Chapitre 67 – Apprivoisement
Ambre passait l’entièreté de ses journées au salon, ne sortant que pour manger, dormir ou jouer avec sa petite sœur qui, contrairement à elle, passait tout son temps libre dans les jardins lorsqu’elle n’avait pas école. Dès lors, Alexander n’eut plus l’occasion de se retrouver seul dans sa pièce. Pourtant, même lorsqu’il travaillait sur des dossiers épineux, il ne semblait pas agacé par l’omniprésence silencieuse de la jeune femme. Celle-ci se contentait de lire ouvrage sur ouvrage, prenant des notes et ne levant la tête que pour boire quelques gorgées de thé ou de café. Elle était étrangement calme et attentive. Quand il écrivait, il ne manquait pas de jeter un œil en sa direction et se rendit compte qu’il prenait plaisir à l’observer autrement que pour un but scientifique ou comme un simple fantasme.
Cette pensée de la savoir si près de lui le troubla. L’intuition qu’il avait eue à Meriden au sujet de sa petite proie se révélait juste, hélas ! Il eut un arrière-goût très amer à l’idée même de penser qu’elle avait sur lui une influence qui pourrait totalement le décontenancer, voire le torturer, s’il ne parvenait pas à ses fins avec elle.
Était-ce de l’amour ? Non, impossible, l’homme s’était juré de ne plus retomber dans ses bassesses, trop de tourments étaient à déplorer. Il ne pouvait se résoudre à souffrir à nouveau, à suturer cette plaie purulente qui l’avait si longtemps rongé et qui, même encore aujourd’hui, ne cessait de le hanter. D’autant que cette gamine là, cette petite noréenne de la moitié de son âge, une rustre farouche sans aucune convenance, ne saurait convenir à sa personne, ne serait-ce que par respect pour ses valeurs si chères. Il serait fou de songer à l’avoir auprès de lui éternellement, en tant qu’égale ; son égo et sa notoriété allaient une nouvelle fois sombrer s’il envisageait cela. C’était impossible, fichtrement inconcevable ! Néanmoins, il ressentait à chaque instant la chaleur de son corps se presser contre lui lorsqu’il l’avait ramenée deux mois auparavant. Il sentait davantage le désir poindre en notant son attitude chaque jour plus naturelle et désinvolte.
En effet, sans qu’elle s’en rende compte, cette dernière se tenait de plus en plus avachie sur la méridienne lorsqu’elle lisait. Sa robe noréenne, souvent blanche et légère, retombait nonchalamment le long de ses jambes et laissait dévoiler ses cuisses bardées de taches rousses, fièrement mises en valeur par les tissus d’assises en velours vert. Son bras, dont les cicatrices des crocs étaient encore visibles, était presque guéri. Elle pouvait de nouveau agripper les livres de ses doigts effilés qu’elle utilisait pour caresser, d’un geste machinal, les couvertures lors de la lecture. De même que se moquant éperdument de sa toilette, elle attachait ses cheveux roux qui ondulaient anarchiquement, telle une crinière. Cette coiffure lui donnait un aspect sauvage et félin accentué par la ride du lion, le plissement de son nez ou son mordillement des lèvres sous la concentration.
Pour égayer encore plus sa personne, d’intenses rayons lumineux provenant de la fenêtre par ces jours de beaux temps semblaient se concentrer sur elle et la baigner d’une éblouissante clarté chaude. Pour finir, étant donné sa présence quotidienne, elle embaumait la pièce de son parfum floral, aux notes de jasmin prononcées, que son hôte trouvait fort agréables et distrayantes.
Pour se changer les idées et éviter de s’attarder sur le magnifique tableau qu’elle lui offrait et dont il ne pouvait jouir présentement, Alexander se mit à relire les nombreux traités. Ces écrits, terriblement ennuyeux et rébarbatifs, détaillaient les relations commerciales entre Norden et Providence ainsi qu’entre le territoire aranoréen et les Hani.
