Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 67

Le légendaire oiseau divin
Traducteur : Team Yarashii

Le Tyrannodraconis Rex gisait en un tas de chair ensanglantée et quelque chose luisait en son sein. Cela se révéla être un minerai brillant. La Reine Filoliale le ramassa et nous le tendit.

— Navrée pour cette attente.
— …

Nous restâmes sans voix.
Même Filo n’avait pas été capable d’infliger de vrais dégâts à ce monstre massif, et cette imposante Reine Filoliale l’avait vaincu si facilement !

— Vous êtes si grande…

Les yeux de Melty étincelaient tout en contemplant la congénère de Filo. Elle était douée pour changer rapidement d’humeur.
Dès qu’elle m’adressait la parole, son ton frôlait l’hystérie, mais elle était toujours polie envers les autres, notamment Filo et les Filoliaux en général, avec qui elle se montrait excessivement flatteuse.

— Vous devez être le Héros Porte-Bouclier.
— Oh… oui.

Quand un être vivant de la taille d’un immeuble vous adressait la parole, vous vous débrouilliez pour lui fournir la meilleure réponse possible.
Nous aurions été ennemis, eh bien, je ne pensais pas pouvoir la vaincre… Cette simple éventualité me semblait complètement vouée à l’échec.
Et si Melty avait vu juste, si nous étions réellement coincés dans un champ de force, alors nous serions également incapables de fuir.
J’avais même pensé à décamper sur le dos de Filo, mais, s’il s’agissait vraiment d’une Reine Filoliale, elle devait être au moins aussi rapide qu’elle. Il n’y avait donc aucune échappatoire.

— Est-ce que vous avez quelque chose à me demander ?
— Nombreux sont les sujets que je désire aborder avec vous. Toutefois, il n’est guère poli de discuter en votre compagnie sous cette forme. Veuillez patienter un instant.

L’immense Reine Filoliale ferma les yeux et parut se concentrer. Ce faisant, elle commença à rétrécir. Finalement, ses grandes ailes recouvrirent entièrement son corps.
Lorsqu’elle les étendit de nouveau, une jeune fille se tenait là, de la même taille que Filo environ, avec des ailes dans le dos.
Ses cheveux étaient argentés avec de fines mèches bleu clair et une coupe au carré.

Cependant, trois touffes de cheveux se dressaient verticalement sur le sommet de son crâne, comme des épis.
Ses yeux étaient rouges et tout dans son attitude dégageait une aura d’autorité.
Elle avait un petit visage harmonieux. Assez beau, en réalité.
Elle était vêtue d’une robe rouge et blanche de style gothique.

— Permettez-moi de me présenter. Je suis Fitoria, la Reine des Filoliaux.

Elle inclina la tête et sourit avec suffisance, une attitude plutôt enfantine qui tranchait avec l’impression de force et d’autorité qu’elle donnait.
C’était difficile à décrire, mais, en raison de sa forme humaine, j’avais le sentiment de voir une petite fille tentant d’imiter les adultes.

— Fitoria ? Mais il s’agit du nom de la Filoliale des légendes !

Melty était sous le choc.

— Vraiment ?
— Oui. Il existe une légende affirmant que Fitoria a été élevée par quatre anciens Héros Légendaires… lorsqu’ils ont été invoqués ici durant une vague de destruction.
— Des anciens héros… Bon, je ne sais pas trop à quand ça remonte, mais est-ce qu’elle pourrait pas être son successeur ?

Je croyais me souvenir qu’au moment où Motoyasu et moi étions arrivés dans ce monde, on nous avait parlé des vagues ayant eu lieu il y a longtemps.
Si nous étions en train d’évoquer des événements aussi lointains, elle ne pouvait pas être cette Fitoria-là, n’est-ce pas ?
Ce devait être le nom du chef actuel des Filoliaux, qui était transmis de génération en génération.
Dans le cas contraire… quel âge avait cette fille ?

— Mon nom a toujours été Fitoria, et personne d’autre ne l’a porté.

Fitoria pencha la tête d’un air confus tout en répondant.
Elle était très sérieuse et très puissante, mais affichait par moments cette stupidité animale toute caractéristique des Filoliaux.

— Vous êtes en train de dire que vous vivez depuis tout ce temps ?
— Oui, dit-elle de façon détachée.

