Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 50

Grand seigneur
Traducteur : Team Yarashii

Je me disais que nous pourrions probablement déplacer nos réserves plus vite. Nous nous rendîmes donc dans un village situé au sud-ouest et achetâmes des matériaux peu onéreux.
Voyez-vous, j’avais eu vent d’une rumeur annonçant une famine au nord, ce qui signifiait que je pourrais écouler mes marchandises au meilleur prix et dégager ainsi les meilleures marges possible.

Le bourg au sud-ouest était celui où la BioPlante s’était déchaînée.
Nous avions nettoyé tout ce bazar la dernière fois, mais, avant de partir, nous leur avions laissé une graine de BioPlante améliorée.
Cela expliquait pourquoi j’avais l’intuition qu’ils seraient enclins à nous vendre de la nourriture à bas prix. Et, tout comme je l’avais prévu, les villageois furent très heureux de nous voir. Ils nous vendirent ce que nous recherchions avec un très gros rabais.
De ce que je voyais, ils avaient planté la graine de BioPlante améliorée que je leur avais confiée. Les champs de ce village étaient recouverts de vignes sur lesquelles pendaient des fruits rouges charnus semblables à des tomates.

Nous chargeâmes notre nouvelle cargaison à bord de notre attelage et nous dirigeâmes vers le nord. Quelque chose se produisit alors dans une petite ville sur la route :

— Hein ? Un certificat de marchand itinérant ?

Nous étions à l’arrêt en raison d’un garde en service qui réclamait un paiement pour son gouverneur.
Je lui montrai alors le certificat émis par Riyute, mais…

— Ça ne signifie rien ici ! Payez votre dû !
— Mais…

Le garde ignora les protestations de Raphtalia et continua à réclamer de l’argent.
Je m’avançai pour entamer des négociations avec lui, toutefois, il s’obstina.

— Espèce de brute !

Hmm… Pour qu’il se mette dans un état pareil, il devait se passer quelque chose.
Depuis que j’avais commencé ma carrière de marchand itinérant, j’avais retenu deux trois leçons sur la manière de parvenir à ses fins.

La première d’entre elles consistait à menacer. Posséder suffisamment de pouvoir permettait de faire accepter aux gens des choses qu’ils refuseraient en temps normal. Il fallait identifier leurs faiblesses et s’en servir pour vendre le plus cher possible. Cette stratégie fonctionnait à merveille auprès de clients qui nous prenaient de haut. Cependant, au vu du comportement de ce garde, il ne nous considérait pas à la légère. Venait ensuite la négociation. Nos relations avec d’autres individus dépendaient de l’évolution des conversations. Cela s’avérait efficace surtout sur ceux qui ne se montraient pas hostiles. Cet homme ne semblait pas nous avoir pris en grippe. Il était simplement pressé.
Si aucune de ces méthodes n’était susceptible de produire un résultat satisfaisant avec lui, cela devait signifier que…

— On dirait que votre gouverneur est un vrai taré.

Je parcourus la ville des yeux et marmonnai ces paroles. Le garde s’en rendit compte et son expression changea légèrement.

— N’insultez pas notre gouverneur ! Vous risquez des poursuites judiciaires !

Les pièces du puzzle commençaient à s’assembler. Le garde avait apparemment de plus gros soucis à gérer que nous, voilà pourquoi mes stratégies demeuraient sans effet.
Si je me montrais trop insistant, nous finirions par le payer plus tard.

Si je voulais le faire sortir de ses gonds, je devais créer un esclandre qui le pousserait à bout, ou causer un tel bazar que cela conduirait le gouverneur à venir me parler. Cependant, je n’avais aucun moyen de savoir si agir de la sorte valait les risques encourus.

— Très bien. Je vois que vous avez assez de soucis de votre côté.

Je lui tendis la somme qu’il réclamait. Ce faisant, le garde parut soudain très déçu.

— Voilà.

Il se pencha en avant et murmura :

— Désolé…
— Pas de souci.

Il devait obéir aux ordres du Sac à merde. Il était évident que le gouverneur de cet endroit causait des problèmes.

Nous pénétrâmes dans la ville pour découvrir qu’il fallait payer des taxes pour à peu près tout, de la nourriture en passant par l’équipement ou encore l’artisanat et les chambres à l’auberge. Sans compter que le taux appliqué était toujours élevé.
La ville paraissait plongée en pleine dépression économique. Le marché était quasiment désert. Les commerces devaient ployer sous le poids de toutes ces taxes.