Malheureusement, il s’aperçut que peu d’éléments relataient de la caste des espions. À regret, aucun n’était revenu à bord de l’une des navettes ou ne s’était manifesté à lui. Ils étaient un mystère, au point qu’il se mit à douter de leur existence. Or, William était formel au sujet de leur existance. Au vu de son statut de maire, le vieil homme lui avoua avoir envoyé deux de ses enfants ainsi que deux neveux sur la Grande-terre, comme il était de coutume dans leur famille engagée à la Cause. Leur fonction était explicitée en première page du traité commercial :
« Alfadir, entité suprême, s’engage à nous céder à ce jour le territoire nord, contre notre engagement à envoyer sur Pandreden des émissaires afin de récupérer Hrafn, son fils premier, perdu ou capturé. En contrepartie de notre dévouement, nous sommes autorisés à commercer avec Providence afin de rendre notre vie sur Norden plus agréable. »
En plus de cela, le maire étudiait les travaux de Stephan sur le Féros ainsi que les chapitres de Serignac traitant des Titans Berserk et des Noréens spéciaux. Il constata qu’en plus de la désignation des spécimens Berserk, les Sensitifs étaient également mentionnés sous le terme de Shaman.
« Ainsi il existe des êtres doués d’une étrange sensibilité, des bizarreries plus rares que n’importe quelle créature de ce monde, appelés Shamans. Êtres supérieurs de par une sagesse infinie, en accord avec le monde alentour et ne portant sur lui ni jugement ni haine. Êtres semi-divins aux yeux bleus, fidèles adeptes du puissant Alfadir, qui savent parler à toutes le créatures de cette magnifique Norden, et apaiser les cœurs meurtris… »
Alexander ne put s’empêcher d’afficher un sourire satisfait, ravi de posséder deux spécimens aussi rares sous son toit. Surtout que les sœurs, aux personnalités opposées, évoquaient clairement la spécificité de leur désignation.
Un soir, alors qu’il lisait tranquillement, l’homme vit sa protégée se lever et se diriger vers l’une des bibliothèques, sa pile de livres fraîchement terminée à la main. Il l’observa discrètement du coin de l’œil, amusé de la voir si assidue. Méticuleuse, elle les replaçait à leur emplacement exact. Puis elle balaya du bout des doigts les étagères, espérant trouver de nouveaux ouvrages intéressants. Son regard se posa sur l’un d’eux en particulier, le Noréeden gentem unitum, rangé au sommet de l’une d’elles.
Ambre reconnut le titre ; il s’agissait du livre représenté sur le portrait officiel de son hôte. Intriguée, elle leva le bras et se mit sur la pointe des pieds pour l’attraper. Or, après plusieurs vaines tentatives, elle fut forcée d’avouer que le livre était inaccessible. Déçue et résignée, elle abandonna, affichant une mine renfrognée. Puis elle jeta un bref regard en direction de son hôte, espérant ne pas avoir été remarquée dans sa démarche, et décida de sortir prendre l’air. Une fois seul dans la pièce, Alexander laissa échapper un rire. Il se leva, prit le livre qu’il posa sur la table basse puis sortit à son tour, rejoignant ses appartements.
Quand elle regagna le salon le lendemain, elle aperçut le livre tant convoité et remarqua qu’un tabouret avait été mis à disposition au bas de la bibliothèque. Agréablement surprise, elle esquissa un sourire à l’attention de son hôte qui continuait de feuilleter son journal, totalement impassible. Elle s’installa sur son fauteuil et entreprit la lecture.
Quelques jours plus tard, alors qu’il se trouvait dans son salon et qu’il venait de finir d’écrire ses rapports, Alexander entendit un léger cri étouffé. Il leva les yeux et vit que la jeune femme venait de terminer son livre. Cette dernière s’étirait de tout son long, de sa grâce féline si caractéristique, ce qui releva quelque peu l’étoffe qui la recouvrait et mettait en avant sa poitrine ayant repris en vigueur. Elle soupira et reposa l’ouvrage afin d’en démarrer un autre, posé sur une nouvelle pile qu’elle avait classée par ordre d’importance. En la voyant ainsi, il déglutit et se mordilla la lèvre, enivré par cette douce vision. Voulant faire preuve de sympathie et jugeant le moment opportun pour l’attirer dans ses filets, il n’hésita pas à l’aborder.
— Comment était votre livre ? demanda-t-il posément.
Elle redressa la tête et le regarda avec des yeux ronds, surprise par sa question ; ils n’avaient échangé que rarement depuis la nuit où il était allé la récupérer, pas même lors des dîners où aucun d’eux n’osait parler de peur d’embarrasser l’autre ou de l’énerver.
— Ma foi, ce n’était pas extraordinaire, c’était même chiant à lire ! avoua-t-elle en toute franchise.
