Hyrkil l’elfe obèse chapitre 7

Chapitre 7 :

          L’accueil fut bien plus détendu, quand Hyrkil et ses deux compagnons pénétrèrent de nouveau dans la ville de Cantan. Cependant le trio ne pouvait pas s’empêcher d’être d’humeur lugubre. Le ventru se considérait comme quasiment invincible dans un combat au un contre un, pourtant il dut se battre comme un damné pour obtenir la victoire contre un dragon qui faisait de la figuration, qui n’utilisait pas un dixième de sa puissance pour se défendre. Hyrkil se dit qu’il allait avoir besoin d’un sérieux entraînement s’il voulait mener sa quête à son terme. Cette constatation le blessa profondément. Il pensait appartenir à l’élite de l’élite, mais dans les faits il existait beaucoup plus fort que lui en matière de magie. Il se promit de s’entraîner sans relâche, dès qu’il trouverait un site approprié pour s’exercer à la sorcellerie. Cela valait mieux, la partie difficile du voyage n’avait pas encore commencée.

           Frêneleau s’avérait amer, il n’obtint qu’une bourse remplie d’or alors qu’il aurait pu mettre la main sur des coffres entiers pleins de richesses. Il admettait que son maître avait eu raison de l’inciter à partir, une fois que Korvir fut mort. Néanmoins il aurait vraiment apprécié un petit détour dans la caverne où le dragon entreposait ses richesses. Il se sentait malade à l’idée d’avoir laissé passer une superbe occasion de mettre la main sur un pactole considérable. Certes la grotte devait contenir quantité de pièges élaborés, mais Frêneleau aurait vraiment apprécié un détour vers la caverne des mille et un trésors.

          Alaman vécut la peur de sa vie, il était heureux de recevoir des honneurs, mais cela n’effaça pas la terreur qu’il éprouva devant la fureur de Korvir. L’ogre se demandait quelles épreuves terribles, et monstres abominables, il devrait encore affronter avant que son maître soit satisfait. Surtout qu’Hyrkil avoua que le périple ne faisait que commencer.

          Hyrkil et ses deux compagnons appréciaient leur repas, mais le banquet organisé en leur honneur ne les déridait pas. Tous trois répondaient de manière brève aux questions posées, ils faisaient des efforts pour paraître extérieurement contents, mais à l’intérieur l’angoisse ou la déception les rongeait.

           Même quand le mets préféré du ventru arriva devant lui, celui-ci bougonna intérieurement. Pourtant il adorait le porc à la crème, il raffolait de ce plat, il pouvait en manger plusieurs kilos au cours d’un seul repas.

         La remise d’une petite statue en bronze pour Frêneleau lui semblait un piètre lot de consolation. Dans la caverne qu’il visita, il trouva des dizaines de sculptures géantes en or ou en argent, qui auraient pu lui permettre de s’offrir une splendide maison, ou un immense domaine forestier. L’elfe des bois savait que les siens désapprouvaient généralement l’appétit de richesse, mais il était dans l’incapacité de réfréner certaines de ses pulsions liées à son désir de fortune. Il aimait sincèrement la nature, et il protégeait avec assiduité les bois, néanmoins il souffrait d’avidité financière. Ses semblables trouvaient navrant son goût pour l’argent, mais Frêneleau n’arrivait jamais à regretter son envie d’accumuler les gains. Il savait se montrer généreux et protecteur, mais la vue de l’or provoquait chez lui, des élans de cupidité. Il prenait par moment des risques inconsidérés, pour une rémunération avantageuse. Par exemple il affronta à lui seul dans le passé, dix adversaires très bien armés, avec seulement un arc, des flèches, et un couteau. Heureusement pour l’elfe, ses ennemis s’avéraient très ivres, ils fêtèrent avec immodération une victoire, en buvant de grosses quantités d’alcool, le simple fait de se tenir debout constituait pour eux une épreuve difficile. Ainsi Frêneleau malgré sa témérité réussit à survivre, grâce à une chance souvent insolente.  

          Alaman bien qu’il soit un amateur de relations sexuelles, et qu’une superbe femelle de son espèce l’invita à partager son lit, ne ressentait pas une joie manifeste. La perspective d’une partie de jambes en l’air ne le déridait pas. L’ogre repensait presque sans cesse à Korvir le dragon, et qu’il devrait vraisemblablement côtoyer plus tard des créatures encore plus redoutables, capables d’un geste voire d’une pensée de l’annihiler.

