Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 63
L’ombre
Traducteur : Team Yarashii
— Monsieur. Nous sommes à bonne distance, maintenant. Nous devrions être en sûreté, si j’ose dire.
J’enlevai la cape et observai le propriétaire de la mystérieuse voix. C’était l’un des villageois du pays voisin à qui j’avais parlé près de la frontière. Il n’avait néanmoins rien dit sur le moment.
— Vous…
J’avais l’impression que cela ne pouvait pas être la même personne.
— Vous rappelez-vous notre conversation à propos du doppelgänger grimé de sorte à se faire passer pour ma mère ?
— Euh… oui…
— Eh bien, c’est cette personne.
— C’est notre première rencontre, monsieur. Avez-vous compris qui j’étais en raison de l’explication de la princesse Melty ? Je l’espère, monsieur. Sinon, j’ai échoué en tant qu’ombre, si j’ose dire.
— Je pense que vous le formulez mal.
— C’est un ordre de la princesse, si j’ose dire, alors je n’ai pas le choix, monsieur.
— Arrêtons un peu ces petites blagues entre nous et expliquez-vous. Pourquoi nous avoir sauvés ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?
— J’appartiens aux services secrets de Melromarc. Je suis une « ombre », si j’ose dire. Voilà pourquoi je vous ai aidés. De plus, je n’ai pas de nom. Si vous devez m’appeler, monsieur, veuillez utiliser le mot Ombre.
Ombre… Est-ce que cet individu essayait de se donner un genre ? Je me rappelai avoir déjà croisé un de ces types par le passé. C’était à Riyute, lorsque j’avais participé à cette course contre Motoyasu.
Il devait y avoir des différences entre ma façon de penser et celle des gens de ce monde.
Si je commençais à les énumérer, la liste serait très longue… alors je mis cela de côté pour le moment.
— Pourquoi nous avoir tirés de là ?
C’était ce que je désirais vraiment savoir. Je pensais à plusieurs raisons, mais aucune d’entre elles ne me paraissait l’emporter.
— Monsieur, je ne peux répondre à cela, si j’ose dire.
— On ne joue pas franc-jeu, hein ?
— Si je devais m’expliquer, je dirais que mon travail est de protéger la princesse Melty, si j’ose dire.
— Ça ne m’aide pas des masses.
Si cette personne disait vrai, alors elle se serait interposée dès que Mel avait engagé le combat contre sa sœur.
— Je savais que le Héros Porte-Bouclier la protégerait, voilà pourquoi j’ai préféré rester dans l’ombre, si j’ose dire.
— Vous…
— La bataille semblait bien dangereuse sur la fin, mais nous sommes parvenus à nous enfuir indemnes. Selon moi, cela s’explique par les doutes que nourrissent les Héros sur leur propre mission, si j’ose dire.
Donc, en résumé, cette ombre savait ce qu’il se tramait et s’était contentée de regarder tout cela de loin. Elle devait être très compétente.
— De surcroît, je viens apporter des nouvelles sur l’emplacement de la reine auprès de la princesse et du Héros Porte-Bouclier.
L’ombre nous montra une carte et désigna un pays dans le coin sud-ouest.
C’était à l’exact opposé de Silt Welt.
— La reine est actuellement dans ce pays. C’est dans la direction opposée à celle menant à la nation de demi-humains où vous tentez de trouver refuge. Il se trouve très loin, et, de ce fait, vos préparatifs ne seront pas suffisants pour l’atteindre. Vous allez avoir besoin de protection, si j’ose dire.
— Bon…
J’avais commencé à le soupçonner, mais il était désormais clair que tout le monde avait deviné notre destination.
La seule explication à laquelle je pensais était que les demi-humains accordaient leur confiance au Héros Porte-Bouclier… tout le contraire de l’Église de Melromarc. Si j’étais parvenu à me réfugier là-bas, cela aurait été une très mauvaise chose pour cette institution et le Sac à merde.
Naturellement, j’aurais adoré leur faire ce pied de nez, mais, au vu des importantes patrouilles de chevaliers à la frontière, cette option n’était plus envisageable. Il faudrait deux semaines à Filo pour atteindre cette destination et, si les autres héros nous coupaient la route, nous n’y parviendrions jamais. Je ne parlais même pas du fait qu’ils avaient anticipé Filo et sa force, jusqu’à aller fabriquer des fers spéciaux pour la maintenir hors du combat.
