Chapitre 11 – Le loup rôde dans nos contrées
La porte claqua et Ambre franchit le seuil de la taverne d’un pas raide, parée à rudoyer le moindre impertinent qui oserait la contrarier. L’éclat de ses yeux ambrés aggravait la corrosivité de sa mine au teint anormalement pâle malgré ses éphélides flamboyantes. Elle largua ses affaires sur une chaise de l’arrière-cuisine, salua d’un grondement sourd son patron et partit promptement rejoindre le comptoir qu’elle astiqua à l’aide d’un chiffon imbibé de vinaigre pour défouler ses nerfs. L’Hirondelle venait de lever l’ancre à l’aurore et Adèle, profondément affligée par l’abandon de son père, n’avait cessé de pleurer durant l’entièreté du trajet jusqu’à son école. Au point que, pour se résoudre à la calmer, l’aînée avait fini par la gifler.
Le geste fut aussi brutal que spontané et la jeune femme s’en voulut d’avoir usé de la violence pour la faire taire. Suite au soufflet, la fillette n’avait pas crié et avait continué son avancée à la manière d’un condamné qu’on mène à l’échafaud. Elle avait sangloté et reniflé, tenant d’une main molle sa joue rougie par l’impact tandis que sa sœur la conduisait jusque devant les grilles de son école.
Dorénavant, Ambre était seule pour s’occuper de sa cadette. Adieu la liberté momentanée et ces instants de flânerie auprès d’Anselme durant ses après-midi. Il lui fallait à nouveau revêtir le rôle de mère, reprendre les tâches ménagères, la cuisine et les courses, bien que Georges avait eu la sagesse d’esprit de garnir le garde-manger avant son départ, léguant comme à l’accoutumée une coquette somme disponible dans son coffret pour les dépenses trimestrielles. Mais la grande nouveauté était qu’elle devait impérativement veiller sur sa petite sœur lors de chacun de ses déplacements en dehors de l’enceinte de la ville.
Même si Ambre comprenait et partageait les craintes de son père, cette injonction lui restait en travers de la gorge. En effet, au vu des journaux aux titres alarmants — qu’ils concernent les carnages de la louve sur le bétail ou, pire encore, la disparition de quatre jeunes noréens exclusivement ruraux — il était impensable de laisser une enfant vagabonder seule dans la lande, y compris en plein jour.
Les deux phénomènes étaient-ils corrélés ? La Garde d’honneur patrouillait fréquemment en ville et dans la campagne environnante. Soldats et cavaliers interrogeaient la population aux abois, inquiète pour sa progéniture. Des affiches avaient été placardées sur les écriteaux et sur de nombreux lampadaires, invitant à la prudence et à colporter aux autorités le moindre événement ou agissement suspicieux. Alors qu’elle frottait l’évier avec acharnement, Beyrus la rejoignit. Il lui tendit une lettre cachetée et annonça d’une voix grave teintée de reproches.
— Tiens ma grande, c’est de la part d’Anselme. J’espère que son contenu va te faire passer cette tête de déterrée et te rendre un peu plus joviale. Sinon je risque de ne pas avoir beaucoup de clients si tu te comportes de cette façon toute la journée. Je sais que ce n’est pas facile mais ressaisis-toi, veux-tu !
À ces mots, la chatte jeta son éponge. Elle acquiesça puis s’excusa. Pour toute réponse, le géant lui donna une tape amicale sur l’épaule et retourna aux fourneaux. Elle inspira profondément puis, sans attendre, décacheta l’enveloppe. Un unique feuillet nichait à l’intérieur. Elle parcourut la missive avec attention, écrite dans une jolie lettrine effilée, digne des gens de noble éducation.
Son cœur s’accéléra à mesure que sa lecture progressait. Le garçon lui proposait de la retrouver à son cottage samedi midi afin de déjeuner en sa compagnie puis de profiter d’une balade sur la plage. Il précisait se charger de l’entièreté du repas et invitait, bien évidemment, la petite Adèle à se joindre parmi eux.
Ambre haussa un sourcil, intriguée par une telle initiative qui, de la part du corbeau, n’était nullement anodine. Eux qui ne s’étaient revus jusque là qu’à la taverne ou dans l’un des parcs de la basse-ville, sans que la mouette ne traîne dans leurs pattes.
Sauf s’il désirait simplement attendre que papa quitte le logis pour oser nous rendre visite ? Samedi… nous serons le 8 mai, je crois.
Réalisant soudainement cette date symbolique, les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent.
