Chapitre 73 – L’offrande du cœur
Ambre sortit du manoir, se précipita en bas des escaliers et poursuivit sa route dans les jardins du domaine. Dès qu’elle fut suffisamment éloignée, elle s’installa sur un banc situé au pied d’un arbre et sanglota. Son souffle était court, l’air lui manquait. À l’entente, de bruits de pas se rapprochant, elle redressa la tête et aperçut le Baron qui, arrivé à sa hauteur, la contemplait sans un mot. Pour masquer son émoi, elle essuya ses yeux larmoyants d’un revers de la main et renifla.
— Je suis quoi pour vous ? parvint-elle à articuler.
Il ne répondit rien, se contentant de la regarder.
— Je suis quoi pour vous ? insista-t-elle plus fortement. Une simple conquête, un sujet d’étude ? Une proie vulnérable qui vit à vos crochets ? Votre chienne dévouée ?
Elle hoqueta puis déglutit.
— Qu’est-ce qui te met dans cet état ? dit-il le plus posément possible, tentant lui aussi de diminuer ses nerfs.
— Vous voulez rire ? ricana-t-elle. Vous osez me demander ça ? J’ai tout entendu figurez-vous ! Tout !
Il s’assit sur le banc, à ses côtés, et posa une main sur la sienne. À peine l’eut-il effleurée qu’elle l’ôta d’un geste vif.
— Ambre ! je t’avais prévenu que l’Élite cracherait son venin sur nous, que tout ce qui pourrait sortir de la bouche de ces gens-là n’aurait pour but que la provocation !
— Ah oui ? Êtes-vous sûr de ça ?
— À ton avis ? Tu es en terrain ennemi ? Que peux-tu attendre d’autre de leur part ?
Elle ne dit rien et baissa la tête, ses mains crispées contre le rebord du banc.
— Et cesse d’être aussi paranoïaque, bon sang ! Ce n’est pas parce que des personnes te sortent leur vérité ou leur point de vue que c’est forcément vrai ! Quand parviendras-tu à faire confiance en ceux qui veulent t’aider ?
— Facile à dire pour quelqu’un qui m’a tant malmenée et qui, il y a quelques heures à peine, m’a ouvertement menti à propos du déroulement de cette soirée !
Il leva les yeux au ciel et soupira.
— Je n’aurais pas dû te cacher les intentions de ce soir et je m’en excuse. Mais je ne vois pas pourquoi tu te sens autant impactée par ces paroles.
— Mais parce que je vous aime, putain !
Son cœur se serra instantanément lorsqu’elle comprit ce qu’elle venait de lui annoncer sans aucune maîtrise. Gênée de lui avoir dévoilé cela, elle se mordilla les lèvres et regarda devant elle, les sourcils froncés. Alexander, à la fois surpris et étrangement satisfait par cette révélation, s’approcha pour la faire venir à lui.
— Ne me touchez pas !
Elle se redressa et lui fit face. Comprenant qu’il ne pourrait pas la raisonner de suite, il l’avertit que Pieter les attendait à l’entrée. Elle lui adressa un œil noir et partit en direction du fiacre. À bord, elle s’emmitoufla sous la couverture tandis qu’il entra à son tour. Pieter fouetta les chevaux qui partirent au galop, s’enfonçant dans l’allée obscure.
Le trajet du retour se fit en silence. Las de parler tant la soirée avait été éprouvante, Alexander ne dit rien. Sa partenaire avait fini par achever son état au point qu’il en oublia presque la discussion qu’il avait entretenue auprès de son oncle tant elle se révélait le cadet de ses soucis à l’heure actuelle.
La mairie d’Iriden se dessina à travers la fenêtre. La tête posée contre le carreau, Ambre feula.
— Putain, mais que je suis naïve ! J’ai été terriblement stupide de penser que vous vous intéressiez à moi autrement que pour mon influence ou le fait que je sois spéciale. Et dire que j’ai fini par succomber à vos charmes, que je me suis donnée à vous toute entière… deux fois même ! Ça me dégoûte rien que d’y penser. Finalement, vous avez eu ce que vous vouliez et avez toujours voulu à mon égard !
Elle hoqueta et massa son ventre endolori.
