LES MONDES ERRANTS – Chapitre 12
Chapitre 12 – L’Aigle rouge 5/5
Aux abois, Juan marchait d’un pas alerte, déambulant entre les ruelles sinistres et sinueuses de Santa Cabra. En s’approchant des quartiers portuaires, des personnes aux actions douteuses scrutaient d’un œil malveillant les faits et gestes de ce garçonnet assez stupide pour arpenter ces lieux au beau milieu de la nuit.
Tantôt alpagué par les femmes aux mœurs légères tantôt menacé par le tranchant des armes de pirates en plein échange illicite, le mulâtre dut se résoudre à faire profil bas, la peur au ventre en arpentant ces quartiers dangereux où même les gardes n’osaient s’y rendre.
Point positif : il ne risquait pas de croiser la milice.
Point négatif : un marin un peu trop éméché ou un homme un tantinet sadique pouvait aisément le tuer sans raison apparente. Et l’image de la pauvre mouette abattue le matin même sans motif valable lui revint à l’esprit.
Après de nombreux détours sous les indications avisées du capitaine, ils arrivèrent à bon port. La nuit commençait à tomber et les rayons orangés de l’aurore naissante se dévoilaient progressivement.
Dans une crique isolée non loin des docks, Gustave se tenait assis sur une chaloupe amarrée au vieux ponton de bois et les attendait, le sourire aux lèvres de les voir enfin arriver en un seul morceau.
— Vous voilà enfin ! s’exclama-t-il, les bras croisés. J’ai cru qu’on vous avait tués !
Juan traversa cette petite plage de galets parsemée d’algues et de coquillages pour monter à bord de l’embarcation qui tanguait sur les flots.
— Tout le monde n’a pas la chance d’avoir été escorté par la milice pour rentrer chez lui en pleine nuit ! Jamais je ne retenterai cette expérience. Maman avait raison, il y a des choses qu’il vaut mieux ne jamais savoir.
Une fois installés, Diego s’extirpa de la sacoche. Il était coiffé de son magnifique tricorne et arborait un air grave empli de dignité. Puis il joignit ses mains et s’installa confortablement sur l’assise. Le brunet et le mulâtre s’échangèrent un regard de connivence. Puis, Juan fit la moue et s’éclaircit la voix.
— Bon, maintenant qu’on vous a aidé, pouvez-vous nous donner notre récompense ? demanda-t-il d’une petite voix hésitante.
Un sourire carnassier se dessina sur le visage du klabauter. À cette vision, les deux garçons se reculèrent, terrifiés par ce que cette créature à la renommée sanguinaire pouvait leur infliger. Puis, Diego émit un ricanement et se redressa pour les saluer tour à tour d’une courbette fort amicale.
— Les garçons, fit-il en posant solennellement une main sur le cœur, j’ai l’immense honneur de faire de vous les premiers membres de mon nouvel équipage.
Ses interlocuteurs se raidirent, la respiration coupée par cette annonce parfaitement inattendue.
— Vous vous êtes montré digne d’accomplir cette mission qu’importe votre couardise ou vos maladresses. Vous êtes dorénavant des membres à part entière du Águila Roja.
Stupéfiés, les deux enfants demeurèrent coïts, incapables de sortir le moindre son ni même d’esquisser un mouvement. Ne voyant aucune réaction de leur part, le capitaine poursuivit d’un ton mielleux.
— Bien sûr, vous serez payé à chaque prise et vous aurez l’occasion de rejoindre cette île assez régulièrement puisqu’il s’agit de mon port d’attache. J’ai une renommée à rebâtir, un équipage à reconstruire et une vengeance à orchestrer.
Un long silence s’instaura où seuls le bruit du vent, le roulement de la houle conjugué aux piaillements des mouettes se faisaient entendre. Ne pouvant toujours pas prononcer un mot, Juan finit par s’emparer des rames et observa attentivement son ami. Gustave comprit alors son choix mais ne bougea pas, attendant patiemment que le mulâtre commence à pagayer pour que tous trois puissent regagner le galion dont le pavillon de l’aigle rouge sang, claquant fièrement à la brise, trônait en toute majesté en haut du mât.
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