Le 8 mai ! Mais oui, c’est le jour de son anniversaire ! Étant donné qu’il a un an et demi d’avance sur moi, ça veut dire qu’il fête ses dix-huit ans… Par Halphadir ! Il va devenir majeur et pourra désormais se transformer en son animal totem si l’envie l’en prenait !
Un étrange sentiment tirailla son ventre, mélange de félicité et d’amertume. Elle espérait vivement que la volonté de métamorphose n’effleure pas l’esprit de son ami. Que le corbeau trouve un certain équilibre dans sa vie et ne se résigne pas à tout abandonner pour entamer une nouvelle existence, plus douce et prospère que les eaux tumultueuses des hautes sphères et leurs falaises de mesquineries. Ambre encaisserait difficilement son choix si tel s’avérait être le cas. Il ne pouvait la quitter alors qu’ils venaient à peine de se retrouver. Cela serait terriblement injuste !
Elle posa la missive sur le comptoir et la tapota du bout des ongles d’un air pensif.
J’ai quatre jours pour lui dénicher un cadeau digne de ce nom ! Mais qu’est ce qu’un noble qui a déjà tout pourrait désirer ? Hors de question que je lui prenne un vêtement ou un bijou. Je n’aurais jamais assez d’argent pour lui en acheter un de belle facture. Un parfum ? Non, c’est trop intime et onéreux. Un jeu ? Je crois qu’il a passé l’âge et un livre c’est trop conventionnel d’autant que je ne sais pas quels titres il a dans sa bibliothèque. Des friandises alors ? Hum… pourquoi pas. Je pourrais aller à l’épicerie fine lors de ma pause vendredi, demander à Adèle de rester avec Ferdinand jusqu’à vingt et une heures et on rentrerait ensemble après mon service. J’en profiterai aussi pour me racheter des cigarettes !
Ces réflexions relaxèrent la jeune femme qui reprit aussitôt son ouvrage avec moins de hargne, les pensées plus apaisées. Toutefois, une vilaine aigreur poignait encore en son sein qui ne serait dissipée qu’une fois des excuses auprès de sa cadette effectuées.
Je m’en veux ma Mouette, songea-t-elle, assaillie par la culpabilité. Je n’aurais jamais dû porter la main sur toi. Surtout pour te forcer à refouler ton chagrin. J’ai été terriblement égoïste, cruelle même !
Pour se faire pardonner aux yeux de la fillette, elle dépenserait une pièce de cuivre supplémentaire pour l’achat d’une pâtisserie à la Mésange Galante. Elle devait se rendre à la boulangerie en fin de matinée afin de quérir les cabas de pain quotidien à destination de la taverne.
***
La semaine fila bien vite jusqu’au vendredi tant attendu. Ambre déambulait dans les ruelles alambiquées de la ville médiane, non loin du quartier des antiquaires, à la recherche de sa fameuse épicerie,Les Merveilles de Pandreden, spécialisée dans la commercialisation de denrées importées. Pour s’y rendre, elle empruntait un réseau d’escaliers suivi par un dédale de venelles ombreuses, trop étroites pour que le soleil puisse y percer ses rayons ou que deux fiacres puissent s’y croiser sans se heurter. Nonobstant la succession d’enseignes colorées, aux sobriquets et emblèmes aguicheurs, elle prenait garde à surveiller les pancartes car toutes les allées se ressemblaient, à l’image de leurs noms ; rue de l’imprimerie, rue de la menuiserie, impasse des ébénistes…
La jeune femme était bien moins agitée qu’auparavant ; Adèle avait accepté ses excuses autant que l’amandine aux abricots que la chatte avait gentiment glissée dans son assiette au moment du dessert. Il lui avait été fort compliqué d’admettre ses torts, mais Ambre ne souhaitait pas détériorer les rapports qu’elle entretenait avec cette enfant dont elle était la seule parente permanente. La mouette ne méritait pas un tel traitement de sa part ; elle devait être choyée, protégée et soutenue, vivre l’insouciante jeunesse qu’on avait arrachée à son aînée lors de sa douzième année.