Je regardai Filo, puis revint sur Fitoria. Ma foi, je me disais que je pouvais la croire.
Il suffisait de repenser à la croissance de Filo.
Si elle atteignait la même taille démesurée, je doutais de notre capacité à la nourrir.
Nous avions déjà eu assez de problèmes comme cela dans ce domaine. Je ne voulais pas qu’elle grandisse davantage. Si elle devenait trop difficile là-dessus, nous allions probablement devoir nous séparer.
Toutefois, je me rappelai alors tout l’argent que j’avais investi dans Filo. Je ne pouvais pas renoncer à elle si facilement.

— Maître, tu penses à des trucs bizarres.
— Tu as raison. Quand il fait cette tête… cela signifie qu’il réfléchit à quelque chose n’ayant rien à voir avec la situation actuelle.
— Vous pouvez lire en lui si facilement. Je n’en avais aucune idée.
— Vous finirez aussi par y arriver.

Quelles gamines irritantes, celles-là. J’aimerais bien qu’elles arrêtent de vouloir deviner mes pensées.

— Vous vous disiez que si Filo devenait trop grosse, vous seriez forcé de l’abandonner.
— Bouh !
— L’abandonner ? Comment pouvez-vous penser une telle chose ? Et dire qu’il y a quelques minutes, vous lui avez demandé si elle pouvait essayer de grandir !
— Hé, tout doux. Comment vous voulez nourrir une bestiole pareille ?
— M. Naofumi… je ne crois pas qu’elle pourrait atteindre des dimensions aussi imposantes en l’espace d’une nuit…
— Peut-être, mais repense un peu à quelle vitesse elle a atteint sa taille actuelle. Si elle connaissait une nouvelle poussée de croissance, elle pourrait très bien finir comme ça !
— …
— Mlle Raphtalia ! Pourquoi restez-vous muette ?

Melty saisit ses mains et cria.
Le plus flippant dans cette histoire, c’était que cela pouvait se produire. Éventuellement.

— Cela demanderait beaucoup de temps pour atteindre cette taille, alors ne vous en faites pas.

Fitoria semblait hésiter à intervenir, mais elle leva la main et calma mes craintes.

— Les Filoliaux normaux ont une espérance de vie de quelques décennies.

Bon, j’étais soulagé. Je ne voulais pas qu’elle grandisse encore de manière excessive et se transforme en une espèce de montagne.
Cependant, je pris ensuite conscience que la réponse de Fitoria impliquait qu’elle vivait depuis bien plus longtemps.

— À présent, Héros Porte-Bouclier et ses amies, puis-je vous demander de vous introduire ?

Oui… elle avait raison. Puisqu’elle s’était présentée, c’était à notre tour, désormais.

— Je suis Naofumi Iwatani. Iwatani est mon nom, et Naofumi mon prénom. J’ai l’impression que vous savez déjà que je suis le Héros Porte-Bouclier.
— Absolument.

Fitoria posa ensuite son regard sur Raphtalia.

— Mon nom est Raphtalia. C’est un plaisir de vous rencontrer.
— Ce plaisir est partagé.
— Je suis Filo !

Filo n’attendit pas qu’elle se tourne vers elle pour parler.
Fitoria la fixa pendant un moment, puis ses yeux s’orientèrent vers Melty.

— Nous nous sommes déjà rencontrées, n’est-ce pas ? Tu adores les Filoliaux. Tu m’as protégée, à l’époque. Je t’en remercie.
— Oui. Mon nom est Melty Melromarc.
— Très bien, je t’appellerai Meltan.

Meltan ? Elle n’était pas très douée pour trouver des surnoms.
Dans mon monde, j’avais un ami qui avait l’habitude d’accoler « tan » à tout et n’importe quoi. Cela me faisait penser à lui.
Étant moi-même un otaku, j’appartenais probablement à la même catégorie de personnes que ce type…

— Meltan… c’est un plaisir de faire ta connaissance de manière plus… officielle, disons.

Même Melty arbora une expression étrange en entendant ces paroles.

— Bouh.

Filo fit un pas en avant en y mettant tout son poids. Elle donnait presque l’impression de vouloir protéger Melty contre Fitoria.
Était-elle jalouse ? Elle ressemblait à quelqu’un de possessif qui se mettait en colère en voyant un ami parler à quelqu’un d’autre.
J’imaginai Fitoria rétorquer quelque chose comme :
« Filo, agir de la sorte ne t’attirera l’amitié de personne. »

Est-ce que je réfléchissais trop sur ce sujet ? Cela me fit penser à une scène traumatisante issue d’un jeu célèbre auquel j’avais joué auparavant.
Si le silence s’installait entre nous, la conversation prendrait une tournure bizarre. Je décidai d’accélérer un peu les choses.

