Chapitre 18 – L’agression
Un linceul brumeux nimbait le paysage nocturne de ses vapeurs oppressantes. Sur Balthazar, Anselme marchait le long de la route cabossée. L’équidé agitait ses oreilles à l’affût d’un danger potentiel et broyait son mors avec nervosité. Pour pallier la morsure du froid, le cavalier portait un long manteau sombre. Une écharpe encerclait son cou et une épaisse paire de gants lui couvrait les doigts.
Soudain, le cheval plaqua ses oreilles en arrière et hennit de peur, prêt à ruer à l’entente de bruits de sabots et de cliquetis métalliques. Anselme se retourna et aperçut trois silhouettes émergeant du brouillard ; trois garçons dressés sur des palefrois caparaçonnés de leurs armoiries.
— Tiens tiens ! Mais regardez donc qui s’amuse à sortir tout seul la nuit ! nargua Antonin.
— C’est notre cher petit paria ! ajouta Isaac. Qu’est-ce qu’un homme de bonne famille vient faire dans la campagne à une heure pareille ? Tu pars chasser le gibier ? Ou bien commettre un crime ?
— Rien de tout cela, je présume ! railla Théodore. M’est d’avis qu’il part rejoindre sa dulcinée. Regardez donc comment il est si bien habillé… De si beaux habits pour un physique aussi ingrat !
Ils se mirent à rire. Isaac s’avança et braqua son cheval juste à côté de Balthazar.
— Serait-ce la noréenne de l’autre fois, cette sale petite rouquine ? proposa-t-il en adressant un sourire carnassier à son rival. C’est vrai qu’elle est mignonne. Et quel tempérament de feu elle a ! Tu en as de la chance. Je me demande bien ce qu’elle peut te trouver ! Elle en a sûrement après la fortune de ton imbécile de père !
Théodore se posta du côté opposé.
— On devrait tous aller la rejoindre, lui passer le bonjour ! lança-t-il, grivois. Je suis sûr qu’elle serait ravie de nous revoir !
— D’autant que rien ne nous empêchera de passer un peu de bon temps en sa compagnie cette fois ! Si tu vois ce que je veux dire l’infirme !
Isaac planta son regard dans celui de son rival et le défia. De ses yeux émanait une aura malsaine. Il approcha un peu plus son visage du sien et fit un geste obscène de la main, qui fit rire ses deux amis. Anselme sentit la peur et la colère l’envahir. Peu enclin à se soumettre, il toisait ses interlocuteurs et tentait de réfléchir à une issue. À présent, les trois cavaliers l’encerclaient sur les flancs et l’arrière ; il était bien loin d’Iriden et personne à cette heure ne pourrait l’aider.
— Que voulez-vous messieurs ? finit-il par dire.
— Mon cher petit paria, commença Isaac, tu nous as causé bien des misères la dernière fois. Je dois laver mon honneur et réparer l’affront que tu m’as fait. On est là pour te casser l’autre patte ! Au risque que tu ailles brailler auprès de ton patriarche après cela, comme le pauvre petit pleurnichard que tu es !
— Vous m’avez suivi jusqu’ici afin de me rosser, répliqua Anselme avec fureur, et à trois contre un. Quelle dignité vous faites preuve messieurs ! Vous êtes encore plus pitoyables et affligeants que je ne l’imaginais.
— Ce qui est affligeant, c’est de ne pas te montrer qui gouverne sur cette île ! Nous sommes des marquis ! Dignes héritiers de familles puissantes, dois-je te le rappeler ? Alors que toi, sale noréen, si le Baron n’était pas là pour te protéger, tu ne serais rien ! Et tout comme ton vrai père, tu mérites que l’on t’enseigne où est ta place !
Sur ce, Isaac s’empara de la canne accrochée à la selle de l’infirme et fouetta violemment l’arrière-train de Balthazar. Hennissant de douleur, le destrier rua et partit au galop. Surpris par le mouvement brusque de l’animal, le cavalier lâcha les rênes et tomba à la renverse. Il se retrouva étendu au sol, les mains déployées sous son ventre pour amortir la chute. Lors du choc, il avait senti son poignet droit se disloquer. Les trois marquis mirent pied à terre et vinrent à sa hauteur. Isaac empoigna le garçon par les cheveux et le força à le regarder :
— Tu vois sale noréen, à jouer avec plus fort que soi ça finit toujours mal ! Dommage que ta copine ne soit pas là en cet instant. J’aurais tellement aimé la pénétrer pendant qu’elle te regarderait souffrir !