Ambre finissait de gravir une dernière volée de marches quand la façade de l’épicerie, couleur lie de vin, attira son regard. La cloche tinta lorsqu’elle pénétra dans la boutique à la vitrine soignée et aux produits joliment ordonnés dans des étagères en bois d’acajou. Des bocaux et boîtes par centaines exhibaient leurs parures de verre et de carton peint, aux lettrines envoûtantes et aux noms insolites. Proche d’une balance à pesée et d’une pile de sachets krafts, fruits secs, feuilles de thé, grains de café, olives marinées et épices variées patientaient dans d’immenses coupelles en porcelaine exposées sur un buffet que le vendeur servait en vrac, à la demande du client. Juste derrière, des bouteilles d’alcool aux formes voluptueuses et des paquets de tabac étaient entreposés.
L’odeur des denrées titilla les narines de la noréenne autant que la somptuosité de cette nature morte. Même si les prix affichés dans cette épicerie se révélaient bien moins chers qu’ailleurs, Ambre ne pouvait se permettre de dilapider son salaire durement gagné dans de telles futilités. Elle ne connaissait pas le dixième des aliments proposés et rejetait d’emblée tout ce qui dépassait la pièce d’argent au kilo, soit presque la totalité des produits mis en vente. Néanmoins, elle fit une exception en piochant pour Anselme une tablette de chocolat noir aux motifs fleuris, estampillée Kokoan Blume.
Elle avait longuement hésité avant d’opter pour ce présent. Jusqu’à ce qu’un souvenir ne lui revienne en mémoire, datant de l’époque où les deux amis n’étaient guère plus âgés qu’Adèle. Lors d’une journée estivale écorchée par la chaleur, ils avaient discrètement dérobé quelques carrés de cette divine douceur dans le placard des parents du garçonnet. Ambre et Anselme les y avaient calés dans la poche arrière de leur pantalon sans jamais se douter que les morceaux allaient fondre en l’espace d’une poignée de minutes, laissant une trace brune indélébile sur le fessier de la rouquine et de son fidèle comparse. Quand les adultes eurent découvert leur méfait, impossible à dissimuler, tous éclatèrent d’un rire au lieu de les sermonner. La mine piteuse des chapardeurs — que la honte et la déception à l’idée d’avoir gaspillé leur pitance taraudaient — était d’ores et déjà une punition suffisante.
J’espère qu’il se rappellera de l’anecdote et l’appréciera ! pensa-t-elle, un sourire amusé aux lèvres.
La tablette de chocolat en main, elle se rendit au comptoir, commanda au vendeur son paquet de cigarettes habituel et paya ses achats. À eux seuls, ces maigres articles constituaient l’ensemble des dépenses journalières pour elle et sa sœur. Elle s’apprêtait à quitter les lieux lorsqu’elle aperçut, au fond d’un rayon, une silhouette familière. Elle pivota et alla à la rencontre de cet homme blond pas plus épais qu’Anselme dont les yeux céladons se dissimulaient derrière une paire de besicles rondes.
— Bonjour monsieur Enguerrand !
Surpris, ce dernier tressaillit puis détourna son attention de l’étagère pour dévisager la jeune femme qui venait de l’alpaguer.
— Mademoiselle AmbreChat Viverrin ! Quelle joie de vous revoir ! Je ne m’attendais pas à vous retrouver ici.
Élégamment vêtu, le trentenaire la salua d’un baise-main ; un geste d’une préciosité rare, héritage des bonnes mœurs pandredeniennes dont lui et son collègue Charles étaient les uniques représentants déclarés sur l’île. Scientifiques et intellectuels, ils avaient accosté sur Norden en tant que réfugiés politiques depuis bientôt deux ans. Maniéré, les traits du visage efféminés et usant d’un accent chantant, l’homme dénotait lors de ses passages à Varden.
— Comment allez-vous ma chère ? Cela doit faire trois mois que je ne suis pas retourné à la taverne. Vous y travaillez toujours ?
— Tout à fait ! Beyrus se languit de vous revoir ! Aucun client ne paye aussi bien que vous !
Ils partagèrent un rire.
— Ma foi, je m’y rendrai volontiers un jour prochain. Je suis navré mais je suis quelque peu débordé ces temps-ci. Comme vous devez vous en douter, un étrange loup sème la terreur dans les environs et rien ne chatouille plus la curiosité d’un naturaliste et d’un anthropologue que de percer les origines d’une telle créature. Certains, à en croire les rumeurs, supposent qu’il s’agit d’un noréen transformé. Je donnerais n’importe quoi pour approfondir cette hypothèse et étudier de près ce spécimen !
Les yeux d’Ambre étincelèrent.
— Vous avez découvert des choses à ce sujet ?
— À dire vrai, pas grand-chose, hélas !
Il plongea ses doigts dans la poche avant de son veston lapis et en extirpa sa montre à gousset.
