LES MONDES ERRANTS – Chapitre 25

Chapitre 25 – Le Oural 7/7

Un matin, prise de convulsions, Elvire perdit les eaux. On signala ce fait et elle fut aussitôt transportée dans un autre local. Prise en charge par une armada de médecins. L’accouchement se déroula dans la douleur. Sans médicaments pour faire passer son mal, elle ressentait le moindre spasme traverser son corps, la déchirant de l’intérieur. Elle expulsa son enfant au bout de huit heures interminables.

Dès que le nouveau-né poussa son premier cri, encore enveloppé du fluide de sa mère, on rompit le cordon ombilical d’un vif coup de ciseaux et l’isola dans une pièce annexe où il ne reparut plus. Inquiète, la mère appelait à le voir mais on s’y refusa ; il fallait d’abord que les professionnels examinent son état.

Farouchement opposée à cette idée, la mère cria et se débattit furieusement, frappant les médecins de sa force décuplée par cet accès de rage soudain. Pour la forcer à s’endormir, on parvint à la piquer d’un puissant sédatif avant de la transporter dans une pièce capitonnée, la chambre 203. C’était un lieu lugubre, une pièce carrée et étroite de quatre mètres carrés, sans l’ombre d’une fenêtre. Une ampoule nue grésillait au plafond, éclairant faiblement d’une lueur jaunâtre, les murs verts à la peinture écaillée, rongés par la moisissure.

Assise sur le matelas, les mains emmitouflées sous sa chemise, Elvire patientait des heures durant. Elle regardait devant elle, l’œil vide, avec un air de bête blessée. Son seul compagnon était son carnet de notes, que quelqu’un lui avait apporté afin de la faire taire définitivement. Car l’infectée, dans son désespoir, s’égosillait, obligeant ses geôliers à lui céder cette maigre consolation en attendant que son enfant lui soit confié. Elle demeurait allongée, pressant Ernest contre son cœur, le couvant comme son nouveau-né arraché.

D’abord inactive, elle finit par porter son intérêt sur le carnet, déversant sa haine et sa peine pour se défouler. Elle incisait le papier de la pointe de la plume, déversant l’encre noire comme elle ferait couler le sang de ceux qui l’avaient tant détruite. Entre les gribouillis et les propos haineux, on pouvait lire ces dernières lignes sporadiques :

« Je n’ai pas pu voir mon enfant. Était-ce un garçon ? Une petite fille ? Je ne saurais le dire. J’ai très envie de le voir. Je pleure, pourquoi refuse-t-on de me laisser auprès de lui ? J’ai l’impression qu’on m’a arraché le cœur. Je suis dévastée. […]

On me dit d’attendre pour le voir, simple précaution. En attendant, il faut que je sois tranquille, que j’obéisse. Je suis si seule. On m’ordonne d’uriner dans le petit pot et de cracher dans un autre. Je m’exécute et leur donne. Je mange ce qu’on me donne sans broncher. C’est insipide et rassis. […]

J’ai envie de hurler. Je maudis ce fléau qui nous a décimés, pompé notre vitalité, aspiré notre joie, volé notre insouciance, notre avenir ! Traumatisée je suis, si seule… comme tous je crois. Où est mon bébé ? Je pleure…

Plusieurs jours sans que personne ne vienne. On me jette la nourriture à même la petite trappe. Aux mêmes horaires ? Je n’en sais rien. Peut-être bien. Je tâte la chose et la renifle… Du pain rassis, encore. Mon ventre me fait souffrir. Mon sexe me gratte. Ma tête aussi. Le lait coule de mes seins, mes mamelons sont rouges et gonflés. Je les presse pour me soulager. Tout ce lait gâché… J’ai mal, si mal. Redonnez-moi mon enfant ! Donner moi des médicaments, faites que ce mal cesse au plus vite.

Dites-moi ce qu’il se passe ! […]

Je veux retourner à la maison… Héloïse tu me manques tellement. As-tu reçu ma lettre ?

Mon enfant, où es-tu ? Je suis allongée, je pleure… sans force.

On entre enfin dans ma pièce. Masques, gants, combinaison. Il m’a déshabillée, m’a examinée, sans un mot. En partant, il a retiré mon pot de chambre rempli à ras bord.

Lueur d’espoir. On me dit d’attendre encore que je reverrai bientôt mon enfant. Je m’impatiente. Je m’allonge et j’attends. Je peine à me nourrir, mais je vais le revoir. Je n’ai jamais été aussi heureuse.

Toujours pas mon enfant. J’ai mal aux seins et j’ai froid. Quelle torture ! […] Les larmes arrêtent de couler. Je suis abattue et commence à perdre espoir. Depuis combien de temps suis-je ici ? La nourriture est infecte, rongée par les vers, même des chiens n’en mangeraient pas. On me laisse pourrir ici. Et j’ai si froid.

J’ai l’impression d’avoir de la fièvre, je vois trouble. […]

Mes muscles me font mal. Je grelotte, pourquoi ai-je si froid ? Mon corps est si faible. Je me sens vide. Où est mon enfant ? Je veux voir mon enfant ! Bon sang, mais que lui font-ils ?

Allongée sur le lit, gisant comme morte. On vient m’avertir que j’allais bientôt pouvoir partir, la délivrance approche. Derrière son masque, un homme me dit que je m’en vais rejoindre mon mari dès ce soir… Pourtant, je me souvenais que Octave était mort. »

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