Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 41
Un village malade
Traducteur : Team Yarashii
La nuit qui suivit nous contraignit à dormir en pleine campagne.
Nous nous étions contentés de laisser la nourriture dans les charrettes, mais Filo semblait savoir se débrouiller, alors nous n’insistâmes pas pour changer quoi que ce soit.
Lors de notre temps passé sur la route, nous avions capté des rumeurs concernant une autre famine, dans le nord cette fois. Nous avions décidé de faire un crochet par le sud-ouest pour récupérer encore plus de nourriture. De toute manière, ils avaient du mal à tout écouler et nous pourrions probablement la vendre à un bon prix.
— J’ai faim !
Filo enfouit sa tête sous la bâche dont nous avions recouvert les charrettes et se mit à piocher dans les réserves.
— Oh, c’est trooooooooooop bon !
J’avais déjà entendu cette rengaine par le passé.
Filo en avait terminé avec sa crise de croissance, mais elle engloutissait toujours de larges quantités de nourriture. Ce qu’elle était capable d’enfourner chaque jour était assez impressionnant. Elle nous le rendait bien en tractant notre attelage sur les routes à vive allure. Cela allait presque trop vite, par moments. Nous devions nous arrêter et procéder à des réparations plutôt fréquemment.
— Que se passe-t-il ?
J’avais en tête de remplacer les parties en bois par du métal. Filo se plaignait toujours de la légèreté des choses. Cependant, améliorer la durabilité de notre moyen de transport avait un coût, et cela m’y fit justement penser.
Raphtalia avait commencé à surmonter son mal des transports, mais Filo cavalait à toute vitesse, nous subissions donc régulièrement l’état aléatoire des routes, ce qui pousserait n’importe qui à vomir. Nous ferions sûrement bien d’ajouter des amortisseurs ou quelque chose du genre près des roues, afin d’absorber un peu les chocs.
Récemment, nous avions bien renfloué nos caisses. J’avais hâte de rendre visite à l’armurier.
Après avoir arpenté le pays pendant un certain temps, je pouvais à présent affirmer que ce vieil homme était le meilleur artisan dans sa catégorie de tout le royaume.
Je ne savais pas où les autres héros se procuraient leur équipement, mais, durant tous mes voyages, je n’avais pas encore trouvé la moindre échoppe capable de rivaliser.
— Mon Maître !
Ugh… Filo accourut et s’appuya sur moi avec ses ailes imposantes.
— Hé hé hé.
— Ugh…
Pour une raison que j’ignorais, Raphtalia se rapprocha également de moi.
— Hé hé hé… c’est tout chaleureux et confortable par ici.
— En fait, j’ai chaud, là.
— Filo, écarte-toi. Si tu fais cela, alors nous serons vraiment à l’aise.
— Non ! C’est plutôt à toi de bouger ! Tu peux pas garder mon Maître pour toi toute seule.
— Ce n’est pas du tout ce que je fais !
— Du balai, vous deux ! Allez dormir !
— Mais…
— Mais on veut dormir avec toi ! Mon Maaaaaaaître !
Je passai en revue nos réserves de remèdes et pris conscience que nous allions en manquer. Je me mis rapidement à l’œuvre pour en produire davantage. Cela m’ennuyait de ne pas savoir quelle quantité serait suffisante… mais bon, cela faisait partir des risques du métier.
— Mais euh…
Filo bouda et traîna la patte en sortant de la calèche.
Dans le même temps, Raphtalia grimpa à bord. Il fallait croire que dormir à même le sol était peu attirant.
— Allez, c’est parti.
C’était à mon tour d’entretenir le feu, alors je m’assis et commençai à travailler sur mes mélanges.
— M. Naofumi ?
— Hein ?
Je me tournai vers notre attelage. Raphtalia était là, à l’arrière, me faisant signe de m’approcher.
— Qu’y a-t-il ?
— Passons la nuit ensemble.
— Tu ne vas pas t’y mettre aussi ! Vous êtes vraiment insistantes. Tu as fait un mauvais rêve ou quelque chose comme ça ?
