Tour Des Mondes – Chapitre 125

Enquête 3

Je me frotte le visage et jette un œil dans les alentours.
Madeleine est en train de nettoyer des verres derrière le bar pendant que Carl allume quelque chose qui ressemble à une cigarette. Je ne m’attendais pas à en voir une fois dans la Tour, mais j’imagine qu’un équivalent existe au pied de la tour et dans Galatia.

Je regarde Yuu qui est installé sur le comptoir. Il est tellement différent de Micha et de Juliette… Sa façon d’agir ou encore ses actions et réactions. Le simple fait qu’il puisse me mentir m’a légèrement choqué. La relation que j’ai avec Micha et Juliette est tellement plus « pure » et franche. Il n’y a pas de mensonge et que la situation nous plaise ou non, quand je fais quelque chose de déplaisant… elles me le disent sans détour.

Cependant, Yuu n’a pas encore atteint ce niveau là d’intimité ou plutôt il l’a contourné. Quoi qu’il ait fait au lien pour que je sois capable de le supporter, il l’a modelé pour n’être qu’une sorte de visiteur sans avoir à tout partager. Si je ne peux pas lui faire confiance et qu’il peut me mentir ou me cacher des choses, je ne sais pas ce que je vais faire de lui. Je ne suis pas qu’un taxi vers un autre monde, ce n’est pas pour ça que Micha et Juliette me suivent. Que Yuu soit motivé par la découverte je pourrais le comprendre, mais même ça je n’en suis pas sûr. À part des informations venant de son corps et une idée générale de ce qu’il ressent, je n’ai pas accès à ses pensées alors qu’il a accès à toutes les miennes… Je prenais le silence à travers le lien pour quelque chose de normal, mais il a du trafiqué ça aussi pour que je ne l’entende pas réfléchir et penser.

Je ne vois pas ce qu’il cherche à cacher, mais il fait ça bien.
[Je ne cache rien de particulier. Je conserve juste mon… jardin secret.]
Et tu me prends pour un idiot avec ça. Tu m’espionnes quand tu le souhaites et je suis sûr que tu te sers de télépathie pour me parler comme ça tu as accès à tout ce que je pense et pas l’inverse. Tu as juste bloqué le signal pas vrai ?
[Tu es juste envieux parce que je maîtrise mieux le lien que toi. Quand tu seras capable d’en modifier les limites, tu n’auras qu’à le faire.]
Très bien. Revenons là où nous en étions à présent. La menace.
[… C’est toi qui l’auras voul…]
.. Arrête ton cirque, tu es parti enquêter pour ça, non ? Pour que « nous » en sachions plus, non ? Alors, commence à me dire ce que je dois savoir.
[La nuit où j’ai trouvé le corps de mon partenaire grimpeur, je suis arrivé trop tard. Il n’y avait personne dans les alentours comme si l’agresseur avait senti ma présence et avait fui ce qui est normalement impossible quand je suis dématérialisé. Pour faire simple, je passe à travers un autre plan d’existence et vu qu’il n’y a pas d’oxygène dedans, je dois revenir pour respirer.]
Je croyais que la magie n’existait pas dans ce monde ?
[Tu penses vraiment que les humains connaissent toutes les limites de ce monde ? Ils ne savent même pas que les Kelfis sont des êtres dotés de conscience… et ce n’est pas comme si nous le cachions volontairement. Même quand j’étais invisible, tu as quand même pu me sentir grâce au lien, mais normalement personne ne devrait savoir que j’existe puisque je ne suis même pas présent physiquement. Personne ne devrait le sentir ou le savoir. Pourtant l’agresseur m’a senti arriver puisqu’il a pris le temps de fuir.]
Pourquoi tu me racontes ça ?
[Parce que c’est impossible de me repérer. Personne ne devrait savoir que je suis là. Mais ce n’est pas tout. Avec mes sens je devrais pouvoir repérer quelque chose, une odeur, un indice, mais il n’y avait rien du tout. Je n’ai rien senti dans la ruelle, dans la ville ou ailleurs. Absolument rien. J’ai essayé de me repérer avec l’odeur du sang, mais soit les corps sont abandonnés quand j’arrive, soit ils ont disparu. Ce que tu dois comprendre c’est que c’est impossible de camoufler quelque chose à ce point et que c’est impossible de me détecter.
Donc tu es en train de m’expliquer que tu n’as rien appris pendant ton enquête et qu’ils sont plus compétents que toi en matière de camouflage.
[Oui et non. La réponse risque de ne pas te plaire.]
Alors quoi ? Tu vas finir par le me dire ?
[Ils ne laissent rien derrière eux. Pas de marque, de trace, de preuve et même d’odeur que je peux remarquer. Les cadavres de grimpeur que j’ai trouvés jusque là n’avaient que peu de marques de résistance et j’imagine que pour ceux qui résistent, ils font disparaître le corps avec les preuves.
À ce niveau, ce sont plus que des assassins, ce sont des professionnels du meurtre.]
Ou est-ce que tu veux en venir à la fin ?
[C’est très simple. Tu sais qui d’autre dans la ville est comme ça ? Qui ne dégage aucune odeur et qui passe pour un véritable fantôme ? Il n’y a que deux choses qui t’indiquent leur présence, l’oxygène qu’il respire et le fait que tu puisses les voir.]
Les Manges-Mots… ?
[Gagné.]

