Nouvelles en vrac – Nouvelle 1

Killiecrankie

Synopsis

Passionné de sciences et d’Histoire, le collectionneur Stanislas Morgenthaler a participé au financement d’un projet révolutionnaire : la possibilité de voyager dans le temps. Envoyés durant l’insurrection écossaise de 1689, Antonio Vasquez, un artiste spécialisé dans la photographie des champs de bataille et Ian Gaulthier, un linguiste et professeur de l’Université d’Oxford se retrouvent ainsi à devoir rapporter des clichés de la grande bataille de Killiecrankie.

Aux environs de Pitlochry (Écosse), le26 Juillet 1689

Antonio Vasquez se contentait de hocher bêtement la tête, les mâchoires serrées, glissant des regards anxieux vers Gaulthier qui semblait parfaitement à son aise. Le linguiste arborait un sourire emplit d’assurance et bombait le torse pour exposer fièrement les couleurs de son belted plaid1 en tartan bleu roi. Visiblement, Gaulthier n’était pas impressionné par les mousquets que les révolutionnaires avaient pointés sur eux. En même temps, sa tignasse de cheveux roux et sa barbe bien fournie suffisaient à le laver de tout soupçon. En revanche, Vasquez avec sa peau matte et ses cheveux noirs charbon, passait bien moins inaperçu. Et pour couronner le tout, il n’entravait pas un mot de l’échange qui se déroulait devant lui. Les langues étrangères n’avaient jamais été son point fort, mais cette langue-là n’avait rien à voir avec l’anglais. Gaulthier lui avait pourtant affirmé que le scot2 était à peine plus difficile à comprendre que l’anglais de l’époque. Et effectivement, ça tombait sous le sens.

Finalement, les Highlanders qui les avaient arrêtés relevèrent leurs armes et s’écartèrent, tout sourire. Adressant un signe de tête respectueux à l’intention des révolutionnaires jacobites, Gaulthier se tourna vers Vasquez et l’enjoignit du geste à poursuivre leur route. Sans demander son reste, Antonio s’engagea sur le chemin longeant la river Tummel. Après s’être assuré qu’ils étaient bien seuls, le jeune homme se tourna vers le linguiste, marmonnant entre ses dents un chapelet de jurons bien sentis.

― Tu parles d’une mission sérieuse ! vitupéra-t-il fiévreusement. Nous voilà deux abrutis qui crapahutons en jupette dans les landes en pleine insurrection écossaise, tout ça pour quoi ? Pour prendre des photos ? Merde ! C’est tellement invraisemblable que j’ai moi-même du mal à comprendre ce que je dis !

Sans se départir de son flegme, Gaulthier continua de marcher tranquillement et ce, en dépit des brogues3 qui leur avaient valu de douloureuses ampoules.

― Mais c’est une mission sérieuse, Vasquez, répondit simplement Gaulthier dans un souffle. Pour un photographe de guerre qui a connu les champs de bataille en Iran, je te trouve très nerveux. Ici, ils ne sont armés que de mousquets, à la rigueur de canons. Tu ne trouveras ni mines, ni chars d’assaut, ni armes automatiques, ni…

Vasquez l’interrompit en sifflant entre ses dents.

― En Iran, les clichés que je prenais étaient d’actualité, fit-il remarquer d’un ton acerbe. Mon travail est politique et c’est ce qui fait l’essence même de mon art. Tu peux me dire ce qu’une bataille vieille de trois siècles a d’actuel ? Ça n’a pas de charme, je ne sais même pas si j’arriverai à faire quelque chose. Et qu’est-ce qu’on fait si ces brassards ne nous ramènent pas à notre époque ?

― Ils ont été soigneusement testés avant, répliqua Gaulthier avec une once d’exaspération dans la voix.

Le photographe maugréa dans sa barbe en guise de réponse. Le linguiste s’appliqua alors à rester silencieux, comprenant que la colère et l’anxiété de son compagnon étaient avant tout dirigées vers lui-même.

― Mais quelle idée que de faire un retour de trois cents ans en arrière pour prendre des photos d’une bataille dont tout le monde se fout ! Tout ça pour compléter la collection d’un vieillard parfaitement sénile !, invectiva Vasquez en se frappant frénétiquement le front du plat de la main.

― Ce vieillard est milliardaire, rappela Gaulthier non sans sarcasme. Et, je crois me souvenir qu’à l’annonce du montant de la récompense, c’était toi, le plus emballé de nous deux.