Elle avait eu régulièrement des cauchemars si terribles qu’il lui avait fallu quelqu’un à ses côtés pour dormir.
Certes, elle avait de bonnes raisons d’en avoir, en considérant la façon dont elle avait perdu ses parents ainsi que tout le reste.
— Non, pas du tout !
Elle protesta. Toutefois, peu importe à quel point elle ressemblait à une adulte, au fond, ce n’était encore qu’une enfant. Elle devait désirer une figure parentale.
— Vraiment ? Tu ferais bien de demander à Filo de passer en forme humaine, puis de dormir à côté d’elle si tu te sens seule.
— Je ne me sens pas seule, ce n’est pas tout à fait cela.
Soudain embarrassée, Raphtalia détourna les yeux, s’absorbant dans la contemplation du sol.
— M. Naofumi… dans votre monde… est-ce que… vous aimiez quelqu’un ?
— Hein ? Non.
Bon sang, où voulait-elle en venir ? J’étais perdu.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— Rien. Je… M. Naofumi ? Que pensez-vous de moi ?
Pardon ? Ugh… Tout à coup, l’image fugitive de la Salope me traversa l’esprit, et cela éveilla ma colère. Ce n’était en rien la faute de Raphtalia, toutefois. Pourquoi penser à elle dans un moment pareil ? Je ne comprenais pas.
— J’ai le sentiment que tu en fais trop. Que je t’en demande trop en tant qu’esclave.
— Autre chose ?
— Je souhaite t’élever pour que tu deviennes quelqu’un de bien. Tu sais, je veux endosser le rôle laissé vacant par tes parents.
Je répondis, mais le ton de ma voix annonçait clairement que j’étais un brin confus devant cette question. Raphtalia arborait également une expression étrange.
— Tu as dit que tu croyais en moi, alors… alors je te vois un peu comme ma propre fille. Je souhaite prendre soin de toi.
Quand on y pensait, cela ne faisait pas si longtemps que nous nous connaissions. Néanmoins, je l’avais rencontrée alors qu’elle était toute petite.
Comme je venais de le souligner, elle avait l’air d’une adulte maintenant, mais elle demeurait une enfant à l’intérieur. Elle essayait du mieux qu’elle pouvait d’agir comme une adulte, mais sans personne pour la protéger, Raphtalia n’arriverait assurément pas à tout gérer par elle-même.
— Oh, hmm… d’accord ! Mais attendez, ce n’est pas un peu anormal ?
— Pas du tout. Allez, une longue route nous attend demain. Va te reposer.
— Très bien.
Elle hocha la tête et sourit, mais je pouvais voir qu’elle conservait quelques doutes. Elle se faufila dans la calèche et tenta de dormir.
Quant à moi, je retournai à mes mélanges.
Oh, j’y pensais : nous continuions tout de même d’affronter des monstres. Nous avions pris quelques niveaux ces derniers temps.
Naofumi : NIV 37
Raphtalia : NIV 39
Filo : NIV 38
Désormais, même Filo était plus forte que moi. Pourquoi ma progression était-elle si lente ?
Non, cela s’expliquait simplement par le fait qu’elles étaient toutes deux chargées de l’attaque. Et Filo était si rapide et agile qu’elle pouvait se débarrasser des ennemis en un clin d’œil. Voilà la raison pour laquelle elle montait en niveau à un tel rythme. Raphtalia aussi se précipitait au combat, jusqu’à en ignorer mes ordres d’ailleurs. Elle demeurait néanmoins moins rapide que Filo.
— Mon Maître !
— Quoi, Filo ?
J’étais toujours en train de travailler sur un mélange lorsqu’une Filo encore à moitié assoupie passa en forme humaine et vint s’adosser contre moi.
— Mon Maître ! T’as pas encore sommeil ?
— Je n’ai pas encore terminé de fabriquer ce remède. J’irai me coucher quand ce sera fait.
— Oh…
— Va donc te reposer. C’est toi qui en fais le plus la journée, après tout.
Même si elle affirmait qu’elle aimait beaucoup tirer notre attelage, cela ne changeait rien au fait qu’il s’agissait d’une activité physique. Elle prétendait que c’était simple, mais je devais prendre en considération sa santé.