           Dans une salle dédiée aux banquets, Pegoc le marchand hobbit faisait un long et ennuyeux discours qui barbait Hyrkil. Le retour de l’anneau de la fraternité auprès des autorités hobbites, promettait de nombreuses festivités ennuyeuses, qui risquaient de retarder la réalisation du rêve du ventru. D’accord l’anneau était une relique majeure qui avait un grand poids dans l’imaginaire des hobbits, mais l’idée d’attendre pour dénicher des informations valables commençait à crisper Hyrkil. Il y avait quand même des gens qui ne voulaient pas se montrer reconnaissants envers le ventru.

Pegoc : Je sais que je vais me répéter, mais je remercie encore une fois chaleureusement Hyrkil pour les services inestimables qu’il a rendus à mon peuple.

Hyrkil : Je suis content d’avoir œuvré pour les hobbits, une fois de retour chez moi j’ai l’intention de m’évertuer à ce que les miens aient des relations plus cordiales avec les royaumes hobbits.

Manoc : Je n’en crois rien, je suis prêt à parier ce que vous voulez, que vous Hyrkil tramez des projets diaboliques à l’égard de mon peuple.

Pegoc : Manoc vous avez beau être le maire de la ville de Cantan, cela ne vous donne pas le droit de diffamer un héros.

Manoc : Hyrkil a prouvé qu’il était rusé et un excellent sorcier, mais il refuse d’avouer le but de sa quête.

Pegoc : C’est son droit, dissimuler les raisons d’un voyage ne constitue pas un crime.

Manoc : Quand on a affaire à un ventru, il vaut mieux multiplier les précautions. Donc même si Hyrkil peut rester dans ma cité, je lui refuse le droit de consulter les cartes de la guilde cantanienne des explorateurs.

Pegoc : Vous avez beau être un maire et une personne influente, vous n’avez pas le droit de vous mêler des affaires de ma guilde, sauf cas de force majeure.

Manoc : Justement un ventru qui désire consulter des documents secrets, c’est une situation particulière.

Pegoc : Hyrkil a juré sur le dieu Gargantua qu’il ne voulait pas faire de mal aux hobbits, or vous connaissez la foi religieuse des ventrus par rapport à leur divinité tutélaire.

Manoc : Je l’admets le serment religieux d’Hyrkil a un côté rassurant, mais il ne me convainc pas totalement. Et je n’aime pas faire courir de risques aux habitants de ma ville.

Hyrkil : Je connais un moyen de vous rassurer monsieur le maire.

Manoc : Vous pourrez abattre autant de monstres que vous voulez, cela ne modifiera pas mon jugement.

Hyrkil : Je vais prouver mes bonnes intentions devant la balance de la vérité.

          Suite à la déclaration d’Hyrkil un lourd silence s’abattit parmi les convives. D’après la rumeur, seules les personnes dotées d’un cœur extrêmement pur pouvaient se présenter devant la balance sans finir transformer en cendres. Par conséquent il paraissait inconcevable qu’un ventru réussisse à survivre à l’épreuve. Des centaines de gens honorables essayèrent de montrer leur vertu à la balance, la plupart finirent brûler. En général le nombre de survivant se chiffrait à un tous les siècles. Les bénéfices pour ceux qui arrivaient à surmonter l’épreuve étaient considérables, ainsi des aveugles retrouvaient la vue, des estropiés guérissaient de leurs maux, des désespérés se mettaient à apprécier leur vie.

            Alors beaucoup tentaient de s’approcher de la balance, malgré le très faible nombre d’individus qui restaient en vie. En outre survivre à l’épreuve conférait un très grand prestige social, et des places de choix dans la société hobbite, comme des postes de conseillers auprès de puissants, ou la possibilité d’exercer la fonction de juge. Quelques rescapés devinrent même grand mandarin, ils exercèrent ainsi la fonction politique suprême dans les royaumes hobbits. Les religieux avaient tendance à sanctifier les survivants, ils les présentaient comme des modèles irréprochables, dont l’exemple devait être suivi. Il existait d’ailleurs un culte officiel d’état pour les rescapés. En effet des temples et d’autres lieux de commémoration entretenus par les autorités servaient à rendre hommage aux survivants. Cependant même les loyaux Alaman et Frêneleau doutaient de la santé mentale de leur maître, celui-ci leur semblait complètement fou, d’essayer de prouver sa vertu. En effet il pouvait se montrer loyal et franc, néanmoins il appréciait les complots, et les coups bas. Bref ce n’était pas une personne très recommandable. En théorie les chances d’Hyrkil de ne pas mourir en se présentant devant la balance s’avéraient nulles.

