Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 69

La paix de l’oiseau divin
Traducteur : Team Yarashii

Toute cette journée se déroula comme dans un rêve, et la nuit fit son apparition bien assez tôt. Raphtalia, Filo et Melty s’endormirent toutes les trois dans un grand nid que les Filoliaux avaient préparé pour elles.
Et, comme la veille, Fitoria resta éveillée pour discuter avec moi en privé.

— Qu’y a-t-il ?
— Au sujet de ce dont nous avons parlé la nuit dernière…
— Bon sang, vous lâchez pas l’affaire. Je vous ai dit que c’était pas possible.

Ce matin, elle avait toutefois été sérieuse en disant qu’elle tenterait de nous éliminer. Je pris conscience que c’était grâce aux efforts de Filo que nous avions échappé à cette sanction pour cette fois.
Mais pourquoi était-elle si puissante ? Comment avait-elle acquis une force suffisante pour se jouer de Filo et s’en servir de punching-ball ? Elle était largement capable de s’occuper des quatre héros à la fois.

— Avez-vous sincèrement tenté… de vous lier d’amitié avec eux ? Avez-vous au moins essayé ?

Je ne répondis pas tout de suite. Si je ne pesais pas soigneusement mes mots, elle pourrait très bien m’éliminer.
Motoyasu avait déjà une opinion bien arrêtée sur moi. Cependant, je ne pouvais pas dire la même chose à propos de Ren ou d’Itsuki.
Depuis notre prise de bec vis-à-vis de Melty, nous ne nous étions plus croisés.
Je n’avais aucun moyen de savoir où ils se trouvaient, mais je me souvenais que, lorsque nous les avions quittés, ils avaient semblé nourrir des soupçons concernant les accusations portées contre moi.

— Avez-vous essayé de prouver votre innocence ?

Elle avait remarqué que je n’avais pas vraiment tenté grand-chose.
Si je me penchais tout particulièrement sur le viol présumé que me reprochait la Salope, j’avais cédé à la colère parce que je pensais sincèrement que personne ne me croyait.
J’avais affirmé que j’avais été piégé, et personne ne m’avait cru. Voilà pourquoi je n’avais pas eu confiance en eux.

Néanmoins, si j’avais pu fournir des preuves étayant mes propos, cela aurait-il suffi à les convaincre ?
Nous n’étions pas assez proches pour pouvoir nous asseoir et discuter tranquillement autour d’un verre. Ils savaient tout sur ce monde et étaient parfaitement conscients que j’en ignorais tout… mais ils m’avaient tout de même lâché dans la nature sans rien faire pour m’aider. Pourquoi ferais-je l’effort d’aller vers eux ?
Ils ne désiraient que s’amuser dans leur coin et jouer les durs.
Comment étais-je censé savoir ce qu’ils pensaient ?

J’y avais déjà réfléchi auparavant. J’avais essayé de deviner les pensées de Ren.
Il savait que les gens avaient disjoncté en apprenant les accusations de viol à mon encontre. Ren ne connaissait pas bien la Salope, mais il était au courant de sa beauté.
Qui devait-il croire ? L’homme à qui l’on reprochait ce crime ou la femme qui prétendait être la victime ?
À sa place, sans rien vraiment savoir de concret sur ces deux personnes, j’aurais tendance à rallier le camp de la femme qui prétendait être la victime.

C’était semblable à des choses que j’avais entendues dans mon propre monde.
Un jour, dans un train de banlieue, une femme avait agrippé le bras d’un homme et s’était exclamée : « Cet homme m’a tripotée ! »
Même si c’était peut-être un mensonge, tous les passagers du train l’avaient immédiatement regardé différemment, avec méfiance. Même s’il avait été en mesure de prouver qu’il était innocent, la position sociale de cet individu aurait tout de même été ébranlée pour toujours.
Ce que la Salope m’avait fait était similaire.

*Soupir*

Ma colère commença à refluer, ne serait-ce que très légèrement.
Tout comme je ne savais rien au sujet de Ren ou d’Itsuki, eux-mêmes ignoraient tout de moi. Il en allait de même pour Motoyasu.
Bon, celui-là ne pensait clairement qu’aux femmes.
J’eus le sentiment d’avoir compris quelque chose d’important.