Même si cela allait demander un grand détour, j’étais tout de même prêt à le faire.
— Les racines de vos ennuis actuels sont profondes, si j’ose dire. J’aimerais que les autres Héros nous aident, dans la mesure du possible.
— Qu’est-ce que vous entendez par là ?
— L’Église des Trois Héros est clairement affaiblie par tout ce que vous avez fait, monsieur. C’est pour cela qu’ils en arrivent à de telles extrémités, si j’ose dire.
— Affaiblie ? C’est pas vraiment l’impression que j’ai.
— Attendez simplement que le public apprenne leur plan d’assassinat de la princesse Melty.
Il était exact d’affirmer que nous avions réussi à aller aussi loin grâce à l’aide de beaucoup de gens.
Est-ce que cela signifiait que les citoyens perdaient la foi dans les enseignements de l’Église ?
— Vous voyez ? Mon père n’est pas derrière tout cela.
— Cette ombre nous ment peut-être. Ne crois pas tout ce qu’elle dit.
Il fallait que je la mette en garde, mais j’étais tout de même intéressé d’entendre tout ce que cette personne avait à nous dire.
— Admettons que je vous croie pour le moment. Ça expliquerait pourquoi ils essaient de faire gober aux gens cette histoire ridicule de Bouclier d’Endoctrinement.
Qu’avais-je bien pu faire pour les déranger autant ? Vendre des remèdes, aider des villages un peu partout ? Était-ce vraiment pour cela ? Ironiquement, le plus gros problème que je pouvais leur poser, c’était que je nettoyais le foutoir que les autres héros laissaient derrière eux.
Si leur foi était basée sur la vénération de tous les héros à l’exception du Porte-Bouclier, alors mes actions les mettaient éventuellement dans l’embarras. Cela ébranlerait la conviction religieuse des gens. D’un côté, s’ils pouvaient leur faire comprendre que j’avais réussi tout cela par la manipulation et l’endoctrinement, ils seraient capables de réparer les torts causés à leur foi. De l’autre côté, si je parvenais à prouver mon innocence, cela porterait un coup fatal à leur réputation au sein de la population.
— Qu’allez-vous faire, monsieur ? Voulez-vous continuer vers Silt Welt et chercher refuge là-bas, si j’ose dire ?
— Eh bien…
Je ne pouvais pas placer toutes mes responsabilités entre les mains d’autrui et couler des jours tranquilles à l’étranger. Si Silt Welt et Melromarc entraient en guerre, cela ne me sauverait pas non plus. La prochaine vague arriverait, et je finirais téléporté en plein milieu des ennemis une nouvelle fois. Ce qui ne serait pas bon du tout.
Et si je réfléchissais une minute à tous ceux m’ayant acculé dans une telle situation ? La Salope était probablement de mèche avec l’Église. D’après la jeune princesse, le Sac à merde n’était pas impliqué.
Cela voulait dire qu’il ne fallait sans doute pas que je me contente de fuir, demander de l’aide et organiser une contre-attaque. Il paraissait plus logique de me servir des gens ayant déjà prouvé leur confiance en moi. Si tout se passait bien, nous pourrions même gagner du temps.
Et pourtant…
— Admettons que je rencontre la reine. Qu’est-ce que vous y gagnez ? On pourrait bien finir par détruire l’Église.
— Monsieur, je ne peux vous fournir cette information, si j’ose dire.
Donc l’ombre ne me parlerait de rien d’autre que de la reine. Elle ne comptait pas évoquer quoi que ce soit au-delà de cette entrevue.
Néanmoins, il ne faisait pas l’ombre d’un doute à mes yeux que cette personne travaillait pour la reine.
Elle était liée à la princesse et demeurait aux ordres de la reine. Je pouvais donc raisonnablement penser qu’elle agissait au nom de celle-ci. Cela impliquait que la reine voyait en notre rencontre une occasion pour l’aider, elle.
Pour être franc, je ne parvenais pas à comprendre quel était son but.