Je commence à réfléchir. Si ce sont les manges-mot il faut une raison à l’attaque, mais je suis incapable de trouver laquelle. Même en demandant à Yuu il m’explique qu’il n’en sait rien. Est-ce que c’est une tentative des nobles pour faire fuir les grimpeurs hors de la ville ? Ils ne m’ont pas donné l’impression de détester les grimpeurs suffisamment pour ça vu qu’ils ont l’air indifférents en me voyant dans le quartier où habite la famille Gorge. Donc ça doit être causé par quelqu’un d’autre que les « maîtres » des Manges-Mots.

Je me tourne vers Madeleine avec un visage beaucoup trop sérieux vu sa réaction. La porte menant à l’autre salle est fermée et je ne souhaite pas qu’un bruit de ce genre s’ébruite.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Si tu t’inquiètes de ne pas pouvoir parler librement ici, crois-moi tu peux. — J’ai des raisons de croire que ce sont les Manges-Mots qui sont les agresseurs. Enfin si mon animal dit vrai.
— Impossible. Les manges-mot n’ont jamais brisé la loi jusqu’à présent… Aucun deux et cela depuis qu’ils sont arrivés dans cette ville il y a plus de cinquante ans ce n’est aussi pour ça qu’ils ont la confiance de tout le monde. On les a déjà retirés de la liste des suspects il y a un moment. Pourquoi est ce qu’ils organiseraient des meurtres de grimpeurs ?
— Je ne sais pas… Mais il n’y a jamais aucune preuve à aucun des meurtres pas vrais ? Sur plus de 200 meurtres, c’est impossible. Vu que je m’entraîne avec l’un d’eux, je sais qu’ils sont forts, mais je pense qu’ils sont bien plus forts qu’ils ne le montrent. Ils ont l’air de ne rien laisser paraître, de ne pas souffrir, de ne rien ressentir, de ne pas être différents des uns des autres. Franchement, ils ont l’air d’être parfaits pour ça.
— C’est difficile de le croire, aucun humain seul de ce monde n’est capable de tuer un grimpeur avec autant de précision. Les manges-mot tuent les grimpeurs agressifs, mais uniquement en groupe et jamais facilement de ce que je sais.
— C’est le premier monde, non ? Les grimpeurs sont tous des débutants qui débarquent du pied de la tour comme moi et qui n’ont pas d’expérience du combat réel. Et… De ton côté, tu as l’air d’être une vétérane qui a fait plusieurs mondes. C’est peut-être difficile pour toi ou Carl de vous rendre compte qu’ils sont peut-être plus forts que des grimpeurs débutants, non ?
— Et maintenant, tu me fais des compliments, tu as l’air de savoir y faire avec les dames. Mais tu as raison, je suis là depuis très longtemps et je ne vois peut-être pas les choses sous le bon angle. Carl va voir ce qu’il en est.

