Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 74

La reine
Traducteur : Team Yarashii

Deux jours passèrent.

— Ugh… je suis tellement fatigué.

*Snif* *Snif*

— Ouah, maître !
— Je… peux… Fi… lo ?

Lorsque j’ouvris enfin les yeux, je pris conscience que j’étais dans un lit géant avec Raphtalia, Filo et Melty.

— C’est quoi, ce bordel ? Dégagez de là !

Je les chassai du lit et les sermonnai. Les trois filles se contentèrent de rester debout près de moi, arborant un étrange sourire.
J’avais été transporté dans la calèche médicale, puis soigné dans une ville près de la capitale.
Le Sacrifice de Sang était une malédiction très puissante et ils m’avaient placé dans un centre de soins spécialisé… même si cela n’avait pas suffi à m’en débarrasser complètement.

Je demandai donc ce qui me permettrait d’y arriver, mais il s’agissait apparemment d’un type de malédiction qu’aucun remède ni aucune magie ne pouvaient soigner intégralement. Il fallait que je considère cela comme une blessure, qui guérirait lentement au fil du temps… Du moins, c’était ce qu’ils disaient.
Mes « vraies » plaies et brûlures étaient résorbées. J’avais récupéré la plupart de mes forces, mais ils m’avaient prévenu que je continuerais de me sentir engourdi pendant encore un moment.

Je vérifiai ma magie de statut, et toutes mes statistiques avaient diminué d’environ 30 %, à l’exception de ma défense.
Visiblement, le Sacrifice de Sang en était la cause, et ce jusqu’à sa guérison complète.
Il s’était révélé suffisamment efficace pour justifier son utilisation, mais je devais admettre que le prix à payer était lourd.

— Ça prendra combien de temps ?
— Notre estimation la plus optimiste se situe autour d’un mois.

Un mois… c’était plutôt long. Cela signifierait que je serais entièrement rétabli juste avant l’arrivée de la prochaine vague.

— Et comment vous sentez-vous ?

Le monde entier traversait une crise absurde, mais la reine prit la peine de venir me parler avant mon traitement.
Elle semblait s’inquiéter de mon bien-être.

— …

Je ne savais toujours pas si je pouvais lui faire confiance. De plus, elle avait donné des instructions aux médecins pendant toute la durée où j’étais demeuré sans connaissance.
La reine se tourna vers un docteur, et ils évoquèrent mon état de santé.

— Vraiment ? Dans ce cas, sera-t-il capable de nous accompagner ?
— Où donc ?
— Au château, bien évidemment.

Elle couvrait sa bouche avec son éventail déployé, mais une veine saillait sur son front. Elle dégageait une étrange et oppressante aura d’autorité.

— Mère est très en colère…

Melty tremblait et se réfugiait derrière moi.
Elle semblait effectivement un peu à cran, mais je supposais que c’était à cela qu’elle ressemblait lorsqu’elle s’énervait.

— J’espère que vous ne comptez pas m’exécuter ou un truc du genre.
— Je ne ferais jamais une chose aussi sotte. Mais je vous saurais gré d’être présent au moment où… mes plans seront dévoilés, M. Naofumi.
— De quoi vous parlez ?
— Il vous faudra attendre jusqu’à notre arrivée au château. Et il y a tant de questions que j’aimerais vous poser. Nous aurons bientôt l’occasion de discuter.
Cette fichue reine me forçait la main, je ne pouvais pas refuser. Était-elle prête à tout pour me faire atteindre son château ?
Bien sûr, dire non était envisageable… mais cela ne m’aiderait pas. Ma priorité actuelle était de prouver mon innocence, et j’allais avoir besoin d’elle pour y parvenir.

Melty en avait déjà parlé.
La reine était apparemment furieuse à l’égard du Sac à merde et de la Salope. Elle avait dit que sa mère avait déchiré leurs portraits, allant même jusqu’à y mettre le feu.
Cela me donnait envie de savoir à quoi elle pensait… Était-ce possible ?

Quoi qu’il en soit, je n’avais aucune raison valable de refuser.
Toutefois, je me disais qu’au fil du temps, le fait qu’elle soit l’épouse du Sac à merde et la mère de la Salope pouvait nuire à nos relations.

— Hmm…

Melty était toujours postée derrière moi.

— Ben voyons… je suppose que je dois te prendre avec nous ?
— M. Naofumi ?

Raphtalia paraissait très inquiète.

— Je ne crois pas pouvoir refuser, alors quel autre choix me reste-t-il, à part y aller ? Ils ont pris soin de moi pendant tout ce temps, je ne pense pas que nous ayons quoi que ce soit à craindre.
— Oui, absolument, cela me ferait plaisir si vous veniez également avec nous.

Je pouvais deviner là où elle voulait en venir. Elle attendait de savoir jusqu’à quel point nos intérêts convergeaient.
J’ignorais ce qu’elle mijotait. Mais cela importait peu… Si elle nous livrait à l’ennemi, je n’aurais qu’à me servir une nouvelle fois du Bouclier de l’Ire.

— Nous allons aussi nous occuper de l’attelage de l’oiseau divin. Qu’il soit rapatrié, ainsi que son contenu.
— Vraiment ?

Filo bondit vers l’avant en entendant cela.

— Oui. Il est garé devant l’hôpital. Vous pouvez aller le voir.
— D’accord ! Ouais ! Mel, allons-y !
— D’accord !

Les deux jeunes filles sortirent en trombe de la pièce.
Elle aimait vraiment les carrioles, celle-là. Après leur départ, je me tournai de nouveau vers la reine.

— Un truc me chiffonne.

Je ne savais pas ce qu’elle désirait, mais j’avais le sentiment qu’au-delà de ses bonnes intentions apparentes, elle occultait volontairement quelque chose.
Si elle avait une bonne raison non seulement de défier l’Église, mais aussi de prendre soin du Héros Porte-Bouclier, alors j’aurais bien voulu en avoir connaissance.
Et je n’accepterais aucune explication pompeuse du genre « pour le bien de ce monde ». En tentant de découvrir ses véritables desseins, je me mis à la dévisager attentivement. Ce faisant, sa main fut saisie de tremblements. L’éventail qu’elle tenait vacilla. Que se passait-il ?

— Aultcray… Malty… ce n’est pas terminé…

Aucun doute là-dessus… elle était furieuse.