Il passa la main au-dessus de son propre sexe et se massa l’entre-jambes.
— Ah ! quel bonheur ç’aurait été de l’entendre couiner et gémir pendant que tu serais lâchement étendu à terre et que tu ne pourrais rien faire pour lui venir en aide. Surtout que je suis sûr que celle-ci ne se laissera pas monter et dominer si aisément. Cela aurait été un réel délice !
Ils se mirent à rire, un rire effroyable. Anselme était terrorisé, impuissant face à de telles pensées infâmes. Sans lui laisser le temps de se remettre, le trio s’acharna sur leur proie, le frappant au visage et au ventre. Le corps du jeune homme convulsait. Il gisait immobile, le souffle coupé et le goût ferreux du sang stagnant dans sa gorge. Sa tête tourbillonnait et ses oreilles sifflaient, il manquait de perdre connaissance.
Enivré par le lynchage et sa position dominante, Isaac reprit la canne et lui asséna un coup virulent au visage suivi de coups de botte que l’infirme peinait à encaisser.
Un puissant hurlement retentit non loin d’eux. Les trois assaillants stoppèrent net leur assaut et observèrent la brume, intrigués par la provenance de ce cri venu des ténèbres. Des craquements et des bruissements se distinguaient puis deux points jaunes apparurent, disparaissant aussitôt.
— C’est… c’était quoi ça ! bégaya Théodore, frissonnant.
— J’en ai aucune idée ! s’alarma Antonin.
— Certainement le fameux loup dont parle le journal ! s’écria Isaac. Il paraît que cette bête a déjà attaqué et enlevé des enfants !
Haletants et les membres tressaillants, ils scrutèrent les environs. La brume gagnait en intensité, il n’était désormais plus possible de distinguer quoi que ce soit à plus de deux mètres.
— Vous croyez qu’elle est partie ? s’inquiéta Théodore.
— Sans doute, je ne vois rien avec ce foutu brouillard !
Après un temps, ils se retournèrent et firent de nouveau face à leur adversaire. Celui-ci était toujours allongé au sol, face contre terre, à moitié inconscient.
— On dirait que personne ne viendra à ton secours finalement ! railla Isaac.
Il s’apprêtait à le frapper, lorsque la louve fondit sur lui et l’attrapa par la nuque. Propulsé par son élan, le canidé entraîna le marquis dans sa chute, ses crocs profondément plantés dans sa chair. Au sol, ployant sous le poids de son assaillant, Isaac cria, se débattit en vain puis se tut après un dernier râle. Les deux autres hurlèrent de terreur et s’ensauvèrent en hâte regagner Iriden. Durant l’assaut, les chevaux paniqués avaient fui le prédateur, il leur était impossible de les récupérer dans une telle obscurité.
Le loup desserra la mâchoire. Du sang luisait de ses crocs et tombait au sol par gouttelettes écarlates. Après s’être léché les babines, le canidé renifla Anselme puis, dans un instinct de protection, s’allongea à ses côtés et patienta.
Au bout d’un long moment, le garçon parvint à reprendre connaissance et ouvrit timidement un œil. Avec un effort qui mobilisa ses dernières sources d’énergie, il réussit à se mouvoir et à se rasseoir. Il passa une main sur son visage et s’essuya les yeux afin de voir un peu plus clair. Quand il remarqua la louve, il eut un mouvement de recul instinctif. Pourtant, la bête au museau barbouillé de gouttes carmines demeurait sereine, l’observant de ses gros yeux jaunes. Elle couina en approchant sa tête de celle de son fils qui, la frayeur passée, ôta son gant et posa sa main valide sur la truffe de l’animal. La bête ne broncha pas et la renifla de sa truffe noire entaillée. Après une brève hésitation, elle la lécha d’un coup de langue.