— Vous avez tellement dû jubiler lorsque vous vous êtes engouffré en moi et m’avez pénétrée avec toute l’ardeur dont vous étiez capable ! Vous rêviez de cet instant je présume, jouir de mon corps de jeunette ! Et j’ai été assez idiote pour vous avoir laissé me prendre !
Sa voix s’étrangla, elle tremblait et respirait péniblement.
— J’ai toujours su qu’il fallait que je me méfie de vous malgré tous les éloges de vos partisans à votre égard. Vous représentiez pour moi un danger, et ce, dès l’instant où vous avez failli m’écraser. J’ai été si stupide de croire que vous m’aviez récupérée dans le but de me protéger et de penser que vous vous souciez enfin de moi. Et vous avez été assez sournois pour avoir osé utiliser et corrompre mon Adèle afin qu’elle me soudoie et finisse par faire baisser toutes les craintes que j’éprouvais à votre égard. Dans quel but dites-moi ? Hein ? Faire de moi un pion… comme toujours… un putain de pion facilement manipulable et juste utile à amadouer le peuple !
Elle prit son médaillon entre ses mains, l’agrippa avec hargne afin de l’arracher et le jeta violemment au sol.
— Et je suppose que ça aussi s’était prévu ! Que vous n’avez même pas pris la peine de le chercher… comment ai-je fait pour me faire manipuler de la sorte ? J’ai été si aveugle ! J’ai baissé ma garde et à cause de votre patience, vous êtes parvenu à me faire courber l’échine face à vous, et ce de mon plein gré ! Vous êtes le prédateur le plus impitoyable de l’île…
Un sanglot la traversa. Elle prit une grande inspiration et redressa sa tête vers l’arrière afin de faire pénétrer l’air glacial dans ses poumons. De nouveau maître de lui-même, Alexander tourna la tête et la dévisagea.
— Me laisserais-tu parler ? dit-il sèchement.
La jeune femme ne dit rien et se contenta de regarder le paysage, les bras croisés.
— Crois-tu seulement, que je me donnerais tout ce mal, que je t’accorderais autant de temps et d’attention si je ne considérais pas un minimum ta personne ?
Il la toisa, les yeux mi-clos et un rictus au coin des lèvres.
— Je te signale que je t’ai sauvée et relevée un nombre incalculable de fois ! Je t’ai cherchée, soignée, éduquée, nourrie, logée… et ce sans jamais rien te demander en retour ! Alors, crois-tu qu’au vu du statut qui m’incombe, je n’aurais pas plus important à faire que de tourmenter une pauvre noréenne mal élevée, si ce n’est parce que j’éprouve quelque chose à ton égard ?
Il martelait ses mots sévèrement. Elle fit la moue et pesta.
— Oui ma chère, au risque de te décevoir et bien que tu sois convoitée par ce je-ne-sais-qui, tu es une personne d’une banalité affligeante si l’on exclut ton tempérament ardent et ton obstination à vouloir sans arrêt défier l’autorité, dont je crois aisément que tu es la reine en la matière ! Et je ne parle pas de ton physique, tu n’as pour toi que tes beaux yeux de braise, le reste n’est dû qu’à ta jeunesse.
— Allez vous faire foutre ! Ça ne vous a pas empêché de me prendre deux fois !
— Au risque de te décevoir, ma chère, j’ai eu l’honneur d’avoir une multitude de femmes beaucoup plus charmantes et habiles que toi entre mes mains.
Outrée, elle le gifla avec force.
— Mais quel putain de pervers et de goujat vous êtes ! Vous voulez attiser mon désir de vous mettre en charpie ? Croyez-vous seulement que sous prétexte que vous êtes un baron et maire de surcroît je ne me défoulerais pas sur vous une nouvelle fois ? Me croyez-vous capable de reployer l’échine après tout ce que vous venez de me dire et ce que je viens d’entendre de vos chers amis élitistes ?
Il grogna et passa une main sur sa joue rougie.
— En effet, je ne le pense pas et tu es bien la première à me le signifier très clairement. Mais tu es tellement aveuglée par ta colère et ton esprit est bien trop limité pour comprendre que ce que je viens de t’annoncer n’était autre qu’un compliment !
Elle fut prise d’un rire effroyable.