Tout à coup, une ombre apparut. Elle transportait des portraits du Sac à merde et de la Salope, et elle les aligna prestement contre le mur.
En un éclair, la reine invoqua des stalagmites magiques. Elle les balança en direction des peintures, les clouant sur place, avant de faire apparaître des flammes qui les réduisirent en cendres.

— Ce n’est pas suffisant… pas suffisant. Je veux contempler leur visage déformé par la peur.

J’aurais bien aimé qu’elle trouve un meilleur endroit pour se défouler. Elle paraissait un peu instable. Elle devait clairement nourrir de puissantes émotions à leur égard… son propre mari et sa propre fille.
Je savais ce qu’elle ressentait. Ouaip, je lui ferais confiance… pour l’instant.

— Je ferai comme vous voudrez.
— Merci, M. Naofumi.

La reine sourit. Tandis que les coins de sa bouche se redressaient, je sentis sa détermination.

— Eh bien, eh bien ! Mais voici Malty et Melty ! Je suis tellement heureux de savoir que vous avez vaincu le Bouclier et de vous voir ici indemnes. Mais pourquoi Malty est-elle ligotée ? Et aperçois-je un bâillon dans sa bouche ?

Sur la route menant au château, la reine avait ordonné à ses filles de prendre la tête du cortège, tous les autres suivant loin derrière.
Les trois héros étaient également avec nous à l’arrière. Je n’appréciais pas vraiment d’être placé devant eux. La reine avait toutefois insisté, affirmant que j’avais fait tout le boulot et en avais bavé plus que ces gars-là. Donc, j’avais cédé.
Au fait, après la fin des combats, les disciples restants de l’Église m’avaient informé de plusieurs choses.
L’annonce de la mort du Pape n’avait pas encore atteint la population, donc l’institution faisait encore comme si de rien n’était. Ou, du moins, c’était l’impression qu’elle donnait. En vérité, les membres de l’Église qui étaient impliqués dans la conspiration avaient été arrêtés.

— Car elle ne sait jamais quand se taire, voilà pourquoi.

Les bruits de pas de la reine se répercutèrent sur les murs en pierre tandis qu’elle s’avançait et s’approchait du trône. Le Sac à merde remarqua que je la suivais et son visage se tordit de colère.

— Que fait-il ici, LUI ? Saisissez-le ! Il doit mourir !
— Je ne le permettrai pas !

Les chevaliers ignorèrent les ordres du roi… probablement parce que la reine détenait théoriquement davantage de pouvoir. Néanmoins, ils semblaient quelque peu confus. Ceux qui entouraient la reine me fixaient du regard.

— Elle est… Ce n’est pas la véritable reine ! Arrêtez-la !
— Toi… tu oses ME confondre ? Je ne puis tolérer ce comportement plus longtemps ! Je suis la reine et la source de tout pouvoir…
— Ce sort… Est-ce possible ?
— Entends la vérité et obéis-y. Enferme-le dans une cage de glace ! Troisième Prison de Stalagmites !

Une cage de glace se forma autour du Sac à merde.
Il donnait l’impression de s’époumoner à l’intérieur, mais sa voix ne nous parvenait pas.

— Je ne peux croire que tu sois tombé aussi bas.

La reine rabattit son éventail en un claquement sonore et la cage s’évanouit au même moment.

— Quelle puissante magie ! Bien évidemment, tu es mon épouse ! Que t’est-il arrivé ?

Le Sac à merde la balaya du regard, comme s’il n’en croyait pas ses yeux.

— … Et en compagnie du Bouclier, qui plus est !

Sérieusement, à chaque fois qu’un événement le contrariant se produisait, il m’accusait d’en être la source.
Il fallait qu’il se calme, celui-là. Nul besoin de chercher très loin pourquoi je ne voulais plus jamais remettre les pieds ici.

— Tu te trompes. Franchement… penses-tu sincèrement que le Héros Porte-Bouclier soit doté des pouvoirs que tu lui attribues ?

Elle marcha vers le trône et le gifla violemment.
Le Sac à merde demeura sans voix, sonné. Il tremblait tout en me fixant des yeux.

— Rien de tout cela n’est la faute de M. Iwatani ! Est-ce que tu m’as bien entendue ?
— Ugh !

Elle le frappa encore une fois.
Il ouvrit la bouche pour parler, mais elle réitéra son geste avant même qu’il ne puisse en placer une.

— Je t’ai dit que tu incarnais la plus haute autorité en ce royaume durant mon absence. Je t’ai répété inlassablement de ne pas maltraiter les Héros. Mais tu m’as ignorée ! Essaies-tu de démarrer une GUERRE ?
— Mais je…
— Tes excuses ne m’intéressent pas ! Le monde entier est menacé par les vagues. Et alors que nous traversons une période où l’union est de mise, tu… tu…

La reine continua son sermon, sans jamais lui laisser la possibilité de s’exprimer.
En assistant à cette scène, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle agissait de la sorte pour que les autres héros comprennent bien qui détenait les clés du royaume.

— Bien, maintenant que tout cela est dit, permettez-moi de me présenter à nouveau. Je suis la reine et dirigeante de cette contrée, Mirellia Q. Melromarc. Aultcray semble peut-être tenir les rênes de ce pays, mais ce n’est pas le cas… et ne le sera plus jamais. Ne prêtez attention à aucune de ses paroles.
— Hmm… euh…
— Ravi de… vous rencontrer ?
— Ouah…

Les autres héros exprimèrent ce qu’ils ressentaient chacun leur tour. Ils avaient tous l’air d’avoir du mal à trouver leurs mots.

— Héros, je souhaiterais vivement que vous m’accordiez un peu de votre temps.
— Que se passe-t-il ?
— Nous discuterons durant le festin.
— Euh… Myne ?

Motoyasu paraissait vaguement inquiet au sujet de la Salope, puisqu’elle était bâillonnée, et donc incapable de parler.

— Elle n’a aucune raison de s’exprimer, je l’ai donc réduite au silence pour le moment. Est-ce bien compris ?
— Oui, mais… n’est-ce pas un peu excessif ?
— Non. Mais si vous insistez pour entendre ses protestations, je suppose que je n’ai guère le choix…

La reine claqua des doigts et les cordes restreignant la Salope se détendirent. Elle retira immédiatement son bâillon.

*Reniflements*

Cela devait l’embarrasser d’être vue dans un tel état d’impuissance. Le Sac à merde avait l’air de compatir. Il la regardait avec tristesse.