Balayant la remarque de la main d’un geste rageur, Vasquez ponctua sa mauvaise humeur d’une nouvelle série de jurons. Gaulthier resta en retrait, et silencieusement, ils continuèrent à marcher vers le nord jusqu’à remarquer un autre cours d’eau rejoignant la rivière. Le linguiste indiqua alors le sentier qui remontait la river Garry en direction d’un défilé montagneux.

Tentant d’ignorer la douleur lancinante de ces ampoules aux pieds, Vasquez laissa son regard vagabonder dans les landes de bruyères ; ces vallons couleur lavande envahis par une multitude d’insectes bourdonnant, serpentaient d’un plateaux rocheux à l’autre telle une rivière fleurie. L’air qu’il inspirait était indubitablement pur et portait les délicats arômes des fleurs et de la mousse.

Très vite, le chemin se mit à descendre vers le cours d’eau. Les arbres qui les entouraient semblaient refermer leurs branches sur eux et le soleil était réduit à de minces rayons diffus perçant difficilement les feuilles et les épines de pin. Ils progressaient plus lentement, sans que ni l’un ni l’autre n’osent ouvrir la bouche, inquiets du peu de visibilité qu’offrait le sentier.

Tandis qu’ils marchaient, Vasquez commença à étudier attentivement le terrain du regard à la recherche des meilleurs endroits pour prendre ses clichés. Faire preuve de professionnalisme l’aidait à garder la tête froide, à ne pas se laisser gagner par la peur panique de ne pas pouvoir rentrer chez lui. Comparé au danger de l’Iran, le combat opposant les Highlanders aux partisans de Guillaume d’Orange serait presque du gâteau. Pourtant, l’anxiété qui croissait dans son ventre ne lui paraissait pas avoir le même poids que celle dont il avait l’habitude lorsqu’il partait sur le terrain ; et ses pensées le ramenaient inlassablement vers le commencement de tous ses ennuis.

Sa réputation forgée sur des clichés outrageux, avait suscité l’intérêt de Stanislas Morgenthaler. Louant les prouesses artistiques du jeune photographe, il avait fini par le persuader de se livrer à cette fameuse « expérimentation ». D’abord honoré d’être reçu par un éminent mécène bien connu des artistes, Vasquez s’était facilement laissé amadouer par le côté paternaliste et chaleureux du vieil homme. Celui-ci avait d’ailleurs su flatter l’égo de Vasquez, lui proposant une offre terriblement alléchante, doublé d’une expérience aussi inoubliable que révolutionnaire. Happé par l’appât du gain et la curiosité, Antonio Vasquez s’était laissé séduire avant d’accepter diligemment l’offre de Morgenthaler.

Lorsque les détails de sa mission lui furent expliqué plus avant, Vasquez avait d’abord cru à une mauvaise blague ; c’était absurde de penser qu’il était possible de voyager à travers le temps et l’espace. Cependant, les incroyables ressources financières que possédait le collectionneur, avaient permis de participer au développement d’un prototype parfaitement fonctionnel, qui d’ailleurs, animait de nombreux débats politiques.

L’expédition menée par Vasquez et Gaulthier avait pour objectif, en plus de satisfaire l’étonnante collection de Stanislas Morgenthaler, de montrer que le voyage temporel tel que supervisé par la délégation du Comité Européen de Recherches en Astrophysique et Géophysique, était possible et réalisable en toute sécurité. Le photographe s’était senti particulièrement fier d’avoir été spécifiquement demandé pour participer à cette mission, du moins, avant que celle-ci n’ait à commencer.

Il n’avait rien compris au jargon des spécialistes qui avaient tenté de lui expliquer le fonctionnement de leur dispositif. Tout ce qu’il avait retenu, c’était que le brassard qui lui avait été enroulé autour du biceps protégeait une aiguille qui faisait frémir sa peau comme une électrode. Le brassard n’était ni plus ni moins qu’une ancre, le seul lien qui le rattachait à son présent. S’ils avaient dû entrer dans une matrice pour partir, le processus de retour ne s’enclencherait qu’après une durée de vingt-quatre heures. À ce stade du développement, il était impossible d’allouer davantage de temps au dispositif ; ce qui, au regard de Vasquez, constituait l’un des seuls points positifs de sa situation.

Maintenant que son bras était enserré par un inconfortable brassard et qu’il se retrouvait à faire de la randonnée dans les steppes, affublé d’un hideux costume traditionnel aussi encombrant qu’il était possible de l’être, Vasquez se maudissait. Il se maudissait pour s’être montré si vénal. Après tout, et malgré ce que les scientifiques de la délégation lui avaient assuré, il n’était pas certain d’être en mesure de retrouver son époque, et craignait que sa cupidité et sa vanité ne l’aient mené à sa perte.

