Tour des Mondes – Chapitre 282

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Chapitre 282 : Impossible de se détendre

L’écharpe est à présent dans une sphère de verre. J’ai finalement dû me résoudre à demander à Cyrus d’aller acheter quelque chose de solide pour contenir cette créature.

« C’est du tissu vivant… Ils appellent ça du sanguin. Je l’ai acheté pour faire des tests… mais je pensais que le lance-flamme fourni avec n’était rien d’autre qu’une blague… En injectant du mana, il est possible de changer la forme du tissu et, théoriquement,… le tissu grandit indéfiniment… Je pensais faire une bonne affaire vu le prix, mais… »

Le Couturier continue de me parler du sanguin, mais j’ai du mal à me concentrer alors que le tissu hurle tout le temps… J’ai l’impression que c’est une blague pas drôle. Je viens de me faire manger un bras par un tissu à fleur de peau.

Vu son niveau de conscience, j’ai l’impression que c’est encore un enfant et ça me rappelle beaucoup les souriceaux que j’ai dressés malgré moi avec mon aura.

Si c’est bien un enfant, c’est possible qu’en faisant son éducation il devienne plus facilement contrôlable avec le temps. Cela dit, en étant un tissu, je ne sais pas vraiment quoi en faire. Ce qui est sûr, c’est que je ne le mettrai pas tout de suite autour de mon cou. À en croire ce que je viens de voir, il est largement capable de dévorer quelqu’un, ou de faire disparaître un corps, ce qui est un gros avantage. Cela dit, si je le laisse manger, il va continuer à grandir et donc devenir de plus en plus dangereux, et je ne le souhaite pas non plus.

[Et maintenant te voilà parent.]
N’en rajoute pas. Ne me dis pas que tu n’as jamais vu d’enfant de ta race.
[Bien sûr, mais quand ils ne sont pas sages, les autres Kelfis les mangent. Pas l’inverse.]
Je sais que c’est probablement une mauvaise blague, mais j’espère sincèrement qu’une espèce aussi intelligente ne pratique pas le cannibalisme.

Yuu préfère ne rien dire et me laisse douter pour m’irriter, mais je préfère oublier cette conversation.
Je vais devoir lui donner un nom pour le coup. Il va probablement passer pas mal de temps avec nous jusqu’à ce qu’il se développe suffisamment pour être stable. L’appeler la chose, le sanguin, le danger ou quelque chose du genre ne me semble pas agréable pour un enfant.

J’ai encore du mal à comprendre comment du tissu peut ressentir ce qui l’entoure aussi violemment. Sa perception est totalement différente de ce que je connais, comme s’il se reposait sur quelque chose de différent des cinq sens pour comprendre son environnement. Cela n’a rien de surnaturel, mais c’est étrange… Comme une sorte d’écholocation mélangée à un sens du toucher.
Le lien avec moi est en soi une autre façon pour lui de ressentir le monde et ça n’aide en rien à le calmer. J’ai vraiment l’impression d’avoir un enfant qui découvre tout, pourtant il était vivant quand il m’a attaqué. C’est peut-être d’avoir grandi en mangeant qui a fini par créer ce nouveau né. Le problème reste le bruit qui ne s’arrête jamais. Ce n’est que le résultat de sa perception de ses alentours qu’il ressent d’une façon bien trop violente, alors je vais devoir m’y faire.

Très bien… Un enfant dont la perception est surdimensionnée… Ton nom sera Persée.

Je décide de mettre la sphère en verre dans une poche de ma cape et je vérifie rapidement le statut.
Le nom est bien enregistré comme « Persée » et la race indique Sanguin, même si cela ne veut pas dire grand-chose. Quand il était de la taille d’un mouchoir, il était peut-être dans une sorte de phase embryonnaire, mais maintenant que j’ai un lien avec lui cela semble avoir déclenché quelque chose. C’est possible qu’il développe une conscience avec le temps. Pour l’instant, c’est difficile de comprendre sa réflexion à cause des sensations qui étouffent tout.

La sphère en verre semble en tout cas le calmer. C’est sans doute la même chose que la boîte en bois dans laquelle il était. La seule différence, c’est le mouvement, et donc la friction, mais c’est nécessaire si je veux l’habituer graduellement au monde extérieur. J’ai juste l’impression qu’il va me fatiguer assez rapidement s’il continue à hurler comme ça tout le temps. Avec un peu de chance, il se calmera dans quelques heures, mais les nuits seront peut-être longues.

À travers le lien, j’essaye de le rassurer alors que je sors du magasin avec Cyrus qui semble perplexe.

— Je ne m’attendais pas à voir une telle chose. Tu penses pouvoir la garder sous contrôle ?
— Je verrai avec le temps. C’est encore un enfant. En attendant, je vais éviter de rentrer dans un magasin de ce genre pendant un moment… Peux-tu m’amener à l’adresse que je t’ai donnée ? J’espère que ce sera plus calme là-bas, mais j’ai des doutes sur la question.

Cyrus m’emmène alors qu’il détaille avec moi quelques leçons de macramé. Cela ne m’intéresse pas spécialement, mais ça me permet de me distraire des hurlements sensoriels de Persée. Nous finissons par arriver devant un petit immeuble à proximité de la tour des Mages. C’est très clair que ce n’est pas l’endroit qui convient le mieux vu les propriétaires des lieux, mais c’est sans doute très trompeur d’avoir choisi un business de ce genre.