— Mais que me dites-vous là ! Où dois-je comprendre qu’il y a le moindre compliment dans vos paroles acerbes ? Vous n’avez fait que me rabaisser comme vous l’avez toujours fait ! De toute façon, je me demande de quoi d’autre vous pourrez être capable tant votre personne est à ce point obnubilée et obsédée par elle-même !
— Tout simplement parce que, ma chère, tu ne sembles pas réaliser que parmi tous les noréens et noréennes potentiels que j’avais sous la main, et ils étaient nombreux et nettement plus que qualifiés au poste, c’est malgré tout auprès de toi que j’ai posé mon dévolu pour me seconder et te dévoiler l’entièreté de mes projets !
Excédé, il la pointa du doigt et ajouta :
— Sache que je me suis abaissé à me montrer sciemment en société, sur les marches du pouvoir, avec une noréenne de la moitié de mon âge, sans la moindre manière et sans aucune décence ni culture ! Et qui aurait pu également devenir ma belle-fille si le destin en avait décidé autrement !
— Laissez Anselme tranquille !
L’homme frappa dans ses mains.
— Je ne savais que trop bien les réactions virulentes que cela provoquerait, surtout au sein de l’Élite dont mon image est déjà plus qu’entachée par les scandales. Pourtant j’ai tenté le coup, et ce, en ayant que faire du regard méprisant des autres à mon égard !
Ambre s’apprêta à le gifler à nouveau mais Alexander, plus rapide, lui paralysa les poignets. Tandis qu’elle gigotait pour se défaire de son étreinte, il raffermit sa prise et approcha son visage du sien.
— Modère tes ardeurs !
— Pourquoi vous comportez-vous ainsi avec moi ! Pourquoi faut-il toujours que vous ne cessiez de m’infliger votre compagnie alors que vous ne faites que jouer avec moi ? Vous voulez quoi, que je me transforme ? Ça vous amuserait que je fasse un carnage sur l’île rien que pour satisfaire vos idées morbides ?
— Je pense que la réponse est plus simple à trouver.
Il se rapprocha davantage, son visage n’étant plus qu’à une dizaine de centimètres du sien.
— Dites-le-moi ! Car au risque de vous décevoir encore, je ne comprends toujours pas !
— Je ne dirais rien qui ne soit autant évident !
D’un geste vif, il se pencha vers elle et pressa ses lèvres contre les siennes. Après avoir lâché son poignet, il attrapa l’arrière de son crâne pour la maintenir à lui.
Le fiacre pénétra dans la cour et s’arrêta. Une fois le véhicule immobilisé, Ambre repoussa l’homme avec violence et s’extirpa en hâte. Elle galopa dans la nuit, les jambes tremblantes et la démarche gauche, manquant de tomber à chaque pas du haut de ses talons. À peine fut-elle devant la porte de sa chambre que le Baron la rattrapa et vint la plaquer contre le mur. Hébétée, elle manqua de hurler devant cette action aussi soudaine que brutale.
— Si vous me faites quoi que ce soit, je hurle et je vous broie ! grogna-t-elle en montrant les dents.
Le souffle court, elle soutint son regard et le défia, parée à se jeter sur lui si jamais il osait tenter le moindre mouvement suspect à son encontre. Avec des gestes d’une extrême lenteur, il posa une main sur sa nuque et la caressa, sentant son pouls pulser à travers sa carotide. Puis il vint placer l’autre sur sa taille et la pressa légèrement.
— Dis clairement que tu veux de moi et je ferai de toi la future madame von Tassle, lui murmura-t-il.
Abasourdie, elle sentit son cœur s’accélérer. Elle peinait à respirer, submergée par un trop-plein d’émotions. La voyant ainsi interdite, il réitéra sa demande. Comprenant qu’elle avait bien entendu et saisi sa proposition, elle redressa la tête et l’étudia d’un œil inquisiteur.
— Père ? s’étonna Adèle de sa voix flûtée en ouvrant la porte de sa chambre.
Dans les vapes et les cheveux en bataille, la fillette en chemise de nuit demeurait incrédule.
— Adèle ! fit-il en se tournant, pantois de la voir éveillée.
La cadette s’essuya les yeux et remarqua son aînée.
— Ambre, tu es là aussi ?