Écartant une branche de son chemin, Vasquez se tourna vers le linguiste pour le laisser passer. Ce dernier remercia le jeune photographe d’un signe de tête et avança sur le sentier. Son inébranlable sérénité ainsi que son altruisme indéfectible impressionnait Vasquez.

Gaulthier avait accepté l’offre de Morgenthaler avec de bien plus nobles desseins que la fortune et le prestige. Professeur à l’université d’Oxford passionné par l’Écosse, notamment sa langue et sa culture, on aurait pu croire qu’il n’aurait pas hésité une seule seconde à enfiler le brassard et à enclencher le Saut. Mais en amoureux fidèle de l’Histoire, il avait catégoriquement refusé de toucher à cette trame sacrée, de peur de changer le cours des événements. Il avait fini par céder lorsqu’il avait appris que la délégation, sous la pression des gouvernements européens, comptait tout de même envoyer le photographe alors que celui-ci n’avait aucune connaissance de la langue scot. Gaulthier avait donc accepté à contrecœur, davantage motivé à l’idée d’aider Vasquez grâce à ses compétences qu’à empocher le moindre centime.

― Je suis désolé, souffla le photographe en jetant un œil alentour. Je m’en voudrais si on reste coincés ici. C’était… Très égoïste de ma part d’accepter la proposition de Morgenthaler.

Le linguiste resta silencieux un moment avant de se lui adresser un bref regard par-dessus son épaule.

― Tout ça nous dépasse, je ne suis même pas sûr qu’il reste quelque chose à blâmer, finit-il par déclarer avec calme. L’insatiable ambition des pays Européens ou bien l’égoïsme et la vanité de Morgenthaler. À l’origine l’idée venait de lui, et il n’est motivé que par l’influence que sa collection d’art a dans le monde. Je ne peux pas te reprocher de faire ton travail, il t’a engagé après tout. Concernant les gouvernements, disons qu’il y en aurait des choses à blâmer, alors ne te flagelle pas trop pour ça. Si ça n’avait pas été toi, Morgenthaler en aurait trouvé un autre.

Soufflé par cet élan d’indulgence, Vasquez allait ouvrir la bouche pour remercier son compagnon d’infortune lorsque celui-ci s’immobilisa, tendant une main vers lui pour lui intimer le silence. Quelques échos de voix leur parvinrent et comprenant que le reste de la mission devrait se dérouler sans un mot, le jeune photographe laissa un soupir résigné lui échapper.

Toujours en tête, Gaulthier alla prudemment à la rencontre des Highlanders qui semblaient patrouiller sur le chemin et échangea quelques mots avec eux. Suivant vraisemblablement leurs indications, ils remontèrent un affleurement rocheux, particulièrement escarpé qui tira une grimace de douleur à Vasquez lorsqu’il sentit ses ampoules éclater dans ses chaussettes en laine. Les pansements lui manquaient si cruellement.

Parvenus au sommet, le photographe ne put s’empêcher de constater, avec un curieux mélange de soulagement et de dépit, à quel point le campement était minuscule comparé à ce qu’il avait l’habitude de fréquenter. Ici, tout juste deux milles hommes se tenaient rassemblés sur le plateau, éparpillés à la réalisation de diverses tâches.

Après une timide mais non moins joviale ovation faite en l’honneur de leur arrivée, un homme d’une quarantaine d’années avec une imposante chevelure bouclée s’approcha d’eux et leur asséna une tape amicale sur l’épaule. Aux couleurs de son belted plaid et aux fins ornements de sa fibule, Vasquez comprit qu’il faisait face à Bluidy Clavers4, le sanguinaire John Graham de Claverhouse. Sa gorge s’assécha et un étrange frisson lui parcourut l’échine. Il fallait bien admettre, qu’avec tout ce que lui avait raconté Gaulthier à son sujet, Vasquez se sentit aussi impressionné que fier de se tenir en face d’une telle figure historique.

Il n’eut pas le temps de blêmir ; les autres se remirent au travail et Gaulthier l’attrapa par l’épaule pour l’entraîner à sa suite. Après avoir fait mine de donner un coup de main à plusieurs révolutionnaires, ils finirent par s’éclipser discrètement du groupe. Les deux hommes empruntèrent un chemin dans les plateaux pour gagner un renfoncement dans la montagne, surplombant une étroite vallée. Le photographe sortit alors l’appareil de sa besace et l’alluma pour vérifier ses réglages.