Carl négocie alors une partie de son ardoise en guise de récompense, mais Madeleine a l’air d’être dure en affaire et petit à petit elle prend le dessus jusqu’à lui proposer un dixième de son ardoise actuelle et il se lève aussitôt pour partir.

Madeleine se tourne alors vers moi en me disant qu’elle me fera parvenir un message dès demain.

— Juste pour savoir, est-ce qu’il va s’en sortir ?
— Même s’il n’en a pas l’air je connais Carl depuis mon huitième monde. À deux et avec un peu de temps, nous pourrions vider Lishnul de toute forme de vie.
— Vous êtes vraiment si forts que ça ? Pourquoi est-ce que vous n’avez pas trouvé les responsables des meurtres plus tôt dans ce cas ?
— Un Assassin n’est pas un enquêteur. Pointe une cible et elle mourra, mais ne me demande pas d’enquêter sur elle. C’est pour ça que nous ne travaillons pas seuls et que nous avons des informateurs. Carl a une cible maintenant et il va vérifier ton information de la façon qui lui semble la plus facile… Probablement en essayant de tuer quelqu’un. Si c’est effectivement eux, c’est possible d’organiser les grimpeurs et de former une résistance. De mon côté, je n’ai pas à prendre parti, je dois surveiller le bar et je n’ai pas à participer dans ce genre d’événement clé.
— Pourquoi ça ?
— Parce que je briserais l’ordre des choses et qu’il n’y aura de clé pour personne si j’agis. Même si tu es sur le point de mourir, tant que tu n’es pas dans le bar, je n’ai pas le droit d’agir sans fausser le cours des choses. C’est pour ça qu’il faut que tu fasses attention à toi. Tu dois aussi te faire le plus discret possible. Et ne montre à personne que tu es un Dresseur tant que ce n’est pas absolument nécessaire avec les problèmes que tu as eus au pied de la tour tu risquerais de t’attirer des ennuis.
— Je ferai au mieux.
J’avale mon verre d’une traite en disant à Madeleine que j’attends son message. Je me lève ensuite en disant à Yuu de retourner dans la besace. Il l’a probablement remarqué, mais je suis un peu en froid avec lui. Même s’il a fini par parler je ne devrais pas avoir besoin de l’interroger comme ça pour avoir des réponses… En attendant, il n’a pas l’air de se sentir concerné par l’irritation que j’éprouve à son égard.

Je sors de la pièce en faisant un signe à Madeleine qui après m’avoir fait un signe de la tête continue de laver des verres. Vu ses yeux phosphorescents il n’y a pas de doute que c’est une assassin, mais on ne dirait absolument pas que c’est le cas à sa façon d’agir et a ses vêtements, je me demande avec quoi elle se bat…

Je traverse la taverne sans trop faire attention aux autres grimpeurs dans la pièce et ouvre la porte sur la rue. Pendant quelques instants, je suis ébloui par la lumière du soleil dehors. Sans même comprendre ce qui se passe, je prends une gigantesque gifle qui me sonne quelques instants, je peux voir une silhouette devant moi, mais passer de la lumière des torches à la lumière du soleil m’aveugle encore trop pour voir clairement.

Avant que je n’aie le temps de réagir, la silhouette saute en avant et je crois qu’un coup de genou fonce en direction de mon visage. J’esquive le coup par réflexe, mais la vraie raison derrière cette attaque était de prendre ma tête en tenaille entre les cuisses de mon agresseur.

En se servant de son propre poids et avec agilité et force la silhouette à présent installée sur mes épaules me jette à l’intérieur de la taverne.
Je tombe en faisant un soleil en ayant à peine le temps de dire à Yuu de sauter de sa sacoche pour ne pas qu’il finisse écrasé.

Je finis par terre le souffle coupé alors que mon agresseur est installé sur moi un genou sur chacun de mes bras pour m’immobiliser.

«  Je ne m’attendais pas à te revoir ici l’abruti. On a un compte à régler. »

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8 thoughts on “Tour Des Mondes – Chapitre 125

  1. Merci pour le chapitre.
    PS : Je parie sur la voleuse avec qui il s’entraînait.

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