— Bon, et maintenant ? Évidemment, je vous remercie d’avoir vaincu à notre place ce gros monstre, le Tyrannodraconis Rex, mais… qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, à présent ?
— Je vous expliquerai tous les détails, mais pas ici. Je vais vous montrer l’endroit idéal, veuillez me suivre.
— Tout d’abord, on devrait…
— Vous devriez quoi ?

Fitoria tourna à nouveau la tête sur le côté.
J’observai le cadavre du Tyrannodraconis Rex.
En réaction, Fitoria fronça les sourcils.

— Je préférerais que les Héros s’abstiennent d’améliorer leur arme en usant de matériaux provenant de dragons.

Oh, mais oui, les Filoliaux et les dragons ne s’entendaient pas bien. Apparemment, la Reine Filoliale suivait également ce comportement.
Cependant, cela n’avait rien à voir avec moi. Je devais faire tout ce que je pouvais pour devenir plus fort.
Surtout en considérant la force incroyable de cette créature… Je ne pouvais décemment pas ignorer de tels matériaux.

— C’est vraiment dommage.
— Fort bien. Je vais demander à ma tribu de l’emmener. Veuillez monter à bord de l’attelage.
— Ça inclut aussi les organes ? Les Filoliaux n’arrivent pas toujours à contrôler leur appétit et les os seuls ne me suffiront pas.
— Comme vous voudrez.
— Merci.
— Naofumi, franchement, qu’est-ce que vous êtes pinailleur…
— Ça m’est égal.

Je me dirigeai vers le Tyrannodraconis Rex, ou ce qu’il en restait, et laissai mon bouclier absorber différentes parties de son corps.
Cela incluait la peau, les os, les écailles, les cornes, les griffes et les organes. Je débloquai d’ailleurs un nouveau bouclier.

… Ou, du moins, je le pensais. En réalité, il n’était pas entièrement déverrouillé, car mon niveau n’était pas assez élevé.
Par rapport à notre puissance actuelle, le Tyrannodraconis Rex était bien plus fort, c’était donc logique. Mon niveau n’était toujours pas assez haut pour que je me serve du bouclier acquis après avoir vaincu le Dragon Zombie, de toute façon.

— Êtes-vous prêt ? demanda Fitoria calmement.
— Ouais…
— Très bien. Et ton nom est Filo, c’est bien cela ? Peux-tu prendre forme humaine et les suivre à l’intérieur ?
— Oui, je peux… mais je préférerais tracter cet attelage.
— Il m’appartient, donc tu n’y es pas autorisée.

J’ignorais si elle était réellement en mesure d’empêcher quiconque de le tirer à sa place, ou s’il s’agissait uniquement d’une rebuffade puérile à destination de Filo.
Peut-être était-elle exactement comme Filo et prétendait-elle simplement être quelqu’un d’important.

— Hmm…
— Filo… ne sois pas égoïste. Obéis aux consignes de Fitoria.
— D’accord !

Filo se calma et adopta son apparence humaine.
Que se passait-il avec elles ? Bon, qu’importe. Nous grimpâmes tous à bord de l’étrange et splendide calèche.
L’intérieur était aussi spacieux que je le pensais. Néanmoins… je supposais que nous allions entamer un voyage à son bord.
Nous étions au beau milieu d’un troupeau de Filoliaux. Si nous ne faisions pas preuve de prudence, nous serions rapidement repérés.
Je me disais que Fitoria avait bel et bien produit un champ de force autour de nous, cela devrait donc suffire à empêcher quiconque d’approcher.
Si Motoyasu comprenait que j’étais là-dedans, il se lancerait à sa poursuite… aucun doute là-dessus.

— Portail…

Fitoria s’avança devant l’attelage et s’empara des rênes avant de prononcer quelque chose.
Ce faisant, le paysage autour de nous se modifia instantanément.

— Quoi ?
— Hein ?
— Que… que se passe-t-il ?
— Ou… ouah… 80

Bon sang, qu’était-il en train de se produire ? Cette fille détenait assurément de sacrés pouvoirs.

— Où est-ce qu’on s’est déplacés ?

Les jeux offraient souvent aux joueurs des moyens magiques de transport qui leur permettaient de se téléporter à des endroits déjà visités.
La plupart des jeux les plus célèbres semblaient posséder une mécanique du genre… Il fallait croire que c’était également le cas de ce monde.
Et pourtant… pour que je n’en aie toujours pas entendu parler jusqu’à maintenant, il devait s’agir d’une aptitude rare.
La Filoliale Légendaire… Ouais, son titre était peut-être mérité.