Des bribes de conversations leur parvinrent alors que la nuit s’installait, une grande majorité des Highlanders étaient surexcités à l’idée de repousser l’ennemi aux premières heures de l’aube. Incapables de trouver le sommeil, Gaulthier et Vasquez passèrent une bonne partie de la nuit à observer le ciel, soufflés l’un comme l’autre d’y voir si clairement les étoiles et les tracés sinueux de la voie lactée.

Lorsque les rayons de l’aube apparurent, une brume matinale nappait le fond du défilé, ne laissant apparaître que quelques silhouettes qui se mouvaient comme des fantômes. Alors que les premiers cris et coups de feux résonnèrent, Vasquez était déjà à plat ventre, pointant son objectif vers l’action qui se déroulait juste en-dessous de lui. Les Highlanders étaient en infériorité numérique mais avaient sans conteste l’avantage du terrain. Cela lui changeait des plaines iraniennes et des difficultés qu’il avait à se mettre en sécurité lorsqu’il prenait des photos. Ainsi surélevé, c’était le cadre idéal.

Alors que le soleil était désormais bien haut, et qu’ils se déplaçaient le long de la paroi rocheuse en quête d’un autre angle de vue, un mouvement derrière Vasquez le fit sursauter. Des Highlanders surgirent des rochers et, d’abord surpris, les invectivèrent en scot avant de pointer le canon de leurs armes sur eux. Gaulthier, armé de sa réplique de mousquet, asséna un violent coup à la tempe du premier qui menaçait Vasquez. Alors que celui-ci s’apprêtait à venir en aide au linguiste, son brassard lui brûla la peau. Un flash lumineux l’aveugla et la cacophonie qui se déroulait en contrebas cessa soudain. Son esprit sembla se perdre dans un tourbillon coloré.

***

Hôpital de Zurich (Suisse), 25 juin 2019

Le souffle court et les mains crispées sur son appareil photo, Vasquez effectua un premier pas hors de la matrice mais ses jambes cédèrent sous son poids. La restructuration atomique semblait drainer l’éne rgie de ses muscles. Gaulthier se laissa tomber également, clignant des yeux, ébloui par les murs blancs gainés de plomb de la pièce. Une épaisse vitre noire leur faisait face.

Willkommen zurück !, lança une voix depuis un haut-parleur. Bon retour. Vous pouvez retirer les brassards et mettre vos vêtements à brûler. On vous attend au bloc. Merci de passer à la décontamination et aux douches.

Ils se relevèrent, sonnés par le brusque retour au présent. Se débarrassant de leur costume et leurs brogues sans regret, ils passèrent en décontamination où les vapeurs leur desséchèrent les yeux. Après être passés dans les douches et s’être rasés, ils furent appelés au bloc suivant.

De nombreux médecins les examinèrent presque sous toutes les coutures, vérifièrent leur vue, leur ouïe, procédèrent à des radios tout s’extasiant lorsqu’ils réalisèrent que la restructuration atomique était un succès. Vasquez et Gaulthier n’avait pu s’empêcher de se glisser des regards inquiets, se sentant davantage traités comme des curiosités scientifiques que comme des individus.

Lorsque l’infâme batterie de tests médicaux fut effectuée, ils purent récupérer leurs habits et furent conduits à l’extérieur par le chauffeur de Morgenthaler. Des journalistes se précipitèrent vers eux, vomissant de questions avant d’être brutalement arrêté par des garde-du-corps qui les accompagnèrent jusqu’à la voiture de luxe. Le chauffeur les amena sans un mot à la propriété du collectionneur, plus loin sur la route de Winterhour.

En traversant le jardin excessivement fleuri pour atteindre le seuil de l’imposante demeure, Vasquez fut saisi d’une sensation étrange ; il avait l’impression d’avoir quitté Stanislas Morgenthaler depuis une éternité, alors que tout juste deux heures s’étaient écoulées. De même, il avait le sentiment d’être piégé dans un étrange rêve éveillé, mais l’anxiété étant retombée, il sentait la fatigue commencer à l’engourdir. Gaulthier n’avait d’ailleurs pas meilleure mine ; ses traits tirés lui donnait un teint cireux.

― Messieurs, salua le majordome en ouvrant la porte. Je suis ravi de vous revoir mais également au regret de vous annoncer qu’il vous faudra patienter avant de vous reposer.