Manoc : Très drôle, même si étiez assez vertueux pour que la balance ne vous consume pas, votre poids est beaucoup trop fort. Vous risquez de la casser, si vous montez dessus.

Hyrkil : Je sais c’est pourquoi, je suis prêt à perdre cent kilos avant de monter dessus.

          Les convives du banquet avaient l’impression de rêver, ils regardaient Hyrkil le ventru avec un mélange d’admiration, d’étonnement et d’incrédulité. Ils entendirent dire qu’un poids imposant constituait un but fondamental des ventrus, or l’un d’eux était prêt à perdre beaucoup de kilos. Frêneleau, et Alaman se demandaient bien ce qui passait par la tête de leur maître. Celui-ci balança en moins d’une minute, des énormités incroyables comme quoi il était vertueux, et il voulait se retrouver avec une masse corporelle insignifiante selon les critères des elfes gargantuesques.

Manoc : Bel effort Hyrkil, mais malheureusement, il faudrait que vous pesiez au maximum soixante kilos pour que la balance ne cède pas sous votre poids. Vous n’êtes pas assez ambitieux.

Hyrkil : Dans ce cas, je m’arrangerai alors pour ne faire que cinquante kilos.

Manoc : La balance dissipe les sorts de métamorphose, vous devrez perdre du poids de manière naturelle pour tenter une pesée.

Hyrkil : Aucun problème, je suis prêt à devenir svelte pour atteindre mon objectif.

          Un applaudissement d’abord timide surgit, puis une deuxième paire de mains frappa l’une contre l’autre, ensuite une troisième personne manifesta son enthousiasme. Au final une salle entière remplie de hobbits retentit d’acclamations. Par conséquent Manoc le maire faillit étouffer de rage, Hyrkil démonta ses arguments et le couvrit de ridicule. Il gagna l’estime de hobbits très influents, il se forgea par ses paroles une réputation élogieuse. Alors que le maire voulait mettre dans une impasse son ennemi. Puis il se radoucit, vu les sacrifices consentis par Hyrkil, sa quête devait concerner quelque chose d’une valeur plus qu’exceptionnelle. Manoc estima qu’il pourrait acquérir un pouvoir politique considérable, s’il volait ce que convoitait le ventru. Par conséquent il accepta de ne plus faire obstacle pour le moment à son adversaire. Cependant il comptait espionner Hyrkil, il embaucherait s’il le fallait des dizaines de personnes pour obtenir des renseignements utiles.

          Ses ambitions s’avéraient grandes, il voulait dominer au moins une région, régner en maître absolu dans une zone grande de plusieurs centaines de kilomètres. Manoc appartenait à une famille influente, mais en tant que dernier né d’un groupe de treize enfants, il ne devait pas jouer un rôle important que ce soit au plan politique, religieux ou militaire. Son père n’avait pas de grande ambition à son égard, il le voyait comme un élément très secondaire. Pour arranger les choses les frères du maire le jugeaient comme un être peu utile, malgré ses efforts. En effet Manoc étudiait d’arrache-pied, il déploya des trésors d’ingéniosité pour mettre en place des plans, renforçant la fortune et la réputation de ses proches. Cependant tout ce qu’il récolta ce fut des reproches, sa famille voulait que le maire reste à sa place, elle désirait qu’il se contente d’obéir à des directives simples. Manoc appartenait à une famille traditionnaliste, qui considérait que les aînés devaient monopoliser l’ensemble de la gloire, et que les derniers-nés faisaient office de faire-valoir, qu’ils avaient l’obligation de ne pas chercher à s’illustrer trop.