— Nous devrions pouvoir discuter en sécurité ici.

Nous descendîmes de l’attelage et observâmes les environs.
Il faisait sombre, ce qui n’aidait pas, mais nous avions l’air d’être en pleine forêt.
Était-ce une sorte de village construit au milieu des arbres ? Non… des ruines ?

Cela se révéla être un château démoli.
Des pierres étaient disposées en ligne et gisaient recouvertes de poussière, et des maisons faites de ce même matériau émergeaient de l’obscurité. Les plantes avaient tout envahi et, vu la taille et la profondeur de leurs racines, elles poussaient là depuis un bon bout de temps.
Un peu plus loin, la forêt avait entièrement repris ses droits.
Un épais brouillard flottait en ce lieu, ce qui réduisait notre champ de vision. Des plantes grimpantes et des massifs recouvraient tout à perte de vue. Je ne distinguais aucune issue.

— Où sommes-nous ?
— Il s’agit du pays que les Héros originels ont défendu en combattant, ou du moins les ruines qu’il en reste. C’est ce qui se dit, en tout cas.
— C’est plutôt vague, comme réponse.
— Eh bien, cet endroit existe depuis avant ma naissance. J’essaie de le protéger.
— Est-ce que vous vivez ici, Fitoria ?

Les yeux de Melty étincelaient de nouveau.

— La moitié du temps, oui. Mon véritable domicile est… eh bien… je n’amène personne là-bas.
— Hein…
— C’est probablement la forêt.
— Ouais.
— C’est teeeeeeeellement vieux !
— On peut clairement sentir l’histoire de ce lieu.
— Dites-moi ce que vous ressentez vraiment.

En prononçant ces paroles… Filo et Raphtalia semblaient montrer qu’elles vivaient une expérience forte ensemble. Quant à moi, la purée de pois était telle que je ne savais pas trop qu’en penser.
Elle ne nous avait pas vraiment « menés » ici, après tout. Ce fut un simple transport instantané. Comme c’était pratique. Comment étions-nous censés revenir sur nos pas ?

— Hé, puisque vous nous avez amenés ici, je me demandais si vous pourriez nous téléporter à un endroit particulier au moment de partir.

Avec un peu de chance, nous pourrions semer Motoyasu pour de bon. Ou, encore mieux, trouver refuge dans le royaume de demi-humains sans devoir nous appuyer sur la mère de Melty.

— À peine arrivé, vous pensez déjà à repartir ?
— J’ai pas l’impression que ce genre de lieu soit super pour rester très longtemps.
— Quoi ? s’écria Melty, manifestant sa déception.

Que lui arrivait-il ? Voulait-elle demeurer en compagnie de ces Filoliaux À CE POINT-LÀ ?
Je désirais que ce séjour ici soit aussi court que possible. Nous étions juste de passage. C’était tout.

— Pour le moment, vous devriez essayer de vous reposer.

Fitoria leva une main et un Filolial émergea du brouillard, en tractant un attelage rempli de bois. Elle l’enflamma, ce qui créa un grand feu de camp.
C’était une bonne idée, et nous pourrions probablement ne pas redouter d’éventuelles attaques ennemies. La forêt ne paraissait pas habitée par des créatures plus vicieuses que les Filoliaux.
Puisque ces derniers nous avaient invités ici et demandé de nous reposer, il n’y avait sans doute pas de raison de s’en faire.
La nuit était aussi en train de tomber. Nous ferions mieux de discuter pendant que nous soufflions un peu.

— Bon. Cet endroit est clairement meilleur pour se relaxer que là où on était avant. Allez, les filles. Posons-nous un moment.
— D’accoooooord !
— Cette journée a été longue et éprouvante.
— Oui, en effet… J’espère vraiment que Keel et les autres se portent bien.
— S’inquiéter à leur sujet ne va pas les aider. Si nous essayons de revenir en ville, nous nous ferons attraper, c’est certain.
— Oui…

Nous nous assîmes autour du feu et nous détendîmes.
Nous avions une bonne réserve de viande de Tyrannodraconis Rex et je me mis donc à préparer le dîner.
Fort heureusement, le puits semblait encore fonctionnel. Je m’assurai tout d’abord que l’eau ne présentait aucun risque, puis je choisis de cuisiner un ragoût.