Elle s’affala sur la banquette, les bras croisés sur le ventre, et contempla le plafond d’un air revêche.
— Le style est pompeux et les mots utilisés sont souvent compliqués à comprendre. Il a la fâcheuse manie de se croire supérieur à ses opposants surtout aux femmes et aux noréens ! Je ne comprends pas pourquoi vous avez choisi ce livre pour le représenter sur votre portrait officiel, ça décrédibilise votre image.
Il étouffa un rire et joignit ses mains.
— Je peux vous conseiller si jamais il vous prenait l’envie de lire autre chose que des ouvrages « pompeux » et « chiants » comme vous dites. Car celui-ci, bien qu’en effet abominable à lire, n’est fait que pour intéresser les vieux rustres dépourvus de morale comme moi.
Elle esquissa un sourire. Un dialogue commença à s’établir entre eux et les dîners s’animèrent. L’homme fit preuve de patience et enclencha les discussions sur des terrains anodins et formels cherchant à l’apprivoiser autrement que par sa simple présence. Ainsi, les moments de silence laissèrent place à des échanges courtois pour aller progressivement vers des sujets plus personnels.
Pour obtenir une plus grande satisfaction, il n’hésita pas à mettre en scène sa chère fille, qui espérait secrètement voir son père et sa sœur s’unir un jour. La petite faisait office de messager, soudoyant volontairement son aînée par le biais de sa faculté. Il était à la fois fier et dégoûté d’user de ce perfide stratagème mais c’était plus fort que lui, sa nature de conquérant le dominait, il ne pouvait y résister qu’importe l’éthique. Après tout, elles étaient sous son toit, il était maire et magistrat. Un homme comme lui avait le pouvoir de faire fi de toute convenance lorsque l’enjeu était important. Il savait pertinemment que le pouvoir et l’influence ne pouvaient s’obtenir sans quelques écarts de conduite, si subtils et infimes soient-ils.
***
Un soir, juste avant d’aller dîner en compagnie de son hôte, Ambre se tenait au chevet de sa petite sœur. La cadette lui avait demandé à ce qu’elles lisent une histoire ensemble, comme autrefois. La jeune femme accepta volontiers et Adèle partit dans sa bibliothèque chercher un livre d’une centaine de pages intitulé La Bête du Haut Valodor, écrit par madame Clotilde de Lavriers, une Fédérée ayant vécu quatre siècles plus tôt.
— Je ne le connais pas celui-là, murmura Ambre en l’examinant, c’est bien ?
— J’ai beaucoup aimé oui ! C’est père qui me l’a passé. C’est un conte, il est pas très original mais je peux te raconter le résumé et on le lira ensemble si ça te plaît ? J’en ai plein d’autres sinon. Mais celui-ci est de loin mon préféré.
— Vas-y, raconte-moi ma Mouette.
La petite se leva, s’éclaircit la voix et commença à faire des gestes pour épouser son discours.
— Le conte raconte l’histoire d’une jeune et douce paysanne du nom de Pauline qui travaille sans relâche et qui subit de nombreuses disgrâces de la part d’un loup monstrueux qui sévit dans la région. Il est affamé et a tué année après année toute sa famille pour assouvir son appétit. Elle le hait alors plus que tout au monde et veut sa mort.
Elle fit la moue et posa une main sur son cœur.
— Mais un jour, un incendie éclate chez elle et elle devient aveugle. Pourtant, elle ne se laisse pas abattre et continue de mener sa vie au mieux, ce qui est très dur car elle est seule et abandonnée, défigurée et inutile. Des années après, le loup revient en ces terres afin de la dévorer. Mais il est ému par cette pauvre femme et tombe amoureux d’elle malgré son infirmité. Il sait qu’il est effrayant alors il cherche un stratagème pour la séduire et décide de l’aborder gentiment. Il la complimente et lui demande de le suivre en son domaine, le Haut Valodor, afin de s’occuper d’elle pour le restant de ses jours et de la combler de bonheur. Pauline est charmée car personne avant cela ne lui avait accordé autant de sympathie.
Adèle se redressa et pointa sa sœur du doigt.