— Qu’est-ce donc que ce reniflement ? Nous n’avons pas fini notre conversation !
— Ce n’est pas ma faute ! C’est celle du Bouclier !
— Oui ! Il a raison !

La Salope s’immisça :

— Maman ! Ce vil démon a tenté de me violer !
— Et ?
— Que veux-tu dire par là ? Maman… je n’ai jamais… Qu’est-ce que je dois comprendre ?
— Tu n’es plus vierge de toute façon, n’est-ce pas ? Pensais-tu que je l’ignorais ? Bien sûr que je le savais…
— Quoi ? s’exclama Motoyasu, comme s’il n’en croyait pas ses oreilles.
— Non… mère… j’ai eu ma première fois avec M. Motoyasu !
— Quelle petite effrontée tu es. Tu croyais sincèrement que je n’étais pas au courant ? Ma foi, si tu as vraiment eu des rapports sexuels avec le Héros Porte-Bouclier, alors il y a peut-être un moyen de te sauver…

La reine me dévisagea.

MOI ? Avec la Salope ?
— Vous allez me faire vomir, là !
— Bien, voilà qui est réglé. Je suppose que je vais devoir garder espoir pour Melty. Ce sera difficile, mais je suis certaine qu’il existe moult raisons de demeurer optimiste.

La reine se mettait à faire d’importantes proclamations comme si de rien n’était.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Melty n’est qu’une petite fille !
— Silence !

Je n’aurais certainement jamais pensé être du même avis que le Sac à merde, mais pourquoi devrais-je me mettre en couple avec Melty ?
Hein ? Que se passait-il ? Ren et Itsuki me regardaient d’un air étrange.
Je n’avais pas besoin de cela. Non, je ne faisais pas de fixette sur les petites filles. Je n’étais pas pervers au point d’être excité par une gamine !

— Oui ! Qu’est-ce que cela veut dire ?
— De quoi vous parlez ?
— Ce n’est rien, Filo !

Je devais laisser couler, pour une fois.

— Je suis navrée ! Mais il apparaît tout naturel que Melty épouse M. Iwatani.
— Quoi ?
— Ne comprends-tu pas ? Il n’y a pas de meilleur moyen pour vaincre notre vieil ennemi.
— Que suis-je censé comprendre ?
— De quoi parlez-vous ?
— Oui… ça éveille notre curiosité.

Le Sac à merde était visiblement remonté, et Ren ainsi qu’Itsuki posèrent aussi leur question après la sienne.

— Eh bien…

Mais je comprenais. La reine commença ses explications et confirma mes soupçons.
Silt Welt vénérait le Héros Porte-Bouclier. Et ce pays était aussi l’ennemi de Melromarc. Si la famille royale m’adoptait au sein de leur lignée, cela ferait de Melromarc une nation sainte du point de vue de Silt Welt. Je ne parvenais pas à percer davantage à jour ses desseins, mais le peuple de Silt Welt devrait au moins avoir une meilleure opinion de ce royaume après cela. C’était un plan visant à flatter le Héros Porte-Bouclier et, si cela aboutissait en plus à une naissance, ce lien se renforcerait considérablement.

Ensuite, ils n’auraient qu’à maintenir des relations amicales. En cas de réussite, ils deviendraient de vrais alliés.

— N’avez-vous donc aucune honte ? Vous seriez prête à tirer avantage de votre fille de cette façon ?

Itsuki fit un pas en avant et s’écria avec rage.

— Tirer avantage d’elle ? Eh bien… êtes-vous en train de me dire qu’il n’existe pas de mariages arrangés dans votre monde ?
— J’ai entendu dire que ça se produisait parfois, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne posent aucun problème.
— Il n’y a aucun souci. Je vois que Melty et M. Iwatani sont déjà en bons termes. Melty, fais ce qui doit être fait pour bien t’entendre avec lui.
— No… non !

Son visage était cramoisi. Cette idée lui semblait vraiment repoussante.
Ce qui n’avait rien d’étonnant. Qui voudrait être utilisé à des fins politiques, surtout à son âge ?
Et, bien évidemment, je n’avais pas franchement envie de faire quoi que ce soit qui favoriserait Melromarc.

— Oh, vraiment ? L’ombre m’a pourtant laissé croire qu’il y avait encore de l’espoir pour toi.
— Loupé.
— Pardon ? Vous êtes en train de dire que je ne suis pas attirante ? Que…
— Quel est le problème ? Est-ce que tu insinues que je ne dois pas te considérer comme une enfant ?

Elle était vraiment en plein âge ingrat.

— Très bien. S’il n’y a rien d’autre à ajouter sur ce sujet, alors je présume que je n’ai pas à interférer.

Pour une raison que j’ignorais, Itsuki parut satisfait et fit un pas en arrière.

— Héros Archer ! Pourquoi vous retirez-vous ?
— Je vois qu’elle n’a pas tort et qu’il y a encore de l’espoir pour vous. Qu’êtes-vous censée faire ? Vous allez devenir reine, un jour.
— J’ai pas l’intention de m’éterniser dans ce monde de merde.
— Ce ne sera pas nécessaire. Tant que Melty tombe enceinte de vous.

Je n’aimais pas la tournure de cette conversation.
En fait, elle voulait dire que si j’entrais dans la famille royale de Melromarc et faisais un enfant avec Melty, je serais libre de retourner dans mon monde.
Ce n’était pas si incohérent que cela. J’avais entendu dire que la reine était une fine diplomate… et elle était actuellement d’une franchise désarmante.
D’où lui venaient toutes ces idées ? Est-ce qu’elle lisait trop de mangas ?

— Tout cela s’est produit parce que mon crétin de mari et mon imbécile de fille ont détruit toutes les autres possibilités. Tout allait bien lorsque tu es partie pour intégrer le groupe de M. Iwatani. Tu aurais pu y rassembler davantage de gens et le faire tomber sous ta coupe… en le gardant pour toi toute seule. Le cas échéant, le trône aurait été à toi.
— Qui ferait cela avec quelqu’un d’aussi laid ? Il a tenté de me violer !

Ugh… et revoilà la Salope.
Je ne pouvais pas laisser passer cela… Il fallait que je lui fasse comprendre sa place…

— Il n’est pas laid !

Raphtalia, Filo et, allez savoir pourquoi, Melty crièrent à l’unisson.
Qu’est-ce qu’il leur arrivait ? Surtout Melty.