— Mais que fais-tu encore debout à cette heure ? pesta Alexander ! Va donc te recoucher ! Immédiatement !
— Mais je dormais ! C’est juste que j’ai senti des vibrations d’une telle intensité que ça m’a réveillée en sursaut ! Et c’est vous qui les avez provoquées !
Alors qu’il dormait sur son perchoir, Anselme ouvrit un œil et rejoignit la fillette. Il se posa sur son épaule puis, remarquant la scène qui se tenait devant lui, se mit à hurler. L’animal croassait et toisait les deux amants avec férocité, son plumage noir ébouriffé.
— Adèle ! Fais taire cet oiseau et retourne dormir !
La petite posa tendrement une main sur le visage du corbeau et le câlina. Après un dernier regard à sa sœur, elle referma sa porte et partit se remettre au lit en compagnie de l’oiseau qui caquetait et tremblait de tous ses membres. Alexander et Ambre demeuraient immobiles, leur cœur battant ardemment face à cette interruption inopinée. Une fois leur respiration et leur rythme cardiaque revenus à la normale, ils s’échangèrent un regard.
— Je crois que, si éventuellement tu acceptes, nous n’aurons plus à nous soucier de la réaction de notre chère Adèle, dit-il amusé.
Ils esquissèrent un sourire complice.
— Viens, il faut que nous ayons une petite discussion.
Il lui prit la main et l’amena dans ses appartements. Dans la chambre, il enleva sa veste qu’il posa sur le dossier de sa chaise et ôta ses chaussures. Ambre fit de même et se débarrassa de ses gants qu’elle jeta au sol. Plus à leur aise, il la guida jusqu’à son lit où ils s’assirent afin de discuter.
— Bon, je crois que je n’ai plus à reculer à présent, dit-il en cachant ses mains dans les siennes, quel est ton choix ?
La voix grave et posée, il était on ne peut plus sérieux dans sa demande. Cette question le titillait depuis un certain temps mais il jugeait la proposition trop malvenue pour la mettre à exécution. Or, les paroles de Léandre lui revinrent en mémoire et, dans un souci de réactance coutumière, il était désormais plus que décidé de l’épouser, qu’importe cette précipitation soudaine. Avec un verbiage fleuri saupoudré d’un soupçon de cachotteries, il justifia sa démarche, tentant de l’amadouer. Ambre l’écoutait passivement et le regardait avec attention.
— Vous ne pensez pas que tout ceci est un peu précipité ? Je veux dire, regardez-nous, on passe notre temps à se quereller et…
— N’est-ce pas là le lot de tout couple ? ricana-t-il.
Il se pencha vers elle et passa un bras derrière sa taille, redoutant qu’elle ne lui file entre les doigts.
— Au bout de ces trois ans où nous nous tournons autour. Des années tumultueuses, fort douloureuses par moments. Et regarde où nous en sommes aujourd’hui !
— Mais… et si je me transforme ?
Alexander eut un rire nerveux.
— C’est le Féros qui t’inquiète ?
— Pourquoi riez-vous ? Comment osez-vous prendre ça à la légère ? Vous savez très bien ce dont je suis capable.
Elle frotta ses mains entre elles et déglutit.
— Que se passerait-il, le jour où je ne parviendrai plus à me maîtriser, que je me transformerai contre mon gré et réaliserai un carnage ?
Prise d’une révélation, un frisson parcourut son échine.
— À moins que vous me proposez ce mariage uniquement parce que Desrosiers vous oblige à me garder près de vous ! renchérit-elle, le souffle court.
Il haussa un sourcil, intrigué par son raisonnement hasardeux. Pour l’apaiser et dissiper ses doutes, il posa une main sur sa joue et glissa une mèche de ses cheveux derrière l’oreille avant d’ajouter calmement :
— Je ne sais pas ce que tu t’imagines mais il n’en est rien. Ma proposition est parfaitement sincère et honnête. Elle ne concerne nullement ton mal ou une quelconque motivation autre que celle de t’avoir à mes côtés.
Elle se renfrogna, les yeux larmoyants.
— Mais… et si je vous blessais ?