— Or, la Bête émet une condition ; « Jamais tu ne dois me toucher, car sinon malheur t’arrivera ! ». Pauline accepte sans une hésitation car elle sent que cet être ne peut pas être malfaisant, vu qu’il est si gentil et bienveillant. La Bête l’amène alors à son domaine et vient la voir chaque jour afin de satisfaire tous ses désirs. Pauline finit par tomber amoureuse, émerveillée par son intelligence et son dévouement plus que par tous les cadeaux qu’il lui offre…
La fillette laissa sa phrase en suspens, fronça les sourcils et poursuivit de manière menaçante :
— Un soir, alors que la Bête dort, la paysanne se lève et la cherche en ces lieux. Elle la trouve endormie. Elle fait parcourir ses doigts le long de son pelage et va jusqu’à toucher ses crocs. Là, elle se rend compte de sa nature effroyable et se met à crier. La Bête se réveille et menace de la tuer, furieuse d’avoir été démasquée car elle ne peut se résigner à la perdre à jamais s’il lui prend l’idée de le fuir.
Sa mine se radoucit et elle continua plus joyeusement :
— Mais Pauline regagne son calme. Elle ne fuit pas car son amour pour la Bête est plus fort que tout. Elle a su deviner que cette créature hideuse et méchante n’est qu’une façade. La Bête ne bouge pas et attend son verdict. Alors, Pauline s’avance et l’embrasse. Ils deviennent les maîtres du Haut Valodor, heureux jusqu’à la fin de leurs jours.
Elle fit face à Ambre et la salua avec une courbette.
— Voilà, c’est fini ! s’écria-t-elle, joviale.
D’abord muette, l’aînée se mit à rire nerveusement.
— Dis-moi, petite fouine, tu ne serais pas en train d’essayer de me manipuler ou de m’influencer par hasard ?
L’enfant regarda ses pieds et entortilla une mèche de cheveux autour de son doigt.
— Non, je t’ai juste raconté cette histoire parce que je la trouvais jolie. Elle est jolie non ?
Ambre l’étudia puis porta son regard sur Anselme.
— Elle est jolie oui, mais dommage que la paysanne soit aussi crédule. Qui se laisserait charmer aussi facilement ?
Elle avança sa main en direction du corbeau et le caressa avec amour, grattouillant son cou.
— Et puis… ajouta-t-elle songeuse, ta paysanne n’était pas engagée auprès d’un autre.
La cadette soupira et contempla son aînée.
— Peut-être est-ce justement grâce à cela qu’elle est devenue heureuse. Qu’elle a su pardonner et aller de l’avant afin de vivre pleinement sa vie et de ne pas rester sur des éléments négatifs ou mélancoliques de son passé.
Adèle s’installa sur le rebord du lit et glissa ses mains dans les siennes.
— Tu sais, je ressens beaucoup de choses maintenant et tu ne peux pas rester éternellement triste ! T’as pas le droit de mettre de côté ta vie. Je sais qu’il comptait énormément pour toi mais, s’il te plaît, il faut que tu tournes la page. Il y a d’autres gens qui tiennent à toi maintenant, des hommes qui pourraient t’apporter ce qu’Anselme ne peut plus t’accorder. Tu n’es plus seule ! Ouvre les yeux, je t’en prie !
À ces mots, l’aînée sentit les larmes lui monter, bouleversée par ces paroles prononcées si crûment par une enfant.
Dire que la Shaman disait vrai, Adèle est vraiment particulière. Que vais-je bien pouvoir faire… D’ailleurs, l’a-t-il averti de ce qu’elle était ? Que vais-je faire sans elle si elle décide de partir ?
Après avoir couché sa sœur, l’aînée se leva et sortit de la chambre, les yeux perdus dans le vide. Elle descendit les marches, tentant de se calmer avant d’arriver dans la salle ; elle était déjà suffisamment en retard et ne voulait pas en plus énerver son hôte quant à son état. La tête haute et la démarche décidée, elle entra dans la salle à manger puis s’installa à droite du Baron. L’homme l’attendait, le regard serein, un verre de vin rouge entre les mains.
Avant qu’il ne lui fasse la moindre remarque, elle s’excusa et commença à manger le repas qui venait de leur être servi, dégageant un agréable fumet de viande marinée. L’estomac noué, elle était incapable d’avaler les morceaux qu’elle mettait à sa bouche, pourtant tendres et tranchés finement. Son silence troubla Alexander qui la dévisagea et, non dupe, comprit qu’elle n’allait pas au mieux.
— Souhaitez-vous me faire part de quelque chose, Ambre ? s’enquit-il tout en continuant d’avaler son repas.
Elle grimaça et posa ses couverts, incapable de pouvoir manger davantage. Elle se redressa et se frotta les mains.