— Tu te sens pas trop seul, alors qu’on dort toutes les deux ?
— Tout est une question de perspective. Je peux veiller sur vous, je ne suis donc pas vraiment seul.
— Ah bon ? Ha ha ha.
Filo parut heureuse et elle gloussa. Elle n’avait tout de même pas l’air très enthousiaste. Peut-être était-ce juste mon imagination.
— Qu’y a-t-il ?
— Mon Maître… Bon, si tu te sens pas seul quand tu me regardes dormir, alors ça va !
Qu’entendait-elle exactement par là ?
— Hmm… mon Maître ? À quoi tu pensais quand tu m’as choisie ?
— Pardon ?
Je n’avais eu aucune idée précise en tête. Ce fut une décision prise au hasard.
C’était même pire que cela : j’avais pris cet œuf-là en me disant que cela n’avait aucune importance que j’obtienne ce que je désirais.
— Tu sais quoi ? Je me trouve très chanceuse d’avoir été choisie par toi.
Eh bien, avec le recul, c’était également mon cas. Elle était puissante en combat. Au quotidien, elle était amusante, adorable aussi, et je me voyais de plus en plus comme un parent pour elle. C’était indéniable.
Tant Filo que Raphtalia progressaient vers l’âge adulte, mais restaient toujours des enfants pour le moment.
Je savais bien que je ne devrais pas les laisser se battre pour moi. Quel que soit le monde où l’on vivait, aucun être doué de gentillesse et de bonté ne laisserait des petites filles aller en première ligne.
Et le fait qu’elle en aient envie comptait-il vraiment ? J’étais en tort, et j’en étais pleinement conscient.
Si cela avait été possible, j’aurais dû bâtir un foyer sûr pour Raphtalia, où elle aurait pu échapper à l’horreur des combats.
Cependant, la réalité était là : je n’étais pas assez puissant pour concrétiser cette vision, et je manquais d’argent.
Quant à Filo, c’était une fille normale à présent, et je n’avais pas de réel intérêt à la faire se battre pour moi non plus. Si j’avais la liberté de choisir, je la relâcherais. Les monstres méritaient de faire ce qu’ils voulaient. Comme… tracter des attelages ? Il fallait croire que ce n’était guère différent de ce qu’elle faisait actuellement.
Enfin bref… Quel que soit l’angle sous lequel on regardait notre situation, c’était moi qui endossais le mauvais rôle.
— Dis, tu sais ce que j’ai entendu ? Il paraît que j’étais pas un œuf de bonne qualité.
— Quoi ?
Filo me raconta alors.
Le jour où je l’avais laissée entre les mains de l’esclavagiste, elle s’était mise à tendre les bras de la où elle se tenait, pleurant et réclamant ma présence. Le marchand d’esclaves s’était murmuré à lui-même :
— Cela est si étrange… Je lui ai vendu un œuf de piètre qualité… Comment a-t-il pu muter autant ?
— Gweh ?
L’esclavagiste ignorait peut-être que Filo était capable de comprendre le langage humain, il avait donc proféré de tels propos à l’un de ses assistants.
— Procédons à une nouvelle vérification. Cette Filoliale provient de deux oiseaux incapables de voler… et était supposée être élevée pour sa viande, n’est-ce pas ?
L’assistant avait acquiescé.
— Ma foi, l’œuf valait 50 pièces d’argent… tout comme un spécimen adulte…
— Gweeeeh !
En colère, Filo avait agité les ailes en apprenant qu’elle avait si peu de valeur. Elle avait ensuite commencé à regimber.
— Cela s’expliquerait-il entièrement à cause du pouvoir de ce Héros ? Ou est-ce en raison de cette viande de monstre qu’elle a ingérée ? Elle est également devenue intégralement blanche… Oui… en prenant les précautions adéquates, nous avons la possibilité de gagner beaucoup d’argent.
— Que faisons-nous avec cette Filoliale ?