— Souhaitez-vous que nous en discutions autour d’un verre ? J’ai un peu de temps à vous accorder si vous le désirez.
— Avec grand plaisir. Je vais vous attendre dehors le temps que vous terminiez vos emplettes.
Ambre sortit et patienta sur le perron, une cigarette greffée à ses lèvres. Une bouffée de plénitude l’envahit. Elle l’avait à peine achevée que le scientifique s’extirpa de la boutique et l’invita à le suivre. Ils se rendirent au troquet le plus proche et s’installèrent devant une fenêtre s’ouvrant sur la rue en contrebas dont les toits ardoisés s’encombraient de cheminées et de nids d’oiseaux. Galant, l’homme commanda puis paya deux cafés. Elle le remercia, trempa ses lèvres dans le breuvage fumant, à l’arôme âcre et boisé, qu’elle ne buvait que rarement et s’en délecta.
— Alors, qu’avez-vous appris au sujet de la bête ? s’enquit-elle d’une voix trahissant son intérêt.
Il fit une moue contrariée.
— Rien de bien concluant. Le carnassier semble se déplacer tel un spectre et ne suit aucun schéma logique. On peut supposer qu’il s’agisse d’un prédateur nocturne car aucun carnage n’a été recensé en journée. On retrouve ses empreintes gravées dans la boue et le sang de ses proies qui concernent davantage des caprins et ovins que toute autre espèce. Les volailles, les mustélidés ou les cervidés ne l’intéressent pas outre mesure. Les premiers doivent lui paraître par trop insignifiants et les derniers pas assez gras pour taquiner son appétit.
— Pourtant les chevreuils, les daims et les cerfs abondent dans la forêt, tout comme les lièvres et les mulots. Si je ne me trompe pas, le loup en est friand.
— C’est exact ! Mais il n’est pas impossible que son périmètre de chasse soit très étendu et qu’il dévore effectivement ce type de gibier dans la sylve profonde. Cela pourrait sans doute expliquer l’échelonnement variable entre les tueries. Au vu de la taille des griffes et coussinets, l’animal doit mesurer dans les un mètre vingt au garrot. Ce qui est extrêmement haut pour un canidé, vous vous en doutez. D’ordinaire, il n’y a que les ours ou les tigres pour avoisiner une telle envergure ! Les échantillons de poils retrouvés sur place montrent qu’il est doté d’un pelage noir et tous les témoins qui l’auraient aperçu sont formels ; malgré sa taille démesurée, la bête a une physionomie de canis lupus et des iris jaunes dorés aussi étincelants qu’un phare dans la nuit. Une spécificité inédite, cela va sans dire.
— Vous voulez dire que ses yeux brillent dans le noir ?
— Tout à fait. Étrange n’est-ce pas ? D’où le fait qu’il puisse s’agir d’un noréen ayant pris sa forme animalière. Selon certains écrits, notamment ceux du professeur Wenceslas Deslauriers, il est clairement annoté que des individus possèdent des yeux flamboyants, souvent dorés ou ambrés et que cette particularité se conserve lors de la métamorphose.
Le cœur de la jeune femme tambourina violemment à cette affirmation. Elle cessa de respirer et toisa son interlocuteur avec incrédulité, la bouche bée.
— Des… des yeux comme les miens ?
Enguerrand s’avança vers elle et sonda ses iris, les sourcils froncés sous la concentration. Puis il recula et se frotta le menton.
— Je serais tenté de vous dire oui ma chère, mais ne saurais l’affirmer. Pour cela, il faudrait que je vous étudie en détail et je doute que vous souhaitiez me servir de cobaye, bien que j’en serais très honoré. D’autant que votre comportement diverge par trop pour vous comparer à ces créatures. Voyez-vous, les êtres dont je vous parle sont du genre sauvage, y compris sous forme humaine. Cela concerne tant les hommes que les femmes. Ils sont impulsifs, belliqueux et, d’après ce qui est expliqué dans le Noréeden vita, ils ne parlent pas et communiquent entre eux par des grognements et tout un arsenal de cris gutturaux couplés à des gestes. Le professeur Deslauriers les décrit comme bestiaux et en proie à leurs instincts primitifs. Vos ancêtres les appelaient communément « Féros » mais aucun spécimen du genre n’a été recensé dans vos registres ces dernières décennies. Ce mystérieux canidé pourrait être l’un d’eux.