— Il est l’heure de se remplir l’estomac, dis-je à Raphtalia et aux autres tandis que je m’activais.
— …

Filo mit son doigt dans sa bouche et fixa avec avidité la marmite bouillonnante.
Il y en avait moins en raison de la téléportation, mais les Filoliaux qui nous entouraient la regardaient également avec une lueur vorace dans les yeux.
Bon sang. Il était difficile de préparer un repas quand on attirait l’attention de tout le monde.

— Hmm… Naofumi ?
— M. Naofumi. Ce n’est pas simple de cuisiner avec autant de regards posés sur nous.
— Ouais, ça, on peut le dire.
— Oh, pour vous aussi ?

Raphtalia et Melty étaient du même avis que moi. Elles tenaient leur bol et balayaient les environs avec nervosité.
Filo se contentait d’enfourner sa part, loin de toutes ces considérations.

— Vous en voulez aussi ?
— Puis-je ?
— Eh bien, on n’a pas assez pour vous nourrir, vu la taille que vous faisiez tout à l’heure.
— Ce n’est pas un souci.

Je n’avais fait que proposer à Fitoria de la nourriture, mais tous les Filoliaux présents commencèrent à nous fixer avec insistance en émettant de petits bruits.

— Restez tranquilles.

Tous se turent devant son injonction, mais ils continuèrent de nous regarder avec une détermination oppressante.

— C’est délicieux !
— Tout à fait.

Ugh. Et maintenant, Filo aussi me regardait avec la même lueur dans les yeux. Fitoria et elle se ressemblaient comme deux gouttes d’eau.
Néanmoins, leur couleur différait, je supposais donc que c’était la preuve qu’elles n’avaient aucun lien de parenté.
Avec Melty à leurs côtés, elles auraient pu passer pour des sœurs. D’autant plus qu’elles étaient jolies. J’aurais pu demander un portrait d’elles.

— C’est très bon.

Raphtalia possédait des manières plus raffinées que n’importe qui ici. Elle arborait un air plus digne.
C’était aussi le cas de Melty, mais elle partageait quelque chose en commun avec ces voraces Filoliaux qui me poussaient à la mettre dans le même panier.

— Quoi ?

Melty fit la grimace et me dévisagea.

— Rien.
— Pensiez-vous encore à quelque chose de grossier ?
— Sans commentaire.
— Je prends cela pour un oui, n’est-ce pas ?
— Je me disais que ces deux-là te faisaient paraître un peu fruste. Tu devrais mieux choisir tes amis.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?

Et là voilà repartie. Qu’est-ce qu’elle pouvait être bruyante…

— Allons, allons… j’étais…

Raphtalia s’interrompit en plein milieu de sa phrase pour observer les Filoliaux autour d’elle. Ils lui rendirent tous son regard.
Moi non plus, je ne pouvais pas les ignorer. J’avais l’impression que la nourriture que j’avalais allait se coincer dans ma gorge. Cela commençait à m’irriter.

— Bon, ça devient franchement gavant ! On peut pas juste faire une grosse marmite de tout ça ? Je vous ferai ce que vous voulez, si on m’apporte les bons outils !

En fin de compte, je devins incapable de supporter davantage cette pression, alors je préparai une énorme quantité de soupe et les laissai en manger.
Cela nous occupa quelques heures.
Avant qu’ils ne puissent terminer, Raphtalia, Filo et Melty s’endormirent. Toute cette cuisine m’avait rincé.

— Fiou…

J’étais en train de nettoyer les assiettes et de me plaindre sur le fait que je perdais du temps à nourrir une bande de piafs, lorsque Fitoria s’approcha.

— Qu’est-ce que vous voulez ? Il ne reste rien.
— Je le sais bien.
— Oh. D’accord. Et donc ? Ça peut pas attendre demain matin ?

Je désirais me reposer.
Hein ? Melty et Filo étaient appuyées contre plusieurs Filoliaux tout duveteux et dormaient à poings fermés.
Elles en avaient de la chance. Ce devait être sympa de dormir tandis que quelqu’un faisait tout le boulot. J’en connaissais une qui avait clairement l’habitude d’une vie de princesse.

— Je pensais la même chose. Mais j’estime que le moment est adéquat, alors je voudrais discuter un peu.
— À quel propos ?
— Je voudrais savoir comment le monstre scellé a été libéré.
— Hein ? Donc vous êtes venue nous aider en l’ignorant ?
— Non… je suis venue, car j’ai reçu un rapport mentionnant l’apparition d’une nouvelle candidate pour devenir reine.
— Une candidate ? Vous parlez de Filo ?