— Il est nécessaire de l’étudier. Imaginez, un spécimen à 50 pièces d’argent qui évolue autant ! Que se passerait-il si nous fournissions au Héros un échantillon de meilleure qualité ? Il y aurait une somme encore plus importante à amasser. Dans le pire des cas, nous modifierons nos spécimens faibles et les vendrons à un tarif plus élevé… mais pensez-y, si nous lui donnons un Filolial plus racé… voire encore mieux… un Dragon !
— Gweeeeeeeeeeeh ?
— Oh non ! La cage !
Filo était tellement sortie de ses gonds qu’elle en avait brisé sa cage. Je supposais qu’elle avait voulu faire étalage de sa force… surtout quand on voyait la façon dont ils avaient parlé d’elle.
Elle souhaitait que ce soit moi qui lui donne sa valeur. Elle était prête à obéir à n’importe lequel de mes ordres. Sans de telles directives, elle ne saisirait pas sa place dans le monde. Elle désirait plus que tout mettre en avant le fait qu’elle était MA Filoliale.
— Mon Maître… ne m’abandonne pas. Je veux rester avec toi…
Ses yeux s’emplirent de larmes. Je tentai de la calmer.
— Si tu te conduis normalement, je ne te rejetterai pas.
Je l’avais choisie au hasard, mais l’on pouvait également considérer que c’était en raison de mes actions qu’elle embrassait désormais un destin bien différent de celui qui l’aurait attendue sinon.
Je me demandais si elle aurait pu être acquise par un client lambda et passer une existence tranquille dans une ferme, quelque part. Alors, bien sûr, si elle avait été élevée pour sa viande, sa vie n’aurait pas franchement été idéale, mais peut-être était-ce tout simplement ce que symbolisait la vie pour cette espèce.
Si l’on adoptait ce point de vue, alors j’étais seul responsable. C’était ma faute si elle devait maintenant s’impliquer dans des combats.
Était-ce cela… le bonheur ? Être choisi pour endosser un certain rôle sans avoir son mot à dire était une tâche délicate à assumer. J’en savais quelque chose. Qui m’avait demandé mon avis avant de me nommer Héros Porte-Bouclier ?
— Tu le promets ? Si je me brise la patte par exemple, tu ne me vendras pas pour acheter une autre fille ?
— Ouais, je le promets. Et je ne mens jamais… en temps normal. Tu assures, crois-moi.
— Ouais ! Je ferai de mon mieux.
— J’y compte bien.
Ensuite, elle s’appuya contre mon dos et se mit à ronfler.
Franchement… qu’est-ce qui l’effrayait autant ?
Cela devait être moi, le vrai problème. En restant aux côtés de Raphtalia et moi, elle avait dû s’habituer à ma mauvaise réputation, à ne jamais recevoir le moindre remerciement.
Peut-être craignait-elle que je la trouve bonne à rien, à l’image de l’opinion qu’avait le reste du pays sur nous ? Peut-être avait-elle peur de cela depuis le départ.
Néanmoins, j’étais bien celui qui tremblait le plus. Que faire si jamais Raphtalia et Filo refusaient un jour de combattre pour moi ?
Je n’étais pas très cohérent. Si j’étais capable de me battre, c’était bien uniquement parce qu’elles étaient avec moi. Il était possible qu’à l’origine, elles auraient pu connaître une vie exempte de luttes armées et d’affrontements mortels. Toutefois, leur destin avait changé le jour où je les avais choisies sous le chapiteau de l’esclavagiste.
C’était pour cette raison que je devais réfléchir aux responsabilités que cela impliquait.
Une fois le monde en paix, je devrais faire en sorte de créer un lieu pour elles, un endroit où elles pourront écouler leurs jours paisiblement.
Nous atteignîmes les terres de l’est.
Les arbres craquaient et dépérissaient, et l’air était lourd. Il n’était pas censé faire vraiment froid par ici, mais le ciel était noir et toute la région paraissait plongée dans les ténèbres.
Je levai les yeux vers ce ciel obscurci par une épaisse couche de nuages. Nous approchions d’une chaîne de montagnes. L’atmosphère était menaçante.
— Hmm…
Nous arrivâmes à un croisement et nous arrêtâmes pour consulter notre carte.
— Filo, file droit vers les montagnes.
— D’accord !
