LES MONDES ERRANTS – Chapitre 48

Chapitre 5

Un énième choc extirpa Florian de son sommeil. L’homme tressaillit et prit un instant pour tenter de retrouver un rythme cardiaque normal. Le réveil fut brutal et il finit par accepter l’idée qu’il ne parviendrait plus à dormir en compagnie de la furie qui se tenait auprès de lui. Celle-ci conservait les yeux clos et affichait un visage aux traits parfaitement détendus. Des mèches de cheveux emmêlés venaient se frotter contre son nez et ondulaient au gré de ses respirations régulières tandis qu’un subtil filet de bave gisait à l’orée de sa lèvre. Ainsi, Maud semblait inoffensive et continuait de dormir paisiblement comme une bienheureuse, allongée en position fœtale, les mains repliées devant elle ; à croire qu’il avait rêvé ce troisième coup asséné au mollet.

Au moins n’avait-elle pas eu cette fois-ci ce réflexe de venir l’enserrer dans ses bras ou d’enfouir sa tête au niveau de sa nuque comme elle devait le faire régulièrement auprès de son conjoint. Il ne lui avait jamais fait part de ce genre d’événement nocturne qui la troublerait très certainement plus que de raison.

Il soupira et porta son regard sur le réveil qui indiquait sept heures trente. Sachant que mademoiselle avait son soin dans une heure et demie, il se résolut à la réveiller. Pour se faire, il se leva et alla ouvrir en grand les rideaux ainsi que l’une des fenêtres, laissant cet air frais et vivifiant chargé des senteurs de marées pénétrer dans cette chambre à l’odeur de renfermé.

Au contact de la brise contre sa peau, la jeune femme frissonna et se recroquevilla davantage.

— Allez, debout là-dedans ! s’exclama-t-il.

La miss ronchonna, grommela quelques paroles indistinctes sous les couvertures puis, s’avouant vaincue, se redressa. Assise sur le lit, les pensées confuses, elle regardait tant bien que mal son supérieur de ses yeux larmoyants sur lesquels un voile vitreux s’était déposé. L’homme ne put réprimer un rire en remarquant ses cheveux ébouriffés agencés une crinière hirsute, foisonnante de nœuds.

— Sale tyran ! maugréa-t-elle en se frottant les yeux.

— Le boulot nous appelle mademoiselle et ton soin aura lieu dans peu de temps donc si tu veux petit-déjeuner c’est maintenant.

Prenant conscience de cette idée, son visage se dérida et, après s’être étirée, elle se rua dans la salle de bain pour s’habiller.

Dans le réfectoire peu de gens étaient présents. Les deux acolytes prirent place près des baies vitrées afin de profiter de la vue imprenable sur la mer. L’assiette remplie de pain beurré, de fromage, d’une brouillade d’œufs, de fruits et d’une viennoiserie, Maud déjeuna allègrement ; qu’importe si les soins fournis juste après lui feraient tourner le ventre. En scrutant l’assiette de son supérieur, où seuls un morceau de pain beurré, une grappe de raisin ainsi qu’une petite portion de fromage blanc étaient déposés, elle posa sur lui un regard empli de désolation.

— Tu ne manges que ça ? s’enquit-elle d’une voix presque plaintive. À moins que tu ne comptes manger un morceau ce midi.

— Cela me suffira amplement jusqu’à ce soir, assura-t-il en prenant sa tasse de café noir tout juste déposée par la serveuse, contrairement à mademoiselle, je n’ai jamais manqué de rien. Je ne demande pas plus que ce dont j’ai besoin.

— Tu m’exaspères parfois ! Tu m’étonnes que tu sois aussi maigre qu’une brindille ! Tu vas finir par tomber malade si tu continues. T’as de la chance de pouvoir manger gratis et en illimité et toi tu prends juste ça ! Je sais pas si je dois être émerveillée ou au contraire horrifiée.

Les coudes posés sur la table, un sourire s’esquissa sur ses lèvres fines alors qu’il humait sa boisson.

— Je ne savais pas que ma santé était au centre des préoccupations de mademoiselle ni que mon physique de bellâtre importait à ses yeux, déclara-t-il avec philosophie.

— Pfff, tu parles je m’abaisserai jamais à complimenter un vieux rustre et solitaire de ta veine ! J’ai surtout peur que tu t’évanouisses lors d’une enquête car monsieur n’aura pas assez mangé et nous aura fait une crise d’hypoglycémie dans un moment crucial.

— Ce serait terriblement fâcheux en effet. Et avec toi pour me seconder je risquerais de trépasser. Je me risquerais même à dire que tu prendrais plaisir à m’achever et jouerais les acolytes éplorées auprès de la direction. Pour que tu puisses par la suite jouir de mon poste convoité et tourmenter à ton tour une nouvelle recrue aussi épouvantable que la mienne !

Sa remarque la fit pouffer et elle manqua de recracher sa gorgée de thé qu’elle venait d’avaler.

— T’inquiètes pas, dit-elle après une toux, je t’écrirai une jolie petite épitaphe pour montrer au monde ô combien j’aimais mon patron bien-aimé.