             Le maire voyant qu’il ne pourrait pas s’élever socialement en suivant les voies légales, se tourna vers le crime. Il réussit bien grâce à ses connaissances et son manque de scrupules. Ainsi il devint le caïd le plus influent de la ville de Cantan. Il faillit se débarrasser de l’ensemble de ses frères et sœurs, ainsi que de son père et de sa mère, en  organisant un terrible carnage. Toutefois il renonça au dernier moment, non par amour pour sa famille, mais par volonté de bien les contrarier en les obligeant à contempler son statut social grandissant.

           Hyrkil commença à perdre dix kilos par jour grâce à la magie noire, cependant il souffrit le martyr. Il recourait à un sort d’amaigrissement certes efficace, mais aussi aux conséquences négatives. En effet il ressentait une douleur atroce, de plus il éprouvait une faim impressionnante.

           Toutefois grâce à un immense effort de volonté, il arrivait à se dominer, à ne pas céder à l’envie de s’empiffrer. Il jouait un jeu très dangereux, car son organisme se rebellait, son corps ne supportait pas les privations. En outre au niveau mental, chaque jour qui passait voyait la folie s’étendre dans l’esprit du ventru. Hykil souffrait d’hallucinations d’une puissance croissante, il dormait d’un sommeil très agité, il rêvait de nourriture et de festins.

           Une de ses premières pensées en se levant, consistait à penser à des aliments gras et consistants. Il s’imposait une discipline de fer pour résister à la tentation de se goinfrer. Il se contentait de boire de l’eau, et de plats de légumes, notamment de la salade, des petits pois et des haricots verts. Néanmoins il n’arrivait pas à empêcher son esprit de délirer toujours un peu plus. Le ventru songeait fréquemment à se suicider. Il se dit que suivre un régime sévère, constituait une forme de torture insoutenable. Puis il se reprit, il devait tenir, au début de sa cure de perte de poids il parlait beaucoup avec ses serviteurs pour passer le temps. Mais il arrêta de les fréquenter et de communiquer pour économiser ses forces, et éviter d’attenter à leurs jours. Au fur et à mesure qu’Hyrkil maigrissait, son agressivité s’amplifiait. Il voulait détruire pour se passer les nerfs, mais il se forçait à se contenir, car il avait un besoin impératif de préserver une réputation positive.

          Finalement le jour de la pesée sur la balance de la vérité vint. Hyrkil faisait peine à voir, il ne se déplaçait que grâce  à l’aide de ses serviteurs, il possédait un regard éteint, il semblait dans un état proche de l’agonie. Il réalisa son objectif d’atteindre les cinquante kilos, mais au prix de souffrances terribles. Il était dans un tel état de faiblesse, que parler risquait de signifier sa mort. Alors on l’autorisa à se contenter de hocher la tête pour dire oui ou non. Manoc le maire espérait que le ventru survivrait, il pria de manière intense pour que son ennemi vive tant que son but ne serait pas connu. Problème même si Hyrkil ne pouvait pas mentir une fois assis sur la balance, sous peine de finir carbonisé, il serait difficile de disposer de réponses précises, si l’interrogé se contentait de bouger la tête. Alors Manoc prit la résolution d’engager un véritable bataillon d’espions pour découvrir le fin mot de l’histoire, ce n’était pas des dizaines de mouchards qu’il embaucherait mais des centaines. Il sentait que l’objet de la quête du ventru vaudrait des récompenses somptueuses pour celui qui la conclurait.

           Alors Manoc se mit en tête de dépenser une véritable fortune pour découvrir le but de son adversaire. Il ressentait des sensations qu’il pensait perdues à jamais, il éprouvait une vive excitation. Il faisait des rêves de grandeur, il s’imaginait passer de maire à souverain voire encore mieux. Bien sûr Hyrkil de par ses talents de sorcier était un gros morceau, mais le maire se caractérisait par sa détermination et surtout sa cupidité. S’il devait vendre une partie de son âme à des démons pour arriver à voler le butin du ventru, il n’hésiterait pas.

           Pour l’instant il voyait avec étonnement Hyrkil surmonter l’épreuve de la pesée. La balance fut amenée dehors sur une grande place, connue pour les promenades entre amoureux autour des grands chênes.  Le ventru secouait la tête pour dire non à la plupart des questions, apparemment il ne projetait ni meurtre, pillage ou d’autres crimes contre des hobbits.

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