— Tu n’es pas le pire monstre de Norden, je peux te l’assurer. Quant au Féros, il ne m’effraie guère. Regarde Judith, elle aussi détenait cette capacité, pourtant bien qu’elle se soit transformée, en Berserk même, jamais il ne lui est venu l’idée de m’attaquer. Je ne redoute absolument pas cette puissance que tu as en toi et qui te terrorise autant.
— Il n’y a pas que ça. Vous avez lu ma fiche, vous avez vu mes réactions…
— Nous avons tous notre lot de trouble, ma chère et je sais pertinemment ce qu’il en est pour toi. Il est vrai que tu n’es pas la personne la plus équilibrée et la plus facile à vivre, ça je te l’accorde. Tu as effectivement des pensées et des agissements qui me font sortir de mes gonds et qui m’exaspèrent un peu trop souvent ! Pourtant, je ne sais pas par quel miracle de la nature cela est possible, mais c’est aussi ce qui me touche le plus chez toi.
Elle affichait une mine soucieuse, ses pensées s’embrouillaient, nébuleuses. Il poursuivit plus distinctement :
— Jamais je ne pourrai oublier le sang froid dont tu as fait preuve à Eden. Ce soir là, alors que je n’éprouvais envers toi que du mépris, tu as su ébranler mes convictions. Tu aurais pu me tuer, tu avais un nombre incalculable de motifs pour le faire. Or, tu as préféré me laisser vivre et me traduire devant la justice. Je sais ce qu’il t’en a coûté de ne pas t’abaisser à cela et tu es bien la première de mes adversaires à ne pas t’être laissée dominée par tes pulsions. C’est grâce à cette maîtrise que j’ai su que je n’aurai aucun mal à te désigner pour m’épauler par la suite et que j’ai compris que je n’avais rien à redouter de toi et encore moins à te faire payer pour les actions que ta mère avait commises.
Ambre hoqueta, les yeux embués de larmes à l’écoute de cette révélation si franche et sincère.
— Maintenant, je te le demande une dernière fois. Acceptes-tu ma proposition ?
Elle prit un temps pour réfléchir puis, lentement, releva la tête et l’observa. L’homme paraissait serein, un regard rempli de douceur, sans une once de froideur. Elle esquissa un sourire puis posa une main timide sur sa chemise, sentant son cœur battre vigoureusement contre sa poitrine.
— Madame Ambre von Tassle, commença-t-elle tout bas, je m’étais déjà faite à l’idée de porter ce nom…
Elle pouffa puis, les yeux brillants, ajouta :
— Je n’aurais jamais cru que cela puisse être avec vous.
Elle s’approcha de lui et vint effleurer ses lèvres, scellant avec cet homme un nouveau contrat, plus engagé, intime. Alexander savoura cette victoire. Fier de l’avoir enfin sous sa coupe et d’être parvenu à la radoucir. Il goûtait à cette extase jouissive, cette idée de la posséder ; qu’elle serait sienne et se livrerait uniquement à sa personne, devenant ainsi sa chasse gardée, sa protégée tant convoitée.
De son éternelle maîtrise, il dégrafa le haut de sa robe, laissant glisser l’étoffe et dévoiler une nouvelle fois son corps qu’il avait si longuement parcouru le matin même. Il la maintint par la taille et la fit basculer sur les draps, se déployant au-dessus d’elle, la dominant de sa masse virile.
Les formes de la jeune femme étaient particulièrement attrayantes sous cette pénombre, plongées dans un délicat camaïeu de bleu dont seules ses taches rousses et sa chevelure flamboyante se dessinaient. L’éclat de ses yeux ambrés reflétait le pâle halo de lune.
D’un geste doux, il commença à palper son corps ferme et juvénile ; une sensation d’extase décuplée au vu de la multitude d’événements chaotiques de la soirée. La reprise du contrôle de sa vie et des événements le plongea dans un grand ravissement, balayant d’un revers de la main toutes les insultes qu’il avait essuyées pour parvenir à ce merveilleux dénouement. Que pouvait-il rêver de mieux ? Après tout, il avait gagné un allié de choix en la personne de Desrosiers, ainsi qu’une future baronne dévouée.