Il y eut un silence puis il posa sa tasse et se leva.

— Tu vas où ? s’enquit-elle.

— Chercher autre chose à manger avant que mademoiselle me harcèle au sujet de ma santé.

— Tu peux me reprendre un petit pain dans ce cas ? lança-t-elle en lui donnant sa coupelle.

Il la lui prit et fila en direction du buffet. En attendant, Maud porta son attention sur la petite télévision située non loin de là, au-dessus du comptoir, où la chaîne d’informations relatait en boucle le braquage d’une banque. À la vue de la date inscrite sur le bandeau de diffusion, son visage se renfrogna.

— Qu’y a-t-il ? demanda Florian une fois qu’il l’eut rejoint.

— Regarde la date, annonça-t-elle à mi-voix.

Il fit une moue et reporta son attention sur sa tasse.

— Essaie de ne pas y penser, d’accord. C’est un événement qui se doit d’arriver, tu le sais tu y as été préparé.

Elle soupira et décrocha le regard de la télévision tentant de ne pas songer que dans un mois jour pour jour, les attentats du onze septembre auraient lieu, changeant définitivement la conception du monde en le plongeant dans une tension permanente, et qui placarderait le mot « terrorisme » sur le devant de la scène internationale.

Lors de son recrutement et pendant ses trois années de formations avant d’entrer sur le terrain, les nouvelles recrues de la Brigade des Ailes Irisées se devaient d’avoir un suivi psychologique poussé au vu des événements et situations qu’ils allaient affronter une fois envoyés dans le passé. Le terrorisme, tout comme les guerres ou les accidents majeurs faisaient office d’une attention régulière de la part des mentors et médecins. Car ces faits traumatisants pouvaient aboutir aisément à une forme de tourments et pouvaient être une cause suffisante pour déclencher l’Ophélie chez les recrues des années plus tard, voire même créer toutes formes de démences ou folies annexes.

La première règle de leur institution, et donc la plus importante d’entre elles, était de se cantonner uniquement à la mission à laquelle ils s’étaient portés volontaires. Il fallait à tout prix évincer toute tentation et préoccupation quant à un incident à venir. Tout comme il était formellement interdit de mentionner le moindre indice aux civils pour les avertir de manière insidieuse. Tout manquement à ce genre de principes entraînait un bannissement immédiat de la Brigade ainsi qu’une lourde amende, conjuguée à une peine d’emprisonnement afin de dissuader tout membre de commettre un tel délit.

Tout comme il était fortement contre-indiqué de s’amuser avec la bonne fortune ; jeux de hasard ou paris pour amasser de l’argent et espérer une richesse à venir, séduction envers des membres du gouvernement ou auprès de personnalités éminentes. Et il y avait tout un tas de règles primordiales si joliment inscrites à l’entrée de leurs locaux et régissant pas moins la vie quotidienne d’une centaine de personnes.

— C’est la première fois que je suis envoyée aussi près d’une date clé, finit-elle par dire.

— Tu voudras en parler auprès d’un psychologue à ton retour ? Je t’engage vivement à le faire si ça te tourmente trop.

— Non, c’est bon. Je vais surtout profiter de ma chance d’être ici. Et comme on nous l’apprend lors de la formation ; si ce n’est pas ça qui a lieu alors ce sera autre chose et ainsi de suite.

— Belle philosophie, assura-t-il d’un air paternel.

Elle reporta une seconde fois son attention sur le poste et fronça les sourcils :

— N’empêche, je me suis souvent demandé si des gens parmi nous se sont pris pour Dieu et que l’Histoire que nous vivons est en partie réécrite grâce à eux. Après tout, si nous pouvons influer sur les événements à notre guise, qu’importe les lois auxquelles on est soumis, qui nous dit que certains dirigeants ou mains de l’ombre actuels ne sont pas d’anciens agents de la brigade ?

Sans un mot, Florian la regarda intensément, déconcerté par l’attitude de sa jeune collègue dont les cheminements de pensées étaient si souvent similaires aux siens. Puis, pour éviter de la voir trop ressasser ce genre d’informations qui n’apportaient généralement que du tourment, il l’aiguilla sur des pensées plus légères.

— Tu sais, 2001 est également une année merveilleuse sur certains points. Car en décembre, les gens auront droit à la sortie de Harry Potter suivie deux semaines après par celle du Seigneur des Anneaux.

— Oh c’est vrai ! s’écria-t-elle. Et Donnie Darko également, non ? À moins que ce soit un peu plus tard celui-ci. C’est un de mes films préférés. On faisait vraiment de supères œuvres à cette époque !

— Une séance au cinéma demain soir avant de rentrer te tenterait ? lui proposa-t-il posément. Il y en a un à quelques rues d’ici.

Le regard de son acolyte s’illumina et elle opina du chef avec panache. Satisfait de la voir afficher à nouveau un sourire il la laissa discourir et, voyant l’heure défiler, l’envoya se changer pour commencer ses soins.

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