Fitoria hocha la tête.

— Je peux vous demander un truc ?
— Qu’y a-t-il ?

C’était quelque chose que je soupçonnais depuis sa naissance.

— Pourquoi Filo grandit différemment des autres Filoliaux ?

Fitoria venait de dire qu’elle était une « candidate ».
Voilà pourquoi je pensais qu’elle détenait peut-être la réponse.

— Car elle a été élevée par un Héros.

Je m’en doutais. Filo semblait clairement à part au sein de son espèce, et elle était même capable de se métamorphoser. Tout cela parce que je m’occupais d’elle ?

— J’ai répondu à votre question. À vous d’en faire de même, à présent.
— Je ne sais pas ce que je peux vous dire. Qu’est-ce que vous savez sur moi ?
— Je sais que vous êtes un Héros invoqué ici à cause des vagues. Je sais également que vous êtes considéré comme l’ennemi religieux de Melromarc, la nation des suprémacistes humains.
— Oh…

Avait-elle appris tout cela grâce au bouche-à-oreille entre Filoliaux ?
Je ne connaissais pas très bien les capacités de communication de cette espèce, mais je n’aurais jamais pensé qu’ils étaient aussi doués dans la collecte et la transmission d’informations.

— Je ne suis pas omnisciente, vous savez. J’oublie pas mal de choses.
— C’est vous qui le dites. Bon, quoi qu’il en soit…

Je lui expliquai comment le Tyrannodraconis Rex avait fini par être libéré de son sceau.
Ensuite, je me mis à lui dire des choses sur moi. Comment j’avais été amené dans ce monde, puis piégé et opprimé. Je lui racontai tous les événements majeurs survenus jusqu’à ce jour.

— Fiou.

Fitoria poussa un gros soupir.

— Quoi ?
— Je suis simplement épuisée d’entendre toutes les âneries accaparant le précieux temps des Héros, surtout lorsque l’on considère qu’ils feraient mieux de focaliser leur attention sur les vagues de destruction.
— C’est eux qui sont en tort, pas moi.
— Je m’en moque. Je dois juste mener à bien la tâche que m’a confiée mon ancien maître… le Héros.
— Hein…
— De mon point de vue, ces petites querelles entre humains et demi-humains ne sont que vétilles. Le monde n’existe pas uniquement pour les gens. Malgré cela, je ne peux pas supporter de voir les Héros se disputer. Vous opposer, c’est m’empêcher d’accomplir ce que mon maître m’a demandé de faire.
— Et de quoi s’agit-il ?

Je supposais qu’elle entendait par là qu’un héros du passé avait eu besoin d’elle pour quelque chose.
En me basant sur ce qu’elle venait de dire, je ferais mieux de ne pas m’attendre à voir les Filoliaux intervenir dans le conflit entre humains et demi-humains.

— J’ai l’impression que vous insinuez que vous ne voulez rallier aucun camp, tout en laissant penser que vous devez m’aider en raison de mon statut de héros.
— C’est exact. Tant les humains que moi-même sommes au beau milieu d’un très long affrontement. Il y a longtemps, j’ai décidé de ne pas m’impliquer. J’ai choisi de ne m’associer qu’avec ma tribu, les Filoliaux.

Que pouvait bien penser un monstre aussi vieux qu’elle à propos de notre espèce ? À un moyen de se servir de nous ?
Pour se faciliter la vie, peut-être ? Non… si un puissant pouvoir se manifestait, un pouvoir qu’ils ne pouvaient pas comprendre, ils essaieraient de s’en débarrasser.
De prime abord, ils tenteraient éventuellement de la vénérer, par exemple.
Était-il possible qu’elle se soit lassée de son autorité et ait renoncé au monde afin de vivre recluse dans les bois, entourée par les siens ? Elle pouvait très bien prétendre être une Filoliale comme les autres et se contenter de voyager tranquillement.

Avant que Melty ne s’endorme, elle ne cessait de parler de sa première rencontre avec Fitoria. Elle était visiblement très fière d’elle.
Il semblait que celle-ci se tenait plutôt en retrait pour observer comment les Filoliaux se comportaient en compagnie des humains… quelque chose de cet acabit, en tout cas.

