l’Hydre malgré qu’il jouisse du titre éminent de duc, le plus important de la hiérarchie nobiliaire.

— De plus, poursuivit Léandre, j’ai appris que son ancienne gouvernante aranoréenne avait assisté à l’accouchement et que ce serait par sa faute si la duchesse est décédée ainsi que son enfant. Inutile de vous dire que le duc l’a chassée de sa demeure dès le lendemain. Certains disent même qu’il l’aurait fait arrêter et enfermer à la maison d’arrêt en attente d’un procès.

— Et quel rapport avec Irène ? demanda Alexander en haussant un sourcil.

Léandre lui adressa un sourire de loup.

— Le poste de gouvernante étant vacant, qui crois-tu que Friedrich a choisi pour assumer le rôle ?

— Irène, à tout hasard ? supputa Clément.

— Précisément ! approuva le blondin en se frottant les mains.

— Eh bien ! Il ne s’en fait pas le bougre ! se gaussa Éric en manquant de renverser l’alcool contenu dans le fond de son verre. On ne risque plus de lui voler sa chasse gardée à présent. Il pourra exhiber son trophée à volonté sans que personne ne vienne le lui dérober.

— À mon avis, elle doit lui prodiguer bien d’autres satisfactions, ajouta Clément d’un air grivois. On ne monte pas aussi rapidement dans les échelons sans donner un tant soit peu de sa personne.

Léandre approuva, un sourire goguenard étirait ses lèvres.

— J’avoue que cela fait des années que je n’ai pas touché de noréennes, mais pour celle-là, j’aurais fait une exception.

Sur ce, il se leva, imité par ses camarades, et pointa du menton le duc qui s’avançait en direction de l’estrade afin d’entonner son discours. Irène marchait dans son sillage, la démarche gracile et souple. Dans la vingtaine, ses cheveux blonds agencés en un ample chignon mettaient en valeur la finesse de sa nuque et l’ovale de son visage aux pommettes saillantes. Une robe lilas aux reflets nacrés, cintrée sous la poitrine par un simple ruban miellé, habillait sa taille longiligne, accentuant la pâleur de son teint de porcelaine. Nul ornement ou fioriture ne parachevait son portrait. Elle dénotait parmi ces noréennes en livrée et ces aranéennes outrancièrement décorées.

Alexander ne pouvait le nier, la réputation d’Irène n’était pas démérité. Pourtant, sans qu’il ne sache pourquoi, quelque chose le gênait dans l’apparence de cette femme au regard de vipère. Étaient-ce ses yeux perçants, couleur d’un ciel d’orage, sa silhouette grande et élancée si inhabituelle chez les hrafn ou bien l’absence d’élément rappelant de près ou de loin un totem noréen ? Or, la loi était stricte à ce sujet ; tout domestique de ce peuple, aranoréens compris, se devaient d’apposer leur animal totem sur leur mise, révélé par la shaman au cours de leurs premiers mois d’existence. Que ce soit un médaillon agrafé sur le poitrail, comme les trois quarts des personnes concernées, un collier, une fibule voire même une épingle à cheveux ou un mouchoir brodé pour les plus discrets.

Il en allait de la sécurité publique. Un individu pourvu d’un totem jugé dangereux était directement inscrit dans les registres de la police et l’administration. Bien que très peu répandus, ursidés, canidés et félidés sauvages, rapaces de grande envergure, reptiles venimeux ou n’importe quel gros prédateur, faisait l’objet d’une surveillance accrue. On employait d’ailleurs rarement de telles gens chez les domestiques, car souvent dotés d’un tempérament fougueux et qui se pliait difficilement aux ordres ou à la hiérarchie. Et si l’un d’eux osait se transformer en sa forme animalière, mieux valait éviter de voir un loup enragé sauter à la gorge de ses maîtres et commettre un carnage.

Accompagné de son prédécesseur, le duc monta les trois marches de l’escalier. Il s’avança jusque derrière le pupitre et patienta le temps que la mélodie s’achève et que l’assemblée daigne se taire. Tous les regards convergèrent sur lui puis le silence régna. Alors, il s’éclaircit la voix et entama son discours :

— Mes chers compatriotes, me voici devant vous ici ce soir en tant que votre nouveau maire. Avant de commencer, je souhaiterais vous remercier pour votre soutien et m’engage solennellement à respecter mon serment…

Au fil de son allocution, le cœur d’Alexander se mit à tambouriner fiévreusement contre sa poitrine et un voile humide assaillit ses rétines. Il avait enfin trouvé son mentor tant espéré. Quoiqu’il advienne, il ferait tout son possible pour soutenir cet homme et veiller à ce que ses actions soient opérées. Car, pour la première fois de sa vie, il se surprit à espérer un avenir meilleur et cela l’emplissait de bonheur.

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