N’ayant pas eu l’occasion de voir son corps, Ambre engouffra le bout de ses doigts sous sa chemise afin de la lui ôter. Mais avant qu’elle n’eût le temps de le toucher, il arrêta sa main et l’éloigna. Cela la fit sourire et elle tenta une seconde fois. Il prit alors sa main dans la sienne et vint la poser contre les couvertures. Elle pouffa en le voyant se laisser désirer. Il s’avança vers elle, écarta l’une de ses mèches de cheveux rebelles et l’embrassa à nouveau. Elle profita de cet instant pour tenter une troisième approche avec sa main libre. Mais à peine eut-elle le temps d’effleurer un bouton de sa chemise que, d’un mouvement vif, il attrapa sa main baladeuse et la plaqua sur le lit un peu plus fermement. Agacée et captive, elle enfonça sa tête dans les draps et libéra sa bouche de la sienne. Alexander se recula et l’observa sans mot dire.
— Puis-je savoir pourquoi vous ne voulez pas que je vous touche ? lança-t-elle, contrariée.
— Je ne te suffis pas ainsi ?
— De quoi avez-vous peur ? C’est au sujet de votre blessure par balle ? Elle vous a laissé une petite cicatrice qui entache quelque peu votre beauté et votre égo démesuré a du mal à le supporter ?
Il eut un rire nerveux mais ne répondit rien et continua son affaire. Il s’apprêta à l’embrasser mais Ambre, froissée et ne pouvant se défaire de son étreinte, tourna la tête et redressa sa nuque. Il y déposa un baiser et en profita pour humer son parfum. Elle sentit son souffle lui caresser le cou et fut parcourue d’un frisson d’excitation mêlée d’une gêne face à son comportement. Elle tenta de se mouvoir une nouvelle fois mais se rendit compte qu’elle était solidement maintenue, les poignets plaqués contre le lit, incapable de lutter contre la force de cet homme.
— À quoi jouez-vous ? s’agita-t-elle. Veuillez me lâcher, s’il vous plaît !
Il se redressa et vit qu’elle était à cran, ses seins dressés se soulevant au gré de ses respirations rapides. Les muscles de ses bras tremblaient pour se libérer de leur emprise. En cet instant, elle lui semblait si ridiculement faible.
Elle aurait été une autre, il n’aurait eu aucune pitié et l’aurait laissée se débattre des minutes durant afin d’observer le moindre trait d’anatomie et le regard apeuré de sa victime, se comportant tel un prédateur impitoyable jouissant enfin d’avoir l’ascendant sur ces proies si sottes et désespérées pour s’offrir à lui. Jadis, les femmes tombaient dans ses bras, totalement éperdues, quand bien même elles avaient été averties par leurs consœurs de l’effroyable personne qu’était le Baron von Tassle.
Pourtant, il s’agissait de sa future femme et il ne pouvait se résoudre à lui faire subir pareille torture ni ne pouvait songer à l’idée de la blesser. Cette fille-là, il voulait la chérir, lui accorder toute la tendresse qu’il serait capable de donner sans rien exiger en retour. Comme il l’avait fait autrefois avant que sa vie entière ne bascule. Ne voulant la crisper davantage, il desserra son étreinte. Il s’adossa contre le dossier du lit puis, frustré, porta son regard vers la fenêtre.
Dans sa précipitation, il avait été aveuglé, n’ayant plus réalisé ce détail compromettant qui risquait de la détourner de lui à jamais.
Un silence de mort régnait, laissant planer une sinistre atmosphère. Ambre se massa les poignets. Irritée et intriguée par son attitude, elle se redressa et se mit à sa hauteur. Elle voulait lui jeter une réplique acerbe mais se ravisa aussitôt en remarquant qu’il paraissait troublé. Son habituel visage grave affichait une expression de honte et de culpabilité. Le coin de sa bouche tremblait subtilement et il frottait machinalement ses doigts contre ses paumes.
— Qu’avez-vous ? demanda-t-elle, méfiante.
— Rien… ne t’inquiète pas, tâche de dormir, se contenta-t-il de répondre sans même la regarder.
Elle eut un rictus et l’enjamba afin de se tenir face à lui et de planter son regard dans le sien sans qu’il ne puisse se dérober. Elle serra ses cuisses et croisa les bras.
— De quoi avez-vous peur ? Je vous sens nerveux tout à coup ! Vous devez avoir l’habitude de vous montrer au vu des innombrables conquêtes que vous avez eues !
