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Chapitre 320 : L’irritation du couturier

Tolstoï utilise un flacon d’huile pour frictionner Persée qui semble accepter volontiers le contact du liquide, mais je n’arrive pas à savoir de quoi il s’agit exactement.
Tolstoï commence ensuite à utiliser la pointe de ses doigts pour découper Persée avec son mana, mais je ne ressens pas de douleur à travers le lien. Persée est plutôt en train de se découper lui-même sous l’influence du mana. Le Couturier retire ensuite des imperfections qui me semblent invisibles et continue de prendre soin de Persée en soupirant.

« Vu la qualité du sanguin, tu la fais changer de forme sans réellement faire attention aux détails. Lui faire manger des cochonneries n’a pas aidé, jeune homme. Trop de protéines raidissent le tissu. Une diète omnivore équilibrée reste le mieux. De l’huile végétale à en complément lui permettra de rester souple et léger si tu continues à lui donner de la viande à manger. Il rejettera lui-même le trop-plein d’huile de toute façon. Toi là, tu es Couturière et tu n’as rien dit ? Tu devrais avoir honte… »

Tolstoï passe ensuite sa main sur Persée et chaque fil s’agite sous sa caresse et lui permet de retirer les dernières impuretés de sa main libre.

— J’ai arrêté de me servir du sanguin, car aucun client n’était capable de s’en occuper correctement. Venant d’un Dresseur, je m’attendais à mieux. L’ignorance n’est pas une excuse quand on est capable de se lier à l’esprit.
— Sa conscience se forme à peine et je l’ai dressé il y a peu de temps.
— Et ? Sa propre ignorance n’est pas une excuse à la tienne. Tu me déranges pendant mon travail pour me demander conseil sur un tissu dont j’ai appris à connaître les spécificités pendant de longues recherches. Prendre soin des animaux n’est pas la première prérogative d’un Dresseur ? Tu n’es même pas capable de faire ça.

Tolstoï lève ensuite la main et la manche de sa chemise change de forme et de couleur rapidement. Elle disparaît ensuite complètement en laissant son bras exposé. Sur son biceps, je peux voir des cicatrices et quelques fils de tissu de sa chemise semblent plantés dans sa peau. J’avais vaguement senti une présence via mon aura, mais je suis assez étonné. Le sanguin que porte Tolstoï n’a clairement pas le niveau de conscience de Persée. On dirait une version amoindrie. Est-ce que c’est un exemple de l’effet du dressage sur l’intelligence des animaux ?

« Il n’y a aucune limite créative de texture ou de forme avec le sanguin. C’est le matériel parfait pour un Couturier. C’est son tempérament qui pose problème. En tant que Dresseur, tu as probablement tes méthodes pour gérer cela. Je te recommande de devenir Couturier si tu veux apprendre à t’en servir convenablement. Sans cela je perds mon temps. »

[Je pense pouvoir apprendre les bases rapidement.]
C’est quand même à moi de dresser Persée.
[Je ne parle pas à toi.]

« Quelle que soit la créature qui cherche à communiquer, qu’elle se montre et arrête de me faire perdre mon temps. »

Alors que Tolstoï s’impatiente en passant la main sur Persée, Yuu saute sur la table en agitant la queue. Alors que le couturier hoche un peu la tête sur le côté comme s’il attendait la suite, j’arrive à comprendre qu’il discute avec Yuu, même si celui-ci décide de ne pas partager la conversation avec moi.

[Cet homme est amusant.]
Qu’est-ce qu’il raconte ?
[Rien qui ne puisse t’intéresser. Il réfléchit juste d’une façon assez intéressante et plus rapidement que la plupart des gens. C’est un génie si je puis dire. Pâle en comparaison de moi, mais un génie tout de même. Je viens juste de lui raconter ta rencontre avec Persée, ta connexion avec Miss Jonah et que je suis prêt à apprendre pour remplacer ton cerveau défaillant. Cela semble lui plaire de l’entendre.]
Tout ça en moins de 30 secondes ?
[Un génie. Fais-toi à l’idée qu’ils existent, même dans la race humaine.]

Je lève les yeux au ciel en soupirant. Encore un élan narcissique de Yuu, mais cela n’empêche pas que c’est à moi de faire ce travail et pas à lui. Même si Yuu peut communiquer avec Micha grâce au niveau 4 du lien qu’elle a atteint, Union, ce n’est pas le cas de Juliette et Persée. Sans parler de ça, il y a tout un tas de problèmes à ce que Yuu fasse des choses pour moi. La fusion est une chose, mais c’est nécessaire à ma survie tant que je n’ai pas le niveau pour en faire une moi-même. Qu’il soit capable de me maintenir conscient en cas de problème est aussi pour ma propre survie, donc je ne rejette pas cette capacité. Je tolère qu’il triture mon cerveau pour me rendre invisible en « construisant » les connaissances nécessaires ou encore qu’il soit capable de modifier ma vision pour m’aider à mieux visualiser certaines choses, mais…

Le problème est que Yuu a trop de pouvoir sur ma tête et que je ne veux pas qu’il en ait plus. C’est un peu inquiétant de savoir qu’il peut faire tout ce qu’il souhaite. De plus, puisqu’il restreint la transmission d’informations à travers le lien, je ne peux même pas savoir à quoi il pense la majorité du temps. C’est frustrant de savoir qu’il continue de me cacher des choses à son bon vouloir.