— Je vais aller chercher de la nourriture et essayer de comprendre un peu ce qui se passe ici.
— D’accord.
— Ouais ! Rapporte-moi un souvenir !
— Tu en as déjà bien assez. Me dis pas que t’en veux encore d’autres ?

Est-ce que Filo se rendait compte des prix exorbitants pratiqués dans cette ville ?

À l’auberge, je quittai Raphtalia et Filo, qui était sous forme humaine, et me rendis dans un bar pour essayer de mieux saisir la situation.
Je modifiai également mon bouclier en basculant sur le Bouclier Livre et froissai un peu mes vêtements avant d’entrer.
Il y avait quelqu’un que je connaissais à l’intérieur. Une personne que je ne désirais pas croiser.
Du moins, je le croyais.

Il était équipé d’un arc, mais, pour une raison que j’ignorais, il portait également une épée à sa ceinture. Il était habillé modestement d’habits élimés et son arme principale était petite et pouvait changer de forme, comme mon Bouclier Livre. Si cela avait été notre première rencontre, j’aurais très bien pu le prendre pour un vagabond.
Plusieurs personnes l’accompagnaient, dont une arborant une armure de couleur très voyante. Ce type avec un arc se dissimulait dans l’ombre.

En effet, Itsuki, le Héros Archer, se cachait dans un coin du bar, plongé en pleine conversation.
Comme Motoyasu, celui-là provenait aussi d’un Japon alternatif.
Il avait dix-sept ans, et son visage était celui d’un pianiste silencieux. Il avait l’air du genre tranquille.
Il ne m’avait pas encore remarqué.
Je me demandais de quoi il discutait, alors je me glissai près de lui sans qu’il s’en aperçoive et tentai d’espionner leur conversation.

— Le gouverneur est…

Il semblait que son groupe et lui partageaient des informations au sujet du gouverneur local.
De ce que je comprenais, cet homme paraissait avoir établi des taxes d’une valeur supérieure à celle demandée par la Couronne, et acceptait des pots-de-vin de la part de certains marchands des environs. Il utilisait cet argent pour louer les services d’un garde du corps et punissait sévèrement tous ceux qui osaient se dresser contre lui. Toutes ses actions ne satisfaisaient que son propre intérêt. En un mot, il avait tout l’air du parfait fonctionnaire corrompu.

— J’ai l’impression qu’on va devoir lui donner une bonne leçon.

Ouah ! Je fus si surpris par les mots d’Itsuki que j’en perdis presque l’équilibre.
Et si je m’immisçais dans leur conversation ?
Il se cachait là sans raison et, toute considération de son plan mise à part, pour quel genre de grand seigneur il se prenait ?
Pensait-il qu’il voyageait dans ce monde pour jouer les justiciers ?
Même en prenant en compte tout ce que j’avais entendu jusqu’à maintenant, je n’avais toujours pas capté la moindre rumeur concernant les manigances du Héros Archer.

Toutefois, pour être honnête, je battais le pavé en tant que saint homme escorté d’un oiseau divin, je ne pouvais donc pas vraiment lui en vouloir s’il cachait son identité.
Cependant, dans mon cas, j’avais une bonne raison : les gens répandaient des mensonges à propos du Héros Porte-Bouclier, et je devais m’accommoder comme je pouvais de ma terrible réputation. Même maintenant, toute personne découvrant mon identité demeurait sur ses gardes, j’avais donc tout intérêt à leur faire croire que j’étais un saint. Je percevais encore des murmures au sujet du Démon Porte-Bouclier !

Quoi qu’il en soit, de mon point de vue, rien ne justifiait qu’Itsuki le Héros Archer dissimule son identité.
Était-ce un ordre de la Couronne ? Même si c’était le cas, je n’avais rien entendu sur lui. Il mentait donc à dessein sur sa vraie nature…

— Très bien. Allons-y.

Ils mirent fin à leur conversation, et Itsuki conduisit son groupe hors du bar.
Si mon raisonnement était correct, ils comptaient se rendre à la demeure du gouverneur et provoquer un esclandre, avant de révéler l’identité d’Itsuki et de dénoncer le fonctionnaire corrompu. Dans mon monde, j’avais déjà croisé ce genre de scénario au sein de séries historiques à la télévision. Elles montraient toujours l’archétype du guerrier itinérant jouant les redresseurs de torts.
C’était assez facile à imaginer. Le roi finirait par apprendre que le politicien corrompu avait été destitué et désignerait un nouveau gouverneur. C’était plutôt cohérent.
Était-il stupide ? Pourquoi agir ainsi en s’impliquant davantage ?