Un bruit de sabots approchait. Les oreilles dressées vers l’avant, Balthazar accourrait vers son cavalier, sans aucune crainte envers le grand loup qui se tenait auprès de son maître. Le destrier arriva à leur hauteur et se baissa afin que son cavalier se hisse sur son dos. Le jeune homme attrapa les rênes et parvint à remonter en selle. La louve, quant à elle, s’éloigna dans la brume après avoir fini de déguster une partie de sa proie.
***
Ambre se réveilla en sursaut lorsque quelqu’un vint frapper à la porte. Le cœur battant à vive allure et les membres fébriles par la torpeur, elle craqua une allumette, alluma la lanterne posée sur sa table de chevet puis avança avec prudence jusque dans l’entrée. Toute aussi épeurée, Adèle vint la rejoindre. La petite alla se cacher derrière sa sœur et agrippa le pan de sa chemise de nuit ; jamais personne ne s’était présenté à une heure aussi tardive. Elles marchaient à pas de velours, pieds nus sur le parquet grinçant. De la vapeur s’échappait de leur bouche tant l’air ambiant était glacé, à peine moins froid que dehors.
Ambre jeta furtivement un regard par la fenêtre de la cuisine. À travers l’intense brouillard, elle distingua l’imposante silhouette d’un cheval juste devant la porte. En reconnaissant l’animal, elle ouvrit aussitôt et scruta les environs. Elle lâcha un cri de stupeur en découvrant le corps d’Anselme qui se tenait assis, le dos appuyé contre le mur et les yeux mi-clos, à moitié conscient.
— Anselme ? Mais que fais-tu ici à une heure pareille ! s’étonna-t-elle en grelottant.
Elle s’approcha et réprima un cri.
— Oh, mais tu saignes !
Le jeune homme grogna, n’ayant plus la force de parler correctement. Elle s’accroupit, passa son bras au-dessus de son épaule et l’aida à se relever. Son ami peinait à tenir sur ses deux jambes et se laissa porter à l’intérieur. Ambre le fit s’allonger sur la banquette du salon. Adèle, voyant Anselme couvert de sang et rongé d’une quinte de toux, demeurait pétrifiée.
— Qu… que s’est-il passé ? Qu’est-ce qu’il a Anselme ? Et pourquoi il est tout rouge… c’est… c’est du sang ?
— Adèle par pitié ne reste pas là, s’il te plaît ! Je ne peux pas m’occuper de toi là ! Alors va dans ta chambre et ne reviens pas avant que j’aie terminé ! Tu m’entends ?
La petite tremblait de la tête aux pieds. Dans cet état, Anselme était méconnaissable. Son arcade sourcilière, devenue bleue, avait triplé de volume et son visage se couvrait de sang mêlé de boue.
— Adèle ! la rudoya Ambre. Fais ce que je te dis ! Allez dépêche-toi ! Va donc te recoucher !
Après un moment d’hésitation, la cadette s’exécuta et claqua la porte. L’aînée l’entendait pleurer, mais était trop préoccupée pour s’en soucier.
— Tu es glacé ma parole ! s’inquiéta-t-elle en posant une main sur le front du blessé.
Elle s’approcha de la cheminée et mit tous les morceaux de bois qui se tenaient à disposition dans le foyer. Puis elle craqua une allumette et tenta tant bien que mal d’attiser les flammes. Sans réfléchir, elle jeta les lettres de son père qui se trouvaient à proximité de l’âtre pour accélérer le processus. Le maigre feu les dévora précipitamment. Enfin, elle se tourna vers son ami et observa attentivement son état. Les meurtrissures étaient nombreuses et il lui fallait procéder par ordre de gravité.
— Anselme, je suis désolée, mais il va falloir que je te déshabille, tes plaies doivent être soignées et tu as une très vilaine blessure au-dessus du genou.
— Fais ce que tu dois faire ! répondit-il mollement.
Il avait la respiration sifflante et tremblait tant de froid que de douleur. Jamais encore Ambre n’avait vu quelqu’un d’aussi affaibli. L’espace d’un instant, elle se demanda si elle allait pouvoir le soigner et attendre le lendemain matin pour aller chercher de l’aide. Ou s’il lui fallait partir dès maintenant tout en le laissant ici, fort mal en point, en compagnie de sa petite sœur, seuls et vulnérables. Elle trancha rapidement pour la première solution ; celle qui lui semblait la plus judicieuse.