[Ne sois pas aussi sombre. Je ne suis pas un génie du mal qui veut ton malheur. Vois ça comme de l’interdépendance. Malgré ta frustration que je peux sentir depuis un moment, tu n’as pas à t’en faire. Si je te cache des choses, c’est parce que j’aime bien me dire que je reste indépendant et aussi parce que ton cerveau n’est pas capable d’assimiler autant de siècles d’informations sans exploser, littéralement. Crois-moi, quand tu as la capacité de réfléchir aussi vite qu’un Kelfi, les années passent trèèèèès lentement dans le désert.]

À travers le lien, il fait passer quelques images du désert pour appuyer ses propos. Il augmente ensuite graduellement la quantité d’images et de sensation au point que je commence à avoir la tête qui tourne. Il s’arrête en voyant que je ne serai pas capable de gérer beaucoup plus, mais c’est assez clair qu’il a raison.

[Concrètement, le lien ne fait pas de distinction entre utile ou non. Ton coma lors de mon dressage t’a fait assimiler trop d’informations sur mes réflexions et tu n’imagines pas le désordre que j’ai dû retirer de ton cerveau quand j’ai échangé nos corps pour te sauver. Je dis cela pour que tu comprennes bien que je préfère que tu sois frustré que mort… Pour revenir à notre tissu préféré et ta frustration, vu que je suis un génie, je savais que tu n’allais pas apprécier l’idée. C’est pour ça que je prévois de te donner des cours moi-même. Cela nous évitera de rester ici trop longtemps. Laisse-moi juste le temps d’apprendre suffisamment pour t’occuper pendant plusieurs mois.]
Il a des cours sur le macramé ?
[… Je prends ce qu’il y a de plus utile pour Persée. Ne me demande pas de l’aide pour un passe-temps inutile à ta survie.]

… Tant pis, je ne partagerai pas cela avec Cyrus. En tout cas, je vais devoir acheter du fil et des aiguilles. Je regarde en direction de Blue et Gladis. Elles me regardent toutes les deux sans savoir ce qu’il se passe. Tolstoï, Yuu et moi sommes immobiles et silencieux depuis au moins une longue minute. C’est sans doute déconcertant pour elles de ne pas savoir ce qu’il se passe. Je fais un signe que tout va bien et à ce moment, une voix dans l’atelier finit par résonner.

« J’aimerais savoir qui sont ses gens ?! Une idée ? Quelqu’un ?! Tolstoï, explique-toi rapidement. »

Un homme portant une tenue étrange approche d’un pas décidé. Si je dis étrange, c’est qu’à chaque fois que je cligne des yeux, j’ai l’impression qu’il change complètement de vêtement. D’une veste, il passe à un sweat, puis un T-shirt avant de devenir une chemise. Le tissu semble lui-même fait de brume et flotte légèrement sur lui comme s’il allait disparaître le moment suivant. Je pensais que le Sanguin était le sommet des possibilités, mais la tenue qu’il porte est à un niveau totalement différent. Gladis, à côté de moi, prend la parole alors que l’inconnu s’énerve sur Tolstoï à propos de notre présence.

— Ce type est le génie du vêtement au pied de la tour.
— Je croyais que c’était Tolstoï le génie ?
— … Non, c’est juste le couturier de Miss Jonah. Elle préfère les vêtements classiques capables de la mettre en valeur et non de l’éclipser. Dolan est obligé de le garder dans l’atelier à cause de ça, mais c’est lui qui m’a viré et c’est aussi lui le champion des Couturiers si les rumeurs sont vraies.

Alors que Gladis finit sa phrase, Dolan se tourne vers nous et fait le tour du groupe d’un regard. Son regard semble suffisamment perçant pour que je me sente mal à l’aise, mais c’est le dédain que je peux lire sur ses lèvres et la colère dans ses yeux qui me frappe le plus. Physiquement, il n’y a pas grand-chose à en dire, si ce n’est qu’il est très efféminé. Sans la moustache finement taillée, ce serait probablement difficile de savoir que c’est un homme. Il pose finalement ses yeux sur moi pour la première fois depuis qu’il est apparu et commence à me parler.

« Toi là. Dresseur de pacotille. Prends ton Sanguin de merde et débarrasse le plancher… Tu vas – »

Il n’a malheureusement pas le temps de finir sa phrase. Lui et moi nous devenons immobiles.

Les autres autour de nous peuvent encore bouger, mais mes yeux semblent figés sur lui comme les siens sur les miens. Je peux encore réfléchir, mais je ne comprends pas ce qu’il se passe. Il n’y a pas d’explication logique et je ne comprends pas la situation.

[Ah. Donc c’est vraiment ce qu’il se passe. Je n’y avais pas cru, je dois dire.]
Yuu. Explication, maintenant.

Yuu se contente de ricaner alors que du coin de l’œil, je peux le voir s’allonger sur la table et m’observer. Ce Kelfi veut ma mort, je ne vois que ça.
Il commence ensuite une tirade qui n’explique rien avant de dire le mot qui explique tout et rien sur ma paralysie.

Champion.

Je savais que je regretterai ce titre.
Ma conscience s’efface graduellement et j’ai l’impression que je vais perdre connaissance. Je reconnais la sensation, même si je ne l’ai rencontrée qu’une fois. Je ne suis pas certain d’avoir envie de savoir ce qu’il va se passer ensuite.

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Correction : Hastin

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