Ce ne serait pas la première fois qu’un loup immense erre sur l’île. Ulfarks et Saùr en sont deux exemples. Ils ont été des chefs respectés et reconnus. D’ailleurs, comme l’a dit Rufùs, le second est toujours en vie et règne dans les carrières sud auprès de sa tribu depuis près de deux cents ans ! Serait-il possible que…
Elle fit part de sa réflexion au scientifique qui hocha mécaniquement la tête, bien que peu convaincu.
— Malgré son imposant gabarit, ce loup est bien loin d’égaler la corpulence de Saùr. Il est noté que ce dernier détrône un cheval de trait au garrot. Son pelage est souvent décrit comme gris cendré et ses iris sont cuivrés et non dorés. Il y a trop de divergences entre ces deux canidés. Et puis, en quel honneur une telle éminence douée de raison quitterait son territoire pour venir séjourner dans nos campagnes au risque d’être abattu ?
La jeune femme ne sut que répondre, tourmentée par ces révélations. Si la bête était une Féros, alors sa théorie sur la louve s’effondrait, Judith ne correspondait aucunement à un individu de ce type, elle qui était si calme et posée. Jamais Ambre ne l’avait vue s’emporter ni hausser la voix plus que de raison.
— Vous enquêtez uniquement là-dessus, ou vous poursuivez d’autres travaux ? demanda-t-elle en terminant sa boisson.
— Mes activités sont variées. Je passe autant de temps cloîtré à mon domicile qu’à l’observatoire auprès de mes confrères. Sachez que ma proposition tient toujours et que je vous inviterais volontiers vous et votre petite sœur à venir visiter les lieux.
Ambre fut ravie et acquiesça franchement.
— Je préfère cependant vous prévenir mais l’ambiance n’est pas au beau fixe. Il y a quelques querelles qui opposent notamment la vieille génération, très conservatrice dira-t-on, à la nouvelle qui est bien plus ouverte et accepte des femmes ainsi que des noréens en son sein. D’ailleurs, Charles et moi, en tant qu’exilés, ne sommes pas vus d’un si bon œil par les doyens. Donc, ne vous formalisez pas si l’on vous fait part de paroles caustiques.
— N’est-ce pas ridicule ? répliqua la chatte en croisant les bras. En quoi les femmes et les noréens seraient plus limités qu’eux ? En plus, ces gens-là sont bien d’origine aranéenne donc d’anciens fédérés ! Vous partagez forcément des ascendances communes.
— Si c’était si simple ! se gaussa le scientifique en nettoyant sa paire de lunettes à l’aide d’un mouchoir brodé. Trois siècles d’héritage nous séparent dorénavant. Les familles n’ayant pas choisi de suivre le duc Vladimir von Hauzen lors de son exil sont considérées comme des parias. Pas par tout le monde, fort heureusement, mais certains semblent penser que nous avons renié nos principes en déclarant notre allégeance à Providence, le grand gagnant de la dernière guerre. Notre nation jadis indépendante est devenue une enclave de l’empire de l’Aigle. Toutefois, la Fédération conserve son statut de domaine frontalier, une zone de libres-échanges, tant commerciaux que diplomatiques.
— Je comprends, grommela son interlocutrice, pourtant, à mes yeux Charles et vous-même paraissez bien mieux intégrés à notre peuple que vos homologues aranéens !
Elle pensait sincèrement cet aveu. Jamais Enguerrand et son confrère ne lui avaient témoigné une once d’irrespect. Elle connaissait peu le brunet mais avait eu le loisir de converser régulièrement auprès de ce blondin dégingandé depuis son arrivée sur Norden. Il avait vécu plusieurs mois dans un modeste appartement de la basse-ville, non loin de la Taverne de l’Ours, avant de trouver son poste à l’observatoire et de gagner un salaire suffisamment élevé pour lui permettre d’habiter dans un quartier plus cossu, situé à Iriden. Ambre l’appréciait car, bien qu’intelligent, jamais il ne faisait preuve de vanité. Il adorait son métier et partager ses idées, même auprès d’une serveuse de son espèce.
Voyant que l’heure tournait, Enguerrand rompit l’entrevue pour vaquer à ses occupations. Ambre se leva également et sortit à sa suite. Après avoir convenu d’une date pour une visite à l’observatoire, ils se saluèrent puis se séparèrent. Une seconde cigarette aux doigts, la jeune femme regagnait la basse-ville quand son regard s’attarda sur une affiche de la louve, recherchée morte ou vive. Elle représentait un monstre cruel dont la gueule lippue s’armait de crocs aiguisés.
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