— Est-ce que les quatre Saints Héros sont au courant ? Au sujet des sabliers ? Je m’occupe de la région que l’on m’a confiée, mais vous n’en faites pas de même ailleurs.
— Les sabliers ? Je connais, oui.
— Alors, pourquoi ne participez-vous pas lors du passage des vagues ?

Que se passait-il ? J’avais un mauvais pressentiment. Du genre bien méchant.
Je savais qu’il y avait aussi des sabliers du dragon dans d’autres pays.
Et si elle voulait dire… que les vagues frappant ces nations-là ne se produisaient pas en même temps qu’ici ?

— De quoi est-ce que vous parlez ?

Je savais seulement que ce phénomène se déchaînait une fois par mois.
S’il affectait le monde entier, je ne pensais pas pouvoir y faire grand-chose.
On pourrait se dire que les autres pays se mettraient en tête de bâtir des défenses, afin de ne pas dépendre des héros. Enfin, bref.
Je supposais qu’un des héros précédents avait demandé à Fitoria qu’elle y veille.
Toutefois, elle était désormais en colère que les héros invoqués ici ne se consacrent pas intégralement à combattre les vagues ?

— Je ne suis pas comme les trois autres. On m’a fait venir ici, c’est vrai, mais je ne sais rien. Personne ne m’a expliqué quoi que ce soit. L’autre jour, j’ai juste découvert par hasard qu’il y avait des sabliers autre part qu’à la capitale de Melromarc.
— Fort bien. Je comprends. J’ai une autre question.
— Quoi ?
— Je sens un sombre pouvoir émaner du Bouclier. Vous êtes-vous servi de la Branche Maudite ?
— Vous en connaissez vraiment un rayon.

Elle était bien la figure décrite par les légendes. Elle était même au courant de cela. Elle connaissait donc le Bouclier du Courroux.

— Je comprends parfaitement la très grande puissance détenue par la Branche Maudite, mais elle en demande tellement en retour. Elle finira par vous consumer. Vous ne devez plus y faire appel.
— Mais certaines batailles ne m’offrent pas d’autre choix pour gagner. J’ai réussi à le contrôler jusqu’à maintenant, alors je pense que ça devrait aller.

J’étais sincère. Nous avions traversé plusieurs épreuves au cours desquelles seul le Bouclier du Courroux avait pu m’apporter la victoire. Elle disait vrai en affirmant que le prix à payer était élevé, mais je me disais que tout irait bien si je parvenais à garder le contrôle.
Tant que Raphtalia demeurait à mes côtés, je devrais être en mesure de réprimer ma rage.

— En êtes-vous certain ?
— Oui.

Fitoria tendit la main et toucha mon bouclier. Elle ferma ensuite les yeux.

— Le Bouclier Maudit finira un jour par surpasser la force du Héros Porte-Bouclier. La conscience du dragon a pénétré ce Bouclier lorsque son cœur a été absorbé. Il ne doit pas être utilisé près de la personne l’ayant tué, sinon la rage deviendra trop difficile à maîtriser.

Le Bouclier du Courroux s’était renforcé après avoir assimilé le cœur du dragon.
Cela signifiait-il qu’il avait aussi intégré sa colère ?
Si c’était pour cela qu’il était devenu aussi puissant, alors qui haïssait-il ? Qui était l’individu qui l’avait éliminé ?
S’agirait-il de Ren ? Le Héros Épéiste avait tué le dragon.

Donc, Fitoria était en train de me dire de ne pas me servir du Bouclier du Courroux lorsqu’il était dans les parages ? Dans le cas contraire, ce pouvoir deviendrait hors de contrôle ?
J’avais combattu aux côtés de Ren récemment, mais tout en maintenant une bonne distance entre nous. Et il n’avait pas vraiment essayé de m’affronter, de toute façon.
Était-ce pour cela que rien ne s’était produit ? Ou se pourrait-il que le bouclier ait tenté de me submerger, mais ait échoué par manque de puissance ?

— Mais si je veux sortir vivant des prochaines batailles, je vais peut-être devoir compter dessus.

Je comprenais bien qu’il était dangereux. Mais si je ne parvenais pas à protéger les gens sans y avoir recours, quel autre choix me resterait-il ?
Après la fin des vagues, quand le monde serait de nouveau en paix, je prévoyais de retourner dans le mien.
Il était facile de dire que ce bouclier était une menace et que je ferais mieux de l’ignorer… mais, parfois, j’y étais contraint, faute d’autre option viable.

— Fort bien. Permettez-moi de changer de sujet.
— Vous n’avez pas l’air d’être du même avis que moi.