Après cela, je remplis ma mission : trouver des informations sur un endroit où acheter de la nourriture à un prix raisonnable. Ensuite, je retournai à l’auberge pour la nuit.

Le souvenir de Filo ? Comme si j’allais en acheter un dans une ville où tout était exorbitant !
Évidemment, Filo eut son mot à dire sur la question, mais je ne pris même pas la peine d’écouter.
Le lendemain matin, la ville entière était en ébullition. Des aventuriers s’étaient infiltrés pendant la nuit et avaient destitué le gouverneur.
Parmi la foule de piétons qui arpentaient la rue, Itsuki se tenait là et discutait avec une jolie fille.

— Oh ouah ! Non, franchement, merci iiiiinfiniment !
— Oh, ce n’est pas grand-chose. Mais c’est un secret entre nous, d’accord ?

Un secret ? Mon œil, oui ! Mes soupçons se confirmaient. Je comprenais enfin pourquoi je n’avais rien entendu au sujet d’Itsuki durant tout ce temps.
Il était le genre de type qui aimait cacher de quoi il était vraiment capable jusqu’à l’instant critique pour épater ainsi la galerie.
Selon moi, s’il appréciait vraiment ce petit jeu, c’était de mauvais goût.

Il déployait bien des efforts pour cacher sa véritable identité dans le seul but de se révéler au grand jour au moment opportun. Si ce n’était pas là son objectif, alors pourquoi se tenait-il debout en plein milieu de la rue ? Du moins avais-je deviné qu’il n’était pas contraint de fuir comme je l’avais fait, cela montrait donc qu’il n’agissait pas ainsi pour se protéger.
Tout était maintenant clair dans mon esprit. Le méchant gouverneur avait exigé des taxes que les gens ne pouvaient pas payer, il s’était donc emparé de cette pauvre fille auprès de son père grabataire comme paiement. J’avais aussi déjà vu cela dans une série historique.

Bon sang, fichez-moi la paix.
Je quittai la ville aussi vite que possible.

Nous voyageâmes pendant une demi-journée environ avant d’atteindre une ville près de l’une des frontières du royaume.
Nous parvînmes à vendre toute la nourriture que nous n’avions pas écoulée la veille, et tout partit très vite. Nous avions bel et bien l’air en pleine zone frappée par la famine.
Toutefois, beaucoup de gens dans les environs ne donnaient pas l’impression d’être du coin.
Peut-être cela se voyait-il à leur manière de s’habiller. Je ne savais pas vraiment pourquoi. Impossible pour moi de mettre le doigt dessus, mais je pouvais deviner qu’ils provenaient d’un endroit éloigné.

— Dites, les gars…

J’avais entendu des rumeurs au sujet d’un pays voisin dirigé par un despote, mais le tyran avait apparemment été destitué. Je sentais que je m’approchais de la vérité. Ces personnes avaient-elles quitté momentanément leur pays pour affaires ?
Certaines d’entre elles passèrent près de nous, et un simple coup d’œil vers mon attelage suffit à provoquer chez eux un vif enthousiasme, à tel point qu’ils accoururent vers moi et commencèrent à engager les négociations.
Cependant, ils refusaient de payer avec de l’argent. Ils désiraient marchander. Des herbes médicinales et autres choses de ce genre pouvaient toujours s’avérer utiles, certes, mais je ne voyais guère d’intérêt à des pièces d’artisanat en bois. Je descendis de la calèche et m’adressai à eux :

— Je préférerais vraiment que vous me donniez de l’argent.

S’ils me refilaient de la paille, des bouts de ficelle ou du charbon, je n’aurais aucun moyen de m’en débarrasser. D’un autre côté, en prenant toutes ces herbes médicinales, je pourrais concevoir une belle quantité de remèdes.

— Je suis navré, mais nous n’avons pas d’argent…

La personne prononçant ces paroles n’avait que la peau sur les os. Il paraissait sur le point de s’écrouler à tout moment.

— Je vais aller vous chercher de quoi manger. Avalez ça et reprenez votre route.

Je n’eus pas d’autre choix que d’emprunter une grosse marmite à quelques villageois. Les habitants semblaient aussi crever de faim, alors ils acceptèrent volontiers de m’aider.

— Merci infiniment !