— Assurez-vous de vous couvrir la bouche, toutes les deux. Il y a une maladie supposée qui se répand dans le coin.
— Très bien.
Je joignis le geste à la parole, me préparant mentalement à ce qui pourrait arriver. Nous pénétrâmes dans un village agricole.
Pour faire court, il faisait sombre. De gros nuages s’amoncelaient dans le ciel, et la pénombre enveloppait le hameau.
— Êtes-vous un marchand ? Cela me fait mal de le dire, mais… notre village est très malade. Vous feriez mieux de fuir… *Tousse* pendant que vous le pouvez.
Un habitant d’allure misérable nous informa de la situation entre deux quintes de toux.
— Je le sais très bien. Nous sommes venus vous vendre des remèdes.
— Oh, vraiment ? Merveilleux !
L’homme partit en courant, annonçant à tout le monde qu’un guérisseur était arrivé.
Honnêtement, cet endroit avait l’air plutôt mal barré. Je ne savais pas si j’allais avoir suffisamment de remèdes.
Comme pour mettre en exergue mes propres craintes, une vague de villageois surgit, réclamant des soins.
— L’attelage de l’oiseau divin ! Nous sommes sauvés !
Oh non… Avec de telles attentes, qu’arriverait-il si mes remèdes échouaient ? Ils perdraient toute confiance en moi.
Bon, très bien.
— Qui en a besoin ?
Je descendis de la calèche, expliquant que l’effet du médicament était renforcé quand je l’administrais moi-même.
— Par ici, cher saint.
Bon sang, voilà qu’ils me considéraient d’emblée comme un « saint »… Je ne me sentais pas à l’aise. Enfin, c’était tout de même mieux que d’être vu comme le méprisable Héros Porte-Bouclier.
Ils me conduisirent dans un bâtiment tout en longueur rempli de malades. L’endroit en lui-même se situait à l’écart des autres constructions du village.
Il y avait un cimetière derrière, avec un certain nombre de tombes récentes.
Si je vous disais que cela sentait la mort, vous comprendriez. C’était cette affreuse odeur qui émanait des hôpitaux et des cimetières. J’étais certain que c’était précisément celle-là.
En revanche, je l’étais un peu moins quant à la capacité de mes remèdes à résoudre leur problème.
Ce n’était que des recettes intermédiaires, inutile de se montrer excessivement confiant. Si cela ne fonctionnait pas, je n’avais aucun plan de secours. Enfin, si… Cela coûterait pas mal d’argent, mais je pourrais alors leur administrer des médicaments bien plus chers.
J’aurais bien aimé pouvoir faire preuve de plus de flexibilité pour ma gamme de produits. Je désirais concevoir de meilleurs remèdes, même si cela impliquait de m’arracher les cheveux devant un nouvel ouvrage. C’était toujours mieux que d’arriver à court d’options. La prochaine fois que je rendrais visite à cet apothicaire, il faudrait que je pense à demander s’il accepterait de me vendre un recueil de recettes de haut-niveau.
— Je vous en prie, sauvez mon épouse !
— Bien entendu.
Une femme gisait là, prise de quintes de toux continues. Je la passai en position assise et lui donnai un remède.
Pouf… une lumière scintillante irradia du milieu de son corps.
Son visage reprit des couleurs. Excellent. Cela avait dû marcher.
— Au suivant !
Je levai les yeux pour apercevoir un habitant qui se tenait là, l’air stupéfait.
— Qu’y a-t-il ?
— Je… hmm…
L’homme pointa du doigt un enfant qui était étendu près de la femme.
Juste avant, il avait toussé de la même manière, mais le phénomène semblait s’être arrêté, désormais.
Pourquoi ? Était-il mort ?
Je me penchai pour vérifier s’il respirait toujours. C’était le cas. Bien, il était toujours vivant.
Cependant, cet enfant avait eu des quintes de toux très violentes quelques secondes auparavant. Et maintenant, il paraissait très calme.
— Il s’est passé quoi ?
— Cher saint, quand vous avez guéri mon épouse, au même moment, mon fils a cessé de tousser.