Avant de commencer à le dévêtir, elle remplit une bassine d’eau froide qu’elle déposa à ses pieds. Puis elle alla dans une pièce annexe pour y récupérer des serviettes et une couverture ainsi qu’une grande quantité de compresses et un flacon d’huile de millepertuis ; une huile végétale réputée pour ses vertus cicatrisantes et anti-inflammatoires. Elle prit également une aiguille courbe et du fil.
Arrivée à son chevet, elle s’affaira auprès de son patient. Non sans mal, elle délaça ses bottes qu’elle jeta une à une dans un coin de la pièce puis déboutonna la redingote. Avec la plus grande délicatesse, elle passa les bras du jeune homme à travers les manches afin de la lui ôter sans le blesser davantage. Elle prit ensuite une paire de ciseaux et coupa sans scrupule sa chemise en deux ; celle-ci était imbibée de sang et déchirée par endroits. Un affreux rictus se dessinait sur ses lèvres en découvrant le corps de son ami, rongé d’ecchymoses et d’entailles.
— C’est grave ? demanda-t-il faiblement.
Ambre se renfrogna et examina son buste.
— Je ne pense pas, même si tu es sacrément bien amoché. Ton agresseur n’y est pas allé de main morte. Je vais d’abord m’occuper de ton genou, cette plaie me semble la plus grave.
Anselme acquiesça en silence puis toussa à nouveau. Ambre prit son courage à deux mains et enleva avec précaution son pantalon. Ses mains tremblaient au fur et à mesure qu’elle descendait l’habit. Elle ne savait pas si c’était dû au stress de la situation ou bien à la gêne de voir le corps de son ami à moitié nu.
Une fois le pantalon enlevé, elle passa un coup de torchon humide pour enlever le sang et la fange puis imbiba un chiffon d’huile de millepertuis et le lui appliqua sur la plaie. Il émit un cri de douleur.
— Excuse-moi ! Mais il faut impérativement que je désinfecte cette vilaine blessure.
Dès que la plaie fut nettoyée, elle prit une aiguille dont elle chauffa le bout à l’aide d’une allumette et y enfila un fil de pêche relativement solide dans le chas.
— Je te préviens de suite, ça risque de te faire mal ! Je n’ai jamais fait ça de ma vie. Veux-tu que je te donne un verre d’alcool avant ? Ça t’aidera à mieux supporter la douleur.
Anselme émit un grognement approbateur. Ambre alla chercher un fond de whisky qu’elle versa dans un verre. Elle revint auprès de son ami et lui tendit le breuvage qu’il but d’une traite. Pendant ce temps, elle chauffa à nouveau l’aiguille et commença à la planter sous sa peau. Le garçon gémit et fut secoué de tremblements tant la douleur de l’objet s’enfonçant sous sa chair était lancinante.
— Je vais essayer d’aller au plus vite. Malheureusement je dois au moins effectuer plusieurs points de suture.
L’opération terminée, elle appliqua une compresse et enroula un bandage autour de la blessure. Par la suite, elle désinfecta les coupures et étala une huile végétale à base de lavande fine et de laurier noble sur les ecchymoses afin de les atténuer. Ses doigts massaient avec lenteur les parties endommagées afin de bien faire pénétrer les onguents.
À ce geste, la jeune femme prenait soin de ne pas s’attarder en direction de son bas-ventre qui fut recouvert d’une couverture en laine une fois cette opération achevée. Après cela, elle le fit se redresser légèrement et s’occupa de son torse. Pour se faire, elle s’assit sur la banquette, dans une position plus confortable pour le soigner.
À présent à son niveau, Anselme pouvait la regarder prodiguer ses soins. Sous la concentration, elle se pinçait les lèvres et ses sourcils froncés dessinaient une ride du lion. Il fut troublé de la trouver si belle et était perturbé par l’instant si particulier de cette scène. Il se demanda si l’alcool ne l’avait pas grisé tant il la trouvait désirable avec cette robe de chambre, vieille et usée, qui laissait apparaître un bout de sa poitrine à l’orée de son décolleté.