— Quel est le problème ? Je dis simplement la vérité. Si cela vous énerve autant, c’est la preuve que j’ai raison !
— Cela prouve une chose. Que tu n’as plus une once de pureté en toi.
— De quoi parles-tu ? Demande à M. Motoyasu. J’étais vierge !
— Malty, quand tu désires mentir, assure-toi de le faire jusqu’au bout. Tu as peut-être réussi à embobiner le Héros Lancier, mais cela ne marche pas avec moi. Je te connais depuis bien longtemps, et tu as toujours eu cette vilaine manie de te réjouir de la misère d’autrui. Mais il y a autre chose…

La reine s’emportait vraiment contre la Salope, à présent. Il était toutefois évident pour tout le monde que sa fille ne l’écoutait plus. Elle attendait simplement que sa mère ait terminé.
Je me demandais combien de fois elle avait été sermonnée de la sorte par le passé.

— Tu as entendu que ta sœur s’était retrouvée mêlée à la conspiration, mais, au lieu de la protéger, tu as profité de la situation, en dépassant les bornes et allant jusqu’à la livrer toi-même à l’Église !

Hein ? Donc, la Salope n’avait fait qu’exploiter ce qu’il s’était passé à son avantage ? J’avais toujours pensé qu’elle était de mèche avec eux.
Était-il possible que ces deux-là soient stupides à ce point ?

— Tu te dis probablement que tu seras la prochaine à monter sur le trône.
— Non… pas du tout !

Je repensai à tout ce que nous avions traversé. Combien de fois s’était-elle référée à elle-même en évoquant « la future reine » ? Nous l’avions tous entendu de sa propre bouche, encore et encore. Si ce n’était pas sincère, elle ne l’aurait pas autant répété au vu et au su de tous, n’est-ce pas ? De plus, elle s’était pétrifiée quand la reine avait abordé ce sujet.

— Oui ! Myne n’est pas comme ça ! s’exclama Motoyasu pour la soutenir, mais la reine n’écoutait pas.
— Tu mens !
— Non !
— Dans ce cas, tu vas nous le prouver.

La reine claqua des doigts et des chevaliers abattirent leurs mains sur les épaules de la Salope. Des sorciers firent leur apparition, portant un objet qui m’était familier. Il s’agissait de la jarre d’encre utilisée pour la magie d’enregistrement des esclaves.

— Qu’est-ce que vous faites ?

Motoyasu sentit que quelque chose se tramait, et il se mit à crier.
Des soldats approchèrent pour les maîtriser, la Salope et lui. Les sorciers se tournèrent vers elle et la cérémonie débuta.
La reine sortit une aiguille, piqua son propre doigt et laissa tomber une goutte de sang dans la jarre.
Je… je savais ce qu’elle faisait !

— Non ! Lâchez-moi !
— Je te libérerai une fois que j’aurai vérifié ton innocence. J’espère que les Héros comprennent cela.

Non, je ne le pensais pas. Et pourtant, Itsuki et Ren contemplaient la scène en silence.
Même cette abrutie de Salope avait compris ce qui était en train de se produire. Elle se contorsionna pour sortir de l’étreinte des militaires, mais ils ne la laissèrent pas s’échapper. J’étais plus inquiet au sujet de la réaction de Motoyasu. Remarquant peut-être l’absence d’une quelconque échappatoire, il brandit sa lance.

— Arrêtez ça !

Je ne le laisserais pas interférer.

— Prison du Bouclier !

Je basculai sur le Bouclier de l’Ire et, réprimant la colère, ou devrais-je dire en la contrôlant, je l’immobilisai dans ma compétence.
Ren et Itsuki faillirent s’avancer pour m’en empêcher, mais, face à tous les soldats présents dans la pièce, ils préférèrent ne pas bouger.

— Non ! Reculez ! Savez-vous qui je suis ?
— La princesse aînée. Du moins… si tu prouves ton innocence.

La reine abaissa la main et donna un ordre.
Ils versèrent l’encre sur la poitrine de la Salope. Le sceau d’esclave apparut à cet endroit, se gravant en elle tout en la brûlant.

— NOOOOOOOON !

La Salope s’égosilla pendant environ une minute, mais elle se calma une fois le sceau disparu, comme si rien ne s’était passé.
Cela ne s’était pas déroulé de la même façon qu’avec Raphtalia. Son sceau était resté visible, tel un tatouage, alors que celui de la Salope ne l’était plus.

— Il s’agit d’un puissant sceau d’esclave. Il demeure normalement invisible, mais, lorsque certaines conditions sont réunies, il réapparaît et punit le sujet.

Sous cet angle, cela ressemblait plus à la magie de contrôle de Filo.

— Cette condition est la suivante : tu ne dois pas attaquer M. Iwatani. Ne lève pas la main sur lui !

La Salope posa son regard sur la reine. Elle avait les larmes aux yeux.

— À présent, Malty. Voici ma question : as-tu été violée par M. Iwatani ?

C’était un bon plan pour obtenir d’elle une confession. J’avais fait la même chose avec Raphtalia, une fois.
Car le mensonge était impossible dès lors que le sceau était en place.
Si elle tentait le coup malgré cela, il s’activerait et la châtierait.
Bien sûr, cela ne fonctionnerait que si tout cela était vrai.

— Oui !

La Salope fronça les sourcils et hocha la tête.
Presque au même instant, le sceau d’esclave se matérialisa, cuisant de nouveau ses chairs et appliquant une importante pression sur sa poitrine.

— AÏE ! Ça fait mal !

Elle ne put supporter la douleur et tomba au sol.

— My… Myne !

Motoyasu accourut vers elle et l’aida à se relever, mais les effets du sceau demeurèrent.

— Tu souffriras tant que tu ne me diras pas la vérité.
— D’accord… j’ai compris ! Le Héros Porte-Bouclier ne m’a pas violée ! Tout cela n’était qu’un mensonge !

Dès l’instant où elle avoua, le sceau s’évanouit.

— Tu vois ? Tout le monde ici présent est témoin : tu as menti.
— Comment pouvez-vous dire ça alors que vous l’avez FORCÉE à le dire ?

Motoyasu était furieux envers la reine. Je pouvais deviner ce qu’il pensait. De son point de vue, elle incarnait assurément une ennemie.