D’après les dires de la princesse, sa priorité semblait être d’éviter la guerre avec les pays frontaliers. De plus, si elle désirait sincèrement tout faire pour me venir en aide, tout en sachant très bien l’hostilité naturelle de ce pays à mon égard, elle devait prendre la menace des vagues très au sérieux.
L’ombre avait dit qu’elle voulait leur « assistance ».
Les plans de la reine n’étaient pas en phase avec ceux de l’Église.
Bon, il paraissait cohérent d’affirmer qu’elle n’était pas mon ennemie. De là à dire qu’elle était une alliée, il y avait un pas que je ne franchirais pas encore. Mais elle incarnait peut-être notre meilleure option dans cette situation.
— Juste pour cette fois.
— Que voulez-vous dire, monsieur ?
— Vous venez de nous sauver les miches. Alors je vais vous croire, juste pour ce coup-ci. Il nous suffit de rencontrer la reine ?
Si elle pouvait mettre un terme à toute cette débâcle, j’allais devoir lui faire confiance.
— J’aime pas franchement l’idée de suivre vos instructions, mais c’est probablement ce qu’on a de mieux à faire. Si vous nous trahissez…
— Je comprends. Fort bien, je vous présente donc mes adieux, si j’ose dire. Après tout, nous ignorons quand les ombres de l’Église arriveront.
— Elle en a aussi ?
— Nous ne sommes pas une organisation monolithique, si j’ose dire. Veuillez donc rester prudent.
— Comment je peux y arriver ?
— Héros Porte-Bouclier, vous êtes rongé par le doute… et il vous sauvera, si j’ose dire. Supposons que vous croisiez quelqu’un s’exprimant comme moi. Accorderiez-vous votre confiance à un tel individu ?
L’ombre avait raison. Je nourrirais encore des soupçons à notre prochaine rencontre.
— À présent, je vous laisse.
Elle nous salua et s’évanouit en un éclair.
Sa façon de parler était étrange, mais cette personne paraissait douée dans son travail.
— Vous pensez qu’on peut lui faire confiance ?
Sincèrement, je ne savais pas.
— Oui. C’est le cas pour ma mère.
— Je ne la connais pas trop.
La reine avait visiblement des opinions très différentes de celles du Sac à merde ou de la Salope, mais je ne connaissais pas non plus le fond de sa pensée. Tout ce que Mel et l’ombre avaient dit me laissait penser qu’elle était une alliée, mais je ne parvenais pas à mettre le doigt sur son objectif. Le pire, c’était que je ne pouvais pas ignorer la possibilité qu’elle était de mèche avec l’Église et tentait d’assassiner sa propre fille.
Si tout cela faisait partie du plan de la reine pour me faire tuer, alors j’étais déjà à court d’options.
Si nous faisions tous demi-tour pour nous rendre à Silt Welt, elle se débrouillerait pour nous en empêcher. Je ne voulais pas y croire, mais elle pouvait aussi en avoir après la vie de la princesse. Je devais découvrir ses motivations. Si je réussissais à la positionner sur tout cet échiquier politico-religieux, je saurais alors ce que je devrais faire.
— Bon, au moins, on sait où aller.
— Oui. Allons-y.
— C’est parti, Filo.
Nous savions quoi faire, à présent. C’était déjà un pas de plus en avant par rapport à notre situation il y a encore peu de temps à la frontière. Nous prîmes la direction du sud-ouest et nous mîmes en route.
— Ouais, je suis plutôt crevée. Mes mains me font mal, et j’ai utilisé toute ma magie.
Filo s’assit, épuisée. Elle devait se reposer.
— Elle a raison. De plus, nous avons abandonné notre chariot et toutes nos affaires.
— On n’avait pas le choix.
Il ne nous restait que notre argent, quelques bricoles et un couteau que je pouvais utiliser pour faire la cuisine.
Mais nous avions perdu l’équipement de Raphtalia.
Pire encore, Filo était coincée sous forme humaine. Comment allions-nous nous débarrasser de ces fers ?
— Raphtalia, tu saurais comment retirer ce truc ?
— Je peux toujours essayer.
Elle passa ses doigts autour et tenta de les distordre. Mais ils ignorèrent superbement ses efforts.