Si Ren et les autres étaient en train de se renseigner sur ce qu’il se tramait, il valait peut-être le coup d’essayer de leur parler. Dans le cas où l’on se croiserait à nouveau, bien entendu.
Si… Bon, je ferais l’effort d’engager le dialogue lors de notre prochaine rencontre.
Si tout se passait bien, nous pourrions nous rabibocher un peu.
Bien sûr, cela ne serait possible que si la Salope et le Sac à merde étaient punis.

— Vous rappelez-vous notre dernière conversation ? Concernant l’endroit où je vous déposerai à votre départ ?
— Oui.
— Je comptais vous amener près des Saints Héros.
— Vous venez avec nous, pas vrai ?

Si elle était aussi puissante qu’elle le laissait paraître, elle pourrait sans doute aider à dissiper tous ces malentendus.
Son problème principal était que les héros ne travaillaient pas de concert. Si l’on se concentrait sur ce point précis, cela semblait être une requête honnête.

— Je n’interférai pas davantage dans vos affaires. Veuillez me donner une bonne raison pour que je m’attache à vous.
— Vous m’avez l’air bien contente de vous, pas vrai ?
— C’est bien cela, le problème. Je n’ai rien trouvé qui permette de créditer les Héros actuels d’une quelconque valeur. La seule personne parmi vous qui a du potentiel, c’est Filo. Prouvez-moi donc le contraire.

Elle se considérait comme supérieure à moi sans l’ombre d’un doute, mais si elle était convaincue d’agir pour le bien de ce monde, alors elle pourrait très bien éliminer les héros à cause de leurs querelles intestines.
Je ne pouvais pas franchement dire qu’elle avait tort.
Cependant, j’avais tout de même le sentiment que ce n’était pas en supprimant les gens de la sorte qu’elle allait sauver le monde.
En fait, peut-être que je… non, que nous, les héros, nous trompions au sujet de la gravité du péril.

— De plus, j’ai tout un tas de choses à faire de mon côté.
— Comme ?
— Comme empêcher les vagues de détruire ce monde. Elles ne se contentent pas d’apparaître près des lieux habités.
— Est-ce qu’il y a des sabliers en dehors des villes ?

Fitoria acquiesça. J’aurais préféré ne pas le savoir. Donc, la civilisation n’était pas la seule chose visée par ces vagues ?

— J’ai été chargée de veiller sur ces endroits. J’aimerais beaucoup que vous m’assistiez dans cette tâche, mais vous devez d’abord engranger plus de niveaux et d’expérience.

Ainsi, elle sous-entendait qu’elle s’était écartée temporairement de sa mission pour nous rencontrer et nous mettre à l’épreuve… tant qu’elle en avait encore la possibilité.
Elle désirait voir si nous étions assez forts pour affronter ce qui se profilait. Dans le cas contraire, elle nous tuerait.

— Si vous le pouvez, ayez une vraie conversation avec eux. Le monde ne peut se permettre que ses Héros se perdent dans de vaines vétilles.
— Vous donnez l’impression que nous passons passe notre temps à nous battre.
— Je l’ai vu se produire de nombreuses fois.
— Très bien. Je dois faire tout ce que je peux pour arranger nos relations, c’est bien ça ?
— Ce n’est pas tout.
— Quoi ?
— Si ne serait-ce qu’un seul Héros manque à l’appel à l’arrivée des vagues, celles-ci se renforcent. Si cela se produit, alors les quatre doivent être éliminés afin que de nouveaux prennent leur place. Ce sera pour le bien de ce monde.

Bon sang… j’aurais bien voulu ne pas savoir cela non plus. Cela signifiait que la situation se détériorerait gravement si l’un des héros mourait.
Toutefois, si nous étions tous tués, quatre nouveaux invoqués atterriraient ici. Quel bordel.
Elle m’incitait à faire la paix avec eux. Sans cela, nous étions condamnés. Et tant le juge que le bourreau se trouvaient juste devant moi.
Cette Reine Filoliale savait y faire pour donner des ordres détestables.

Comme je demeurais plongé dans mes pensées, Fitoria se leva et me tourna le dos.