C’était la première fois qu’il la voyait ainsi, dans son intimité et sans la moindre pudeur ; lui qui l’avait connue toute son enfance et n’avait toujours vu en elle qu’une amie. Or en cet instant précis, quelque chose avait changé, elle était devenue femme. Le jeune homme ferma les yeux, tentant de maîtriser l’excitation qui le submergeait. Une vague de chaleur l’envahissait. Il savait que c’était mal d’avoir de telles pensées en ces circonstances et trouvait son attirance tant déplacée qu’indigne.
Ambre, quant à elle, baladait ses doigts sur son corps meurtri, couturé de vieilles cicatrices. Ses mains effleuraient la peau tachetée de son torse, épousant avec douceur le mouvement de sa poitrine qui se gonflait et se dégonflait au gré de sa respiration. Malgré les multiples blessures, elle sentait le corps de son ami reprendre vie au fur et à mesure que la pièce se réchauffait. Elle couvrit son torse et passa au visage. Délicatement, elle posa le torchon imbibé sur son arcade ouverte. Il geignit et eut un mouvement de recul.
— C’est bientôt fini, ne t’inquiète pas ! En revanche je ne suis pas en mesure de m’occuper de ton bras. Il va te falloir un médecin si tu veux qu’il cicatrise correctement.
Anselme ne répondit rien, toujours happé par son visage aux yeux flamboyants qui était à seulement quelques centimètres du sien. Il pouvait à présent distinguer le moindre grain de beauté se dessiner sur sa peau. En baissant les yeux, il ne put résister à l’envie de jeter un bref coup d’œil au niveau de sa poitrine galbée. D’ici, il avait une vue plongeante sur son décolleté où les seins de la jeune femme se distinguaient parfaitement. L’espace d’un instant, il eut l’envie de faire parcourir ses doigts contre sa peau, de palper cette zone si avenante et de se presser contre elle. Mais il se ressaisit et regarda ailleurs, terriblement confus.
Une fois qu’elle eut terminé, elle reposa sa tête sur l’accoudoir et alla lui chercher un médicament. De ses yeux mi-clos, Anselme la regardait s’éloigner. Il admirait sa taille et ses jambes devenues fines s’esquisser sous cette robe à demi transparente, dévoilant subtilement les détails de son anatomie. Ambre lui servit le cachet et un verre d’eau.
— Bois cela ! Ça va te faire baisser la fièvre et calmer les douleurs. Tu es bouillant !
Il toussa et la remercia. Elle reprit le verre vide, le remplit à nouveau et le posa au pied de la banquette.
— Je te laisse ça ici, au cas où tu aurais soif cette nuit. Si tu as besoin de quoi que ce soit, surtout n’hésite pas à m’appeler. Je serai dans ma chambre, juste à côté.
Avant qu’elle ne reparte, Anselme lui agrippa le poignet.
— Attends ! reste un peu avec moi, s’il te plaît !
Ambre parut surprise et regarda son ami d’un air interrogateur qui se redressa légèrement et lui laissa de l’espace sur la banquette afin qu’elle puisse s’installer. Dès qu’elle fut assise, il posa sa tête sur ses cuisses et regarda devant lui, les yeux perdus dans le vide. D’abord hésitante, elle posa une main sur son crâne et glissa ses doigts dans sa chevelure. Ils restèrent ainsi pendant plusieurs minutes, silencieux, contemplant les flammes onduler dans l’âtre.
— S’il te plaît, chante-moi une berceuse, murmura-t-il.
— Laquelle te ferait plaisir ?
— Peu importe, celle que tu préfères ! Tu m’en chantais tellement autrefois, je les aimais toutes.
La jeune femme réfléchit puis s’éclaircit la gorge.
« Au-dessus des nuages, à la lueur du soir
Sans un bruit, sans une parole
Le triste oiseau prend son envole
Tant il est rongé par le désespoir
Le corbeau déploie ses ailes
Voyageant haut dans le ciel
Pauvre corbeau à présent seul
Du frère devant faire son deuil
Qu’une flèche lancée
Venait de faucher »
À la fin de la chanson, Ambre sentit la respiration de son ami devenir régulière et se rendit compte qu’il venait de s’endormir. Elle prit délicatement sa tête et la releva avec lenteur afin de s’extirper. Avant de regagner sa chambre, elle déposa un baiser sur son front et attisa les flammes.
Dès qu’elle eut le dos tourné, le jeune homme ouvrit subrepticement un œil et esquissa un sourire avant de s’endormir.
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