— Monsieur, commença-t-elle à voix basse, je sais que vous êtes au courant pour Adèle mais je voudrais en avoir le cœur net. L’avez-vous mise au fait de ce qu’elle était et de la proposition de la Shaman Wadruna ?
Il eut un rictus, posa ses couverts à son tour et finit son verre de vin. Puis il se leva et lui proposa son bras.
— Venez avec moi, ce n’est pas un lieu très propice pour discuter de ce genre de choses.
Dix minutes plus tard, tous deux marchaient dans les jardins en direction de la roseraie, le lieu idyllique pour une conversation privée. Ils se déplaçaient accoudés l’un et l’autre sous le voile céleste constellé d’étoiles. Le bruit de leur pas effleurant le sol rocailleux offrait un son relaxant, accompagné par le chant des grillons. Ils arpentaient en silence le domaine, foisonnant de fleurs tout juste écloses, plongées sous une teinte bleutée émanant de la lumière de la lune. La chienne Désirée, heureuse de voir son maître, venait de les rejoindre et gambadait autour d’eux.
— Veuillez m’excuser d’avoir interrompu votre repas, bien que j’ai pu remarquer que vous n’aviez pas faim. Mais je préférais vous parler de ce sujet à l’abri des oreilles indiscrètes. D’autant que je vous sens angoissée, un peu d’air frais vous fera du bien pour calmer vos ardeurs.
Ambre ne dit rien, profitant de cet instant de sérénité. Ils passèrent le somptueux rosier blanc et entrèrent dans la roseraie, si paisible à cette heure où les oiseaux dormaient. Même les statues animalières, disséminées un peu partout, paraissaient dormir. Seules celles du cerf et de la licorne posaient sur eux leur regard insondable.
— Pour répondre à votre question, sachez que je n’ai jamais évoqué le sujet avec Adèle. Je sais pertinemment que j’ai toute autorité sur elle mais je ne pouvais me résoudre à lui en parler seul. Vous êtes tout autant concernée par son avenir et au vu de ce que la petite provoque à votre moral, il est bien évident que vous avez besoin de sa présence.
Il s’arrêta net et la contempla.
— Ce n’est donc pas à moi de décider de son avenir mais à vous. Je pense avoir déjà bien assez fait pour elle.
— Vous parlez sérieusement ? fit-elle, stupéfaite. Vous ne verriez pas d’inconvénient à ce qu’elle reste ici ?
— Non, sa présence ne me dérange nullement. Bien que si vous voulez mon avis, il serait préférable de l’envoyer en territoire Korpr au plus vite. Iriden et Varden ne sont guère sûres en ce moment et je trouverais souhaitable qu’elle gagne au plus vite les terres noréennes où elle sera en sécurité auprès de ces gens-là. Il y a un conseil dans sept semaines, Wadruna et Skand seront présents, nous la leur confierons après la réunion. Si bien sûr, vous décidez de l’en informer.
La jeune femme soupira et hocha la tête.
— Je l’avertirai demain de la proposition dans ce cas et je la laisserai décider de son avenir. Je ne peux la retenir égoïstement à moi. Il faut que j’apprenne à me débrouiller seule et à dompter mon mal.
Elle déglutit et ajouta un peu plus faiblement :
— Et si elle décide de partir, laissez-moi quelques jours pour me trouver un logement également, s’il vous plaît.
Il prit délicatement sa main qu’il pressa entre les siennes. La jeune femme se laissa faire devant ce geste anodin qui lui sembla si naturel.
— Votre présence ici ne me dérange pas non plus, ajouta-t-il posément. J’ai appris à vous supporter depuis le temps et comme vous le savez mon domaine est vaste.
Il lui adressa un sourire en coin, jubilant intérieurement de ne plus être repoussé, puis déclara de sa voix grave :
— Vous serez davantage en sécurité ici plutôt qu’ailleurs car, je suis désolé de vous l’apprendre, mais vous êtes une cible dorénavant. Qui sait ce qu’ils seraient capables de vous faire dans le but de m’atteindre personnellement.
Ambre sentit son cœur s’emballer tandis que, à l’écoute de ces paroles bienveillantes prononcées d’une voix douce qu’elle ne lui connaissait pas, elle ne semblait pas remarquer que leurs mains restaient liées et que leurs regards, brillants par le pâle halo de lune, ne se quittaient plus.
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