— Je ne sais pas quel type de magie c’était, mais vous l’avez contrainte à mentir !
— Si vous en êtes persuadé, Héros Lancier, pourquoi ne pas enregistrer temporairement Malty comme votre esclave ? Si vous faites cela, vous comprendrez rapidement comment le sceau fonctionne.
— Ouais ! Très bien ! Je vais prouver son innocence !

Comme la reine avant lui, Motoyasu laissa tomber une goutte de sang dans la jarre d’encre. Ils la répandirent une nouvelle fois sur la Salope et celle-ci devint alors son esclave.

— Vous pouvez désormais voir par vous-même comment agit la magie d’esclave. Veuillez consulter votre écran de statut.

Les yeux de Motoyasu bougèrent comme s’il lisait quelque chose. Ensuite, il hocha la tête et se tourna vers la Salope.

— Myne… tu as failli être violée par Naofumi, pas vrai ?
— Ou… aïe ! AÏE !

Elle s’apprêtait à mentir de nouveau et le sceau s’activa. Elle s’échoua encore une fois au sol.

— Mais…

Le visage de Motoyasu perdit toute couleur.

— Mais il y a autre chose, n’est-ce pas ? Tu as volé toutes les affaires de M. Iwatani, avoue-le ?
— Non, PAS DU TOUT ! AÏE ! AÏE AÏE AÏE !

Cette femme était incapable de mentir dans cette situation…
Restant un peu sans voix, je restai là à regarder la Salope se rouler par terre de douleur.

— Et c’est toi qui as déclenché ces feux de forêt lorsque vous pourchassiez M. Iwatani, n’est-ce pas ?

Elle savait. Bien sûr qu’elle savait. Si elle avait complètement cerné la personnalité de sa fille, c’était une hypothèse facile à concevoir.

— Non, je n’ai pas…. AAAAAAAAAH !

Ses cris se firent de plus en plus paniqués. Si elle ne se mettait bientôt à dire la vérité, elle allait mourir.
Elle devait s’en douter et, pourtant, elle s’entêtait à mentir… Un sacré numéro, celle-là.

— C’est TOI qui as allumé ces incendies ?

Motoyasu était pris de tremblements.

— Impossible ! Myne ne ferait jamais une chose pareille !
— M. Kitamura, comprenez bien ceci : cette fille a toujours aimé manier le mensonge. Elle reste dans l’ombre et s’arrange pour que les autres se retrouvent dans des situations délicates. Elle se comporte ainsi depuis son enfance.
— Non, elle n’est pas comme ça ! C’est LUI ! C’est SA faute !

Motoyasu brandit son index vers moi.
Il ne saisissait pas la différence entre la confiance et l’aveuglement. Cela finirait par lui jouer des tours, un jour.

— Tout cela résulte des actions de ma fille Malty. Elle a tiré les ficelles et manipulé mon mari, Aultcray, pour le forcer à persécuter M. Iwatani.

Motoyasu pointait toujours un doigt rageur dans ma direction, mais Ren et Itsuki acquiescèrent. Ils avaient l’air de comprendre.

— Vous savez…
— N’y a-t-il pas d’autre preuve ?
— Ce n’est pas cela qui manque. Si vous désirez savoir quelque chose, posez simplement la question.
— D’où vous vient une telle assurance ? Il est vrai qu’une partie du comportement de Myne lors du dernier incident m’a laissé songeur. Nous étions censés protéger Melty, mais elle l’a attaquée. Dans quel but ?
— Melty est mon héritière, elle deviendra reine après moi. Par conséquent, si elle meurt, c’est Malty qui prendra sa place.
— Je comprends mieux, à présent.

Ren aussi hocha la tête. Il se montrait attentif à ce qu’il se passait depuis un moment.
Même Itsuki, qui aimait prétendre qu’il était un remarquable chevalier au service de la justice, avait l’air convaincu.

— Est-ce qu’on devrait soutenir Naofumi ?
— Oui. Souviens-toi, lorsque Motoyasu l’a affronté en duel, il a été frappé par-derrière avec une magie. Pourquoi ? En y repensant, c’est quand même étrange, aujourd’hui encore.
— Oui, et le lendemain, nous étions supposés recevoir nos fonds pour le mois suivant, mais elle s’est arrangée pour qu’il n’obtienne rien. Difficile de ne pas nourrir de soupçons avec tout ça.

Cela avait demandé beaucoup de temps, mais son vrai visage était enfin révélé au grand jour.
Des vents plus favorables semblaient souffler dans ma direction. Je me disais que je pouvais désormais prouver mon innocence.

— Au tour d’Aultcray.

La reine tourna la tête vers le Sac à merde et il donna l’impression de s’affaler sur le trône.

— Que t’est-il donc passé par la tête ? Tu n’as rien fait pour découvrir la vérité. Nous étions censés accorder une attention toute particulière au Héros Porte-Bouclier, mais tu l’as laissé livrer à lui-même sans rien. Je ne sais que dire. Par le passé, peu importe mes sentiments à ton égard, j’ai toujours réussi à garder une poigne solide sur toi, mais…
— Tout cela est la faute du Bouclier !
— Malty n’a pas été violée. Ses mensonges ont été dévoilés devant nous. Qu’as-tu à dire sur ce sujet ?
— Argh… c’est le Bouclier ! C’est lui qu’il faut punir !

Était-ce là tout ce qu’il pouvait rétorquer ? Croyait-il être capable de me mettre tout et n’importe quoi sur le dos ? Quel Sac à merde…
Il ne faisait qu’ajouter davantage d’huile sur le feu.

— Quelle déception. Tu te montrais plus intelligent, autrefois. Tu valais mieux que cela !

La reine porta une main à son front… Il était évident qu’elle n’en supporterait pas plus.

— Il semblerait que vous soyez incapables d’assurer seuls votre défense.

En réaction, le Sac à merde et la Salope baissèrent tous deux les yeux.
Malgré tout, je n’avais pas l’impression qu’ils étaient sur le point de s’excuser auprès de moi. Cela me paraissait inconcevable.
Ils étaient tellement agaçants. Pourquoi la reine m’avait forcé à assister à tout cela ? Dans l’absolu, je voulais passer le moins de temps possible en leur compagnie.
Je ne m’attendais pas à ce qu’ils changent soudain d’attitude.

Je me demandais pourquoi elle n’avait pas fait du Sac à merde son esclave. Y avait-il une raison cachée derrière cela ?
Eh bien… il ne mentait pas vraiment de la même manière que la Salope.