— C’est du solide.
Cela commençait à m’inquiéter. Il ne fallait pas que cela se voie sur mon visage.
— À mon tour.
La princesse s’avança.
— Je me demande si la magie peut se révéler efficace ?
Je me souvins que, dans mon propre monde, il existait un objet qui découpait la matière au jet d’eau. C’était une machine qui employait la pression de l’eau pour couper à travers n’importe quoi. J’y réfléchis, en essayant de me rappeler comment cela fonctionnait. Mel était en train de trifouiller les fers.
— Je ne peux rien faire, c’est trop résistant. Je pense qu’il nous faudrait un alchimiste ou un artisan pour le retirer.
— Non !
Filo fit une moue boudeuse.
C’était normal. Elle devait sans doute détester être coincée sous cette forme. Cela l’empêchait de se servir de ses pouvoirs magiques.
— Un artisan ?
— Oui. J’ai l’intuition que cet objet est peut-être scellé par magie… aucune clé ne pourra alors l’ouvrir.
— Un artisan…
Raphtalia posa le regard sur moi. Que voulait-elle ? Je pouvais faire un peu d’artisanat moi-même, oui.
— M. Naofumi, vous êtes doué de vos mains. Pourquoi ne pas tenter votre chance ?
— Je ne suis pas trop mauvais, mais je ne sais pas comment déverrouiller des choses.
J’avais un petit fil que j’avais l’habitude d’utiliser pour cela. Je pouvais essayer avec.
Je fis tourner les fers et vis un petit trou qui ressemblait éventuellement à une serrure. Je glissai le fil à l’intérieur. Si je parvenais à l’ouvrir, est-ce que cela me débloquerait une compétence d’artisanat ?
Je choisis de concentrer mon énergie magique dessus. Hein ? Quelque chose y répondit.
Le marchand d’objets avec qui nous avions voyagé m’avait appris une astuce afin d’utiliser les deux en même temps. Je fis aller et venir le fil plusieurs fois. Cela avait l’air d’être un mécanisme sophistiqué… bien que j’aie l’impression de pouvoir le briser par la force brute. Ou alors, en faisant cela, je ruinerais toute chance de l’ouvrir. Toutefois, je pouvais dégrader la qualité de l’objet, me permettant peut-être de neutraliser l’effet inhibiteur sur Filo.
Je continuai d’employer ma magie et le fil à la fois. Il y eut un gros déclic, et les fers se mirent à se dégrader. C’était comme dans les animés lorsqu’on se servait d’un pistolet à impulsion électrique pour casser un verrou électronique.
— Ah.
Dans un pouf spectaculaire, Filo reprit sa forme de Reine Filoliale.
— Tu penses pouvoir finir le boulot par la force ?
— Bien sûr !
Avec sa patte libre et une aile, Filo agrippa les fers. Grâce à ses aptitudes physiques, elle parvint à les étirer peu à peu.
— C’est une manière bien violente de s’en débarrasser.
— Oh, c’est bon, hein. C’est pas en se montrant délicat que ça va se régler.
— Merci, maître !
— Sois prudente à partir de maintenant. Motoyasu sera encore mieux préparé la prochaine fois.
Retirer ces fers de malheur avait requis beaucoup d’efforts. Nous ne serions pas capables de faire cela en pleine bataille.
— D’accord !
Ainsi, nous allâmes en direction du sud-ouest le plus discrètement possible.
J’ignorais si j’avais réussi à les convaincre, mais il n’y avait aucun signe de poursuite de la part de Ren ou d’Itsuki. À moins qu’ils ne soient à notre recherche plus loin sur la route.
Tout de même… de l’endoctrinement ? Ils ne pouvaient pas être aussi stupides. Il valait sans doute mieux que je m’inquiète à propos de Motoyasu.
En tout cas, c’était bien que le héros le plus puissant, Ren, et celui doté des meilleures attaques à distance, Itsuki, ne soient pas dans les parages. Filo pouvait gérer Motoyasu et, tant que nous avions la princesse à nos côtés, ils ne tenteraient pas d’attaque directe.
Il nous restait quand même une montagne de problèmes à résoudre.
— Que faire…
Nous commençâmes à discuter de nos options.