Elle acquiesça. Il fallait croire qu’elle n’était pas convaincue, mais acceptait tout de même de faire progresser la conversation vers une autre direction.

— Le monde est en proie à une profonde agitation à cause des vagues. Pourquoi les Héros s’affrontent-ils ?
— C’est pas ma faute. C’est la leur… et celle du pays. Ils m’ont piégé et opprimé.
— Vous m’avez déjà expliqué l’essentiel sur ce point. Tout ceci est hors de propos. Les Héros n’ont pas le luxe de perdre du temps sur de telles trivialités.
— Quelle noblesse d’âme…
— On m’a chargée de la protection de ce monde. Toutefois, je ne peux le faire seule. Je ne peux y parvenir sans les Héros.

Après toutes ces démonstrations de force ? Était-elle vraiment sûre de ne pas pouvoir réussir à vaincre les vagues ?
De ce que j’avais vu, elle était déjà bien plus forte qu’Itsuki, Ren ou Motoyasu.
Mais pas assez pour sauver le monde.
Ou peut-être insinuait-elle qu’elle ne serait pas en mesure d’y arriver sur le long terme.
Cela voulait-il dire que les héros avaient encore une très grande marge de progression ? Et qu’ils pourraient même la dépasser ?

Ils restaient des héros, après tout, même s’ils étaient pourris jusqu’à la moelle. S’ils ne disposaient pas d’un fort potentiel de base, je supposais que ces nations n’iraient pas se donner la peine de les faire venir d’un autre monde.

— Pour être honnête, les affaires des humains ne me concernent en rien. Comment ils se battent… Ce pour quoi ils se battent… mais les Héros sont différents.
— Pourquoi ?

Fitoria secoua silencieusement la tête.

— Cela remonte à si longtemps que je ne m’en souviens pas vraiment. Je me rappelle juste que je ne peux pas laisser les Héros se quereller.

Elle avait oublié la raison exacte de sa colère ?
Bon, c’était une Filoliale, hein. Je ne pouvais pas attendre d’elle qu’elle soit un génie doté d’une mémoire photographique. Il suffisait de regarder Filo pour le savoir.
Cependant, elle en gardait tout de même une trace. Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais quelque chose clochait.

J’avais ressenti une étrange pression provenant de Fitoria un peu plus tôt.
Une présence puissante… et agressive. Elle m’avait fait froid dans le dos.

— Je me souviens. On m’a dit… que si les Héros commençaient à s’affronter… alors, pour le bien de ce monde, je devais me débarrasser d’eux afin que de nouveaux soient invoqués.

Et voilà. Nous arrivions enfin à ce qu’elle voulait me dire.
Elle m’annonçait que si je ne mettais pas d’eau dans mon vin vis-à-vis des trois autres, elle nous tuerait tous. C’était le seul moyen de vaincre les vagues.
Tel était le message que désirait me transmettre la Filoliale Légendaire. Il devait y avoir une bonne raison à cela.
Il s’agissait certainement d’un ordre reçu d’un héros du passé.
Néanmoins…

— C’est pas ma faute. Ils refusent d’entendre raison. Ils refusent de tourner la page. Je peux pas y faire grand-chose.

Oui. La Salope m’avait piégé. Le Sac à merde m’avait arrêté et discriminé, et les autres héros s’étaient retournés contre moi sans même s’intéresser à ma version de l’histoire. Je ne pouvais rien faire à leur propos.
Et maintenant… après avoir amassé tout cet argent et acquis la confiance de tant de gens… maintenant, ils faisaient croire que j’avais enlevé la princesse Melty et avaient envoyé des assassins à nos trousses.

Et Fitoria souhaitait que l’on parvienne à trouver un terrain d’entente ? La seule action à ma portée était d’amener Melty auprès de sa mère. Cela porterait un coup fatal à l’Église des Trois Héros, puis j’irais trouver refuge dans un autre pays quand la situation s’éclaircirait.
Faire ami-ami avec les autres héros ? Impossible.

— … Bien.

Fitoria soupira, faisant mine d’abandonner. Soudain, son regard s’enflamma.

— Alors, je suppose que l’inévitable se produira.

Elle recula et s’éloigna dans la nuit. Quelle étrange manière de mettre un terme à cette conversation.
Je n’aimais pas ce que cela impliquait. Cela m’étonnerait fort qu’elle se contente de se retirer et nous laisser tranquilles.
Mais je… Il m’était catégoriquement impossible de m’appuyer sur les trois autres. C’était impensable.

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