NORDEN – Chapitre 1
- Chapitre 1 : Prologue
En cette nuit d’hiver, à l’heure où les habitants dormaient sereinement entre les murs de leur logis, une bête boitait le long des sentiers forestiers à la recherche de gibier. Aux abois et la truffe en l’air, elle arpentait cette nature sauvage enveloppée d’un épais linceul brumeux. Le faible halo de la lune nimbait sa silhouette massive recouverte d’un poil charbonneux et éclairait ses crocs tachetés par le sang frais d’une proie tout juste occise. Ses oreilles pointues s’agitaient, tentant de capter le moindre bruit en ce domaine silencieux où seul le friselis des feuilles bruissait.
Arrivée à l’orée de la forêt, la créature se tapit à l’ombre de fourrés bardés de ronces épineuses. De ses yeux jaunes aux reflets dorés, elle observait les champs et les plaines qui s’étendaient jusqu’à l’horizon. Son regard s’attarda au loin, happé par un amas d’ombres en mouvance. Engagés en plein galop, des chevaux claquaient leurs sabots ferrés sur le chemin sinueux tandis que sur leurs dos se dressaient, droits et fiers, des soldats armés. La bête grogna en reconnaissant ce groupe de cavaliers vêtus d’un costume écarlate sur lequel le métal de leurs fusils rutilait. Avec une pointe d’appréhension, elle couina et les regarda s’éloigner, le cœur battant à vive allure.
Dès que la menace disparut de son champ de vision, la bête se redressa et poursuivit sa route. Soudain, sa queue fouetta l’air avec panache et sa truffe entaillée frémit ; elle venait de renifler l’effluve d’une proie. Attirée par ce fumet alléchant, elle gonfla son poitrail, retroussa les babines et partit en chasse.
***
À plus de vingt kilomètres de là, un homme, incapable de trouver le sommeil, sortit de sa chambre à pas de velours. Il était agité, la commissure de ses lèvres tressaillait et des spasmes traversaient ses membres raides. Haletant, il descendit les escaliers plongés dans la pénombre et se dirigea à tâtons vers son salon. Dans la pièce, il vérifia que les rideaux étaient tirés puis se faufila derrière son bureau et alluma sa lanterne. La lueur diaphane de la flamme vacillante projetait une auréole rougeâtre sur sa face livide aux yeux sombres bordés de cernes noirs et striés de veines carmines.
D’une main tremblante, l’homme prit sa carafe pour se servir un verre d’alcool qu’il but d’une traite. Par la même occasion, il ingéra une pastille qu’il cachait précieusement dans un écrin. Sa gorge lubrifiée et les pensées à peine plus apaisées, il entreprit la lecture de l’ouvrage posé sur le rebord du meuble. Il ouvrit avec précaution ce vieux livre à la couverture en cuir bruni, usée par les rouages du temps qu’il avait déjà tant lu et relu, au point de le connaître par cœur. Malheureusement, des pages manquaient et des inscriptions demeuraient à moitié effacées ; il lui fallait interpréter entre les lignes pour en dénicher le sens et en extraire l’essence.
Des heures durant, l’homme tourna les pages avec lenteur, cherchant des réponses à cette sempiternelle question ; celle qui assaillait son esprit et le tourmentait sans cesse depuis ces six dernières années. À la fin de la lecture, il s’attarda un instant sur la postface :
Adieu notre Belle Fédération, laissée aux mains de l’ennemi.
Adieu Charité, Adieu Providence,
Et autres empires diaboliques.
Voilà maintenant cinquante ans que notre peuple martyr, nouvellement baptisé aranéen, a trouvé jouissance et épanouissement en cette merveilleuse île de Norden, un havre de paix qui je l’espère sera durable et porteur de joie commune à venir. Nous avons beaucoup à apprendre de ce peuple salvateur, ces noréens, aux coutumes étranges et autres bizarreries.
Je remercie chaque jour Jörmungand de nous avoir laissés y accéder et Alfadir de nous avoir laissés y demeurer.
M. Le Comte A. de Serignac
Merci pour ce chapitre
Merci, je vais essayer de poster les 10premiers aujourd’hui. J’attends la reponse de faraway pour savoir si tout est correct niveau mise en forme et références.