— J’ignore combien de vagues cela prendra. Mais viendra un temps où toute vie sur cette terre sera contrainte de sacrifier quelque chose d’important.
— …
— Les Héros seront alors forcés de prendre une décision. Je vous attendrai à ce moment-là.
— Une décision ?
— Celle de combattre pour les gens ou pour le monde. Si vous ne parvenez pas à vous entendre avec les autres Héros et ne souhaitez que vous débarrasser de la tâche qui vous est imposée, alors contentez-vous de rester en vie jusque-là. Si vous choisissez de lutter pour ce monde, il vous faudra procéder à un grand sacrifice, mais vous réussirez à accomplir votre mission.
— Que se passera-t-il si je décide de me battre pour les gens ?
— Il s’agit d’une voie dangereuse. Les Héros précédents l’ont déjà empruntée par le passé. C’est un chemin qui ne peut être arpenté seul. Vous échouerez à coup sûr.
— Hmm… mais vous êtes au courant de quoi, au juste ? Dites-moi tout.
— J’en ai déjà oublié tellement. Néanmoins, je me souviens de ceci : sauver le monde et sauver l’humanité ne sont pas la même chose.

Le monde et ses habitants différaient.
Vu la manière dont elle s’exprimait, il était évident qu’elle se ralliait au monde. Elle semblait surtout indifférente au sort des gens. Ensuite, que pouvait bien signifier le fait de lutter pour la cause qu’elle embrassait ? Je savais qu’elle faisait référence aux vagues, mais je ne parvenais pas à deviner le reste.
Quoi qu’il en soit, elle souhaiterait nous revoir le moment venu.

Cela pourrait être après la vague finale. Je me demandais… quelle voie JE choisirais.
Même si c’était pour le bien des êtres humains, si je pouvais faire quelque chose pour protéger Raphtalia et les autres, j’opterais probablement pour la défense des peuples.

— Alors, je vous en prie, tâchez de vous entendre avec les autres Héros.
— Je peux vous promettre d’essayer, rien de plus. Je ne sais pas comment ils réagiront, mais vous nous avez donné ces récompenses. Le moins que je puisse faire, c’est de faire des efforts.

Elle avait offert une tiare à Filo, ainsi qu’un nouveau bouclier pour moi. Je pouvais au moins la laisser s’exprimer et écouter ce qu’elle avait à dire.

— Vous avez réussi l’épreuve. J’ai davantage foi en vous que dans les autres Héros.
— Pourquoi ?
— Le Héros Porte-Bouclier qui élève la future Reine Filoliale ne peut pas être si mauvais.
— Pourtant, c’est le cas. Je suis un sale type.

Je lui répondis cela sans réfléchir.
Eh oui… j’avais bien acheté une petite fille comme esclave et l’avait forcée à se battre pour moi.
Je n’étais assurément pas une BONNE personne.

— …

Fitoria leva les yeux au ciel et poussa un profond soupir.

— Pensez un peu à ce que vous souhaitez pour le moment. Mais n’oubliez pas que nous sommes liés à travers Filo.

Si ma Filoliale avait échoué durant son évaluation… elle m’aurait tué.
Elle était assez puissante pour s’acquitter de cette tâche. Cela aurait mal fini pour moi.

— Très bien.
— Héros Porte-Bouclier, j’estime que vous avez la force nécessaire pour arranger les choses avec les autres Héros. Et, pour être honnête, ils sont bien trop faibles. À ce rythme, je n’aurais même pas besoin d’intervenir pour être débarrassée de vous quatre. Vous vous en chargerez très bien vous-mêmes.
— Ce sera si difficile que ça ?
— Absolument. Et si vous devez utiliser ce Bouclier…

Fitoria tendit la main en direction de mon armure.
Je me sentis soudain plus léger.
Le cœur de dragon qui était inséré dans mon armure de barbare paraissait avoir changé. Il était désormais visible sous la forme d’une sorte de symbole de Yin et de Yang taoïste.

Armure de Barbare +1 (Protection de l’oiseau divin) :
Augmentation de la défense, résistance aux impacts (moyenne), résistance au feu (grande), résistance au vent (grande), résistance à l’ombre (grande), restauration des PV (faible), augmentation de la magie (moyenne)
Augmentation de l’agilité (moyenne), processus de défense magique — résistance à la contamination spirituelle : fonction de recouvrement automatique

— Qu’est-ce que c’est ?
— Cela vous aidera à résister à la Branche Maudite. Toutefois, vous ne serez pas entièrement à l’abri… Ne vous en servez qu’en dernier recours.
— Je ferai ce que je peux, mais ne vous attendez pas à un miracle. Que ce soit pour ça ou pour me rapprocher des autres Héros.
— Je vous en prie…

Fitoria me décocha son sourire le plus sincère tout en s’avançant pour finir par s’appuyer contre moi.