― Quoi, on a déjà une conférence de presse ?, siffla le photographe en tâchant de contenir au mieux le soupir d’exaspération qui menaçait de lui échapper.

―Oh, non. La conférence de presse est dans deux jours. Monsieur Morgenthaler aimerait simplement que vous lui fassiez part de votre incroyable aventure, ainsi que de vos uniques clichés. Il est dans le bureau, si vous voulez bien me suivre.

Vasquez fut le premier à emboîter le pas au majordome, traversant le vestibule avant de se tourner vers Gaulthier qui balayait l’entrée du regard comme si c’était la première fois qu’il y mettait les pieds.

― C’est curieux, souffla simplement le linguiste. Je ne me souvenais pas que notre hôte avait un tel engouement pour la Grèce antique. En tout cas, ça ne m’avait pas frappé lorsque nous avons été reçus. Tu as vu ces céramiques ?

― On est chez un collectionneur, rappela Vasquez avant de se détourner pour rattraper le domestique.

Le linguiste concéda d’un signe de tête rigide, troublé, avant de lui emboîter le pas. Le majordome les laissa en compagnie de Morgenthaler qui se trouvait déjà installé un fauteuil, dans une pièce décorée de somptueuses toiles et de vases antiques. Les rideaux du bureau avaient été tirés et le collectionneur avait fait mettre en place un grand écran blanc sur lequel était projeté le fond d’écran d’un ordinateur. Ce dernier ravi de les voir, leur serra chaleureusement la main et enjoignit Vasquez à utiliser le projecteur. Le photographe, pressé d’en finir, inséra la carte numérique dans l’ordinateur et commença sa présentation d’une voix rendu monocorde par la fatigue. Il allait commenter le troisième cliché lorsqu’il fut interrompu par un discret mais non moins volontaire raclement de gorge.

― Je… Je ne doute pas que ce soient de belles photos de… Qu’avez-dit déjà ? Killiecrankie ? Mais… Il semblerait qu’il y ait eu… un malentendu.

Gaulthier et Vasquez s’échangèrent un regard, devenant l’un comme l’autre parfaitement livide. Aucun d’eux n’osa rompre le silence pesant qui s’était soudain abattu dans la pièce.

― Voyez-vous, nous avions convenu que vous iriez prendre des clichés de Pompéi avant l’éruption du Vésuve. Je suis un passionné de la Grèce antique alors…

― Non, ce n’est pas possible, je suis un photographe de guerre, pas un amateur, coupa Vasquez dans un souffle.

Morgenthaler sembla hésiter mais il finit par recouvrer la parole.

― Photographe de guerre ? Non… J’ai fait appel aux services d’Axel Vasquez, photographe de paysage et du professeur Lambert Gaulthier, spécialiste d’architecture gréco-romaine pour prendre des photos de Pompéi.

Vasquez se sentit insulté. Gaulthier vacilla et se rattrapa au dossier d’un fauteuil.

― De l’architecture greco-romaine ?, souffla-t-il. Mais non, je… Je suis Ian Gaulthier, professeur de linguistique à Oxford…

Il s’interrompit et se laissa tomber sur le siège, le regard perdu dans le vide. Le photographe, quant à lui, tâcha de mettre de l’ordre dans ses idées, tandis que tout son être bouillonnait de colère. Il se sentait incapable de réfléchir, puis, vint le vertige lorsqu’il prit conscience de la gravité de la situation.

― Excusez-moi mais, je crois qu’on aurait besoin d’un remontant, parvint à articuler Vasquez malgré sa gorge sèche.

― Oui, bien évidemment, accorda Morgenthaler en se tournant vers ses bouteilles, passablement embarrassé. J’ai un excellent scotch, un Balblair de trente ans d’âge. Ça vient des Highlands, ça vous tente ?

***

1Le drapé aux couleurs des clans (on distingue bien le drapé qui couvre le torse, du kilt, qui ne couvre que les jambes)

2Le « dialecte » écossais aux accents gaélique est appelé « scot » et à l’époque, il s’agissait du dialecte dans lequel s’exprimait une grande majorité des Highlanders

3Des chaussures traditionnelles complétant la Highlands dress, assemblées de plusieurs pièces de cuir et ayant la particularité de se lacer par-dessus les chaussettes

4Également le vicomte de Dundee, leader de la révolte qui a mené la bataille de Killiecrankie, il y périt après avoir mené les troupes à la victoire. À noter que bluidy est l’ancienne forme de bloody.

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