Hmm… cela pouvait-il s’expliquer par mon talent d’expansion de portée des remèdes ?
L’expansion de portée des remèdes… En voilà un super talent.
Il semblait que mon médicament soit efficace sur quiconque se trouvait dans un rayon d’un mètre.
Ce bouclier avait accès à tout un paquet de caractéristiques bien cachées, pas vrai ?
Toutefois, je pariais que ce talent ne serait pas d’une grande aide en combat, car combien de fois m’étais-je déjà retrouvé à moins d’un mètre de quelqu’un ? L’ennemi devrait aussi être assez faible.
— Bien, ça simplifie la situation ! Que tous ceux ayant besoin de soin se regroupent ! Ce remède fait effet sur les gens présents à moins d’un mètre de moi. On va pouvoir tous vous soigner. Allez, dépêchez-vous !
— Bien, monsieur !
Il n’y avait pas assez de monde pour aider, alors Raphtalia et Filo nous assistèrent pour transporter les malades au centre de la pièce, où j’administrai ensuite le médicament à une seule personne.
Cela nous aida à économiser nos réserves et, en plus, ce fut facile et rapide. Avec une bouteille, nous parvînmes à guérir tous les patients de ce bâtiment.
Après quelque temps, il s’avéra qu’en dépit d’une amélioration notoire de la condition des malades, ils n’étaient pas encore complètement rétablis. Je ne savais pas trop quoi faire à ce sujet.
— C’est sans doute le maximum que je puisse faire avec ces remèdes-là.
— Merci infiniment !
Il était agréable de recevoir la gratitude d’autrui, mais, pour être franc, je n’étais pas entièrement satisfait du résultat.
Il y avait toujours un risque d’infection, et nous n’étions pas parvenus à éradiquer complètement la maladie.
— Vous pouvez me dire d’où c’est venu ? C’est endémique ? Ou alors contagieux, et vous l’avez attrapée d’un voyageur ?
Si les médicaments en ma possession n’étaient pas à même de la soigner, elle devait être assez sévère. Allez savoir, nous risquions peut-être même d’être infectés. Si le pire se produisait, il nous faudrait plier bagage et nous tirer d’ici au plus vite.
— Eh bien, un docteur nous a dit que la maladie est descendue avec le vent de ces montagnes, là-bas. Il faut faire attention, car elles grouillent de monstres.
— Dites-m’en plus.
— Vous n’avez qu’à lui parler directement.
Dans mon monde, un médecin comprenait le fonctionnement de la science et s’en servait pour guérir. Ici, c’était la magie qui remplissait ce rôle.
Il travaillait dans ce village depuis un moment, tentant de mettre au point un médicament efficace contre cette nouvelle maladie. À notre arrivée, il était au chevet des patients dans ce bâtiment et nous avait aidés.
— Dites, est-ce que vous pouvez faire de meilleurs remèdes qu’un apothicaire ?
— Oui, je m’y attelle en ce moment même. Et pourtant, saint homme, après avoir vu de quoi vous étiez capables avec vos propres méthodes, après avoir assisté à l’amélioration spectaculaire de la santé des malades, je ne pense pas que mon projet soit encore nécessaire.
— Bien au contraire, vous feriez bien d’y retourner dès que possible. On n’a pas réussi à l’éradiquer complètement, ce qui veut dire qu’elle va probablement se manifester à nouveau.
— Bien, monsieur !
— Attendez.
Le docteur s’était empressé de rejoindre ses outils, prêt à se relancer avec enthousiasme dans son travail, lorsque je lui demandai de patienter.
— Vous avez dit que cette malade était venue par le biais du vent depuis les montagnes. D’où vous tenez cette hypothèse ?
— Oui, eh bien… il y a un mois, le Héros Épéiste nous a rendu visite et il a pourfendu un puissant dragon qui avait fait son nid dans ces montagnes.
Oh oui… j’avais bien entendu quelque chose du genre.
— Les dragons ont l’habitude de s’établir loin des hommes, mais celui-ci était étrange.
— Quel rapport avec la situation actuelle ?