— Vous êtes lourde. Écartez-vous.

Mais Fitoria ne bougea pas.

— …

Elle continua de se blottir contre moi en silence.
Que faisait-elle ? On aurait dit une petite fille au bord des larmes.
Pourquoi ? Telle fut ma première pensée. Pourquoi ? Que voulait-elle ?
Ensuite, je cherchai des raisons. Elle avait dit qu’un héros l’avait élevée.
Où était-il, à présent ? Il devait être soit de retour dans son propre monde, soit mort depuis longtemps.
Me considérait-elle comme un nouveau parent ? Voyait-elle en moi ce héros du passé ?
Je ne pouvais rien y faire.

Je caressai sa tête. En réaction, elle enfouit sa tête dans mon épaule et m’enlaça.
Il semblait que sa seule raison de vivre était cette promesse faite à ce héros d’antan. N’avait-elle rien d’autre ?
Elle avait juré de protéger le monde. Combien d’années s’étaient écoulées depuis ce serment ?
En pensant à tout ce temps consacré à la sauvegarde du monde, j’avais l’impression que je pouvais au moins accepter sa requête.
Durant toutes ces années, combien de personnes avait-elle croisées ? Et combien de gens avaient collaboré avec elle ? Dans CE monde ? Elle avait dû goûter aux affres de la déception et du désespoir de nombreuses fois. Était-ce pour cela qu’elle n’accordait plus sa confiance qu’aux héros ?

C’était une fille bien maladroite. Elle avait l’air très forte, mais c’était sans doute parce qu’elle s’investissait trop dans sa mission.
Quand une petite fille vous demandait quelque chose, il était difficile de refuser.
Je ferais ce que je pourrais.

Au bout d’un certain temps, la respiration de Fitoria se fit plus profonde, et je compris qu’elle s’était endormie contre mon épaule. Le bruit qu’elle faisait en dormant était semblable à celui de Filo.
Un jour, après mon départ, est-ce que ma Filoliale s’appuierait aussi sur un héros pour finir par s’assoupir ? Tandis que je pensais à cela, mes paupières s’alourdirent et je m’endormis également.

— Merci infiniment !

Melty et Filo agitaient énergiquement leur bras.
Nous étions le lendemain matin, et Fitoria avait déclaré qu’il était sans doute temps pour nous de reprendre la route. Elle nous avait fait signe de grimper dans un attelage.

Une fois tous à bord, elle nous avait téléportés là où nous avions combattu le Tyrannodraconis Rex et nous étions sortis du véhicule. D’autres héros se trouvaient-ils dans les environs ?

— Y a-t-il d’autres héros dans le coin ?
— Je sens une espèce de réaction près d’ici…

Fitoria avait fixé l’attelage des yeux. Ce n’était pas bon signe.
Il s’était écoulé un moment. Puis, elle avait pris son apparence de Filoliale normale avant d’ouvrir ses ailes et de partir en courant.

— C’était une expérience intéressante, n’est-ce pas, M. Naofumi ?
— C’est sûr. Bon, Filo…
— Hmm… hein ?

Oh, j’oubliais de mentionner que Fitoria lui avait offert autre chose en guise de cadeau d’adieu.
Il s’agissait d’une nouvelle carriole. Elle était faite en bois, sans être d’une qualité exceptionnelle.
Tout devenait si compliqué. Pourquoi devait-elle placer un tel poids sur mes épaules ?
Filo préférait l’attelage que je lui avais acheté, mais nous étions forcés de faire un compromis.
Filo prit sa forme de Reine Filoliale et commença à tracter le véhicule.

— En avant !
— D’accord !
— Oui !
— On peut le faire, pas vrai, Filo ?

Nous avions fait un grand détour, mais nous voilà de retour sur les bons rails. Nous nous dirigeâmes vers la frontière sud-ouest.

— Je ne pensais pas que c’était si loin…

Nous étions arrivés à destination. De là où nous nous tenions, nous pouvions apercevoir une sorte de petit fort où des gardes surveillaient les alentours depuis leur itinéraire de patrouille située sur le toit.
Peu de gens traversaient la frontière, et d’autres soldats inspectaient le contenu de leurs grandes carrioles remplies de bagages.