— J’ai longtemps réfléchi à un moyen d’éviter d’en arriver là… mais je crains de ne pas avoir d’autre choix.

Tout en parlant, la reine ouvrit et referma son éventail d’un air absent, mais, l’instant d’après, elle le rabattit d’un claquement sonore et le pointa sur eux.

— Je vous renie, tous les deux. À compter de ce jour, et pour l’éternité, aucun de vous ne sera plus jamais considéré comme membre de la famille royale.
— Quoi ?
— Maman ?

La Salope et le Sac à merde s’exclamèrent de concert, tous deux sous le choc. Ils n’arrivaient pas à accepter la sévérité de la sentence.
Ce n’était pas si mal. Je commençais même à m’amuser ! J’espérais qu’elle avait encore d’autres choses à me montrer.

— M. Naofumi, pourquoi souriez-vous ?
— Allons… tu le sais.
— Je sais ce que vous avez traversé, mais…
— Mère… elle est sérieuse.
— Hein ?

Filo inclina la tête. Elle ne paraissait pas saisir ce qu’il se passait.
Elle pouvait se révéler vraiment stupide quand elle s’y mettait. Tout ce qu’elle comprenait concernait la nourriture, les attelages et Melty.
Une minute. Pourquoi je pensais à elle ? Il se produisait tellement de choses excitantes juste sous mes yeux !

— Pourquoi ?
— Vous vous êtes tous deux conduits de manière impardonnable. Eussiez-vous fait montre d’un quelconque signe de repentance, j’aurais pu réfléchir à un moyen de convaincre M. Iwatani de vous pardonner. Toutefois…
— Vous m’en pensez capable ?
— J’avais imaginé plusieurs manières de gagner votre confiance une fois que ces deux-là auraient avoué leurs crimes et se seraient excusés…

Ma confiance… des excuses… ha ! Je préférais me contenter de voir comment tout cela allait se terminer.

— Qu’arrivera-t-il à Melromarc si tu me retires de la lignée royale ?
— Rien de bien grave. Pour franche, tu es un véritable déchet, la lie de cette nation.
— Pardon ?
— Comment osez-vous parler à votre fille de cette façon ? vociféra Motoyasu, en colère.
— Tu ne comprends pas ? Tu ne fais que récolter ce que tu as semé. Et il est désormais limpide que Melty est la seule capable de diriger ce pays après moi. Malty, tu as perdu.

Elle avait raison, ce royaume serait en de bien meilleures mains avec la plus jeune des princesses.
Elle se montrait parfois un peu hystérique, mais elle avait pas mal mûri avec toutes les épreuves que nous avions traversées.
Et puis, ses dérapages verbaux n’étaient destinés qu’à moi, de toute façon.

— Si tu fais cela, tu te mettras à dos de nombreuses personnes et organisations.
— Je les ai déjà réduites au silence. Crois-tu vraiment que j’aie passé les derniers mois à me tourner les pouces face à ce qu’il se passait ? Si c’est le cas, tu te trompes lourdement.
— Mais…

Le Sac à merde était si stupéfait qu’il ne parvenait pas à parler. Il agitait juste les lèvres sans qu’aucun propos intelligible n’en sorte.

— De plus, pourquoi avoir pris l’initiative d’invoquer tous les Héros ici ? Il fallait d’abord que nous en discutions.
— Que voulez-vous dire ?
— Les Héros ont certainement dû trouver cela étrange d’avoir été invoqués dans ce monde sans l’aval ni la moindre apparition de la plus haute autorité de cette nation, n’est-ce pas ?
— Naturellement.

Au vu de ses dires, elle n’était vraiment pas du genre à déléguer ce genre de sujets cruciaux à ses subordonnées.
De plus, s’ils nous avaient fait venir ici et s’étaient montrés un peu plus courtois, s’ils avaient réellement fait l’effort de nous rallier à leur cause, ils auraient pu se servir de nous de manière bien plus efficace.
Je ne voulais pas l’admettre, mais c’était encore plus vrai pour mon cas… en sachant à quel point je ne savais rien de ce monde à mon arrivée.
Ils auraient pu s’arranger pour que je tombe amoureux et qu’un mariage politique se conclue.

— Avant d’aller plus loin, nous devons clarifier un point. Notre pays était supposé être le quatrième à invoquer les Héros. Cela a été décidé lors d’un sommet diplomatique international.
— Attendez une seconde !

Là, elle commençait à évoquer des sujets vraiment importants.
Plusieurs pays pouvaient faire venir les héros ? C’était un accord établi entre eux ?
Que manigançait Melromarc ?

— Expliquez-vous.
— Fort bien.

La reine nous présenta la situation.
Les vagues étaient arrivées, et beaucoup de pays avaient subi de lourdes pertes. Afin de discuter des options à leur disposition, les rois et reines de ces nations étaient tombés d’accord pour organiser une rencontre.
Il y avait évidemment de multiples intérêts en jeu, et certaines nations étaient opposées (comme Melromarc et Silt Welt), mais personne ne pouvait ignorer la vérité : le monde se rapprochait chaque seconde un peu plus de son annihilation totale. Même si un pays nourrissait un grief quelconque envers un autre, chacun accepta de le mettre de côté tant que la sécurité du monde n’était pas garantie.

Durant ce sommet, il fut décidé que Melromarc serait le quatrième pays à invoquer les héros.
Il semblait également que la procédure habituelle consistait à en faire venir un à la fois. La plupart du temps, la tentative échouait.
Et, cela était censé être une évidence, les héros devaient voyager un peu partout, se rendant au sein de tout un tas de pays.

— Alors, pourquoi Melromarc les a-t-il tous invoqués ?
— Les Héros sont théoriquement appelés ici en faisant appel à des fragments d’anciennes reliques sacrées. La cérémonie ne peut avoir lieu qu’à un moment précis, mais…

Cela signifiait qu’ils avaient procédé au rituel lorsque la reine s’était retrouvée hors du royaume.

— L’Église des Trois Héros existe depuis longtemps, et ses racines s’enfoncent profondément dans cette contrée. De ce que je sais, il s’agit d’une organisation très conservatrice. Malgré tout, il semblerait qu’elle ait conçu des plans d’une ambition surprenante.
— Ça m’a l’air d’un gros problème.

Les héros étaient supposés sauver le monde entier, mais nous avions tous été invoqués au même endroit.

— Oui, c’est pour cela que nous avons été si sévèrement critiqués.
— Pourquoi vous avez laissé les rênes de ce pays à un va-t-en-guerre pareil ?