Elle tenta une approche et posa sa main sur son torse. Elle s’attarda sur ses ongles et se souvint du jour de leur altercation dans le salon, se remémorant avec quelle hargne et aisance elle les avait enfoncés dans sa chair.
— Vous avez peur que je vous blesse, c’est cela ? Vous tentez de me persuader que mon Féros est pour vous anodin mais il n’en est rien… c’est ça ?
Elle s’apprêtait à retirer sa main lorsqu’il l’attrapa d’un geste vif qui lui arracha un cri instinctif.
— Tu te trompes, cela n’a rien à voir avec toi ! Je n’ai rien à craindre de toi, dit-il en la regardant droit dans les yeux.
Il s’éclaircit la voix et ajouta plus faiblement :
— C’est juste que je n’ai pas pour habitude de me montrer tout entier contrairement à ce que tu pourrais croire.
Elle fut choquée d’entendre ces mots et le dévisagea.
— Vous… vous ne vous êtes jamais montré à personne, et ce malgré toutes les femmes qui ont foulé votre couche ?
— C’est exact !
— Mais… mais pourquoi ?
Il soupira puis esquissa un haussement d’épaules.
— Écoutez, dit-elle en posant une main sur le cœur, je ne sais pas de quoi vous avez peur mais si vous avez une cicatrice ou un je-ne-sais-quoi que vous trouvez disgracieux et indigne de votre physique, sachez que j’ai déjà vu le corps d’Anselme ! Et même s’il était meurtri, couvert de cicatrices et d’ecchymoses, cela ne m’a nullement repoussée ou rebutée. Donc, n’ayez crainte de ma réaction, les blessures, ça me connaît. J’en ai déjà vu d’autres !
Il grommela, las de se justifier.
— Ce n’est pas uniquement cela. Je ne pouvais me résoudre à souiller mon corps auprès de ces femmes viles qui ne méritaient rien d’autre de ma part que d’être intimement possédées l’espace d’une nuit. Je ne suis pas un homme que l’on possède, ma chère.
— Dans ce cas… pourquoi me proposez-vous de vous épouser ? murmura-t-elle, perplexe.
Il leva les yeux au ciel.
— Je n’en sais fichtrement rien ! Ce n’est pas comme ci j’avais planifié tout ce que j’éprouve te concernant et je pense qu’il en va de même pour toi à mon égard. Toi et moi ne devrions, logiquement, pas être ensemble. Je ne devrais d’ailleurs même pas m’abaisser à te parler et encore moins me résoudre à te toucher !
Elle détourna le regard, piquée au vif par ces propos brutaux qui venaient de la heurter.
— Tu n’es qu’une enfant Ambre, une gamine issue d’un milieu si différent du mien et tu as l’âge d’être ma fille !
Elle ne dit rien et étouffa un hoquet. Il posa une main sur sa joue et essuya sa larme.
— Je ne dis pas ça pour te faire de la peine mais parce que telle est la cruelle et implacable vérité. Pourtant, force est de reconnaître que toi et moi, sommes, finalement si semblables en bien d’autres points que tu n’oserais l’imaginer. Tu n’es pas si différente de celle que j’étais jadis.
Elle eut un rire étranglé suivi d’un sanglot mal-contenu. Pour la calmer, il approcha sa tête de la sienne et murmura quelques mots à son oreille qui la firent frissonner. Muette, elle le sonda de ses yeux de chatte puis posa ses deux mains sur son torse, effleurant les boutons de sa chemise.
— Puis-je ? demanda-t-elle en palpant le col.
Il grimaça et baissa les yeux, résigné.
— Soit ! finit-il par dire. Après tout, si je m’apprête à faire de toi ma femme, il y aura bien un moment où tu t’en apercevras d’une façon ou d’une autre.
Lentement et avec une certaine appréhension, elle déboutonna l’étoffe. Elle sentait le rythme de sa respiration s’accélérer au fur et à mesure qu’elle descendait. L’homme ne bougeait pas et la regardait du coin de l’œil, guettant sa réaction. Une fois les attaches enlevées, elle engouffra timidement ses mains et écarta les deux pans de sa chemise. À la vue de son torse ainsi que de son ventre, elle ne put réprimer un cri et se recula vivement.