— Merde. La sécurité est serrée.
— Parce qu’ils sont à notre recherche, n’est-ce pas ? Au moins, il y a moins de gardes ici qu’à la frontière nord-est.
— C’est vrai…

Motoyasu était aussi présent là-bas. Et la langue de vipère maléfique l’accompagnait.
J’avais espéré qu’il se trouve ailleurs. Jamais il ne m’écouterait.
Du moins, c’était ce que je pensais, lorsque les mots de Fitoria me revinrent en mémoire. Était-ce mes propres suppositions qui m’empêchaient de me réconcilier avec lui ?

Quoi qu’il en soit, la Salope aussi était là… et il était catégoriquement impossible qu’elle prête attention à ce que je disais.
Bref, il ne semblait y avoir aucune chance de réussir à passer en fonçant tête baissée.
Je m’accrochais au maigre espoir qu’ils accepteraient d’écouter Filo, Melty ou Raphtalia.
Si nous partions vers une autre frontière, nous perdrions au moins plusieurs jours. De plus, notre objectif se trouvait juste devant nous.

Motoyasu demeurait le principal obstacle. Nous avions réussi à sortir vivants de chacun de nos combats jusqu’à présent. S’il refusait d’entendre ce que nous avions à dire, alors nous n’aurions qu’à passer en force.
Bien… nous devions juste parvenir à nous frayer un chemin.

— Melty, nous y sommes. On doit traverser la frontière, quoi qu’il arrive. Je vais tout de même essayer de discuter avec Motoyasu.

Je présumais qu’elle allait encore piquer une crise, mais j’estimais important d’être sûr que nous étions tous sur la même longueur d’onde.

— D’accord.
— Hein ? C’est quoi, ça ?
— Quoi donc ?
— Je pensais que tu serais contre parce que ça nous ferait passer pour les méchants.
— …

Elle se détourna et soupira en signe de frustration.

— Si le pays se conduit avec une telle rudesse, alors une approche d’une rudesse égale est nécessaire.

Je comprenais ce qu’elle entendait par là. Elle pensait au noble qui avait si désespérément voulu nous voir morts, allant jusqu’à lever le sceau apposé sur un monstre antique. Il aurait été prêt à sacrifier n’importe quoi pour nous abattre.
Melty était résolue. C’était une bonne chose.
Forcer le passage à la frontière aboutirait probablement à des dégâts moindres que si nous continuions à fuir.

— D’accord. Allons-y ! Vous êtes prêtes ?
— Absolument.
— Ouais !
— Je ferai de mon mieux.
— Parfait !

Je levai la main et Filo mit tout son poids vers l’avant, tirant l’attelage à toute allure.
Nous nous précipitâmes en direction du poste-frontière.

— C’est le Démon Porte-Bouclier !

En voilà un accueil chaleureux…
J’avais prévu de mettre de l’eau dans mon vin et d’essayer de discuter. Et c’était ainsi que l’on me saluait ?
J’avais repensé mon approche après ma conversation avec Fitoria. Cependant, m’étais-je trompé ?

— Arrêtez-vous tout de suite !

Sur la route était étendue une sortie de tapis. Il était recouvert de clous dont la pointe saillait vers le ciel. L’attelage n’y survivrait pas.
Toutefois, Filo ne faisait pas mine de ralentir.

— Ils arrivent !

Motoyasu brandit sa lance vers nous.
Il aimait les femmes. Jamais il n’oserait faire du mal à Filo… n’est-ce pas ?
Son arme se mit à luire.

— Myne !
— D’accord !

La Salope commença l’incantation d’un sort.

— Second Feu !
— Javelot d’Air ! Et…

Tandis que Myne achevait son sort, Motoyasu leva son arme rayonnante et la propulsa vers nous.

— Compétence de combo, Lance d’Air Embrasée !

Une lance de feu filait droit sur nous.
Merde !
Je grimpai immédiatement sur le dos de Filo et utilisai mes compétences.

— Bouclier d’Air ! Second Bouclier !

Deux Boucliers d’Air se matérialisèrent au-dessus du sol et interrompirent la course de la lance embrasée.
Toutefois, ils n’y parvinrent pas complètement. Celle-ci ricocha et continua en direction de l’attelage. Filo s’en écarta pour l’éviter. Je me retournai pour voir Raphtalia et Melty se prendre par la main et sauter à l’extérieur juste à temps.