C’était sacrément fâcheux. Elle lui avait donné beaucoup trop d’autorité.
Ren et Itsuki paraissaient d’accord avec moi. Ils hochèrent la tête. Toutefois, leurs coéquipiers donnaient l’impression d’avoir quelque chose à dire là-dessus.
J’avais entendu quelques bribes par Melty. Elle avait dit que plusieurs très bons éléments de la noblesse, ceux qui avaient été responsables du village de Raphtalia, furent tués lors du passage de la vague.

— Qu’est-ce que vous dites ?
— Silence ! s’écria la reine pour obtenir le calme.
— Le père de Myne n’est pas si mauvais !

Motoyasu avait visiblement encore envie de nous faire part de son immense sagesse.

— Motoyasu, tu as cette impression parce que tu as reçu un traitement spécial. Pour nous, tout ça est cohérent.
— Oui. J’ai toujours eu le sentiment que la situation était injuste depuis le départ.
— C’est bien cela, le problème. La première vague s’est produite tandis que j’étais à l’étranger pour raisons diplomatiques. J’avais nommé quelqu’un en qui j’avais confiance, mon bras droit, pour s’occuper du royaume en mon absence… mais…
— … Mais ?
— Il est mort pendant la catastrophe… Et dire qu’il avait consacré tellement de temps à gagner la confiance des demi-humains…
— Puis-je vous poser une question ?
— Qu’y a-t-il, M. Amaki ?
— Pourquoi est-ce qu’une nation de suprémacistes humains comme celle-ci posséderait des membres de la noblesse qui voudraient travailler avec des demi-humains ?

La reine ouvrit son éventail et couvrit sa bouche tout en répondant à la question de Ren.

— Nous désirions éviter la guerre avec Silt Welt, une partie de notre stratégie consistait donc à améliorer nos relations avec les demi-humains. Silt Welt en était conscient, et ils faisaient de même avec les humains au sein de leur pays.

Je commençais à comprendre. Les aristocrates s’étaient montrés avenants envers les demi-humains en tant que gage de bonne foi, afin d’éviter tout conflit armé avec Silt Welt.

— C’est tout de même étrange que vous soyez si franche sur ce sujet, dit Itsuki à la reine, exprimant ainsi ses soupçons.
— Après votre invocation forcée ici, prenez cela comme preuve de ma sincérité. Cela démontre que moi, la plus haute autorité de ce royaume, suis prête à évoquer à cœur ouvert ces questions avec vous. Si je ne mettais pas tout en œuvre pour obtenir votre confiance, comment pourrais-je vous demander votre coopération ?

Ren et Itsuki échangèrent un regard et acquiescèrent.

— Néanmoins… Aultcray a déjà fait montre d’un fort traitement préférentiel à l’égard du Héros Lancier. Les Héros Archer et Épéiste ont tous deux démontré leur loyauté. Cependant, à compter de maintenant, si je vous donne l’impression d’accorder trop de faveurs au Héros Porte-Bouclier, veuillez comprendre que j’essaie simplement de rééquilibrer les choses en faisant amende honorable pour les torts que ce pays lui a causés.
— Très bien.
— Vous avez raison. Si Naofumi est vraiment innocent de tout ce dont on l’accuse, alors il faut faire quelque chose. Je comprends.
— Pour revenir au sujet qui nous intéresse… il semble que l’incompétence d’Aultcray ait conduit à la destruction de notre quartier protégé réservé aux demi-humains.

La reine leva une jambe et broya le pied du Sac à merde de toutes ses forces.

— Aïe !
— Et j’ai appris cela au moment même où j’ai découvert l’existence de ta cérémonie d’invocation secrète !

La reine s’acharna sur lui de multiples fois.

— Ugh…
— Cela m’apprendra à permettre à un imbécile de diriger en mon nom ! Une suite sans fin d’événements absurdes s’est produite pendant mon absence ! Même si notre véritable ennemi ÉTAIT l’Église…
— Ugh !
— Et, lorsque les Héros ont commencé leur quête, il a fallu que le lendemain même, tu fasses mander le Bouclier et le traites comme un criminel !
— UGH !
— Ensuite, tu as continué de le discriminer ! As-tu la moindre idée de la guerre imminente qui nous menace par ta faute ?
— UGH !
— Et, juste après la deuxième vague, tu as tenté de lui dérober son esclave ? Que t’est-il donc passé par la tête ?

Elle était très, très remontée…

— À cause de tes folies, Silt Welt et Shild Frieden sont furieux. Ils pourraient attaquer à tout moment !

Je commençais à compatir avec la reine, vu sa délicate situation.
Tous ceux à qui elle avait confié le royaume étaient morts ou avaient disparu, et elle devait désormais s’assurer toute seule que le monde ne bascule pas dans la guerre.
J’étais impressionné. Elle devait être une diplomate très douée.
Même si, là, elle ressemblait juste à une femme hystérique d’une vingtaine d’années qui pétait un câble devant son mari.
Et elle était la mère de Melty et de la Salope ? Elle faisait assurément jeune pour son âge.

— Puis, comme si cela ne suffisait pas, tu m’as écrit pour réclamer la présence de Melty ? Jusqu’où s’étend ton égoïsme ?
— Ugh !
— Et ceux qui se servaient de toi et de ton visage cramoisi pour accomplir leurs propres objectifs… ils étaient juste devant toi et tu ne l’avais pas remarqué ? Tout cela est arrivé par ta faute !

Elle écumait de rage. Et ce n’était pas terminé.

— Je déclare officiellement l’Église des Trois Héros comme institution hérétique ! Melromarc suivra dorénavant le dogme de l’Église des Quatre Saints Guerriers !
— Qu… quoi ? Tu es prête à renoncer aux traditions mêmes qui ont donné naissance à ce royaume ?
— Rien ne justifie de maintenir des coutumes qui n’apportent que des ennuis !

L’Église des Quatre Saints Guerriers ?

— Qu’est-ce que c’est ?
— Une religion qui vénère de la même manière les quatre Saints Héros, expliqua Melty.

Ma foi, c’était plutôt logique. Si quatre personnes étaient là pour sauver le monde, il fallait s’attendre à ce qu’une religion basée sur eux apparaisse à un moment ou un autre.