Je décide de laisser Cyrus en lui disant que la prochaine fois que je l’appelle, il a intérêt à m’apprendre le macramé dans un endroit tranquille et sans danger. Il sourit étrangement en regardant l’enseigne devant laquelle il me laisse, mais décide de partir en me faisant signe qu’il ne me juge pas.

Avant d’entrer, je regarde la devanture. Encore quelque chose qui ne fait pas beaucoup de sens dans cet univers. Ils n’auraient pas pu trouver mieux ?
Je rentre donc dans le bar en poussant la porte alors qu’une petite cloche résonne. L’intérieur est assez simple, mais reste confortable et agréable. Derrière le comptoir du bar, un homme qui semble être en train de lire un journal nommé « La Tour » m’ignore en tournant une nouvelle page.

C’est sans doute mieux que je ne prenne pas en compte l’endroit dans lequel je suis entré…
[Tu pourrais éventuellement en profiter ? Tes derniers contacts humains n’ont pas été très agréables.]
… Franchement Yuu.

Je décide de m’asseoir dans le coin le plus éloigné de la scène en soupirant. Apparemment, je suis le seul client, mais c’est probablement à cause de l’heure. En attendant, je n’ai pas l’impression d’être suffisamment loin de la scène qui se trouve à quelques mètres de moi.
L’homme derrière le bar ferme ensuite son journal et se lève en faisant un geste de la main. Aussitôt, une musique se lance et il va fermer la porte d’entrée à clé.
Il s’approche ensuite de moi pour me servir une bouteille de bière. Sa tenue est clairement trop soignée pour un lieu de ce genre, mais ce n’est qu’un détail.

— C’est offert par la maison.
— Je ne suis pas là pour ça, mais merci.
— S’il te plaît, tais-toi. Je n’ai pas envie de te parler.

Au ton sec du barman, je n’ajoute rien. Cela dit, ce n’est pas rassurant. J’ai l’impression qu’il me tuerait s’il le pouvait. Il pourrait probablement le faire en un éclair…
Yuu sort alors de sa sacoche et décide de se mettre bien en évidence sur la table.
… Je n’ai pas encore donné le feu vert, mais il semble qu’il ait pris la décision à ma place.

[Ne t’en fais pas. Rien qu’à l’odeur, je sais que nous sommes en sécurité.]

Je soupire en me frottant la tête. Même sur Terre, je ne suis jamais rentré dans ce genre d’établissement… À ce moment-là, le rideau sur scène s’ouvre en deux et une fille assez jolie se présente. Avec ses cheveux rouges coiffés en couette de chaque côté de sa tête, elle regarde rapidement dans ma direction avec ses grands yeux noirs. Ne parlons pas non plus des vêtements suggestifs.
En souriant, elle fait plusieurs pirouettes en rythme en essayant d’être toujours plus lascive. Pour l’occasion, c’est apparemment une tenue de motarde qu’elle commence à « effeuiller » devant nous.

Par curiosité, Micha et même Juliette décident d’observer. C’est probablement à cause ma réaction qu’elles sont curieuses et ne parlons pas de Yuu qui se contente de rire doucement. Ce n’est pas comme si j’étais gêné ou timide. C’est juste que la situation est ridicule.
Heureusement, j’ai encore les hurlements sensoriels continuels de Persée qui reflètent assez bien ma pensée.

La danseuse nous fait alors un clin d’œil avant de se diriger vers la barre au centre de la scène. Elle me jette assez rapidement son soutien-gorge au visage et je soupire.

[Je crois qu’elle t’aime bien.]
Yuu, arrête ça.
[Cela ressemble beaucoup à une sorte de parade de séduction rituelle. Je sais ce que ce spectacle veut dire grâce à tes souvenirs, mais c’est fascinant de voir ça avec mes propres yeux.]

[Tu n’es pas censé lancer de l’argent ou quelque chose de valeur sur elle pour l’encourager ?]
Je n’ai pas envie de l’encourager…

Pour le faire taire, j’ai très envie de l’attraper et de le secouer, mais il se contente de tourner la tête dans ma direction en prenant sa posture la plus « mignonne », tout en baissant les oreilles pour attirer ma compassion. En réponse, je lève les yeux au ciel, exaspéré. Juliette reste silencieuse de son côté et n’a pas l’air de comprendre pourquoi la danseuse s’agite autant. De son côté, Micha est en train de l’encourager.

{Elle a l’air d’avoir du mal à retirer ses vêtements… Courage ! Tu peux le faire !}

Je crains d’avance le moment où elle me demandera pourquoi elle fait ça et toutes les autres questions qu’elle n’hésitera pas à me poser. Alors que je réfléchis à tout cela en fixant ma bouteille, un bas tombe sur Yuu qui se fige et j’étouffe un ricanement.

Bien sûr, je pourrais probablement me détendre et boire cette bière tranquillement. Mais c’est sans compter l’endroit dans lequel je viens d’entrer. Ce n’est pas un simple bar à strip-tease. Pas en sachant que d’un mouvement du petit doigt, tout le personnel ici pourrait me réduire en une fine bouillie.

Franchement. Qui s’est dit que comme couverture pour un lieu où les Dragons se rassemblent, un bar de ce genre était une bonne idée ?


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Correction : Hastin



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