Motoyasu se mettait maintenant à nous balancer des compétences sans hésiter ?
Et puis, d’abord, c’était QUOI, ce truc ? La magie et les compétences pouvaient se combiner ?
Il fallait croire que oui. C’était semblable à l’épée magique.
S’était-il retenu jusqu’à ce jour ? Était-ce pour cela qu’il n’avait jamais tout donné ?

— Mais qu’est-ce que vous foutez ?

J’avais prévu d’essayer d’engager le dialogue avec lui avant de fuir, mais il avait déboulé en commençant à nous attaquer.

— Myne !
— Je sais !

Cette salope de princesse décocha un regard à destination des soldats.
Ce faisant, une cage magique miroitante et crépitante d’énergie nous encercla.

— Quoi ?
— Qu’est-ce que… c’est que ça ?
— Que se passe-t-il ?

Elle était très grande, environ quarante mètres de diamètre. Elle semblait faite de lumière.
Était-ce… de la magie ? Ou autre chose ?

— Nous t’avons enfin trouvé, Naofumi. Tu ne t’échapperas pas, cette fois-ci.
— Motoyasu…

Il nous dévisageait d’un air triomphal.
Qu’était-ce censé vouloir dire ? Sa nonchalance habituelle avait disparu.

— Naofumi, il s’agit d’un dispositif magique appelé la Cage de Lumière.

Melty était en train de regarder la cage et elle apporta ces explications.

— C’est un piège posé sur une surface précise. Elle a pour but d’emprisonner des sorciers et des utilisateurs de la magie.
— Des sorciers ? Quel intérêt ?
— Elle les contient à l’intérieur.

Je comprenais mieux. Ils nous avaient déjà vus fuir en vitesse grâce à Filo, alors ils avaient voulu mettre en place un champ de bataille nous empêchant de reproduire cette stratégie.

— Je peux la briser, mais cela demandera du temps.
— Comment on sort de là, normalement ?
— Il faut la clé de la personne l’ayant déployée.

Je descendis de Filo et fixai Motoyasu.

— Est-ce que tu veux te battre ?
— Eh bien, je veux d’abord discuter un peu avant. Mais bon, je pense qu’un combat est l’issue la plus probable.

Raphtalia dégaina son épée et se tint prête.

— Raphtalia, tu devrais prioriser la défense. Reste en arrière si tu peux.
— Mais je…
— Et moi, je me bats ?
— Oui. Si on doit en arriver là.

Motoyasu se révélait faible quand de jolies filles se retrouvaient impliquées. Il nous avait agressés sans la moindre hésitation, mais je partais du principe qu’il avait été convaincu que nous esquiverions son assaut.

— Melty, est-ce que tu peux te focaliser sur cette cage ?
— Je peux essayer… mais je ne promets rien.
— D’accord, ensuite… Raphtalia, tâche de protéger Melty pendant ce temps.
— Compris !

Après avoir fini d’assigner les rôles, je m’avançai vers le Héros Lancier.

— Motoyasu, écoute-moi.

C’était peut-être à cause de mon échange récent avec Fitoria, mais je commençais à suspecter qu’il était vraiment manipulé par la Salope.
Dans le cas contraire, il n’aurait pas tenté de s’interposer pour sauver Raphtalia de « mes griffes ».
Il pouvait se montrer un peu lent à la détente, mais, pour cette conversation, j’allais supposer qu’il n’avait jamais eu l’intention de me piéger.

— Tu penses pouvoir me laver le cerveau avec ton Bouclier d’Endoctrinement ?

Oh mon Dieu… il était déjà convaincu que ce truc était réel.
Néanmoins, pour être franc, c’était plutôt son manque total d’esprit critique qui fleurait bon la manipulation mentale.
Cependant, il était le Héros Lancier. Si je pouvais me fier à ce que j’avais lu dans Les Archives des Quatre Saintes Armes, il était censé être quelqu’un de loyal.

Dans le cas présent, cela signifiait qu’il ne remettait absolument pas en doute les paroles et les actes de ceux qu’il considérait comme ses amis.
La Salope et le Sac à merde se trouvaient justement à ses côtés. S’il croyait ses soi-disant amis sans jamais se questionner, alors c’était simplement un idiot.