— Un jour, l’Église des Trois Héros s’est détachée de l’Église des Quatre Saints Guerriers. Toutefois, pour le comprendre, il faudrait remonter aux origines de Melromarc.
— Oh…

Si Silt Welt vénérait le Héros Porte-Bouclier, il paraissait cohérent de supposer que les autres nations vouaient un culte aux héros à leur manière. Il était assez simple d’en imaginer la raison. Si Melromarc et Silt Welt n’étaient pas en bons termes, et que ce dernier vénérait le Héros Porte-Bouclier…
Rien de plus naturel pour eux d’embrasser une foi énonçant que la religion de l’autre pays était fausse, que leur dieu était un démon, et ainsi de suite. Cela expliquerait comment était née l’Église des Trois Héros.

*Soupir*

La reine avait fini son sermon à l’encontre du Sac à merde. Revigorée sous l’effet de tous ses coups, elle ouvrit son éventail, couvrit sa bouche et se tourna vers moi. Quel dommage que je n’aie pas eu l’occasion de le frapper, moi aussi.

— Il y a encore tant de choses dont nous devons discuter, M. Iwatani. Mais cela devra attendre.
— Je préférerais ne pas avoir à entendre quoi que ce soit de plus.
— Myne et le roi ne sont pas de mauvaises personnes ! Tout ça n’est qu’un malentendu !

Motoyasu s’était muré dans le silence pendant un moment, mais il finit par s’avancer et reprit ses vociférations.
Que voulait-il ?

— Mais tout se tient, non ? On a failli être tués, et la vérité derrière ces faits a été révélée et prouvée.
— Oui. On a mis le nez dans pas mal de choses. Je suis devenu soupçonneux. J’ai vraiment l’impression que Naofumi a été mis à l’écart. En fait, c’est même très impressionnant qu’il ait pu obtenir la confiance de qui que ce soit. Et tout ça n’a rien à voir avec un hypothétique Bouclier d’Endoctrinement. C’est grâce à lui et à ses amis. Ils ont acquis la confiance de ces gens en toute légitimité.

Itsuki et Ren parlèrent en ma faveur.

— Lorsque j’ai déclenché une épidémie par accident dans ce village situé en pleine montagne, c’est Naofumi qui a arrangé la situation. C’est bien assez pour croire en lui.
— Oui, et si tu ajoutes l’arme que le Pape a utilisée contre nous, le responsable de tout ça est assez évident.
— Ugh…

Les doigts de Motoyasu se refermèrent pour former un poing tremblant. Il continuait de me fixer.

— M. Kitamura, si vous désirez poursuivre vos protestations, il vous faudra pour cela vous munir de preuves étayant votre théorie.
— Très bien. Je reviendrai avec ce qu’il faut. Myne ! Allons-y.
— Malheureusement, je n’ai pas fini ma conversation avec Malty. Vous allez devoir attendre que j’en aie fini avec elle.

Quand la reine finit sa phrase, un nombre important de chevaliers du château firent leur apparition derrière le trône et marchèrent vers lui.

— Ma… mais ! Mais, Myne !
— Héros Lancier, veuillez sortir.

Ils se montrèrent très polis tout en l’incitant à quitter la salle du trône.
J’espérais qu’il n’était pas assez stupide pour provoquer un esclandre ici même.

— Arrête de changer de sujet.
— Je suis vraiment désolé.
— C’est clairement la faute de Motoyasu, alors je ne m’en ferais pas trop, à votre place.

Itsuki semblait se douter que Motoyasu recevait un traitement de faveur depuis le départ. Je ne vis aucune raison me poussant à le reprendre.

— Quoi qu’il en soit… il reste encore de multiples châtiments que je dois infliger à mon mari et à ma fille.

La Salope et le Sac à merde avaient le teint pâle. Il était temps pour eux d’assumer les conséquences de leurs actes.

— Êtes-vous déçus ?
— Évidemment !
— Oui ! Maman ! Je ne suis pas méchante !
— Il me semble t’avoir déjà reniée, alors cesse de m’appeler « maman », je te prie. Quant à votre sort… Ah oui, peut-être vais-je vous contraindre à rembourser une partie de la dette de ce pays. Lisez cela.

La reine s’arrêta un instant.
Elle tendit à la Salope un morceau de papier avec un nombre écrit dessus. Le visage de sa fille pâlit davantage.
La Salope se révélait fidèle à sa nature. Apparemment, elle s’était comportée avec frivolité vis-à-vis des coffres du royaume. Difficile pour moi de feindre la surprise.

— Comment suis-je supposée payer une telle somme ?
— Il s’agit du montant que tu as demandé à la guilde. Tu ne peux pas prendre ce que tu veux dans nos réserves et ne pas t’attendre à devoir rembourser un jour. J’ai aussi pris la liberté d’ajouter le coût nécessaire pour éteindre tous les incendies que tu as déclenchés. Comme le dit ce papier, tu travailleras désormais en tant qu’esclave pour rembourser la dette que tu as contractée auprès de la Couronne.
— Mais c’est impossible !
— Si cela ne te plaît pas, mets-toi au service des Héros pour sauver le monde. Si tu apportes une réelle contribution, j’y réfléchirai à nouveau.

La Salope fut enfin réduite au silence, et la reine se tourna alors vers le Sac à merde.

— Regarde-toi donc, tu as l’air tellement soulagé de voir que ta fille est la seule à payer pour ses fautes ! Cela vaut aussi pour toi, Aultcray.

Le Sac à merde était si estomaqué qu’il en trébucha vers l’avant. Ce pauvre imbécile n’était même pas fichu de lever la tête devant la reine.
Ne pouvait-il pas agir avec plus de dignité, à la manière d’un roi ?

— Soit tu combats pour le futur de notre pays en affrontant les vagues, soit tu renonces à tes responsabilités et deviens un aventurier comme les autres. Fais ton choix.
— Ugh… mon épouse… ma REINE. J’ai été trompé. Rien de plus. Je t’en prie, j’implore ta pitié.

Et qui l’a dupé, hein ? L’Église ? Ou moi ? À moins qu’il ne s’apprête à tout mettre sur le dos de sa propre fille ?

— Oui, maman, pardonne-moi…
— Je ne suis prête ni à pardonner ni à avoir pitié… Ah, j’ai une idée.

La reine me fit signe. Je m’avançai rapidement.

— M. Iwatani. Comment pourrions-nous punir ces deux-là ? Je vous accorde le droit de décider.
— Par la mort ! Exécutez-les !

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