Tout le monde se rassembla autour de la marmite géante et dévora sa part.
Tandis qu’ils se restauraient, je saisis l’occasion d’en savoir plus sur ce qu’il se passait dans la région.
Ils me dirent que tout allait bien jusqu’à la destitution du despote. Les taxes furent allégées et la vie des gens commença à s’améliorer.
Toutefois, sous peu, tout reprit comme avant.
Le pire dans tout cela était que les chefs de la résistance s’étaient mis à augmenter les taxes de nouveau dès leur accession au pouvoir.

— Pourquoi faire ça ? Après tous ces efforts pour chasser ce méchant roi ?
— Eh bien, ils avaient besoin de fonds pour gérer le pays et garantir un bon financement de l’armée, alors ils ont dû augmenter les prélèvements.

Je commençais à comprendre. Cela ne s’expliquait pas juste parce que le précédent dirigeant était un sale type. Il lui avait fallu ponctionner auprès du peuple de quoi assurer une force militaire suffisante pour défendre le pays.
Sans citoyens, une nation n’était rien, il fallait donc faire en sorte de les protéger.
Dans ce contexte, si l’on se contentait de ne prêter l’oreille qu’aux rumeurs négatives, il était évident que cela pousserait à vouloir le chasser.
Je ne savais rien de cet individu, mais je ne pouvais m’empêcher de sentir une certaine connexion avec lui, liée au fait d’être détesté et banni par son propre peuple.

Il y avait assurément des moments dans la vie où l’on devait faire ce qui s’imposait, que nos actions soient vues positivement ou non.
Cependant, cela ne s’appliquait pas au Sac à merde. Ce type était aussi stupide que méchant depuis le début.

— Même avec un nouveau dirigeant, nous ne pouvons toujours pas vivre décemment. Alors, nous avons rassemblé tous nos objets de valeur et traversé la frontière pour voir si, ici, une vie meilleure nous attendait en des terres plus prospères.
— Pauvre roi ! Il pensait vraiment aux gens de son pays d’abord ! À qui la faute si j’ai aussi faim, hein ?
— Toi, ferme-la ! Tu doutes de moi ?
— Ouais !

Filo savait exactement quoi dire pour l’énerver, alors je devais la contrôler.
Elle commençait à en apprendre un peu plus sur les rouages du monde, et elle en avait profité pour aiguiser sa langue au passage, et pas forcément en bien.

— Je pensais qu’il paraissait…

Raphtalia se parlait toute seule et me regardait d’un air étrange.

— Peut-être que… M. Naofumi ?
— Oui ?
— Oh, ce n’est rien.

Filo continuait de jacasser, mais si je devais bâtir une hypothèse d’après les rumeurs que j’avais entendues, je dirais qu’Itsuki avait l’air impliqué dans la résistance. Son coeur n’était peut-être pas aussi pur qu’il voulait le faire croire. Quant à ces réfugiés, s’étaient-ils faufilés de ce côté de la frontière pour acheter des marchandises au marché noir ?
Au fait, il semblait que les prix flambaient dans cette région. C’était une bonne chose pour moi. Itsuki, qui se voyait comme un grand seigneur, voyageait ici et là pour corriger les injustices de ce monde, alors que l’on pourrait penser qu’il resterait un peu pour aider. Il se servait simplement de ces gens pour satisfaire son propre sens de la justice !

— Au vu de la situation, notre pays court un grave risque d’invasion ! N’importe qui pourrait se précipiter chez nous et s’emparer du pouvoir, mais nous ne parvenons même pas à nous nourrir correctement.
— Ah, vraiment ?

Peut-être était-ce dû aux vagues, mais j’avais l’impression que des famines éclataient un peu partout.

— Bon, très bien.

Je trouvai le chef de ce groupe en haillons et lui tendis l’une de mes graines de BioPlante améliorées.

— Qu’est-ce donc ?
— Si vous la plantez, elle vous apportera très vite de la nourriture. En fait, ça a causé pas mal de grabuge au sud, mais j’ai réussi à régler ça avec une petite technique de mon cru. Ça devrait aller, maintenant, mais restez quand même vigilants. Si vous ne vous en occupez pas comme il faut, elle peut devenir un sacré casse-tête.
— Oh, ça alors !
— Je repasserai par ici plus tard. J’accepterai votre gratitude à ce moment-là.

La prochaine fois que je visiterais à nouveau cet endroit, j’étais certain de recevoir un accueil chaleureux.
Ils savaient tous très bien qui j’étais vraiment. Plus tard, j’appris que les citoyens de ce petit pays, après avoir tant souffert de la famine, avaient enfin eu de quoi se remplir l’estomac.

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