— M. Motoyasu ! Nous devons nous hâter et sauver Melty ainsi que les autres victimes endoctrinées du Démon Porte-Bouclier !

La Salope était déjà prête à jeter de l’huile sur le feu. Jusqu’où pouvait s’abaisser cette femme ?

— Je ne vais plus me retenir.
— … Moi non plus.

Après avoir été invoqué ici, j’avais dû endurer les absurdités de Motoyasu le deuxième jour, puis le premier jour du mois suivant.
Le fait de mettre un terme à tout cela me paraissait assez raisonnable.
Bordel ! Et me voilà encore en train de retomber dans mes travers habituels ! Pourquoi ne parvenais-je pas à tirer les leçons du passé ?

— On s’en fout de ça, écoute-moi. Est-ce que c’est vraiment le moment de se disputer entre héros ? Où sont Ren et Itsuki ? Si tu n’as aucune bonne raison de passer tout ton temps à me pourchasser, alors tu te conduis comme un imbécile !

S’il était convaincu que j’étais le mal incarné, j’orienterais la conversation vers les deux autres héros… car ils n’en avaient pas après moi.
Si nous parlions suffisamment d’eux, peut-être que Motoyasu commencerait à nourrir quelques doutes.

— Même s’ils sont morts, je ne croirai pas la moindre parole venant de toi !
— Hein ?

Morts ? De quoi parlait-il ?
Ren et Itsuki ? Eux ? Qui ? Quoi ?

— Dis, Motoyasu. Qu’est-ce que tu racontes ? Qui est mort ?
— C’est exactement comme ça que tu les as piégés ! Et que tu les as tués !
— Quoi ? Mais c’est quoi, ces conneries ? Explique-toi !
— Tu essaies de m’avoir ! Je ne t’écouterai pas ! Je suis au courant ! Après que ce monstre a été libéré dans la ville où TU étais, tu t’es glissé derrière eux et tu les as éliminés !

Bon sang, mais que s’était-il passé en Melromarc pendant que nous étions avec Fitoria ?
La seule idée qui me venait à l’esprit était que Ren et Itsuki étaient partis enquêter sur le sceau brisé. Ils se rapprochaient dangereusement de la vérité, et quelqu’un les avait donc tués.
J’ignorais s’il s’agissait du Sac à merde ou de l’Église, mais le responsable tentait de me coller cela sur le dos, et il manipulait Motoyasu dans ce sens !

— Tu te goures ! Réfléchis un peu ! Je n’ai aucune raison de faire ça !
— Ferme-la. Je ne te crois pas. Fini de jouer, je vais tout donner ! Même si c’est une fille qui devient la nouvelle Porte-Bouclier, je serai prêt à me salir les mains pour venger Ren et Itsuki !

Cela ne fonctionnait pas. Motoyasu était déjà convaincu que j’avais assassiné les deux autres héros.
Et merde. Quelqu’un m’avait coupé l’herbe sous le pied.

Fitoria, je suis désolé. Les héros ne semblent pas s’intéresser du tout au sauvetage du monde.
De tous les héros requis pour trouver un moyen de lutter contre le fléau s’abattant sur le monde… il n’en restait à présent que deux.
Et vu le comportement de Motoyasu, il ne serait satisfait qu’une fois que je serais mort.
Mais je ne pouvais pas crever ici.

Je basculai sur le Bouclier de Vipère de Chimère et me tournai pour lui faire face.
Motoyasu avait la Salope et deux autres filles dans son groupe. Une troupe de soldats émergeait également du poste-frontière. La cage les empêchait d’interférer… mais bloquait également toute possibilité de fuite.
Quant à nous, Filo et moi serions en première ligne. Melty serait à l’arrière pour tenter de neutraliser notre prison tandis que Raphtalia la protégerait.

— Les amis, il est temps d’accomplir notre vengeance !
— Motoyasu, t’es dingue. Tu ferais bien de t’en rendre compte.

Bon. La situation était différente, désormais.
Melty ne pouvait pas se battre, mais j’avais toujours Filo et Raphtalia.
Si je me servais vraiment de mon bouclier, nous ne perdrions pas.
Nous allions enfin régler nos comptes une bonne fois pour toutes.

— AAAAAAAAH !

Nous nous jetâmes à corps perdu dans cette bataille pour le futur.

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