— Figurez-vous qu’à cette période, un grand nombre d’aventuriers se sont rassemblés là pour observer le travail du Héros Lancier. Ils ont ensuite escaladé la montagne et chacun a pris un morceau de dragon avec lui.
Je me doutais que l’on pouvait produire d’excellentes armes et un très bon équipement avec…
En fait, j’étais un peu jaloux.
— Et ?
— C’est là que cela devient intéressant. Tout allait bien jusqu’à ce que les aventuriers dépècent le dragon. Cela nous rapporta d’ailleurs pas mal d’argent. Les problèmes ont commencé à apparaître quand les restes de la bête se sont mis à pourrir. Certains aventuriers sont allés voir le cadavre et sont revenus malades.
— Donc, le corps du dragon est la source ?
— Je le crois bien.
S’ils étaient allés jusqu’à retirer tout ce qu’ils convoitaient pour de l’équipement, je pouvais imaginer ce qu’il était resté. La viande. Et même si elle était de qualité exceptionnelle, cela ne changeait pas sa nature et le fait qu’elle pourrisse comme chez n’importe quelle espèce.
Il existait peut-être de fins connaisseurs dans ce domaine, pour qui cela présenterait un vague intérêt, mais la majeure partie aurait de toute manière été laissée de côté. J’avais entendu des histoires à propos du goût succulent de cette viande, à tel point que rien ne serait à jeter avec les dragons. Mais qu’en était-il dans ce monde ? Elle pouvait s’avérer toxique, par exemple.
Ensuite, il y avait les organes. Les viscères pourrissaient très rapidement.
Ren avait sûrement été intéressé par des matériaux plus utiles, alors j’étais certain qu’il n’y avait pas touché.
Et pour le cœur ? Je sentais que cette partie du corps devait assurément avoir des propriétés magiques.
— Si vous avez identifié le problème, pourquoi ne pas s’en débarrasser ?
— Des monstres puissants pullulent dans ces montagnes. Il faudrait être un aventurier expérimenté pour s’y risquer et espérer en sortir indemne. Aucun des fermiers de ce village ne peut mener à bien une telle tâche.
— Alors, pourquoi ne pas en engager un, justement ?
— Le temps que l’on prenne conscience de la gravité de la situation, tout l’écosystème de la montagne a été bouleversé. L’air est devenu poison et le mal s’est grandement renforcé, des aventuriers normaux n’en seraient pas capables. De toute façon, personne n’est venu. Ils craignent trop la maladie, aucun n’a le courage de nous rendre visite.
Bon sang, Ren… J’aurais vraiment aimé qu’il vienne nettoyer le bordel qu’il avait laissé derrière lui.
Parmi les héros, il était le plus jeune. Si j’avais été lycéen, je n’aurais probablement pas non plus réfléchi aux conséquences d’un cadavre de dragon abandonné sur place. Ce phénomène n’avait pas dû se produire dans les jeux auxquels il était habitué, il fallait donc s’y attendre.
— Que devons-nous faire, cher saint ?
— Vous avez envoyé un rapport à la Couronne ?
— Oui, nous attendons une livraison de remèdes.
— Et pour les… héros ?
— Ils sont très occupés, alors nous ne représentons pas une priorité pour eux.
Qu’il s’agisse de Motoyasu, d’Itsuki, ou de Ren… ils s’en fichaient. Ils m’énervaient tous.
— Est-ce que vous avez déjà fourni de l’argent à la Couronne pour avoir son soutien ?
— Oui…
— Si vous annulez tout, vous pourrez récupérer cette somme ?
Le docteur me regarda droit dans les yeux.
— Allez-vous vous en charger, cher saint ?
— Bah, si votre cargaison de médicaments met encore des plombes à se pointer, c’est une possibilité, oui. Si je réussis, j’accepterai cet argent.
— Très bien… Ma foi, cela devrait prendre une demi-journée, au moins.
— Parfait. Je vais donc aller m’occuper des restes de ce dragon. Je serai ensuite payé avec la somme envoyée auparavant à la Couronne.
— Bien, monsieur.
Ce fut ainsi que nous quittâmes le village en direction des montagnes, afin de voir ce que nous pourrions faire pour régler ce problème de carcasse.