— Mais co… comment est-ce que…
— Je t’en prie, ne demande pas !
Elle le sentit gêné et n’insista pas davantage. Elle prit une grande inspiration et étudia son torse dans les moindres détails ; elle pensait avoir vu le pire avec celui d’Anselme mais elle se trompait amplement. Ainsi comprit-elle que tout l’acharnement et le soin que mettait cet homme pour entretenir son apparence n’avaient pour unique but que de masquer un tel carnage.
Son corps était mutilé, couvert d’entailles et de cicatrices sur l’ensemble de la peau. Deux immenses balafres marquant l’empreinte de quatre griffes lui lacéraient le poitrail de part et d’autre. La trace d’une morsure, très certainement un gros chien, s’étendait sur son flanc gauche, la peau arrachée par endroits et grossièrement cicatrisée. L’impact de la balle présent sur l’épaule faisait pâle figure à côté de ce massacre.
Les mains tremblantes, elle suivait subtilement les sillons laissés par ces meurtrissures si impressionnantes et nombreuses, n’osant s’imaginer les multiples horreurs et l’intensité de la douleur qu’il avait dû endurer pour en arriver à un tel résultat. Ne pouvant se voir davantage, Alexander redressa sa tête et l’examina du coin de l’œil.
— Es-tu satisfaite ? Ou regrettes-tu ton choix ? demanda-t-il, une pointe d’angoisse dans la voix.
Prise d’un malaise soudain, Ambre haletait, mal à l’aise à l’idée de l’avoir poussé à se dévoiler ainsi et comprenant son refus insistant. Or, cette particularité physique, bien que disgracieuse, ne la rebutait pas. Pour toute réponse, elle passa ses mains dans sa chevelure ébène et fit glisser le nœud de son catogan, libérant ses cheveux qu’elle répartit de chaque côté de son cou, venant recouvrir ses épaules dénudées.
Elle étudia les traits harmonieux de son visage d’homme mûr. Ses joues creuses, sa mâchoire rectangulaire aux lèvres fines, ses yeux sombres à la sévérité accentuée par ses sourcils arqués afin de paraître en permanence froncés, sa peau blanche sur laquelle des rides légères émergeaient et, pour finir, une barbe naissante où des poils gris commençaient à naître.
C’est vrai que les aranéens ont quelque chose d’animal ! Ils ne sont pas si différents de nous finalement. Reste à savoir si l’aspect animalier de cet homme pourra s’accorder au mien. songea-t-elle, amusée par l’image du tervueren et la réflexion de sa petite sœur qui lui revenaient à l’esprit.
— Je n’ai jamais eu de chien chez moi. Ce n’est normalement pas très compatible avec la chatte que je suis. Mais l’idée d’en posséder un même vieux, hargneux et disgracié est assez tentante finalement.
Elle approcha sa bouche de son oreille et lui susurra :
— Je m’en voudrais de ne pas saisir cette opportunité.
Fortement ému par cette oblativité qu’il n’avait pas reçu depuis de très nombreuses années, il l’enserra passionnément, manquant de l’étouffer, et déposa un baiser sur sa nuque. Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes, s’étreignant en silence, leur cœur battant à l’unisson : un beau point d’orgue à cette journée aussi calamiteuse qu’intense.
Ivre de plénitude, l’homme sentit à nouveau le désir poindre en lui, convoitant ardemment cette femme, la seule à l’avoir fait flancher et à avoir su faire tomber sa carapace d’acier. Un amour qu’il n’aurait jamais cru capable d’accepter à nouveau et qui semblait être le bel héritage de celle qu’il avait tant désirée autrefois. Avant qu’il n’esquisse le moindre mouvement, Ambre murmura :
— Laissez-moi prendre les rênes cette fois-ci.
Elle passa ses doigts sur son entre-jambes, déboutonna son bas et le fit s’engouffrer en elle. Tout en l’embrassant, elle ondulait son échine et son bassin, palpant son torse sans gêne tandis qu’il agrippait ses hanches d’une poigne solide. Elle bougeait sur lui à la manière d’un serpent, pratiquant une valse lente et silencieuse où seul le bruit de leur souffle emmêlé était perceptible.
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